Comme si j’avais vraiment le choix maintenant. J’ai failli mourir pour une raison inconnue, mais à mon humble avis, la marque n’y est pas étrangère. Il a dû se passer quelque chose avec le démon. J’ai senti de la douleur, de la souffrance. Oui. Il a dû être attaqué, par quoi est la question.
J’attache un masque à mon visage. On raconte que les gardes personnels de l’Empereur en ont des similaires. Ceux de cette fameuse garde ont la tête de créatures mythologiques en colère. Je n’ai jamais eu la chance de les voir, mais il paraît qu’ils donnent un aspect effrayant aux guerriers.
Loin de moi cette ambition. J’en prends un, sans aucune expression, lisse. Un visage humain, fermé et impassible. Pourquoi dissimuler mon identité ? Je n’y vais pas réellement en tant que Huayan, le sort de Namtar ne me concerne pas réellement. Cependant, l’apprentie que je suis temporairement doit savoir ce qui se passe : sans compter qu’il faut un jour commencer le décompte des âmes. Si le démon meurt, il devient envisageable que je meurs avec lui tant que notre pacte est fort.
« Oui, Francis. Je dois en avoir le cœur net.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi vous avez voulu aller aussi loin dans votre… Apprentissage. Mais je vous fais confiance. Comme toujours.
- J’espère bien. Nous devons faire ce qui doit être fait, même si c’est déplaisant. Je ferai en sorte de finir cet accord le plus rapidement possible.
- Très bien. Qu’est-ce qu’on peut faire en attendant votre retour ?
- Surveillez nos positions en ville avec Xupeng. Vérifiez régulièrement la sécurité de mon fils et continuez l’entraînement des hommes. Je veux qu’ils soient aussi efficaces que des militaires aguerris.
- Bien. Faites attention, chef. On compte sur vous. »
Je souris légèrement dans sa direction, même s’il ne voit plus dans mon visage désormais. Je finis d’enfiler une cape, je suis complètement en noir. Une tenue de cuir complète, simple mais élégante. Pas de bijoux, pas de fantaisies, pas de cheveux qui traînent. Tout est camouflé. Je cache mes petits couteaux ici et là, dans des emplacements bien précis. Une fois prête, je quitte la pièce, évitant de croiser le regard de Francis.
« Merci Francis pour ton soutien. Prend soin de tout le monde en mon absence, je reviendrai vite. Je compte sur toi. » lancé-je en sortant du manoir pour rejoindre discrètement la volière.
Il fait nuit. Quelques gardes patrouillent dans la maison. Je passe inaperçue. De toute façon, les corbeaux les alertent s’il y a des intrus. Une fois que j’ai rejoint mes compagnons aviaires, je leur donne mes instructions puis me transforme en l’un de leurs congénères pour aller retrouver mon vaisseau dans son nouvel emplacement.
Je quitte la ville endormie pour voler vers les montagnes où mon petit vaisseau attend. J’embarque à son bord, puis décolle. Je fais néanmoins attention de ne pas me cogner contre les parois de la caverne, Francis me ferait la leçon pour l’avoir abîmé inconsciemment. Je disparais dans le ciel, en direction de la Cité du Crépuscule, là où j’espère trouver le maître de la Coalition Noire.
Le voyage sur les Routes Stellaires se passe bien. Pas d’incidents notables et pas de sans-cœurs spatiaux en vue. C’est au moins ça de gagner. Je fais un travail sur moi-même pour préparer la rencontre impromptue avec le maître. Bien sûr, le pacte est entre Huayan et Namtar, mais je ne dois pas m’engager trop personnellement dans cette alliance de circonstances. Si mon identité venait à être révélée, il est certain que ma réputation en pâtirait, et cela est inacceptable.
Je décide de modifier légèrement l’agencement de ma gorge grâce à mes pouvoirs de métamorphose, pour avoir une voix différente de la normale. Avec cet élément, plus mon costume complet, il est évident que personne ne pourra me reconnaître. Et si quelqu’un ose ôter mon masque, il devra user de force et d’intelligence : un visage est si facile à imiter.
Je finis par atteindre la Cité du Crépuscule. Depuis le ciel, j’ai l’impression qu’il y a eu des explosions ou un champ de bataille près des arbres du Manoir… Il y a bien eu un événement récemment dans cette ville. J’espère que Death est toujours dans le secteur. J’atterris à l’astroport, l’esprit chargé de questions.
J’espère qu’il ne me cachera rien, sinon je devrais trouver mes réponses par mes propres moyens.
Le premier problème est un dont je n’avais même pas pensé : ils ont instauré un contrôle très strict des visiteurs dans les lieux de passage. Incluant l’astroport. Donc il a bien dû se passer des choses récemment, c’est au moins un début de réponse à ma question d’origine : la vie de Death a potentiellement été menacée.
Je ne vous cache pas que je fais mon petit effet sur les pistes avec mon costume et mon masque. Je n’ai même pas le temps de commencer la queue pour les fouilles que trois gardes se détachent du tas pour venir me voir. Ils ont leurs armes à porter de mains et ils n’ont pas l’air très avenants.
« Déclinez votre identité !
- Lève les bras !
- T’as des armes sur toi ?! »
Hum. Ils ont l’air tendu dites-moi.
« Pas tous en même temps je vous prie. » dis-je, me montrant coopérative et levant les bras comme demandé.
« Je ne suis pas armée. Et pour répondre à la première question… Je suis l’apprentie de Death, le chef de la Coalition Noire. Vous devez le connaître je crois. » dis-je, faussant un ton agréable.
Les trois gardes se contemplent, se demandant comment ils doivent réagir à cette déclaration. En temps normal, ils se seraient certainement bien fendus la poire mais avec le contexte récent, ils n’ont pas l’air de vouloir rigoler. Le plus brave -ou stupide- d’entre eux s’avance d’un pas.
« Bon… On arrête les blagues un instant. T’es qui, tu veux quoi et est-ce que t’es armé ? » demande t-il, plus sereinement mais peu rassuré.
Je soupire longuement.
Je baisse mes bras, j’attends un instant. J’hésite entre faire mon tour de force de la dernière fois ou les tromper. Si je les agresse, ils risquent de m’attaquer sur-le-champ et rameuter les autres : trop dangereux. On va la jouer plus « fine ».
Je change mon visage pour le transformer en un visage humain, masculin, plus vieux que moi. Un côté un peu « baroudeur » comme dirait Francis avec une large cicatrice sur la joue gauche. Le genre de visage qu’on a pas envie de croiser cinquante fois dans sa vie. Je retire doucement mon masque, pour leur montrer ma -fausse- identité.
« Je suis l’apprenti de Death. Vos collègues doivent s'en rappeler, je leur ai joué un petit tour la dernière fois. Il m’a appelé au Manoir, je dois y aller. Laissez-moi passer. » dis-je, usant d’une voix grave et forte.
Ils se regardent une nouvelle fois, je peux sentir le dilemme dans leurs yeux : mensonge ou vérité ?
« On va inscrire votre nom au registre de contrôle, vous êtes d’accord ?
- Apprenti de Death suffira. Si vous avez un problème avec cette identité, vous n’aurez qu’à demander des comptes à votre maître. Je suis certain qu’il appréciera beaucoup votre… Obstination.
- Ouais, un instant. »
Il se tourne vers ses deux compères et une petite discussion s’engage entre eux. Je tapote du pied de mécontentement mais en même temps, je n’ai pas envie de créer une fusillade ou des combats dans l’astroport : ça fait mauvais genre.
Après un instant, ils se retournent vers moi. Ils prennent un air sérieux.
« Très bien. On vous laisse passer « apprenti de Death ». Votre vaisseau est avec nous, vous pourrez pas partir d’ici de toute façon ! Et Death vous tuera si vous mentez !
- Oui. Ou il vous tuera pour m’avoir déjà bien retardé. La mort est notre finalité à tous après tout. Du moins… Pour ceux qui ont cette chance… » dis-je, faussant un ton lugubre pour leur faire peur.
Ils s’écartent et je sors de l’astroport en remettant mon masque.
Une fois dehors, je ne perds pas de temps et je prends ma forme de corbeau pour rejoindre le manoir par la voie des airs. Je survole la ville et je voltige pendant un moment au-dessus du champ de bataille proche du repaire de mon maître.
Qu’est-ce qui a bien pu se passer ici ? Qui a bien pu faire autant de dégâts ? Qui a bien pu avoir la folie ou la bravoure d’affronter le cœur de la Coalition Noire en plein dans sa capitale, au cœur de son pouvoir ?
Je reprends forme humaine, toujours drapée de noir et je pousse les lourdes portes du Manoir. Les gardes viennent immédiatement à ma rencontre, armes dégainées. Je lève les bras en signe de paix.
« J’ai rendez-vous avec Maître Death en personne. Vous serez bien aimables de m’escorter jusqu’à lui. » dis-je, prenant un ton légèrement hautain.
Une escorte de dix gardes me conduit jusqu’à un endroit que je ne connais pas. Nous atteignons une petite porte. J’imaginais l’entrée du bureau de Death légèrement plus… Imposante ? Un peu plus à son image, voyez-vous ?
Je ne bouge pas, j’attends qu’on m’invite à le faire.
« Hé bien ? Vous n’ouvrez pas la porte ? »
Pas de réponses.
Ils me laissent avancer jusqu’à l’entrée et je rentre dans la petite salle, cinq d’entre eux me suivent toujours de près. Au moindre geste louche, je serai transpercée par toutes leurs armes sans pouvoir rien faire.
Je suis dans une… Infirmerie ? Qu’est-ce que c’est que ce mauvais tour qu’il me joue ? Serait-ce un nouveau test pour moi ? Le maître des lieux tenterait de m’appâter dans un univers décalé pour m’apprendre une leçon ? Est-il assez clairvoyant pour prévoir mon arrivée autant de temps à l’avance ? Cette entité est si puissante…
Alors que je m’avance prudemment, attentive à chaque détail, mon regard s’arrête enfin sur l’un des lits… Avec Death dedans. Un autre personnage à côté de lui que je ne connais guère : une de ses gardes personnel ? C’est très étonnant je trouve de la part du démon. Serait-il en mauvaise posture ?
Moi qui pensait qu’il était si puissant il y a à peine quelques secondes, je peux vous dire que son image en a pris un coup.
Je marque une pause, détaillant ce que je crois voir : le démon blessé, et grièvement semble t-il. Il n’accepterait pas d’être dans une position si humiliante : lui, le maître des lieux, à l’hôpital comme un petit vieillard gâteux ? Non…
Je reprends mon avancée et pour complaire autant aux règles d’usage qu’aux gardes qui ont des doutes, je m’agenouille à deux mètres de son lit.
« Maître. Je suis venue m’enquérir de vos nouvelles. J’ai ressenti un fort trouble récemment, et je pense que son origine était liée à vous. » dis-je, suffisamment fort pour que tout le monde m’entende.
Même s’il ne me reconnaît pas maintenant à cause de la tenue, il sentira la marque, il saura que c’est moi.
D’ailleurs je me suis vite inclinée… J’espère qu’il n’était pas entrain de dormir…
Dernière édition par Huayan Song le Jeu 20 Déc 2018 - 17:31, édité 1 fois (Raison : Oubli de Lenore)