Ce n'était pas courant pour les femmes du Domaine Enchanté de laisser leurs cheveux découverts et encore moins détachés. Ce n'était courant pour personne, mais l'on pouvait trouver la plus vaste étendue de coiffures sur les femmes. La noblesse arborait des coiffes hautes et des plus étranges, aussi en parler serait comme de commencer une dissertation sur des traditions millénaires. Selon les saisons, on pouvait ainsi retrouver quantité de voiles multicolores surmontés de hénins qui atteignaient parfois une taille canonique ; bordés de fourrure, simples ou bien doubles. Certaines nobles avaient des airs de pièce montée.
Les femmes parmi les rangs des Templiers avaient toutes leurs techniques pour garder leurs cheveux attachés, de la simple queue de cheval aux nattes agrémentées de rubans. Elles n'y passaient pas autant de temps que les femmes de haute lignée. Mais nombreuses étaient celles qui gardaient une coiffe, un voile coloré même jusque sous leurs casques.
« Pourquoi est-ce que vous vous obstinez à ranger vos dossiers sur le haut des étagères, Commandant ? »
Alma Langrier ne répondait à aucune des catégories citées ci-dessus ; ses cheveux, d'une couleur un peu plus sombre que le blond, étaient coupés courts, au dessus de ses oreilles. Quelques mèches étaient prises derrière ses lunettes à la monture épaisse. Ses yeux, de la couleur du ciel ce jour là, exprimaient tout un vaste champ de sentiments allant de l'intérêt au plus profond ennui.
Elle ne traînait jamais bien loin d'une pile de dossiers sur laquelle elle avait jeté son dévolu, travaillant avec ordre, discipline et une sainte haine pour le désordre. Méthodique, la jeune femme – jeune, quel âge avait-elle ? Entre vingt et trente ans, peut-être, travaillait avec application et s'était mis dans la tête de faire de cette journée, en particulier, un jour de plus dans son immense projet de réfection du travail du Templier-en-Chef.
Une injure lui répondit. Ils en étaient à ce point précis d'une relation où ils ne se cachaient déjà plus rien au niveau de leurs défauts. Langrier posa sa pile de dossiers sur le bureau de son supérieur. « Ce n'est pas en râlant qu'ils vont se ranger. Est-ce que je dois vous rappeler que la moitié des rapports de l'année dernière ont failli finir brûlés ? »
« Mais on s'en fout complètement, Langrier ! » Fabri avait essayé d'être poli. Il pouvait le jurer. S'arrêtant au dernier moment lorsqu'un officier passa dans le bureau afin de récupérer une tasse de café. C'était moins une. Il avait, jusqu'à maintenant du moins, réussi à maintenir le rôle d'une personne polie.
« C'est comme ça que vous perdez toutes vos affaires. » répondit-elle platement.
Ils avaient eu une centaine de discussions de ce genre pendant le court mois depuis lequel Alma avait pris ses fonctions. Templier, native du Domaine, Fabri avait vite été demander à Aub ce qu'elle disait de la personne. Aubrey, elle, avait haussé les épaules. Rien à dire, une personne décente. Les deux jeunes femmes ne se côtoyaient que peu. Elles avaient eu plus d'un tour de garde ensemble. Aubrey avait cette affinité qu'elle possédait avec quiconque, ce qui, en soi, était l'équivalent d'une relation neutre. Langrier était selon elle une personne de confiance. Sobre, à la limite de l'austérité. Ça ne l'avançait pas du tout ; Langrier restait un mystère.
« Elles sont pas perdues elles sont rangées, ça sort pas de cette pièce !
- Tout le monde peut passer dans cette pièce.
- Personne a envie de voler des rapports de mission de Mornevie !
- Personne, selon vous. »
Les yeux froids de la jeune femme se braquèrent sur son supérieur dans une expression... pour le moins illisible. C'était la fille de Swain, y'avait pas moyen autrement.
Mais ça non plus il n'allait pas lui demander.
La discussion n'avait pas de fin. Elle n'avait pas eu de commencement non plus et franchement, Fabri ne lui trouvait pas de sens. Il était grand temps de fuir. Oui, fuir, la plus basse des stratégies. Mais honnêtement, l'idée lui semblait la meilleure, tout plutôt que de supporter ça.
« J'ai du boulot ailleurs, je reviens. » Ce qu'il avait sur le feu, c'était un projet qui était des plus complexes, peut-être encore plus que la logistique de ce qui pouvait bien circuler dans la Citadelle. Langrier hocha la tête, impassible. « Vous avez vu le temps ? Il va pleuvoir dans vingt minutes.
- Qu'est-ce que ça peut me faire !? » lui dit-il ; déjà dans le couloir.
L'archiviste Heltzer était chargé de gérer le budget alloué aux réparations de la Citadelle, qui avançaient chacune dans leur coin sans qu'il ne sache vraiment où elles en étaient. Il y avait la muraille, il y avait le campement en dehors de ladite muraille mais aussi quelques ruelles et bâtiments à reconstruire. Pendant un moment, il n'avait vraiment eu aucune idée d'où commencer.
Par logique, il avait décidé que les campements l'extérieur seraient les premiers vers lesquels il tournerait son esprit. Il n'eut qu'à longer la muraille, à sortir de la Citadelle et à se retrouver, de l'autre côté du pont, dans un labyrinthe de toiles de tentes et d'une foule d'habitants comme de réfugiés. Dire que le chemin avait été rapide, ç'aurait été mentir. Il lui fallut vingt minutes pour rejoindre les Templiers stationnés à quelques points clefs du campement. La journée promettait d'être longue.
L'automne s'était déjà abattu sur le Domaine depuis quelques semaines déjà, accompagné d'un vent et de nuages lourds chargés de pluie. Les rivières avaient enflé, les champs désormais vides étaient devenus des bourbiers. Le campement s'étalait sur les pentes herbeuses dénuées d'arbre le long de la large voie menant à la Citadelle. Sa taille était difficile à estimer ; à certains endroits il n'y avait qu'une tente entourée d'herbe et par ailleurs, c'étaient des petites maisons aux murs renforcés de structures de bois. Il y avait des personnes natives du domaine mais aussi d'ailleurs, à en juger par leurs vêtements. Certains, hybrides, venaient de Sherwood.
Les patrouilles des Templiers avaient étés logiquement étendues jusqu'au camp et cela faisait plusieurs mois qu'elles y régulaient la vie de tous les jours dans un climat qui était tout sauf calme et tranquille. Tannés d'irresponsabilité, les Templiers prenaient sur eux – et malgré tout l'illogisme de la chose, la plus grande part de la responsabilité qu'avait la lenteur des réparations du domaine et de la persistance de ce camp. Ils étaient les plus proches représentants d'un quelconque pouvoir, c'était logique.
Fabri s'approcha des abords du campement et salua les deux Templiers déjà présents. Échangeant les politesses de base, les dernières nouvelles et des détails qui avaient déjà étés récoltés.
« Ça fait quelques jours que y'a pas eu masse de nouveaux arrivants, en fait. » annonça l'un des deux Templiers.
Il avait un air sombre, presque revêche. Seulement, c'était un bon élément. Il s'appelait Ronce. Fin, élancé, il ne ressemblait que peu à Senrith, de qui il était le frère. Ils partageaient une ressemblance au niveau de leur voix, de leurs yeux, les ayant chacun d'un vert d'eau particulièrement saisissant. Reconnaissable comme étant originaire de l'un des villages très éloignés de la Citadelle, il portait comme sa sœur des tatouages sur son visage. « Par rapport aux flux d'arrivants de cet été ? On a des listes depuis ?» demanda Fabrizio.
Les trois Templiers étaient habillés en civil ; bien que tous combattants, ils n'étaient pas nécessairement différentiables du reste des habitants du coin. A quelques exceptions près ; Fabri avait pleinement conscience qu'il était assez reconnaissable. « Il n'y a eu qu'une quinzaine de réfugiés du Palais des Rêves. » annonça Mazurka Rem, de courts cheveux d'un noir de geais encadraient un visage d'où perçaient une paire d'yeux bleus. Elle s'appelait comme une danse, songea Fabri. Choix des plus originaux. « Et ?
- Je me serais attendue à plus de monde. Quand on pense aux arrivées de Sherwood...
- Ils ont pas tous eu le temps de se tirer, à Sherwood ils ont de quoi réfléchir. Le Palais s'est fait oblitérer. »
Ronce était un optimiste. Il tapait déjà sur le système de son supérieur, pour la bonne raison qu'ils partageaient leur trait de voir tout à la négative.
Le groupe marchait au milieu des tentes en discutant, observant chacun ce qu'il voyait et relatant des détails connus d'eux seuls. Au final, Fabri n'avait pas beaucoup à inspecter par lui même car il semblait que ses hommes avaient abattu la plus grosse partie du travail comme il le leur avait demandé.
Le temps s'assombrissait. Malgré le fait que les nuages aient gardé la chaleur comme il était courant en cette saison tardive, le vent s'était levé. Il balayait feuilles mortes et pans de tentes, faisait bruisser les arbres alentours dans un sombre bruit. La nature d'ordinaire si rangée du Domaine Enchanté était agitée.
« Et quand on y pense, Etro c'était pas trop leur tasse de thé au Palais. Ils ont sûrement relocalisé chez la Lumière. » Ronce, à nouveau. Perspicace.
Le contraste entre l'intérieur de la Citadelle et l'extérieur était saisissant. Ce n'était pas un endroit où se faire une petite promenade de santé entre amis. Ces gens étaient là depuis trop longtemps et, même s'ils étaient moins que ce qu'il pensait au départ, Fabri devait vite trouver une solution.
« Rem, je doute qu'avec ta réponse, t'aies pas de chiffres exacts de tous les habitants de ce bordel ? » La jeune femme répondit par un signe de tête ; non. « Tu vas me dresser une liste exhaustive de tous les habitants ici. S'ils avaient un domicile au Domaine où s'ils viennent d'un autre monde. Je veux leur âge, s'ils ont des enfants à charge, un passé judiciaire. Prends deux autres Templiers avec toi.»
Elle acquiesça. Il poursuivit. « Ronce, tu me suis, on a assez traîné ici. »
Silencieux, Ronce s'exécuta. Ils se séparèrent de Mazurka qui, elle, resta dans le camp, probablement pour rejoindre un groupe de Templiers déjà présents.
« On a pas fait grand chose là, vous êtes sur que vous savez ce que vous faites ? » demanda le frère de Senrith d'une voix posée.
Ah. Dans le mille.
« C'était ça ou supporter Langrier qui fait du rangement.
- Langrier, celle avec des lunettes et qu'a l'air aimable comme une porte de prison ? »
Il hocha la tête pour toute réponse. « Mais j'sais pas, elle fait son boulot, enfin... »
Ronce haussa un sourcil. « Enfin ? ... Enfin quoi ?
- Enfin quoi ? Je lui ai mal parlé, je devrais aller m'excuser !
- Vous avez encore besoin que j'fasse quelque chose où c'est vraiment juste histoire de vous planquer ? »
Le froncement de sourcils était mutuel. Les traits de son visage se détendirent. Comme ça, Ronce ressemblait à Senrith plus que de coutume. Ils se ressemblaient autant qu'ils étaient différents.
« Va avec Rem.
- A vos ordres. »
Connard.
Fabri regarda le Templier s'éloigner avec un air consterné. Il avait raison, Ronce. Ce n'était pas se cacher qui allait faire avancer les choses.
Mais il fallait avouer que l'idée était tentante. Après-tout, s'offrir une après-midi tranquille n'était pas un crime, surtout s'il pouvait trouver quelque chose d'utile à faire. Quelque chose d'utile qui n'impliquait pas de s'approcher de quelqu'un de vivant et d'humains. Oh, il devait bien y avoir dans sans-coeur à éliminer quelque part au fond de la foret !
Un groupe de jeunes femmes portant des robes de vives couleurs le dépassa alors qu'il avait passé l'enceinte la plus basse de la Citadelle. Leurs coiffes volaient dans le vent alors que les premières gouttes d'une pluie glacée de fin d'automne tombaient presque sans bruit. C'en était presque poétique.
Jusqu'à ce que l'averse ne commence à tomber. Accompagnée de vent et de quelques coups de tonnerre sourds et sans éclat. Dépité, Fabri retourna d'où il venait avec la ferme intention de régler ses comptes.
La porte du bureau qu'il avait quittée était fermée. Il hésita un instant ; non il n'allait pas toquer alors qu'il était Templier-en-chef, si ? Non ? Ca se passait comment ?
Complètement détrempé, il entra donc sans plus se poser de questions et surtout sans frapper. Sa collègue lui adressa un regard qui aurait pu en dire long s'il n'avait pas été complètement indescriptible. Les manches de sa chemise étaient retroussées alors qu'elle descendait d'une chaise où elle était précédemment perchée, en pleine réorganisation d'une étagère remplie de vieux bouquins.
« Langrier, à propos de tout à l'heure » commença-t-il. Le Sycophante pouvait bien emporter les politesses et les détours. « Désolé, c'était de la mauvaise volonté, c'était stupide et- bref, j'aurais pas du vous parler comme ça.
- … » Un haussement de sourcils, de sa part à elle.
Un court instant de silence. Hésita-t-elle à parler ou prit-elle simplement son temps ; il ne le savait pas. Pendant un instant, il voulut le savoir.
Alma Langrier laissa échapper un rire léger. « C'est déjà oublié. Par contre, je vous conseillerait bien de pas rester trempé comme ça. » ajouta-t-elle.
Les femmes parmi les rangs des Templiers avaient toutes leurs techniques pour garder leurs cheveux attachés, de la simple queue de cheval aux nattes agrémentées de rubans. Elles n'y passaient pas autant de temps que les femmes de haute lignée. Mais nombreuses étaient celles qui gardaient une coiffe, un voile coloré même jusque sous leurs casques.
« Pourquoi est-ce que vous vous obstinez à ranger vos dossiers sur le haut des étagères, Commandant ? »
Alma Langrier ne répondait à aucune des catégories citées ci-dessus ; ses cheveux, d'une couleur un peu plus sombre que le blond, étaient coupés courts, au dessus de ses oreilles. Quelques mèches étaient prises derrière ses lunettes à la monture épaisse. Ses yeux, de la couleur du ciel ce jour là, exprimaient tout un vaste champ de sentiments allant de l'intérêt au plus profond ennui.
Elle ne traînait jamais bien loin d'une pile de dossiers sur laquelle elle avait jeté son dévolu, travaillant avec ordre, discipline et une sainte haine pour le désordre. Méthodique, la jeune femme – jeune, quel âge avait-elle ? Entre vingt et trente ans, peut-être, travaillait avec application et s'était mis dans la tête de faire de cette journée, en particulier, un jour de plus dans son immense projet de réfection du travail du Templier-en-Chef.
Une injure lui répondit. Ils en étaient à ce point précis d'une relation où ils ne se cachaient déjà plus rien au niveau de leurs défauts. Langrier posa sa pile de dossiers sur le bureau de son supérieur. « Ce n'est pas en râlant qu'ils vont se ranger. Est-ce que je dois vous rappeler que la moitié des rapports de l'année dernière ont failli finir brûlés ? »
« Mais on s'en fout complètement, Langrier ! » Fabri avait essayé d'être poli. Il pouvait le jurer. S'arrêtant au dernier moment lorsqu'un officier passa dans le bureau afin de récupérer une tasse de café. C'était moins une. Il avait, jusqu'à maintenant du moins, réussi à maintenir le rôle d'une personne polie.
« C'est comme ça que vous perdez toutes vos affaires. » répondit-elle platement.
Ils avaient eu une centaine de discussions de ce genre pendant le court mois depuis lequel Alma avait pris ses fonctions. Templier, native du Domaine, Fabri avait vite été demander à Aub ce qu'elle disait de la personne. Aubrey, elle, avait haussé les épaules. Rien à dire, une personne décente. Les deux jeunes femmes ne se côtoyaient que peu. Elles avaient eu plus d'un tour de garde ensemble. Aubrey avait cette affinité qu'elle possédait avec quiconque, ce qui, en soi, était l'équivalent d'une relation neutre. Langrier était selon elle une personne de confiance. Sobre, à la limite de l'austérité. Ça ne l'avançait pas du tout ; Langrier restait un mystère.
« Elles sont pas perdues elles sont rangées, ça sort pas de cette pièce !
- Tout le monde peut passer dans cette pièce.
- Personne a envie de voler des rapports de mission de Mornevie !
- Personne, selon vous. »
Les yeux froids de la jeune femme se braquèrent sur son supérieur dans une expression... pour le moins illisible. C'était la fille de Swain, y'avait pas moyen autrement.
Mais ça non plus il n'allait pas lui demander.
La discussion n'avait pas de fin. Elle n'avait pas eu de commencement non plus et franchement, Fabri ne lui trouvait pas de sens. Il était grand temps de fuir. Oui, fuir, la plus basse des stratégies. Mais honnêtement, l'idée lui semblait la meilleure, tout plutôt que de supporter ça.
« J'ai du boulot ailleurs, je reviens. » Ce qu'il avait sur le feu, c'était un projet qui était des plus complexes, peut-être encore plus que la logistique de ce qui pouvait bien circuler dans la Citadelle. Langrier hocha la tête, impassible. « Vous avez vu le temps ? Il va pleuvoir dans vingt minutes.
- Qu'est-ce que ça peut me faire !? » lui dit-il ; déjà dans le couloir.
L'archiviste Heltzer était chargé de gérer le budget alloué aux réparations de la Citadelle, qui avançaient chacune dans leur coin sans qu'il ne sache vraiment où elles en étaient. Il y avait la muraille, il y avait le campement en dehors de ladite muraille mais aussi quelques ruelles et bâtiments à reconstruire. Pendant un moment, il n'avait vraiment eu aucune idée d'où commencer.
Par logique, il avait décidé que les campements l'extérieur seraient les premiers vers lesquels il tournerait son esprit. Il n'eut qu'à longer la muraille, à sortir de la Citadelle et à se retrouver, de l'autre côté du pont, dans un labyrinthe de toiles de tentes et d'une foule d'habitants comme de réfugiés. Dire que le chemin avait été rapide, ç'aurait été mentir. Il lui fallut vingt minutes pour rejoindre les Templiers stationnés à quelques points clefs du campement. La journée promettait d'être longue.
L'automne s'était déjà abattu sur le Domaine depuis quelques semaines déjà, accompagné d'un vent et de nuages lourds chargés de pluie. Les rivières avaient enflé, les champs désormais vides étaient devenus des bourbiers. Le campement s'étalait sur les pentes herbeuses dénuées d'arbre le long de la large voie menant à la Citadelle. Sa taille était difficile à estimer ; à certains endroits il n'y avait qu'une tente entourée d'herbe et par ailleurs, c'étaient des petites maisons aux murs renforcés de structures de bois. Il y avait des personnes natives du domaine mais aussi d'ailleurs, à en juger par leurs vêtements. Certains, hybrides, venaient de Sherwood.
Les patrouilles des Templiers avaient étés logiquement étendues jusqu'au camp et cela faisait plusieurs mois qu'elles y régulaient la vie de tous les jours dans un climat qui était tout sauf calme et tranquille. Tannés d'irresponsabilité, les Templiers prenaient sur eux – et malgré tout l'illogisme de la chose, la plus grande part de la responsabilité qu'avait la lenteur des réparations du domaine et de la persistance de ce camp. Ils étaient les plus proches représentants d'un quelconque pouvoir, c'était logique.
Fabri s'approcha des abords du campement et salua les deux Templiers déjà présents. Échangeant les politesses de base, les dernières nouvelles et des détails qui avaient déjà étés récoltés.
« Ça fait quelques jours que y'a pas eu masse de nouveaux arrivants, en fait. » annonça l'un des deux Templiers.
Il avait un air sombre, presque revêche. Seulement, c'était un bon élément. Il s'appelait Ronce. Fin, élancé, il ne ressemblait que peu à Senrith, de qui il était le frère. Ils partageaient une ressemblance au niveau de leur voix, de leurs yeux, les ayant chacun d'un vert d'eau particulièrement saisissant. Reconnaissable comme étant originaire de l'un des villages très éloignés de la Citadelle, il portait comme sa sœur des tatouages sur son visage. « Par rapport aux flux d'arrivants de cet été ? On a des listes depuis ?» demanda Fabrizio.
Les trois Templiers étaient habillés en civil ; bien que tous combattants, ils n'étaient pas nécessairement différentiables du reste des habitants du coin. A quelques exceptions près ; Fabri avait pleinement conscience qu'il était assez reconnaissable. « Il n'y a eu qu'une quinzaine de réfugiés du Palais des Rêves. » annonça Mazurka Rem, de courts cheveux d'un noir de geais encadraient un visage d'où perçaient une paire d'yeux bleus. Elle s'appelait comme une danse, songea Fabri. Choix des plus originaux. « Et ?
- Je me serais attendue à plus de monde. Quand on pense aux arrivées de Sherwood...
- Ils ont pas tous eu le temps de se tirer, à Sherwood ils ont de quoi réfléchir. Le Palais s'est fait oblitérer. »
Ronce était un optimiste. Il tapait déjà sur le système de son supérieur, pour la bonne raison qu'ils partageaient leur trait de voir tout à la négative.
Le groupe marchait au milieu des tentes en discutant, observant chacun ce qu'il voyait et relatant des détails connus d'eux seuls. Au final, Fabri n'avait pas beaucoup à inspecter par lui même car il semblait que ses hommes avaient abattu la plus grosse partie du travail comme il le leur avait demandé.
Le temps s'assombrissait. Malgré le fait que les nuages aient gardé la chaleur comme il était courant en cette saison tardive, le vent s'était levé. Il balayait feuilles mortes et pans de tentes, faisait bruisser les arbres alentours dans un sombre bruit. La nature d'ordinaire si rangée du Domaine Enchanté était agitée.
« Et quand on y pense, Etro c'était pas trop leur tasse de thé au Palais. Ils ont sûrement relocalisé chez la Lumière. » Ronce, à nouveau. Perspicace.
Le contraste entre l'intérieur de la Citadelle et l'extérieur était saisissant. Ce n'était pas un endroit où se faire une petite promenade de santé entre amis. Ces gens étaient là depuis trop longtemps et, même s'ils étaient moins que ce qu'il pensait au départ, Fabri devait vite trouver une solution.
« Rem, je doute qu'avec ta réponse, t'aies pas de chiffres exacts de tous les habitants de ce bordel ? » La jeune femme répondit par un signe de tête ; non. « Tu vas me dresser une liste exhaustive de tous les habitants ici. S'ils avaient un domicile au Domaine où s'ils viennent d'un autre monde. Je veux leur âge, s'ils ont des enfants à charge, un passé judiciaire. Prends deux autres Templiers avec toi.»
Elle acquiesça. Il poursuivit. « Ronce, tu me suis, on a assez traîné ici. »
Silencieux, Ronce s'exécuta. Ils se séparèrent de Mazurka qui, elle, resta dans le camp, probablement pour rejoindre un groupe de Templiers déjà présents.
« On a pas fait grand chose là, vous êtes sur que vous savez ce que vous faites ? » demanda le frère de Senrith d'une voix posée.
Ah. Dans le mille.
« C'était ça ou supporter Langrier qui fait du rangement.
- Langrier, celle avec des lunettes et qu'a l'air aimable comme une porte de prison ? »
Il hocha la tête pour toute réponse. « Mais j'sais pas, elle fait son boulot, enfin... »
Ronce haussa un sourcil. « Enfin ? ... Enfin quoi ?
- Enfin quoi ? Je lui ai mal parlé, je devrais aller m'excuser !
- Vous avez encore besoin que j'fasse quelque chose où c'est vraiment juste histoire de vous planquer ? »
Le froncement de sourcils était mutuel. Les traits de son visage se détendirent. Comme ça, Ronce ressemblait à Senrith plus que de coutume. Ils se ressemblaient autant qu'ils étaient différents.
« Va avec Rem.
- A vos ordres. »
Connard.
Fabri regarda le Templier s'éloigner avec un air consterné. Il avait raison, Ronce. Ce n'était pas se cacher qui allait faire avancer les choses.
Mais il fallait avouer que l'idée était tentante. Après-tout, s'offrir une après-midi tranquille n'était pas un crime, surtout s'il pouvait trouver quelque chose d'utile à faire. Quelque chose d'utile qui n'impliquait pas de s'approcher de quelqu'un de vivant et d'humains. Oh, il devait bien y avoir dans sans-coeur à éliminer quelque part au fond de la foret !
Un groupe de jeunes femmes portant des robes de vives couleurs le dépassa alors qu'il avait passé l'enceinte la plus basse de la Citadelle. Leurs coiffes volaient dans le vent alors que les premières gouttes d'une pluie glacée de fin d'automne tombaient presque sans bruit. C'en était presque poétique.
Jusqu'à ce que l'averse ne commence à tomber. Accompagnée de vent et de quelques coups de tonnerre sourds et sans éclat. Dépité, Fabri retourna d'où il venait avec la ferme intention de régler ses comptes.
La porte du bureau qu'il avait quittée était fermée. Il hésita un instant ; non il n'allait pas toquer alors qu'il était Templier-en-chef, si ? Non ? Ca se passait comment ?
Complètement détrempé, il entra donc sans plus se poser de questions et surtout sans frapper. Sa collègue lui adressa un regard qui aurait pu en dire long s'il n'avait pas été complètement indescriptible. Les manches de sa chemise étaient retroussées alors qu'elle descendait d'une chaise où elle était précédemment perchée, en pleine réorganisation d'une étagère remplie de vieux bouquins.
« Langrier, à propos de tout à l'heure » commença-t-il. Le Sycophante pouvait bien emporter les politesses et les détours. « Désolé, c'était de la mauvaise volonté, c'était stupide et- bref, j'aurais pas du vous parler comme ça.
- … » Un haussement de sourcils, de sa part à elle.
Un court instant de silence. Hésita-t-elle à parler ou prit-elle simplement son temps ; il ne le savait pas. Pendant un instant, il voulut le savoir.
Alma Langrier laissa échapper un rire léger. « C'est déjà oublié. Par contre, je vous conseillerait bien de pas rester trempé comme ça. » ajouta-t-elle.