Voici une année que le Démon prenait pour acquis le corps du regretté Death. Depuis autant de temps, il évoluait dans cette enveloppe dans un univers qui lui semblait tristement simple à appréhender. Les liens, les décisions, les alliances. Un mixte étrange avec lequel il fallait savoir jouer. Évoluer. En arrivant sur cette terre ? La Bête se retrouvait avec un avantage qui lui permettait d’accomplir tout ce qu’il désirait et cela, sans la moindre difficulté.
Oh, Namtar n’ignorait pas que de créer des liens était une tâche longue et fastidieuse. Il venait de passer l’épreuve avec la Shin’ra pour une maigre récompense.
Aussi, il avait appris que briser ce genre de lien était d’une facilité déconcertante. Le Primarque, Matthew March, était parvenu à ruiner des années d’entente en une fraction de seconde. D’une seule parole. D’une simple volonté. Avec cela ? Le Démon pouvait réaliser le même exploit. Il lui suffisait simplement d’emprunter les traits d’un homme, d’agir à sa place et de profiter du spectacle.
En l’occurence, en ce jour, il allait se servir des traits délicats de Lenore pour parvenir à ses fins. Il y avait l’appât de réduire les mercenaires à rien de plus qu’une fourmilière sans Reine, sauf qu’un autre facteur entrait en jeu. Celui d’anéantir tout ce qu’elle tentait désespérément de construire. Elle s’y plaisait à le faire dans les royaumes de la Confédération ? Il ferait de même sous la bannière du Centurio.
— Que faire Cheveux-de-feu ici ? Venir tirer les oreilles de papoose Face-de-Cadavre ?
— Si seulement…
La Bête ôtait la capuche de la tenue de Lenore, dévoilant les traits qu’il empruntait à l’indienne, ne prêtant aucune intention à masquer la brûlure à son oreille. Un rictus s’affichait sur son visage, il observait les tipis ainsi que l’effervescence dans le camp au sommet de ce précipice.
Il en oubliait presque la beauté des autochtones, d’autant plus à l’instant où les balistes avaient ouvert le feu sur son défunt navire.
— Aujourd’hui, le clan du Centurio me charge de transmettre un message.
— Le grand chaman est partie avec guerriers. Lui pas revenir avant la lune. Koalas noirs silencieux, inquiéter les indiens.
— Oh, cela ne vous concerne pas.
Le Démon se décalait sur la droite, regardant derrière la femme qui était venue à sa rencontre. Il retournait alors dans le regard noir de l’Indienne, affichant un air satisfait.
— Du moins, pas directement.
— Que vouloir dire Cheveux-de-feu ? Petit-Castor pas comprendre.
Il hochait doucement la tête, ne se souciant guère de répondre à la question de l’Indienne. Il savait déjà pourquoi il avait décidé de rejoindre cet endroit et pas un autre. La Shin’ra semblait décidé, suite à l’entrevue avec Rufus, à s’occuper des Mercenaires. Namtar ne voulait pas se contenter de frapper le corps de ce groupe, ce n’était pas ce genre d’agression qui ravivait la flamme du Démon. Il ne désirait rien de plus que d’écraser le coeur même des mercenaires, eux qui aimaient tant en parler.
Étant le dirigeant du groupuscule le plus détesté de l’univers ? Il savait aussi ce qui permettait à un coeur de survivre. Il allait donc commencer par cela. D’un pas assuré, ceux d’une femme, le Démon s’avançait jusqu’à l’avant-poste de la Lumière au bord du village Indien.
Après la Shin’ra et la Coalition Noire comme ennemie, pourquoi ne pas ajouter la Lumière à cette liste ? Plus tard, le Sanctum pourrait s’y ajouter. Le Démon ne savait pas encore ce qu’il désirait. Le temps répondra à cette question. Sur l’heure, il ne désirait rien de plus qu’à profiter de l’euphorie du moment. Le goût du sang, l’impact de la haine et de la rage.
Des gardes de la Lumière. Armure, épée, bouclier, hallebarde et hache. Le rictus sur le visage de Lenore s’élargissait alors qu’il approchait en masquant l’une de ses mains dans son dos.
— Un problème ?
Un homme venait de se relever, il faisait cuire du gibier au-dessus d’un feu de camp. Lui et ses compagnons s’étaient retournés pour fixer l’arrivée de la rousse jusqu’à l’avant-poste.
— Aucun, mes collègues du Centurio m’envoient pour vous dire quelque chose…
— Justement, nous voulions parler de votre…
Le Démon terminait l’invocation de l’épée dans son dos, une lame sans élégance, pareil à un sabre qu’il avait découvert à Port-Royal un jour où il s’y était rendu. Il faisait apparaître l’arme, le prolongement de son bras, avant de le redresser dans un mouvement et planter la pointe dans le crâne du garde qui venait de parler. La pointe transperçait les os, Namtar dégageait les protections du gant de Lenore afin d’en libérer les lames et se coller contre le corps encore fébrile. Une suite répété de coup de poignard dans les côtes. Il relâchait alors son emprise devant un cadavre lourd qui s’écroulait sur le sol.
— Ici, c’est la propriété du Centurio. Dégagez.
Le sang encore frais coulait le long de la lame avant de se coaguler en sa pointe. Malgré les traits qu’il empruntait, il ne parvenait pas à se débarrasser de son ton froid et méprisant. Le craquement d’une buche dans les flammes. Les autres gardes se jetaient sur leurs armes, répondant à la violence par la violence.
Un fer de hache s’abattait sur lui, il reculait d’un pas en levant son bras armé pour amortir le coup, les métaux hurlaient sous l’impact. Le démon oscillait son poignet en tournant sur lui-même, dirigeant l’arme vers le sol tout en battant l’air de la paire de griffes contenue dans le gantelet. Deux traits barraient le visage du garde, le faisant reculer alors qu’il amenait sa main au visage pour essuyer le sang. Le rictus qu’affichait le Démon ne s’estompait pas. Dans un éclair, il se redressait et amenant sa tête en arrière afin de courber son dos et esquiver le coup d’estoc qu’un garde tentait de lui assener avec la hallebarde.
Namtar prolongeait son mouvement, amenant le bras armé en arrière pour glisser sur le manche et se dégager d’une pirouette en arrière. Il n’avait pas le droit à l’erreur. Personne ne devait croire que quelqu’un d’autre que Lenore était en train de combattre en cet instant.
Un nouveau garde, tenant une épée et un bouclier, chargeait le Démon à son tour. Il s’abaissait d’un geste, présentant son dos, passant son bras entre les jambes de l’attaquant et usant de sa force pour le faire passer au-dessus de lui. Le garde s’élançait dans les airs, statique un instant pour retomber lourdement sur le sol. La Bête ne perdait pas de temps, distinguant l’homme à l’hallebarde qui tendait son corps à son tour. Il se laissait tomber, sentant l’acier passer à sa droite et fendre la cape dans un déchirement. Un coup d’estoc. Namtar amorçait sa chute avec sa main gauche avant de piquer la pointe de l’épée au travers de la botte du garde et l’immobilisant.
Une roulade au sol, il se relevait, désarmé, pour fixer l’homme hurlant sous la douleur. La poigne agrippait le bois de la hallebarde, il tirait pour le désarmer et faire tourner le bois autour de lui avant de se mettre de garde. Inutile de jouer plus longtemps. Le Démon plantait l’arme dans le torse, agrippant le métal et l’arrachant d’un geste brusque, il ne restait plus qu’au Démon à s’élancer pour enfoncer les griffes dans le torse. Tel un chat, il amenait ses bottes au niveau du ventre tout en frappant sans relâche, attendant la mort.
Une poigne l’attrapait par les épaules, tirant en arrière. Un élan de rage. La Bête donnait un coup de coude en arrière, entendant un nez se briser sous sa force, passant ensuite ses deux bras en arrière pour attraper la tête.
Il tirait de toutes ses forces, faisant basculer le garde en avant pour qu’il tombe lourdement. Une dague à la ceinture. Il se jetait dessus, passant celle-ci sous la gorge avant de l’élancer en arrière dans une gerbe de sang. Il ne restait plus qu’un seul garde. Namtar se redressait de toute sa hauteur, tournant lentement pour voir l’homme qu’il avait fait basculer il y a peu de temps, le bras sur l’épaule. Il l’avait déboité, probablement.
— Toi…
Le visage de Lenore ne cachant pas la sueur, la fatigue de l’escarmouche, la haine. Le garde reculait d’un pas, tentant de relever son bouclier.
— Retourne chez toi, prévient la Lumière qu’ils n’ont plus rien à faire chez nous ! Le Pays Imaginaire n’appartient plus qu’au Centurio et à personne d’autre, ou vous en payerez le prix.
— Qu’est-ce qui vous prend…
Il souriait, amenait sa capuche sur sa tête avant de reculer de quelques pas, se dirigeant vers la forêt. Il avait accompli son larcin, il n’avait besoin de rien de plus, la Lumière aussi.
Il n’avait plus qu’à attendre que le message s’en aille, voguant jusqu’aux dirigeants de la Lumière, se questionnant sur les actes des mercenaires. Avec de la chance, la sommation sera suffisante. Dans le pire des cas ? Le Démon pourrait revenir, il ne lui suffirait que de trouver quelques personnes à sa suite afin de préparer la plus belle scène pour le plus beau des spectacles. En ce lieu, les mercenaires auront enfin le rôle principal, grâce à la Coalition Noire. Le Démon était trop bon.