« A quoi penses-tu Huayan ? »
La voix de Xupeng me tire de ma réflexion. Je pense à beaucoup de choses, mais ce matin, je crois me concentrer avant tout sur cette missive que nous avons reçu du Gouverneur de la ville. De manière très évasive, il mentionne une affaire dont il aimerait que je me charge pour lui. Manifestement, ce n’est pas une main courante dans la mesure où il n’irait pas chercher un civil pour cela, d’autant plus que je suis une femme.
Quelque chose se trame donc, mais quoi ? C’est toute la question.
Ayant été éloignée de la ville et de ses politiques pendant longtemps, je ne suis pas nécessairement très bien informée de ce qu’il s’y passe. Xupeng peut compenser ce manque mais je ne l’avais pas vraiment affecté à cette tâche… Et bien il ne l’a pas fait, il s’est concentré sur Noah, et c’est bien ainsi.
Chengdu a toujours été une ville paisible. Et ce depuis des siècles. Peu de guerres se jouent dans cette partie de l’Empire et les Huns sont toujours de l’autre côté de la Muraille, peu de chances que quiconque vienne troubler notre quiétude montagnarde. Donc s’il y a agitation, c’est en son sein.
« Rien. Je pensai à la missive du Gouverneur. Je suis un peu surprise d’entendre parler de lui si tôt. Je n’ai même pas encore commencé ma campagne.
- C’est peut-être une affaire très simple ou un besoin de conseils. Il sait que vous avez voyagé, il doit porter votre expérience en estime.
- Peut-être. »
Nous continuons à prendre le thé, calmement.
« Tu m’as parlé de m’affecter à une nouvelle mission après l’éducation de Noah. Qu’est-ce que c’est ?
- Tu as attendu jusqu’ici, je peux te le dire à présent. »
Je repose ma tasse, il m’imite. Je prends un ton et une posture plus sérieuse pour lui montrer que nous reprenons nos anciennes habitudes, lorsque Haojun a disparu et qu’il a fallu s’organiser pour survivre. Ce qui veut dire qu’il y a ce besoin de sévir à nouveau.
« Haojun va tout tenter pour quitter la Shin-Ra. Nous devons donc nous préparer à une nouvelle vie, pour notre fils. Nous devons lui assurer un avenir et à nous autres une position respectable, pour nous protéger d’éventuelles représailles. Nous ne souhaitons pas provoquer la colère de Rufus ou de ses larbins, mais il faut prendre en compte le fait qu’il sera plus difficile de nous atteindre si nous sommes anoblis un peu plus.
- Je comprends. Je suis prêt à vous aider, comme toujours. Je veux que vous sortiez de tout ça. Notre monde est si beau, nous devons en profiter, ici. Ensemble.
- C’est vrai. Mais il va falloir travailler pour ça. »
Je regarde les jardins sur ma droite, le soleil commence à être haut, la matinée va bientôt se terminer, je dois me rendre au palais du gouvernement.
« En parlant de travail, je vais partir immédiatement pour mon rendez-vous. Je suis curieuse de voir ce qu’il en est. »
Sans plus de cérémonies, je vais mettre des vêtements présentables. Je ne sors pas les affaires d’apparat, ce n’est pas une convocation officielle, ce qui veut dire que notre rencontre ne doit pas attirer l’attention outre mesure.
Non loin du Temple de Laozi, se dresse le palais du gouverneur. Bien moins imposant que celui de la capitale, cela est bien entendu évident. Notre ville bénéficie d’une économie forte, soutenue par l’agriculture et l’artisanat, ce qui fait que nous ne sommes pas les plus miséreux de la Terre des Dragons. Le bureau du Zhouzhang est richement décoré de l’extérieur mais laisse place à une modestie décorative à l’intérieur. On sent que c’est un endroit fait pour travailler et non flâner.
Je me mets en route avec mes porteurs. Xupeng reste à la maison, je pars seule. J’ai juste eu le temps de saluer Gao en partant, je lui ai dit que je rentrerai un peu plus tard. Nous avançons tranquillement dans les rues se remettant peu à peu de la Fête de la Lune, c’est plus calme qu’à l’accoutumée mais d’ici quelques jours, la vie reprendra son cours pour tout le monde. En attendant, chacun profite de sa famille.
Sans encombres, j’atteins le palais du gouverneur, je passe les gardes en souriant. Je leur présente malgré tout la lettre du maître des lieux, ils me disent que je suis attendu. Je peux attendre dans l’entrée, il va venir me recevoir. Fort bien.
Le palais est relativement calme, la plupart des fonctionnaires sont dans leurs familles. Je devine que le gouverneur veut que je sois la moins vue possible. La question est : Pourquoi ? Sa demande informelle n’avait pas l’air d’être très mystérieuse, peu détaillée ? Oui. Mais mystérieuse ? Pas vraiment.
Après quelques minutes à contempler les lieux, un serviteur vient et m’indique qu’il faut le suivre, le Gouverneur m’attend dans les jardins du palais. Je le suis sans rechigner. Nous croisons quelques personnes ici et là, que je salue et souriant légèrement. Leurs expressions trahissent leurs sentiments : étonnement, questionnement, … Qui suis-je ? Serai-je une personne importante ? Me connaissent-ils par mes parents ?
Tant de questions sans réponses, pour le moment.
Les fonctionnaires sont reconnaissables par les tenues qu’ils portent. Souvent humbles, leurs costumes permettent aux sujets de l’Empire de reconnaître leurs fonctions. La Justice aura une couleur particulière, par exemple. Souvent mauve, ou rouge.
Nous voici dans les jardins. La première chose que je remarque, c’est qu’il y a beaucoup plus d’arbres qu’à l’accoutumée. Passé ce moment, je vois que le gouverneur s’approche de moi. Le serviteur salue et se retire, je m’incline respectueusement.
« Liu Zhouzhang hao,
- Songzi Huayan hao. Redressez-vous, pas besoin de trop de formalités avec moi. »
Je fais selon son bon désir.
Liu Xiao est un homme vers la fin de la trentaine. Plutôt jeune pour une telle position. Il a une réputation d’être un homme bon dans la ville et la province. Il est juste et applique toujours les ordres de l’Empereur sans discuter. On dit aussi qu’il est humble, chose rare chez les fonctionnaires de haut rang. Il a bénéficié de l’aide de son père, ancien gouverneur de la ville, pour obtenir sa position. Mais il a malgré tout passé les concours facilement. Un exemple à suivre pour beaucoup.
« Marchons ensemble Songzi Huayan.
- Avec plaisir Zhouzhang. »
Nous faisons un petit tour dans les jardins, je peux lire sur son visage les traces de la fatigue.
Au détour du petit étang, nous nous arrêtons pour contempler le bassin où de petits poissons s’agitent devant nous.
« Je vous remercie d’avoir répondu à cette demande.
- Je vous en prie, c’est tout à fait normal.
- J’ai entendu parler de vos exploits dans votre ancienne cité de résidence. Vous avez résolu une enquête complexe avec de multiples acteurs. J’aurai bien besoin de votre aide pour une affaire… Publique.
- Hum ? »
Je suis surprise. Il est le gouvenreur, normalement il devrait y avoir une amrée de fonctionnaires prête à mener n’importe quelle enquête pour lui. Pourtant, il vient demander cela à moi ? La « petite » noble qui est revenue récemment en ville ? Cela paraît un peu trop tiré par les cheveux. Cependant, voyons d’abord ce qu’il veut me dire, exactement.
« J’ai récemment lancé une campagne anti-corruption au sein du département de la Justice locale. Plusieurs faits étranges m’ont été rapporté. Certains de mes fonctionnaires, ont été suivis, espionnés, voir menacés dans l’exercice de leurs fonctions. C’est absolument intolérable. »
Il marque une brève pause, avant de reprendre. Il a l’air agacé, profondément.
« En menant l’enquête, j’ai découvert que non seulement il y avait des choses qui se tramaient dans l’ombre de notre ville mais qu’en plus, certains fonctionnaires étaient de mèche avec ces machinations. Une femme aussi perspicace que vous a dû se demander pourquoi j’avais envoyé des membres de ma famille dans les différents dîners de la Fête de la Lune, n’est-ce pas ?
- Oui, il est vrai que j’ai été surprise par cette démarche quelque peu inhabituelle.
- Je souhaitai avoir des yeux et des oreilles en ville pour voir sur quelles familles je pouvais compter et quelles familles je devais me méfier. Il se trouve que la vôtre semble être la plus signe de confiance. Les premières preuves remontent à avant votre retour en ville, ce qui veut dire que vous n’êtes pas une suspecte vraiment sérieuse.
- Ou alors je suis terriblement influente, mais ce n’est pas le cas en effet.
- Aider moi à éclaircir ce mystère. D’autant plus que… »
Il marque une nouvelle pause. Observant l’environnement autour de nous. Il a l’air inquiet.
« Il y a eu un meurtre. » murmure t-il.
Un meurtre, en plein festival de la Lune. Ils n’ont pas froid aux yeux ces conspirateurs.
« J’ai peur que la situation m’échappe totalement. Aidez-moi à trouver le meurtrier et je vous donnerai ce que voulez. Je ne peux pas les laisser agir impunément. » dit-il, résolu.
Je lui souris poliment. Je joins les mains et je réfléchis un instant. Un assassinat, en plein festival ? C’est effectivement inquiétant, d’autant plus si c’est lié à de la corruption et des machinations secrètes, il va falloir agir. Et vite.
« Qui a été tué ? » répondis-je, montrant ainsi implicitement mon accord pour participer à l’enquête.
Il semble content de ma réponse. Il doit vraiment être au bord du désespoir pour venir me demander de l’aide, à moi, une femme qu’il n’a jamais vue avant. Mais soit, cela peut mettre m’utile : c’est l’occasion de marquer des points pour le gouvernement local. Peut-être qu’il pourra soutenir ma maison en retour des services rendues et cela pourrait m’aider pour avoir de nouvelles nominations de la Cour.
« Un juge du Département de la Justice, il enquêtait sur les affaires de corruption. Je présume qu’il avait découvert quelque chose d’important pour être ainsi tué. Comme vous le savez, s’en prendre aux fonctionnaires, c’est un crime grave contre l’Etat et Sa Majesté. C’est inacceptable. » dit-il, presque énervé.
« Ce crime ne doit pas rester impuni. Je dois rétablir l’ordre et rétablir l’harmonie dans la ville. Vous devez attraper le coupable, Songzi Huayan.
- Ne vous en faîtes pas, Zhouzhang. Je vais immédiatement me mettre à enquêter. Un de vos hommes peut-il me conduire sur la scène de crime ? »
Le lieu de la mort est extrêmement important. L’assassin a pu laissé des indices derrière lui. Ce qui m’inquiète le plus dans cette affaire, c’est que la victime soit un fonctionnaire de la Justice. Le meurtrier n’aura aucune chance d’échapper à la mort s’il est capturé, sinon cela voudrait dire que l’Empereur n’a aucune autorité. Je vais le retrouver.
« J’apprécie votre engouement. J'ai pris la liberté de missionner un des hommes du département de la Justice, il vous assistera dans l’enquête et vous racontera les faits à leurs connaissances. C’est un homme fiable, vous pouvez lui faire confiance.
- Soit. Puis-je demander à certaines personnes de mon entourage à m’aider dans l’enquête ?
- Vous pensez à qui ?
- Mon garde du corps, et mon frère entre autre. Peut-être d’autres personnes que je vous mentionnerai bien sûr.
- Je vous l’accorde. Plus vite l’affaire est réglée, mieux ce sera. »
C’est sur ces mots que nous nous quittons. L’enquêteur du bureau de la Justice se tient en embuscade dans les jardins et surgit pile au moment où le gouverneur me confie l’affaire. Il va m’accompagner jusqu’à la scène de crime, pas très loin d’ici. C’est lui qui a débuté l’enquête sur le meurtre. Il s’appelle Lei Yang.
« Nous pouvons utiliser mes porteurs pour y aller, il y a de la place pour deux personnes.
- C’est très aimable à vous… Songzi Huayan, c’est ça ?
- Oui. Mais mon titre est bien bas pour être mentionné tout le temps. Appelez-moi Madame Song, cela suffira.
- Je vous remercie. Mettons-nous en route. »
Nous prenons la direction d’une rue à quelques minutes à pied du palais. Nous arrivons devant une modeste résidence en terme de taille, mais tout à fait respectable vu sa localisation géographique, dans l’hyper centre de la ville. Lei me présente un peu la victime, brièvement.
« Le Juge Xu Yang a été tué chez lui, dans son jardin le lendemain de la Fête de la Lune. C’est sa femme, le cherchant dans la maison, qui l’a trouvé en fin de matinée.
- Comment a-t-il été tué ?
- Égorgé. Une tranche nette, faite sans hésitation. Le corps a déjà été enlevé, mais je peux déjà vous dire que l’assassin sait parfaitement user d’une arme blanche et connaît bien cette technique. La blessure, mortelle, était parfaitement exécutée.
- Lui connaissait-on des ennemis ?
- Absolument pas. Respecté par tous, sans histoires particulières, il a toujours fait son travail correctement.
- Il était uniquement sur l’affaire de corruption ces temps-ci ?
- Oui. »
Avec ces informations, je peux déjà presque dire que soit l’assassin a eu une formation aux armes blanches assez poussée et qui a voulu se protéger des résultats de l’enquête du Juge, soit c’est un tueur qui a été mandaté par les voyous pour couvrir leur culpabilité.
« Comment la famille a réagi ?
- Comme souvent dans ce genre de cas : extrêmement triste, affligée. L’épouse ne s’attendait pas à se retrouver veuve si tôt et juste après un festival familial…
- J’imagine, oui… »
Malgré moi, je peux comprendre ce que peut vivre cette femme : la double peine. Perdre son mari et être condamnée à devoir se battre pour garder sa dignité dans cette société aux règles rigoureuses qu’est la nôtre. Il faut conserver l’harmonie, même si parfois, c’est difficile pour les individus. Vu son âge, elle ne sera pas forcée de se remarier, c’est déjà bien.
« Son témoignage n’a rien d’apporté de très probant. Le Juge Xu parlait peu de ses enquêtes à sa femme, pour la préserver. Il n’y avait aucun dossier chez lui, comme la procédure l’exige, tous les documents de la Justice sont consignés au bureau, jamais dans nos lieux de résidence, pour des raisons de sécurité évidentes.
- Je vois. Donc la cible savait clairement qu’elle venait pour tuer.
- C’est fort probable. Rien n’a été volé dans la maison d’après l’épouse. »
Hum. Un assassinat pur et simple en somme. De ce que nous en savons pour l’instant.
« C’est possible de voir la femme de la victime ?
- Pour le moment non, elle est complètement effondrée et est enfermée dans ses appartements avec ses enfants.
- Hum, je vois. Pouvons-nous voir le lieu du crime précisément ?
- Bien sûr. Allons-y. »
Nous entrons dans la petite résidence, avec notre mandat, les serviteurs nous conduisent sans hésitation là où leur maître est mort il y a peu. Rien n’a été touché conformément aux souhaits du département de la Justice.
Le Juge a été tué dans son jardin, sur les quelques marches séparant le plancher de la maison à la terre du terrain. Sans corps, difficile de déterminer la façon dont il a été égorgé, mais je pense déjà à plusieurs possibilités.
La première, et la plus facile selon moi, est un égorgement par derrière. On attaque dans le dos de la victime, on passe la lame devant et il n’y a plus qu’à trancher. Cependant, cela veut dire que le meurtrier était dans la maison. Il a été tué au petit matin, donc il faisait en partie jour, il n’aurait pas pu le rater autrement.
La seconde méthode, plus complexe à faire en journée, est un égorgement par l’avant. Soit l’assassin est arrivé devant la victime et lui a tranché la gorge d’un coup. L’agencement de la maison fait qu’il a pu descendre depuis le toit assez facilement pour prendre le Juge par surprise, potentiellement.
Il y a encore du sang qui teinte le bois des escaliers. Vu la quantité, il était impossible de sauver le pauvre homme. J’avoue avoir de nombreuses fois pratiquée cette méthode pour me débarrasser de mes adversaires, mais il est vrai qu’elle est particulièrement cruelle. La victime ne peut appeler à l’aide car sa gorge est gênée par l’assaut. Vous mourrez lentement, sans pouvoir crier.
« Lei Yang, pouvez-vous me laisser seule quelques minutes je vous prie ? J’ai besoin de réfléchir à cette scène… En comité réduit disons.
- Très bien, je vous attends devant la maison. Prenez votre temps.
- Merci. »
J’attends qu’il s’éloigne suffisamment et je mets un genou à terre. Je vérifie qu’il n’y a personne qui me regarde, et je commence à me concentrer. Je cherche à contacter l’âme du Juge. Il est mort suffisamment récemment pour ne pas être passé de l’autre côté… Et son corps n’a pas encore eu les rites funéraires. Je ferme les yeux et respire un grand coup. Répondez-moi.
Lorsque j’ouvre mes yeux, je vois une forme humaine, spectrale lévitée devant moi, au niveau des marches. D’abord, elle n’exprime rien, puis elle se rend compte que je la regarde clairement. Sa tenue évoque celle d’un fonctionnaire, cela semble correspondre.
« Vous êtes le Juge Xu Yang n’est-ce pas ? »
Il est étonné, et ne semble pas trop comprendre. Il s’agenouille devant moi.
« Vous pouvez me voir et m’entendre ? » dit-il, tout en pointant son doigt vers son visage.
Je souris légèrement, tâchant d’être rassurante.
« Oui. J’ai un don.
- Pourquoi suis-je coincé ici ?
- Vous n’arrivez probablement pas à trouver le repos. Les rites funéraires n’ont pas encore eu lieu.
- Qui m’a fait ça ?
- C’est ce que je cherche à savoir. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Racontez-moi ce qui s’est passé. »
Il se redresse un moment et croise les mains dans son dos.
« Vous êtes la seule à qui parler. Je n’ai pas le choix.
- Je suis avec votre collègue Lei Yang. Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je cherche votre assassin pour qu’il soit jugé.
- Soit. »
Il se concentre et semble réfléchir.
« Le moment de ma mort est très précis dans mon esprit. C’était le matin, tôt. Je voulais prendre l’air pour préparer l’interrogatoire d’un témoin dans mon affaire actuelle.
- L’affaire de corruption ?
- Oui. Je venais de franchir un cap dans l’enquête. L’argent et les ordres viennent de l’extérieur de la ville, ce n’est pas qu’une affaire locale, c’est plus grand que cela. »
Il m’intrigue. Une affaire de corruption qui prend une plus grande ampleur ? A ce stade, ce n’est plus suspect, c’est particulièrement inquiétant.
« Lorsque je suis sorti, ici, je n’ai pas eu le temps de voir l’ombre descendre devant moi et d’un coup sec m’attaqué. En une fraction de seconde, je suis tombé et j’ai perdu connaissance. J’étais incapable de bouger ou de crier.
- Vous vous rappelez du visage de l’assassin ?
- Il était masqué, je n’ai vu que ses yeux. C’est un Han, j’en suis sûr.
- Un détail pourrait aider à son identification ?
- Il n’était pas vieux. Aucune ride sur le visage. C’est tout ce que je peux vous donner, il était complètement en noir, encagoulé.
- Vous l’avez vu repartir par où ?
- Aucune idée, j’étais au sol. Peut-être par le toit ou il a escaladé le mur… »
Un assassin qui n’est pas vieux et un homme. Je sens que je vais devoir trouver d’autres preuves pour retrouver le coupable… Mais cependant on avance sur la piste d’un crime commandité : c’est probablement un mercenaire ou tueur professionnel. Car bondir d’un toit et égorger un homme d’un coup net, ça demande un entraînement particulier.
« Quel est le témoin que vous deviez voir ?
- Un prêtre du Temple Qingyang. Liang Chen Daoshi.
- Il est à la tête du réseau de corruption ?
- Non, absolument pas. Mais je crois qu’il détient des informations précieuses sur l’affaire. Il a refusé de me parler jusqu’à présent, mais peut-être qu’avec ma mort… Il changera d’avis. »
Un prêtre taoïste qui serait un témon d’une telle affaire ? C’est improbable. Les bouddhistes et les taoïstes ne se mêlent que rarement des affaires publiques. L’Empire n’aime pas qu’ils influencent trop les administrations, seuls leurs conseils et avis sont recherchés. Ce qui est d’autant plus suspicieux, c’est que par définition, les taoïstes sont toujours dans une position de retrait ou d’observation, c’est pourquoi ils sont rares à la Cour.
« Je vous laisse, Juge. Je vais continuer l’enquête, là où vous l’avez laissé.
- Qu’est-ce que je fais en attendant ?
- Attendez la fin des rites funéraires. Vous partirez pour un long voyage après cela.
- Je vous fais confiance. Que Justice soit rendue.
- Elle le sera. »
Je me redresse et abandonne la résidence, je rejoins Lei Yang à l’entrée, il attend déjà mon retour avec les porteurs. Je monte dans notre voiture, et je l’invite à faire de même.
« Où allons-nous ?
- Au Temple Qingyang, un témoin est là-bas. »
Nous nous mettons immédiatement en route. Le lieu de culte est une destination surprenante vu l’affaire. Le temple est dédié aux études du Dao. La Voie. En son sein, essentiellement des prêtres qui se vouent à leur discipline, en toute simplicité. Tels des ermites, ils se mêlent que très rarement aux affaires qui ne les concernent pas directement.
J’ai beaucoup appris des textes de Laozi. Le grand maître et fondateur de la philosophie taoïste. Beaucoup auraient à apprendre de lui. Grâce à lui, je pense avoir trouvé une piste de réflexion pour améliorer mes compétences en nécromancie, comme elle, le Dao cherche à la maîtrise des flux.
« Pourquoi allons-nous au Temple ? » demande l’enquêteur.
Question judicieuse.
« Le Juge l’avait déjà interrogé je crois, sans grands succès ? Le prêtre.
- Oui, comment le savez-vous ?
- Le Gouverneur ne m’a pas fait mander pour rien. Que savez-vous du prêtre ?
- Un homme dans la cinquantaine. Rien de particulier, il est né à Chengdu et a vécu la plupart de sa vie dans le temple. Le Juge pensait que c’était un témoin crucial. Mais il n’a jamais réussi à le faire parler.
- Nous allons essayer d’inverser cela.
- Vous avez une crainte particulière pour être aussi pressée de le rencontrer ?
- Les coupables cherchent peut-être à couvrir leurs traces et éliminer les témoins. Le Juge est assassiné, peut-être qu’ils veulent éliminer un témoin potentiel au passage.
- Mais tuer un Daoshi est…
- Scandaleux. Mais manifestement, les criminels n’ont peur de rien dans cette affaire. »
Le temple est dans le centre-ville aussi, nous arrivons donc assez rapidement. La grande inscription sur la devanture nous l’atteste formellement. Quelques fidèles entrent et sortent, au gré des prières et des vœux. Certains viennent de loin pour demander conseils aux prêtres de Laozi.
Contrairement aux autres philosophies Han, le Dao est très mystique. Ce qui fait que lorsque vous souhaitez avoir un talisman, un exorcisme, ou un objet pour vous protéger vous ou vos proches, votre maison, etc… C’est vers un Daoshi que vous devrez trouver. Cela explique donc leur assez grande popularité auprès de la population, malgré les années qui passent.
« Attendez-moi ici. Cachez-vous dans le petite ruelle à côté, je veux voir le Daoshi seule.
- Comme vous voudrez. »
Il reste avec les porteurs et se dirigent immédiatement dans la rue que j’ai indiquée, à côté du temple. Je me fonds dans le petit groupe de personnes qui rentre. Une fois à l’intérieur, je m’écarte un peu et je me dirige vers les jardins. Je suis déjà venue ici plusieurs fois, je commence à connaître un peu les lieux.
Dans les jardins, je croise un Daoshi que j’interpelle avec un grand sourire. Je l’ai coupé dans ses pensées, ce n’est pas très poli de ma part, je vous l’accorde.
« Excusez-moi Daoshi… Je cherche Liang Chen Daoshi, savez-vous où il est ?
- Il médite un peu plus loin dans les jardins, près du jasmin.
- Merci, Daoshi. »
Il reprend sa route, retournant à sa réflexion, tandis que moi je me dirige vers le fameux jasmin que je devine à quelques dizaines de mètres. Je passe le chemin d’autres promeneurs et voyageurs, et je trouve enfin l’homme que je crois rechercher.
Liang Chen semble être un homme d’un certain âge, habillé en prêtre, il est entrain de pratiquer du taiqiquan. Je crois que les femmes de Costa del Sol appellent cela « Tai Chi », elles sont obligées de faire une traduction phonétique du mot, c’est regrettable. Intellectuellement parlant, j’entends. Il est effectivement dans la force de l’âge, malgré tout, il a semble t-il encore des mouvements fluides et très précis. On peut ressentir sa concentration, son énergie, telle une aura autour de lui. Il a une fine moustache, autrefois noire, désormais légèrement grisonnante. Il n’est pas très grand et n’est pas bien gros, il a un regard profond avec des yeux sombres qui semble pétiller de vie : preuve en est que c’est quelqu’un de vif d’esprit.
Je n’ose l’interrompre dans sa méditation. En signe de respect, je m’agenouille sur la pierre et le regarde avec attention, captiver par sa pratique et ses mouvements parfois assez impressionnants il faut le dire.
J’en profite pour regarder un peu tout autour de nous. Il n’y a pas beaucoup de gens et a priori je ne remarque personne qui nous épie en secret… Ou alors je ne vois rien, ce qui est aussi possible. Les toits sont dégagés, les arbres ne semblent pas pouvoir cacher quelque chose, pas de civils qui tourneraient un peu trop dans notre secteur … Non, a priori, rien d’alarmant.
Après une bonne vingtaine de minutes, le prêtre s’arrête enfin et s’incline pour me saluer, très poliment.
« Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre, mais il n’est pas bon d’arrêter ses exercices lorsque nous les avons commencés. Que puis-je pour vous Madame ?
- Je vous en prie, Daoshi. En fait, j’aimerais m’entretenir avec vous.
- Ah ? Hé bien soit, marchons ensemble alors. »
Nous débutons ainsi un petit tour du parc, j'en profite pour me présenter à lui, discutant de quelques textes anciens et de quelques phrases célèbres du Dao, pour éviter de passer pour une ignorante complète, ce que je ne suis clairement pas en ce domaine.
« Dites-moi, qu’est-ce qui vous a fait venir à moi aujourd’hui ?
- Un homme aussi sage que vous devriez déjà savoir.
- Vous avez été « recommandé » par quelqu’un ?
- En quelque sorte. »
Nous continuons à faire quelques pas, avec une allure plus lente et la voix moins forte.
« Le Juge Xu Yang a été assassiné chez lui, le lendemain de la Fête de la Lune.
- C’est absolument effrayant. Osez commettre un tel geste pendant une fête de cette importance est tout simplement une insulte à nos croyances. » dit-il, impassible.
Cependant, sa réaction me laisse supposer qu’il était déjà au courant du meurtre. Malgré l’impassibilité qui caractérise souvent les prêtres taoïstes, ici, l’homme a eu l’air à peine ébranlé, voir pas du tout.
« Comment avez-vous appris ?
- Je l’ai senti. J’ai senti que l’étau se resserrait sur lui.
- Pourquoi avoir refusé de lui parler plus tôt ?
- Nous autres taoïstes, nous n’aimons intervenir dans les jeux politiques. J’ai cru qu’en ne parlant pas, il explorerait d’autres pistes et trouverait d’autres moyens d’accuser les coupables mais j’ai manifestement sous-estimé la folie de ces derniers.
- Vous connaissez l’identité des commanditaires du meurtre ?
- Non. J’ai des doutes bien sûr sur certaines personnes. Mais des preuves ? Aucune. Quelle est votre implication dans cette affaire ?
- J’ai été mandaté par le gouverneur pour trouver l’assassin du Juge Yang.
- Ah ! »
Il s’interrompt momentanément et se tourne vers moi pour me saluer d’une manière plus respectable, digne des nobles. Je lui dis de rapidement de se redresser.
« Je ne suis qu’une Vicomtesse de troisième rang, vous n’êtes pas obligé d’être si protocolaire avec moi vous savez. »
Nous marquons un arrêt à côté d’un prunier.
« Je vais vous dire ce que je sais. Il y a dans cette ville, des personnes de l’extérieur qui cherchent à manipuler des fonctionnaires et des personnalités locales pour placer leurs pions dans la province. Chengdu est une cible privilégiée car c’est une ville moyenne. C’est plus facile d’y prendre le contrôle qu’à Chongqing par exemple.
- C’est certain.
- Je pense qu’ils veulent s’en prendre à ceux qui ne peuvent les rejoindre, par conviction ou honneur, et continuer d’argumenter avec les hésitants ou de corrompre ceux qui sont trop avares. Le Juge est un signal. Un avertissement pour ceux qui auraient des doutes envers leur capacité d’action.
- Et, pardonnez-moi ma désinvolture, mais comment savez-vous tout cela ?
- C’est très simple. »
Il marque une pause et tourne sa tête vers moi.
« Ils ont essayé de me recruter, j’ai refusé. »
Un daoshi très honnête, dites-moi. Cependant ce qu’il décrit est très inquiétant, il va falloir vite agir.
« Pourquoi ? Si ce n’est pas indiscret.
- Il est hors de question que je trahisse le Dao pour une quelconque secte d’intriguants. Vous devez frapper fort sur cette enquête pour effrayer leur soutien et montrer que la ville est à l’Empire, et à personne d’autre.
- Je devine que vous ne souhaitez pas m’aider directement en disant cela.
- Je ne suis qu’un vieux prêtre taoïste. Je peux déjà aider en évitant que des membres de notre organisation en tombe entre leurs mains. Le Temple sera toujours sûr pour vous, en cas de besoin. Le Dao doit être suivi par nous tous, ses plus fidèles serviteurs.
- Merci de votre assistance, Daoshi. Avez-vous une idée des commanditaires ? De leurs identités ?
- Non. Mais il y a une chose qui m’intrigue depuis quelques jours. »
Je vois qu’il semble réfléchir. Il porte sa main et fait tournoyer sa longue moustache autour de ses doigts.
« Il y a un homme mort, récemment. Comment a été tué le Juge ?
- Hum… Égorgé.
- Quelle horreur… »
Il semble plus dégouté que choqué.
« Une famille nous a porté le corps d’un de ses membres, décédé de la même manière. La garde enquête mais de ce que j’ai entendu de la mère de la victime, ils n’ont toujours pas trouvé le responsable. Peut-être… Peut-être y a-t-il un lien entre les deux affaires ?
- Le mode opératoire est effectivement le même. Vous rappelez-vous le nom du jeune mort ?
- Luo Ju. Un fils de marchand, sans histoires d’après les parents. Décédé quelques jours avant la fête de la mi-automne.
- Merci. Je me renseignerai sur cette affaire en parallèle.
- Trouvez l’assassin. Montrez que Chengdu ne leur donnera rien. Qui que ce soit, ces personnes au cœur noir n’apporteront rien de bon.
- Je suis bien d’accord avec vous. Cependant, j’ai une question pour vous.
- Je vous écoute. »
Je me tourne vers lui, pour lui faire face. Je récite quelques lignes d’un texte taoïste.
« L’univers n’a point d’affections humaines ;
toutes les choses du monde lui sont comme chien de paille.
Le saint n’a point d’affections humaines ;
Le peuple lui est comme chien de paille.
L’univers est pareil à un soufflet de forge ;
Vide, il n’est point aplati.
Plus on le meut, plus il exhale,
Plus on en parle, moins on le saisit,
Mieux vaut s’insérer en lui.
Si je suis votre logique, vous parlez du bien commun, mais les taoïstes se préoccupent rarement des petites gens. Pourquoi vous en souciez Daoshi ? » demandé-je, sans aucune hostilité, c’était une question purement philosophique.
Il sourit un instant et dit :
« Qui cherche à façonner le monde,
je vois, n’y réussira pas.
Le monde, vase spirituel, ne peut être façonné.
Qui le façonne le détruira.
Qui le tient le perdra.
Cette secte cherche à façonner notre monde. Ils échoueront. Mais pour cela, vous devez les pousser à échouer. Arrêtez cette cabale néfaste et la paix reviendra. »
Sur ces mots, je m’incline respectueusement devant lui, tandis qu’il fait de même. Je crois qu’il a apprécié notre discussion. Je le quitte ici, retournant à l’extérieur pour rejoindre l’officier qui doit m’attendre depuis un petit moment dans la rue.
Cette rencontre m’a apporté beaucoup d’informations et une piste intéressante.
« Vous avez pu apprendre quelque chose ? Vous êtes restée longtemps à l’intérieur.
- Oui, de nombreuses choses. Mettons-nous en route. »
Je monte dans ma voiture et nous voilà parti pour mon manoir.
« Vous rentrez déjà ?
- Je dois réfléchir à l’enquête. J’ai une mission pour vous d’ailleurs.
- Ah ?
- L’affaire Luo Ju, ça vous dit quelque chose ?
- Oui, en effet.
- Il se peut qu’il y ait un lien avec le Juge. Avez-vous retrouvé des indices sur cette scène de crime ?
- Je n’étais pas chargé de l’enquête, mais je peux me renseigner.
- Sortez moi tout ce qui a été trouvé, nous ferons le point demain matin, à l’aube.
- Entendu. »
J’arrête le transport brutalement. Je lui indique que c’est le moment de me quitter, il descend puis me salue en s’inclinant avant de m’observer partir.
« A demain, Songzi Huayan.
- Travaillez bien, je vous prie. A demain. »
Je reprends ma route, les porteurs avançant à un rythme soutenu.
L’assassin n’a pas laissé d’indices sur le lieu du crime contre le Juge, c’était un homme important. Il a dû préparer avec beaucoup de minutie. Mais un fils de marchand ? Il a certainement laissé quelque chose derrière lui. On prépare un combat avec beaucoup d’attention lorsque nous ne sommes pas sûrs de son issue. L’échec réside de ne pas en faire de même lors des conflits que l’on pense remporter à coup sûr.
Une fois arrivée chez moi, je salue Noah qui s’amuse à courir après des papillons. Il faut vraiment que Xupeng lui trouve un éducateur rapidement. Courir après les insectes, ce n’est pas ce qui va le faire progresser. Sans compter le maître d’armes… Quoiqu’à ce sujet, je crois avoir entendu l’eunuque auditionner des candidats. De ce que j’ai compris, beaucoup de voyageurs chinois en provenance de l’extrême sud et qui souhaitent s’installer à Chengdu. Je crois même qu’au vu du fort accent de l’un d’entre eux, l’un doit venir de l’île de Hainan.
J’y pense. Je devais faire quelque chose avec Francis aujourd’hui. Après une recherche pas très compliquée je le retrouve dans la cuisine du manoir.
« C’est pas ce que vous croyez Madame Song. » sera sa réponse.
Nous prenons deux chevaux et nous partons à l’extérieur de la ville. Après une petite chevauchée nous arrivons à l’emplacement où j’ai dissimulé mon vaisseau. Nous attachons les rennes à un arbre et je fais le point avec mon pilote fétiche.
« Est-ce qu’il y a un moyen de rendre l’appareil moins… Identifiable ?
- Bah déjà on peut changer son signalement. Genre, j’peux vous rayez le nom et changer la peinture. Mais si vous passez par un astroport de la Shinra, les identifiants que vous devrez donner sont les mêmes donc…
- Il y a une solution pour palier à cela ?
- Ouais, mais c’est pas légal. »
Il croise les bras, souriant. Quand Francis sourit en croisant les bras, c’est que dans un premier temps, ce n’est pas une tâche facile et dans un second temps, cela veut dire qu’il y a au moins une ou deux filles dénudées dans son plan.
« J’écoute.
- On peut récupérer les identifiants d’un appareil ayant le même modèle que vous.
- Les identifiants changent, mais si je n’ai pas un papier pour prouver l’identité de la personne reliée à ses informations, comment fait-on ?
- Pour ça que c’est pas légal. On peut aller au marché noir d’Illusiopolis et trouver des faussaires qui feront les faux papiers et les autres identifiants.
- Cela va me coûter combien en somme ?
- Ça dépend. Si on force un peu les négociations, on peut s’en tirer pour pas trop chère, héhé. »
Hum. Une descente à Illusiopolis. Cette ville est d’un lassant. Je me demande si un jour, cet endroit connaîtra la paix. Il faudrait purger peut-être la moitié du monde pour cela, tant les gens sont corrompus. Quand on pense qu’un monde comme le Palais des Rêves a subitement disparu tandis que le vice d’Illusiopolis perdure encore… Il n’y a décidément pas beaucoup de Justice sur les Routes Stellaires. Tant de vies qui disparaissent soudainement, c’est une véritable tragédie.
« Va pour Illusiopolis alors. Vous ferez la peinture là-bas, en attendant rayer moi le nom de l’appareil, je vais voir à l’intérieur pour vérifier l’état des systèmes.
- Ok chef ! »
J’ouvre le vaisseau et me dirige vers le poste de pilotage pour vérifier si tout est en ordre. Carburant, radar, état des réacteurs… Poussière. Je vois que les dernières volontés de DeWitt ont laissé de petites cendres au sol, je les disperse du mieux que je peux pour que cela ne fasse plus un vilain tas à côté de mon siège.
Soudain, j’entends comme un battement d’ailes, je me rends compte qu’il y a deux corbeaux qui ont élu domiciles dans mon transport personnel. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? L’un d’eux vient de se réveiller et me regarde avec intention, tandis qu’il donne rapidement des coups de serre à l’autre pour qu’il se redresse.
La voix de Xupeng me tire de ma réflexion. Je pense à beaucoup de choses, mais ce matin, je crois me concentrer avant tout sur cette missive que nous avons reçu du Gouverneur de la ville. De manière très évasive, il mentionne une affaire dont il aimerait que je me charge pour lui. Manifestement, ce n’est pas une main courante dans la mesure où il n’irait pas chercher un civil pour cela, d’autant plus que je suis une femme.
Quelque chose se trame donc, mais quoi ? C’est toute la question.
Ayant été éloignée de la ville et de ses politiques pendant longtemps, je ne suis pas nécessairement très bien informée de ce qu’il s’y passe. Xupeng peut compenser ce manque mais je ne l’avais pas vraiment affecté à cette tâche… Et bien il ne l’a pas fait, il s’est concentré sur Noah, et c’est bien ainsi.
Chengdu a toujours été une ville paisible. Et ce depuis des siècles. Peu de guerres se jouent dans cette partie de l’Empire et les Huns sont toujours de l’autre côté de la Muraille, peu de chances que quiconque vienne troubler notre quiétude montagnarde. Donc s’il y a agitation, c’est en son sein.
« Rien. Je pensai à la missive du Gouverneur. Je suis un peu surprise d’entendre parler de lui si tôt. Je n’ai même pas encore commencé ma campagne.
- C’est peut-être une affaire très simple ou un besoin de conseils. Il sait que vous avez voyagé, il doit porter votre expérience en estime.
- Peut-être. »
Nous continuons à prendre le thé, calmement.
« Tu m’as parlé de m’affecter à une nouvelle mission après l’éducation de Noah. Qu’est-ce que c’est ?
- Tu as attendu jusqu’ici, je peux te le dire à présent. »
Je repose ma tasse, il m’imite. Je prends un ton et une posture plus sérieuse pour lui montrer que nous reprenons nos anciennes habitudes, lorsque Haojun a disparu et qu’il a fallu s’organiser pour survivre. Ce qui veut dire qu’il y a ce besoin de sévir à nouveau.
« Haojun va tout tenter pour quitter la Shin-Ra. Nous devons donc nous préparer à une nouvelle vie, pour notre fils. Nous devons lui assurer un avenir et à nous autres une position respectable, pour nous protéger d’éventuelles représailles. Nous ne souhaitons pas provoquer la colère de Rufus ou de ses larbins, mais il faut prendre en compte le fait qu’il sera plus difficile de nous atteindre si nous sommes anoblis un peu plus.
- Je comprends. Je suis prêt à vous aider, comme toujours. Je veux que vous sortiez de tout ça. Notre monde est si beau, nous devons en profiter, ici. Ensemble.
- C’est vrai. Mais il va falloir travailler pour ça. »
Je regarde les jardins sur ma droite, le soleil commence à être haut, la matinée va bientôt se terminer, je dois me rendre au palais du gouvernement.
« En parlant de travail, je vais partir immédiatement pour mon rendez-vous. Je suis curieuse de voir ce qu’il en est. »
Sans plus de cérémonies, je vais mettre des vêtements présentables. Je ne sors pas les affaires d’apparat, ce n’est pas une convocation officielle, ce qui veut dire que notre rencontre ne doit pas attirer l’attention outre mesure.
Non loin du Temple de Laozi, se dresse le palais du gouverneur. Bien moins imposant que celui de la capitale, cela est bien entendu évident. Notre ville bénéficie d’une économie forte, soutenue par l’agriculture et l’artisanat, ce qui fait que nous ne sommes pas les plus miséreux de la Terre des Dragons. Le bureau du Zhouzhang est richement décoré de l’extérieur mais laisse place à une modestie décorative à l’intérieur. On sent que c’est un endroit fait pour travailler et non flâner.
Je me mets en route avec mes porteurs. Xupeng reste à la maison, je pars seule. J’ai juste eu le temps de saluer Gao en partant, je lui ai dit que je rentrerai un peu plus tard. Nous avançons tranquillement dans les rues se remettant peu à peu de la Fête de la Lune, c’est plus calme qu’à l’accoutumée mais d’ici quelques jours, la vie reprendra son cours pour tout le monde. En attendant, chacun profite de sa famille.
Sans encombres, j’atteins le palais du gouverneur, je passe les gardes en souriant. Je leur présente malgré tout la lettre du maître des lieux, ils me disent que je suis attendu. Je peux attendre dans l’entrée, il va venir me recevoir. Fort bien.
Le palais est relativement calme, la plupart des fonctionnaires sont dans leurs familles. Je devine que le gouverneur veut que je sois la moins vue possible. La question est : Pourquoi ? Sa demande informelle n’avait pas l’air d’être très mystérieuse, peu détaillée ? Oui. Mais mystérieuse ? Pas vraiment.
Après quelques minutes à contempler les lieux, un serviteur vient et m’indique qu’il faut le suivre, le Gouverneur m’attend dans les jardins du palais. Je le suis sans rechigner. Nous croisons quelques personnes ici et là, que je salue et souriant légèrement. Leurs expressions trahissent leurs sentiments : étonnement, questionnement, … Qui suis-je ? Serai-je une personne importante ? Me connaissent-ils par mes parents ?
Tant de questions sans réponses, pour le moment.
Les fonctionnaires sont reconnaissables par les tenues qu’ils portent. Souvent humbles, leurs costumes permettent aux sujets de l’Empire de reconnaître leurs fonctions. La Justice aura une couleur particulière, par exemple. Souvent mauve, ou rouge.
Nous voici dans les jardins. La première chose que je remarque, c’est qu’il y a beaucoup plus d’arbres qu’à l’accoutumée. Passé ce moment, je vois que le gouverneur s’approche de moi. Le serviteur salue et se retire, je m’incline respectueusement.
« Liu Zhouzhang hao,
- Songzi Huayan hao. Redressez-vous, pas besoin de trop de formalités avec moi. »
Je fais selon son bon désir.
Liu Xiao est un homme vers la fin de la trentaine. Plutôt jeune pour une telle position. Il a une réputation d’être un homme bon dans la ville et la province. Il est juste et applique toujours les ordres de l’Empereur sans discuter. On dit aussi qu’il est humble, chose rare chez les fonctionnaires de haut rang. Il a bénéficié de l’aide de son père, ancien gouverneur de la ville, pour obtenir sa position. Mais il a malgré tout passé les concours facilement. Un exemple à suivre pour beaucoup.
« Marchons ensemble Songzi Huayan.
- Avec plaisir Zhouzhang. »
Nous faisons un petit tour dans les jardins, je peux lire sur son visage les traces de la fatigue.
Au détour du petit étang, nous nous arrêtons pour contempler le bassin où de petits poissons s’agitent devant nous.
« Je vous remercie d’avoir répondu à cette demande.
- Je vous en prie, c’est tout à fait normal.
- J’ai entendu parler de vos exploits dans votre ancienne cité de résidence. Vous avez résolu une enquête complexe avec de multiples acteurs. J’aurai bien besoin de votre aide pour une affaire… Publique.
- Hum ? »
Je suis surprise. Il est le gouvenreur, normalement il devrait y avoir une amrée de fonctionnaires prête à mener n’importe quelle enquête pour lui. Pourtant, il vient demander cela à moi ? La « petite » noble qui est revenue récemment en ville ? Cela paraît un peu trop tiré par les cheveux. Cependant, voyons d’abord ce qu’il veut me dire, exactement.
« J’ai récemment lancé une campagne anti-corruption au sein du département de la Justice locale. Plusieurs faits étranges m’ont été rapporté. Certains de mes fonctionnaires, ont été suivis, espionnés, voir menacés dans l’exercice de leurs fonctions. C’est absolument intolérable. »
Il marque une brève pause, avant de reprendre. Il a l’air agacé, profondément.
« En menant l’enquête, j’ai découvert que non seulement il y avait des choses qui se tramaient dans l’ombre de notre ville mais qu’en plus, certains fonctionnaires étaient de mèche avec ces machinations. Une femme aussi perspicace que vous a dû se demander pourquoi j’avais envoyé des membres de ma famille dans les différents dîners de la Fête de la Lune, n’est-ce pas ?
- Oui, il est vrai que j’ai été surprise par cette démarche quelque peu inhabituelle.
- Je souhaitai avoir des yeux et des oreilles en ville pour voir sur quelles familles je pouvais compter et quelles familles je devais me méfier. Il se trouve que la vôtre semble être la plus signe de confiance. Les premières preuves remontent à avant votre retour en ville, ce qui veut dire que vous n’êtes pas une suspecte vraiment sérieuse.
- Ou alors je suis terriblement influente, mais ce n’est pas le cas en effet.
- Aider moi à éclaircir ce mystère. D’autant plus que… »
Il marque une nouvelle pause. Observant l’environnement autour de nous. Il a l’air inquiet.
« Il y a eu un meurtre. » murmure t-il.
Un meurtre, en plein festival de la Lune. Ils n’ont pas froid aux yeux ces conspirateurs.
« J’ai peur que la situation m’échappe totalement. Aidez-moi à trouver le meurtrier et je vous donnerai ce que voulez. Je ne peux pas les laisser agir impunément. » dit-il, résolu.
Je lui souris poliment. Je joins les mains et je réfléchis un instant. Un assassinat, en plein festival ? C’est effectivement inquiétant, d’autant plus si c’est lié à de la corruption et des machinations secrètes, il va falloir agir. Et vite.
« Qui a été tué ? » répondis-je, montrant ainsi implicitement mon accord pour participer à l’enquête.
Il semble content de ma réponse. Il doit vraiment être au bord du désespoir pour venir me demander de l’aide, à moi, une femme qu’il n’a jamais vue avant. Mais soit, cela peut mettre m’utile : c’est l’occasion de marquer des points pour le gouvernement local. Peut-être qu’il pourra soutenir ma maison en retour des services rendues et cela pourrait m’aider pour avoir de nouvelles nominations de la Cour.
« Un juge du Département de la Justice, il enquêtait sur les affaires de corruption. Je présume qu’il avait découvert quelque chose d’important pour être ainsi tué. Comme vous le savez, s’en prendre aux fonctionnaires, c’est un crime grave contre l’Etat et Sa Majesté. C’est inacceptable. » dit-il, presque énervé.
« Ce crime ne doit pas rester impuni. Je dois rétablir l’ordre et rétablir l’harmonie dans la ville. Vous devez attraper le coupable, Songzi Huayan.
- Ne vous en faîtes pas, Zhouzhang. Je vais immédiatement me mettre à enquêter. Un de vos hommes peut-il me conduire sur la scène de crime ? »
Le lieu de la mort est extrêmement important. L’assassin a pu laissé des indices derrière lui. Ce qui m’inquiète le plus dans cette affaire, c’est que la victime soit un fonctionnaire de la Justice. Le meurtrier n’aura aucune chance d’échapper à la mort s’il est capturé, sinon cela voudrait dire que l’Empereur n’a aucune autorité. Je vais le retrouver.
« J’apprécie votre engouement. J'ai pris la liberté de missionner un des hommes du département de la Justice, il vous assistera dans l’enquête et vous racontera les faits à leurs connaissances. C’est un homme fiable, vous pouvez lui faire confiance.
- Soit. Puis-je demander à certaines personnes de mon entourage à m’aider dans l’enquête ?
- Vous pensez à qui ?
- Mon garde du corps, et mon frère entre autre. Peut-être d’autres personnes que je vous mentionnerai bien sûr.
- Je vous l’accorde. Plus vite l’affaire est réglée, mieux ce sera. »
C’est sur ces mots que nous nous quittons. L’enquêteur du bureau de la Justice se tient en embuscade dans les jardins et surgit pile au moment où le gouverneur me confie l’affaire. Il va m’accompagner jusqu’à la scène de crime, pas très loin d’ici. C’est lui qui a débuté l’enquête sur le meurtre. Il s’appelle Lei Yang.
« Nous pouvons utiliser mes porteurs pour y aller, il y a de la place pour deux personnes.
- C’est très aimable à vous… Songzi Huayan, c’est ça ?
- Oui. Mais mon titre est bien bas pour être mentionné tout le temps. Appelez-moi Madame Song, cela suffira.
- Je vous remercie. Mettons-nous en route. »
Nous prenons la direction d’une rue à quelques minutes à pied du palais. Nous arrivons devant une modeste résidence en terme de taille, mais tout à fait respectable vu sa localisation géographique, dans l’hyper centre de la ville. Lei me présente un peu la victime, brièvement.
« Le Juge Xu Yang a été tué chez lui, dans son jardin le lendemain de la Fête de la Lune. C’est sa femme, le cherchant dans la maison, qui l’a trouvé en fin de matinée.
- Comment a-t-il été tué ?
- Égorgé. Une tranche nette, faite sans hésitation. Le corps a déjà été enlevé, mais je peux déjà vous dire que l’assassin sait parfaitement user d’une arme blanche et connaît bien cette technique. La blessure, mortelle, était parfaitement exécutée.
- Lui connaissait-on des ennemis ?
- Absolument pas. Respecté par tous, sans histoires particulières, il a toujours fait son travail correctement.
- Il était uniquement sur l’affaire de corruption ces temps-ci ?
- Oui. »
Avec ces informations, je peux déjà presque dire que soit l’assassin a eu une formation aux armes blanches assez poussée et qui a voulu se protéger des résultats de l’enquête du Juge, soit c’est un tueur qui a été mandaté par les voyous pour couvrir leur culpabilité.
« Comment la famille a réagi ?
- Comme souvent dans ce genre de cas : extrêmement triste, affligée. L’épouse ne s’attendait pas à se retrouver veuve si tôt et juste après un festival familial…
- J’imagine, oui… »
Malgré moi, je peux comprendre ce que peut vivre cette femme : la double peine. Perdre son mari et être condamnée à devoir se battre pour garder sa dignité dans cette société aux règles rigoureuses qu’est la nôtre. Il faut conserver l’harmonie, même si parfois, c’est difficile pour les individus. Vu son âge, elle ne sera pas forcée de se remarier, c’est déjà bien.
« Son témoignage n’a rien d’apporté de très probant. Le Juge Xu parlait peu de ses enquêtes à sa femme, pour la préserver. Il n’y avait aucun dossier chez lui, comme la procédure l’exige, tous les documents de la Justice sont consignés au bureau, jamais dans nos lieux de résidence, pour des raisons de sécurité évidentes.
- Je vois. Donc la cible savait clairement qu’elle venait pour tuer.
- C’est fort probable. Rien n’a été volé dans la maison d’après l’épouse. »
Hum. Un assassinat pur et simple en somme. De ce que nous en savons pour l’instant.
« C’est possible de voir la femme de la victime ?
- Pour le moment non, elle est complètement effondrée et est enfermée dans ses appartements avec ses enfants.
- Hum, je vois. Pouvons-nous voir le lieu du crime précisément ?
- Bien sûr. Allons-y. »
Nous entrons dans la petite résidence, avec notre mandat, les serviteurs nous conduisent sans hésitation là où leur maître est mort il y a peu. Rien n’a été touché conformément aux souhaits du département de la Justice.
Le Juge a été tué dans son jardin, sur les quelques marches séparant le plancher de la maison à la terre du terrain. Sans corps, difficile de déterminer la façon dont il a été égorgé, mais je pense déjà à plusieurs possibilités.
La première, et la plus facile selon moi, est un égorgement par derrière. On attaque dans le dos de la victime, on passe la lame devant et il n’y a plus qu’à trancher. Cependant, cela veut dire que le meurtrier était dans la maison. Il a été tué au petit matin, donc il faisait en partie jour, il n’aurait pas pu le rater autrement.
La seconde méthode, plus complexe à faire en journée, est un égorgement par l’avant. Soit l’assassin est arrivé devant la victime et lui a tranché la gorge d’un coup. L’agencement de la maison fait qu’il a pu descendre depuis le toit assez facilement pour prendre le Juge par surprise, potentiellement.
Il y a encore du sang qui teinte le bois des escaliers. Vu la quantité, il était impossible de sauver le pauvre homme. J’avoue avoir de nombreuses fois pratiquée cette méthode pour me débarrasser de mes adversaires, mais il est vrai qu’elle est particulièrement cruelle. La victime ne peut appeler à l’aide car sa gorge est gênée par l’assaut. Vous mourrez lentement, sans pouvoir crier.
« Lei Yang, pouvez-vous me laisser seule quelques minutes je vous prie ? J’ai besoin de réfléchir à cette scène… En comité réduit disons.
- Très bien, je vous attends devant la maison. Prenez votre temps.
- Merci. »
J’attends qu’il s’éloigne suffisamment et je mets un genou à terre. Je vérifie qu’il n’y a personne qui me regarde, et je commence à me concentrer. Je cherche à contacter l’âme du Juge. Il est mort suffisamment récemment pour ne pas être passé de l’autre côté… Et son corps n’a pas encore eu les rites funéraires. Je ferme les yeux et respire un grand coup. Répondez-moi.
Lorsque j’ouvre mes yeux, je vois une forme humaine, spectrale lévitée devant moi, au niveau des marches. D’abord, elle n’exprime rien, puis elle se rend compte que je la regarde clairement. Sa tenue évoque celle d’un fonctionnaire, cela semble correspondre.
« Vous êtes le Juge Xu Yang n’est-ce pas ? »
Il est étonné, et ne semble pas trop comprendre. Il s’agenouille devant moi.
« Vous pouvez me voir et m’entendre ? » dit-il, tout en pointant son doigt vers son visage.
Je souris légèrement, tâchant d’être rassurante.
« Oui. J’ai un don.
- Pourquoi suis-je coincé ici ?
- Vous n’arrivez probablement pas à trouver le repos. Les rites funéraires n’ont pas encore eu lieu.
- Qui m’a fait ça ?
- C’est ce que je cherche à savoir. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Racontez-moi ce qui s’est passé. »
Il se redresse un moment et croise les mains dans son dos.
« Vous êtes la seule à qui parler. Je n’ai pas le choix.
- Je suis avec votre collègue Lei Yang. Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je cherche votre assassin pour qu’il soit jugé.
- Soit. »
Il se concentre et semble réfléchir.
« Le moment de ma mort est très précis dans mon esprit. C’était le matin, tôt. Je voulais prendre l’air pour préparer l’interrogatoire d’un témoin dans mon affaire actuelle.
- L’affaire de corruption ?
- Oui. Je venais de franchir un cap dans l’enquête. L’argent et les ordres viennent de l’extérieur de la ville, ce n’est pas qu’une affaire locale, c’est plus grand que cela. »
Il m’intrigue. Une affaire de corruption qui prend une plus grande ampleur ? A ce stade, ce n’est plus suspect, c’est particulièrement inquiétant.
« Lorsque je suis sorti, ici, je n’ai pas eu le temps de voir l’ombre descendre devant moi et d’un coup sec m’attaqué. En une fraction de seconde, je suis tombé et j’ai perdu connaissance. J’étais incapable de bouger ou de crier.
- Vous vous rappelez du visage de l’assassin ?
- Il était masqué, je n’ai vu que ses yeux. C’est un Han, j’en suis sûr.
- Un détail pourrait aider à son identification ?
- Il n’était pas vieux. Aucune ride sur le visage. C’est tout ce que je peux vous donner, il était complètement en noir, encagoulé.
- Vous l’avez vu repartir par où ?
- Aucune idée, j’étais au sol. Peut-être par le toit ou il a escaladé le mur… »
Un assassin qui n’est pas vieux et un homme. Je sens que je vais devoir trouver d’autres preuves pour retrouver le coupable… Mais cependant on avance sur la piste d’un crime commandité : c’est probablement un mercenaire ou tueur professionnel. Car bondir d’un toit et égorger un homme d’un coup net, ça demande un entraînement particulier.
« Quel est le témoin que vous deviez voir ?
- Un prêtre du Temple Qingyang. Liang Chen Daoshi.
- Il est à la tête du réseau de corruption ?
- Non, absolument pas. Mais je crois qu’il détient des informations précieuses sur l’affaire. Il a refusé de me parler jusqu’à présent, mais peut-être qu’avec ma mort… Il changera d’avis. »
Un prêtre taoïste qui serait un témon d’une telle affaire ? C’est improbable. Les bouddhistes et les taoïstes ne se mêlent que rarement des affaires publiques. L’Empire n’aime pas qu’ils influencent trop les administrations, seuls leurs conseils et avis sont recherchés. Ce qui est d’autant plus suspicieux, c’est que par définition, les taoïstes sont toujours dans une position de retrait ou d’observation, c’est pourquoi ils sont rares à la Cour.
« Je vous laisse, Juge. Je vais continuer l’enquête, là où vous l’avez laissé.
- Qu’est-ce que je fais en attendant ?
- Attendez la fin des rites funéraires. Vous partirez pour un long voyage après cela.
- Je vous fais confiance. Que Justice soit rendue.
- Elle le sera. »
Je me redresse et abandonne la résidence, je rejoins Lei Yang à l’entrée, il attend déjà mon retour avec les porteurs. Je monte dans notre voiture, et je l’invite à faire de même.
« Où allons-nous ?
- Au Temple Qingyang, un témoin est là-bas. »
Nous nous mettons immédiatement en route. Le lieu de culte est une destination surprenante vu l’affaire. Le temple est dédié aux études du Dao. La Voie. En son sein, essentiellement des prêtres qui se vouent à leur discipline, en toute simplicité. Tels des ermites, ils se mêlent que très rarement aux affaires qui ne les concernent pas directement.
J’ai beaucoup appris des textes de Laozi. Le grand maître et fondateur de la philosophie taoïste. Beaucoup auraient à apprendre de lui. Grâce à lui, je pense avoir trouvé une piste de réflexion pour améliorer mes compétences en nécromancie, comme elle, le Dao cherche à la maîtrise des flux.
« Pourquoi allons-nous au Temple ? » demande l’enquêteur.
Question judicieuse.
« Le Juge l’avait déjà interrogé je crois, sans grands succès ? Le prêtre.
- Oui, comment le savez-vous ?
- Le Gouverneur ne m’a pas fait mander pour rien. Que savez-vous du prêtre ?
- Un homme dans la cinquantaine. Rien de particulier, il est né à Chengdu et a vécu la plupart de sa vie dans le temple. Le Juge pensait que c’était un témoin crucial. Mais il n’a jamais réussi à le faire parler.
- Nous allons essayer d’inverser cela.
- Vous avez une crainte particulière pour être aussi pressée de le rencontrer ?
- Les coupables cherchent peut-être à couvrir leurs traces et éliminer les témoins. Le Juge est assassiné, peut-être qu’ils veulent éliminer un témoin potentiel au passage.
- Mais tuer un Daoshi est…
- Scandaleux. Mais manifestement, les criminels n’ont peur de rien dans cette affaire. »
Le temple est dans le centre-ville aussi, nous arrivons donc assez rapidement. La grande inscription sur la devanture nous l’atteste formellement. Quelques fidèles entrent et sortent, au gré des prières et des vœux. Certains viennent de loin pour demander conseils aux prêtres de Laozi.
Contrairement aux autres philosophies Han, le Dao est très mystique. Ce qui fait que lorsque vous souhaitez avoir un talisman, un exorcisme, ou un objet pour vous protéger vous ou vos proches, votre maison, etc… C’est vers un Daoshi que vous devrez trouver. Cela explique donc leur assez grande popularité auprès de la population, malgré les années qui passent.
« Attendez-moi ici. Cachez-vous dans le petite ruelle à côté, je veux voir le Daoshi seule.
- Comme vous voudrez. »
Il reste avec les porteurs et se dirigent immédiatement dans la rue que j’ai indiquée, à côté du temple. Je me fonds dans le petit groupe de personnes qui rentre. Une fois à l’intérieur, je m’écarte un peu et je me dirige vers les jardins. Je suis déjà venue ici plusieurs fois, je commence à connaître un peu les lieux.
Dans les jardins, je croise un Daoshi que j’interpelle avec un grand sourire. Je l’ai coupé dans ses pensées, ce n’est pas très poli de ma part, je vous l’accorde.
« Excusez-moi Daoshi… Je cherche Liang Chen Daoshi, savez-vous où il est ?
- Il médite un peu plus loin dans les jardins, près du jasmin.
- Merci, Daoshi. »
Il reprend sa route, retournant à sa réflexion, tandis que moi je me dirige vers le fameux jasmin que je devine à quelques dizaines de mètres. Je passe le chemin d’autres promeneurs et voyageurs, et je trouve enfin l’homme que je crois rechercher.
Liang Chen semble être un homme d’un certain âge, habillé en prêtre, il est entrain de pratiquer du taiqiquan. Je crois que les femmes de Costa del Sol appellent cela « Tai Chi », elles sont obligées de faire une traduction phonétique du mot, c’est regrettable. Intellectuellement parlant, j’entends. Il est effectivement dans la force de l’âge, malgré tout, il a semble t-il encore des mouvements fluides et très précis. On peut ressentir sa concentration, son énergie, telle une aura autour de lui. Il a une fine moustache, autrefois noire, désormais légèrement grisonnante. Il n’est pas très grand et n’est pas bien gros, il a un regard profond avec des yeux sombres qui semble pétiller de vie : preuve en est que c’est quelqu’un de vif d’esprit.
Je n’ose l’interrompre dans sa méditation. En signe de respect, je m’agenouille sur la pierre et le regarde avec attention, captiver par sa pratique et ses mouvements parfois assez impressionnants il faut le dire.
J’en profite pour regarder un peu tout autour de nous. Il n’y a pas beaucoup de gens et a priori je ne remarque personne qui nous épie en secret… Ou alors je ne vois rien, ce qui est aussi possible. Les toits sont dégagés, les arbres ne semblent pas pouvoir cacher quelque chose, pas de civils qui tourneraient un peu trop dans notre secteur … Non, a priori, rien d’alarmant.
Après une bonne vingtaine de minutes, le prêtre s’arrête enfin et s’incline pour me saluer, très poliment.
« Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre, mais il n’est pas bon d’arrêter ses exercices lorsque nous les avons commencés. Que puis-je pour vous Madame ?
- Je vous en prie, Daoshi. En fait, j’aimerais m’entretenir avec vous.
- Ah ? Hé bien soit, marchons ensemble alors. »
Nous débutons ainsi un petit tour du parc, j'en profite pour me présenter à lui, discutant de quelques textes anciens et de quelques phrases célèbres du Dao, pour éviter de passer pour une ignorante complète, ce que je ne suis clairement pas en ce domaine.
« Dites-moi, qu’est-ce qui vous a fait venir à moi aujourd’hui ?
- Un homme aussi sage que vous devriez déjà savoir.
- Vous avez été « recommandé » par quelqu’un ?
- En quelque sorte. »
Nous continuons à faire quelques pas, avec une allure plus lente et la voix moins forte.
« Le Juge Xu Yang a été assassiné chez lui, le lendemain de la Fête de la Lune.
- C’est absolument effrayant. Osez commettre un tel geste pendant une fête de cette importance est tout simplement une insulte à nos croyances. » dit-il, impassible.
Cependant, sa réaction me laisse supposer qu’il était déjà au courant du meurtre. Malgré l’impassibilité qui caractérise souvent les prêtres taoïstes, ici, l’homme a eu l’air à peine ébranlé, voir pas du tout.
« Comment avez-vous appris ?
- Je l’ai senti. J’ai senti que l’étau se resserrait sur lui.
- Pourquoi avoir refusé de lui parler plus tôt ?
- Nous autres taoïstes, nous n’aimons intervenir dans les jeux politiques. J’ai cru qu’en ne parlant pas, il explorerait d’autres pistes et trouverait d’autres moyens d’accuser les coupables mais j’ai manifestement sous-estimé la folie de ces derniers.
- Vous connaissez l’identité des commanditaires du meurtre ?
- Non. J’ai des doutes bien sûr sur certaines personnes. Mais des preuves ? Aucune. Quelle est votre implication dans cette affaire ?
- J’ai été mandaté par le gouverneur pour trouver l’assassin du Juge Yang.
- Ah ! »
Il s’interrompt momentanément et se tourne vers moi pour me saluer d’une manière plus respectable, digne des nobles. Je lui dis de rapidement de se redresser.
« Je ne suis qu’une Vicomtesse de troisième rang, vous n’êtes pas obligé d’être si protocolaire avec moi vous savez. »
Nous marquons un arrêt à côté d’un prunier.
« Je vais vous dire ce que je sais. Il y a dans cette ville, des personnes de l’extérieur qui cherchent à manipuler des fonctionnaires et des personnalités locales pour placer leurs pions dans la province. Chengdu est une cible privilégiée car c’est une ville moyenne. C’est plus facile d’y prendre le contrôle qu’à Chongqing par exemple.
- C’est certain.
- Je pense qu’ils veulent s’en prendre à ceux qui ne peuvent les rejoindre, par conviction ou honneur, et continuer d’argumenter avec les hésitants ou de corrompre ceux qui sont trop avares. Le Juge est un signal. Un avertissement pour ceux qui auraient des doutes envers leur capacité d’action.
- Et, pardonnez-moi ma désinvolture, mais comment savez-vous tout cela ?
- C’est très simple. »
Il marque une pause et tourne sa tête vers moi.
« Ils ont essayé de me recruter, j’ai refusé. »
Un daoshi très honnête, dites-moi. Cependant ce qu’il décrit est très inquiétant, il va falloir vite agir.
« Pourquoi ? Si ce n’est pas indiscret.
- Il est hors de question que je trahisse le Dao pour une quelconque secte d’intriguants. Vous devez frapper fort sur cette enquête pour effrayer leur soutien et montrer que la ville est à l’Empire, et à personne d’autre.
- Je devine que vous ne souhaitez pas m’aider directement en disant cela.
- Je ne suis qu’un vieux prêtre taoïste. Je peux déjà aider en évitant que des membres de notre organisation en tombe entre leurs mains. Le Temple sera toujours sûr pour vous, en cas de besoin. Le Dao doit être suivi par nous tous, ses plus fidèles serviteurs.
- Merci de votre assistance, Daoshi. Avez-vous une idée des commanditaires ? De leurs identités ?
- Non. Mais il y a une chose qui m’intrigue depuis quelques jours. »
Je vois qu’il semble réfléchir. Il porte sa main et fait tournoyer sa longue moustache autour de ses doigts.
« Il y a un homme mort, récemment. Comment a été tué le Juge ?
- Hum… Égorgé.
- Quelle horreur… »
Il semble plus dégouté que choqué.
« Une famille nous a porté le corps d’un de ses membres, décédé de la même manière. La garde enquête mais de ce que j’ai entendu de la mère de la victime, ils n’ont toujours pas trouvé le responsable. Peut-être… Peut-être y a-t-il un lien entre les deux affaires ?
- Le mode opératoire est effectivement le même. Vous rappelez-vous le nom du jeune mort ?
- Luo Ju. Un fils de marchand, sans histoires d’après les parents. Décédé quelques jours avant la fête de la mi-automne.
- Merci. Je me renseignerai sur cette affaire en parallèle.
- Trouvez l’assassin. Montrez que Chengdu ne leur donnera rien. Qui que ce soit, ces personnes au cœur noir n’apporteront rien de bon.
- Je suis bien d’accord avec vous. Cependant, j’ai une question pour vous.
- Je vous écoute. »
Je me tourne vers lui, pour lui faire face. Je récite quelques lignes d’un texte taoïste.
« L’univers n’a point d’affections humaines ;
toutes les choses du monde lui sont comme chien de paille.
Le saint n’a point d’affections humaines ;
Le peuple lui est comme chien de paille.
L’univers est pareil à un soufflet de forge ;
Vide, il n’est point aplati.
Plus on le meut, plus il exhale,
Plus on en parle, moins on le saisit,
Mieux vaut s’insérer en lui.
Si je suis votre logique, vous parlez du bien commun, mais les taoïstes se préoccupent rarement des petites gens. Pourquoi vous en souciez Daoshi ? » demandé-je, sans aucune hostilité, c’était une question purement philosophique.
Il sourit un instant et dit :
« Qui cherche à façonner le monde,
je vois, n’y réussira pas.
Le monde, vase spirituel, ne peut être façonné.
Qui le façonne le détruira.
Qui le tient le perdra.
Cette secte cherche à façonner notre monde. Ils échoueront. Mais pour cela, vous devez les pousser à échouer. Arrêtez cette cabale néfaste et la paix reviendra. »
Sur ces mots, je m’incline respectueusement devant lui, tandis qu’il fait de même. Je crois qu’il a apprécié notre discussion. Je le quitte ici, retournant à l’extérieur pour rejoindre l’officier qui doit m’attendre depuis un petit moment dans la rue.
Cette rencontre m’a apporté beaucoup d’informations et une piste intéressante.
« Vous avez pu apprendre quelque chose ? Vous êtes restée longtemps à l’intérieur.
- Oui, de nombreuses choses. Mettons-nous en route. »
Je monte dans ma voiture et nous voilà parti pour mon manoir.
« Vous rentrez déjà ?
- Je dois réfléchir à l’enquête. J’ai une mission pour vous d’ailleurs.
- Ah ?
- L’affaire Luo Ju, ça vous dit quelque chose ?
- Oui, en effet.
- Il se peut qu’il y ait un lien avec le Juge. Avez-vous retrouvé des indices sur cette scène de crime ?
- Je n’étais pas chargé de l’enquête, mais je peux me renseigner.
- Sortez moi tout ce qui a été trouvé, nous ferons le point demain matin, à l’aube.
- Entendu. »
J’arrête le transport brutalement. Je lui indique que c’est le moment de me quitter, il descend puis me salue en s’inclinant avant de m’observer partir.
« A demain, Songzi Huayan.
- Travaillez bien, je vous prie. A demain. »
Je reprends ma route, les porteurs avançant à un rythme soutenu.
L’assassin n’a pas laissé d’indices sur le lieu du crime contre le Juge, c’était un homme important. Il a dû préparer avec beaucoup de minutie. Mais un fils de marchand ? Il a certainement laissé quelque chose derrière lui. On prépare un combat avec beaucoup d’attention lorsque nous ne sommes pas sûrs de son issue. L’échec réside de ne pas en faire de même lors des conflits que l’on pense remporter à coup sûr.
Une fois arrivée chez moi, je salue Noah qui s’amuse à courir après des papillons. Il faut vraiment que Xupeng lui trouve un éducateur rapidement. Courir après les insectes, ce n’est pas ce qui va le faire progresser. Sans compter le maître d’armes… Quoiqu’à ce sujet, je crois avoir entendu l’eunuque auditionner des candidats. De ce que j’ai compris, beaucoup de voyageurs chinois en provenance de l’extrême sud et qui souhaitent s’installer à Chengdu. Je crois même qu’au vu du fort accent de l’un d’entre eux, l’un doit venir de l’île de Hainan.
J’y pense. Je devais faire quelque chose avec Francis aujourd’hui. Après une recherche pas très compliquée je le retrouve dans la cuisine du manoir.
« C’est pas ce que vous croyez Madame Song. » sera sa réponse.
Nous prenons deux chevaux et nous partons à l’extérieur de la ville. Après une petite chevauchée nous arrivons à l’emplacement où j’ai dissimulé mon vaisseau. Nous attachons les rennes à un arbre et je fais le point avec mon pilote fétiche.
« Est-ce qu’il y a un moyen de rendre l’appareil moins… Identifiable ?
- Bah déjà on peut changer son signalement. Genre, j’peux vous rayez le nom et changer la peinture. Mais si vous passez par un astroport de la Shinra, les identifiants que vous devrez donner sont les mêmes donc…
- Il y a une solution pour palier à cela ?
- Ouais, mais c’est pas légal. »
Il croise les bras, souriant. Quand Francis sourit en croisant les bras, c’est que dans un premier temps, ce n’est pas une tâche facile et dans un second temps, cela veut dire qu’il y a au moins une ou deux filles dénudées dans son plan.
« J’écoute.
- On peut récupérer les identifiants d’un appareil ayant le même modèle que vous.
- Les identifiants changent, mais si je n’ai pas un papier pour prouver l’identité de la personne reliée à ses informations, comment fait-on ?
- Pour ça que c’est pas légal. On peut aller au marché noir d’Illusiopolis et trouver des faussaires qui feront les faux papiers et les autres identifiants.
- Cela va me coûter combien en somme ?
- Ça dépend. Si on force un peu les négociations, on peut s’en tirer pour pas trop chère, héhé. »
Hum. Une descente à Illusiopolis. Cette ville est d’un lassant. Je me demande si un jour, cet endroit connaîtra la paix. Il faudrait purger peut-être la moitié du monde pour cela, tant les gens sont corrompus. Quand on pense qu’un monde comme le Palais des Rêves a subitement disparu tandis que le vice d’Illusiopolis perdure encore… Il n’y a décidément pas beaucoup de Justice sur les Routes Stellaires. Tant de vies qui disparaissent soudainement, c’est une véritable tragédie.
« Va pour Illusiopolis alors. Vous ferez la peinture là-bas, en attendant rayer moi le nom de l’appareil, je vais voir à l’intérieur pour vérifier l’état des systèmes.
- Ok chef ! »
J’ouvre le vaisseau et me dirige vers le poste de pilotage pour vérifier si tout est en ordre. Carburant, radar, état des réacteurs… Poussière. Je vois que les dernières volontés de DeWitt ont laissé de petites cendres au sol, je les disperse du mieux que je peux pour que cela ne fasse plus un vilain tas à côté de mon siège.
Soudain, j’entends comme un battement d’ailes, je me rends compte qu’il y a deux corbeaux qui ont élu domiciles dans mon transport personnel. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? L’un d’eux vient de se réveiller et me regarde avec intention, tandis qu’il donne rapidement des coups de serre à l’autre pour qu’il se redresse.