L'idée même du voyage l'avait empli d'une joie qu'il ne comprit pas. Peut-être parce que, comme la plupart de ce qu'il pouvait ressentir, la joie lui était un mystère complet. Sauron avait la nette tendance a accueillir un sentiment avec curiosité ; c'était comme s'il l'écoutait comme un invité très spécial. Avec un recul ; ainsi le sentait-il sans le ressentir. Il ne voyait pas ne l'entendait pas. Il y avait un point commun à toutes ces sensations ; l'incompréhension. Pour poser des mots vulgaires sur ce qu'il pouvait bien ressentir c'était qu'il les saluait de la main lorsqu'il les voyait passer, tout simplement. Cela restait même expliqué ainsi, bien trop nébuleux pour que les Consuls le comprennent.

Les préparatifs du festival battaient leur plein alors que le vaisseau gummi quittait les dômes aérés de la gare du Jardin Radieux. Le soleil brillait haut dans le ciel car il n'était pas encore plus de midi. Presque, cependant. Il avait tout de même fallu à Sauron de l'aube au zénith pour terminer les préparatifs de son départ. Lui qui les avait commencés quelques jours auparavant, il avait eu le plaisir de s'émerveiller a la désorganisation des Consuls et de leurs sous-fifres. De leurs... quel était le mot qu'ils utilisaient ; employés ? Il disait Consuls, pour faire court, mais l'idée d'employer un terme qui n'était pas propre à ce qu'il voulait qualifier l'irritait. Là encore, dans son flegme, il regardait ce sentiment de loin. Curieux. Nonchalant. Il le regardait comme maintenant, il regardait les toits illuminés s'éloigner. Et bientôt, l'espace. La fine atmosphère qui s'affadissait, disparaissait dans la noirceur du vide spatial.

Constellé d'un millier d'étoiles, l'espace étendait ses voiles éthérées autour du vaisseau qui progressait. Il n'y avait plus aucune sensation, dans l'espace. Aussi les tremblements du moteur et la pression de l'air sur la coque était nulle ; on entendait la rumeur des conversation des passagers dans l'habitacle et le bruit de l'air conditionné. Dehors, l'air était froid, glacial. A l'intérieur, il était convenable, mais le Stratège n'irait pas jusqu'à le qualifier de plaisant. Il avait entendu que le temps était clément à la Terre des Dragons, tout comme sur tous les mondes des Cités Dorées en ce jour, comme cela n'arrivait que peu. Un jour des plus propices. Il serait parti même sous un ouragan, de toutes manières.

Posé sur ses genoux, il y avait trois livres. Plus précisément, il y avait deux livres et un rouleau de parchemin des plus longs. Les livres, eux, étaient lourds et reliés de cuir. Contenants majoritairement des plans et des renseignements sur la Grande Muraille, son lieu de travail pour les prochains jours de toute évidence. Le trajet en lui-même ne serait pas des plus longs ; les lignes reliant les Cités Dorées étaient très utilisées et, de ce fait, fort régulières et fiables. Les routes étaient dégagées, pas de retard. Tout allait bien.

La Grande Muraille était longue de plusieurs milliers de kilomètres ; elle était en réalité construite de plusieurs tronçons s'étendant sur plusieurs états, tous réunis sous la contrôle de l'Empereur. Elle séparait les terres civilisé »es des steppes où les Huns rôdaient. C'était en quelques lignes le résumé de toute l'affaire. La mission de Sauron ? Renforcer ses défenses, là encore, en quelques mots. C'était un résumé bien court pour une affaire qu'il savait allait être de longue haleine. Heureusement, le Consul n'avait que peu d'affaires à emporter. Par ailleurs, il employait le mot Consul en sa qualité d'envoyé du Consulat, ce qui n'avait aucun rapport à sa qualité de héraut d'un quelconque art, ce qu'il n'avait aucunement. Il était envoyé là bas pour ses qualité de stratège, mais jamais il ne pouvait aller se prétendre être un Ulysse ou un Sun Tzu.

Le fait était qu'il ne se considérait pas comme étant comparable à l'un ou a l'autre. Il était lui-même. Peut importe ce qu'il fut ; il ne leur était pas égal, il les dépassait. Leur étant postérieur, leur étant plus savant, il concentrait, comme chaque héritier d'un savoir, ses qualités de puîné. Comme les Consuls rassemblaient les arts de leurs ancêtres pour les magnifier, lui pouvait a loisir puiser dans les références de ses prédécesseurs pour imaginer son travail, pour imaginer ce qui serait nécessaire pour son œuvre et sa mission.

Sans même parler de ça, il avait hâte de pouvoir donner ses directive et peindre ne serais-ce qu'une petite partie d'un monde de sa couleur. Pour l'instant, le carmin du Consulat lui convenait parfaitement. C'était une vie tacite, entre deux étapes mais dont il allait devoir s'acquitter encore quelques temps. Il espérait que Genesis serait – cette fois, des plus satisfaits de son œuvre. Ses prestations précédentes avaient étés décevantes et, même si Rhapsodos n'avait que peu en commun avec Melkor, il était plaisant de le contenter. Ce n'était que temporaire et ça, c'était d'autant plus plaisant.

Le vaisseau atterrit sur une grande place ; Sauron se rendit vite compte que la mission prenait une ancre dans la réalité au moment où il en sortait. Son visage fut assailli d'un part un vent puissant, chargé de sel et d'odeurs marines. On vint le chercher rapidement, ce ne fut que l'affaire de minutes alors où il put détailler les alentours. La mer, grise, s'étendait sous un ciel fit de nuage d'acier. La muraille, lieu de sa mission, se terminait, abrupte, là où commençait l'océan.

C'était des plus étranges que de voir l'extrémité d'un édifice dont il n'avait qu'entendu parler de la longueur.  C'était incongru, même, comment le mur de pierre de taille surmonté d'une allée bordée de créneaux stoppait net. Une portion de son imposante forme battue par les vagues. Déjà, Sauron pouvait en détailler les bases. Il avait vu, depuis le vaisseau, une épaisseur de plusieurs mètres ; il ne savait pas précisément. Ses chiffres lui disaient que par endroits, elle était épaisse de cinq mètres. Proche de ses estimations. La hauteur était presque idoine, sept mètres par endroits. Des tours de guets étaient éparpillées, chacun à une distance proche. Logique, intelligent, même basique étaient les mots qui lui venaient à l'esprit. Oh c'était une muraille.

Mais une muraille qui forçait le respect. Car longue de six mille kilomètres tout de même.

Son guide arriva bientôt ; se présenta comme Hong Sui-Wen, diplomate, historien par loisir et intendant par profession. « Nous sommes ravis de voir le Consulat ici. » avait-il dit, joignant ses mains dans un salut des plus traditionnels quoiqu'un peu raide dans son inclinaison. « Qinhuangdao est fière de vous accueillir, Général... ?»

« Sauron. » lui répondit le sans-cœur, complétant son nom d'un sourire placide. « Cela suffira amplement j'imagine. »

L'intendant ne s'enquit pas d'avantages de titres et de notions ; sa visite avait été prévue depuis quelques semaines déjà. Qinhuandao, la ville où commençait la Grande Muraille n'était que le premier arrêt de Sauron à la Terre des Dragons. Son chemin était parsemés d'autres villes, camps et territoires, tous limitrophes de cette construction. Il allait bientôt la voir sous tous ses états, sous toutes ses formes. « Je vois que votre muraille est en très bon état, monsieur l'intendant. »

Quelque peu râblé mais vif et alerte, Sui-Wen hoche la tête, mains jointes, sourire aux lèvres. « Le port de la ville fournit un revenu des plus excellents, nous entretenons l'édifice aussi souvent que faire se peut, Général. » « Très bien. Des Huns en vue, dernièrement ? »

Les deux hommes s'avançaient dans les rues de la ville ; animées comme il se devait en ce début d'après-midi, maintenant que le soleil commençait à lentement décliner. L'air était frais ; bien plus qu'au Jardin Radieux. Le vent s'insinuait dans les ruelles propres et dallées, sifflait contre les murs peints et les tuiles aux couleurs chaudes. La ville était couverte de ce ciel tempétueux présageant pluie et peut-être même orage, si cela continuait. Les cheveux du Dynaste étaient balayés par les vents ; lui qui ne les avait attachés que pour les tenir hors de son visage avec une attache dorée qui les laissait tout de même libres dans son dos. Sui-Wen portait les siens, d'un noir des lus impressionnants, attachés au sommet de son crâne. Il avait un style des plus sobres, Sauron pouvait en juger par comparaison avec les quelques habitants de la ville qu'il pouvait voir. Des tenues bigarrées, de longues robes, des cheveux attachés hauts et ornementés. La Chine était un pays ou la mode était spéciale, spécialement belle pouvait-il dire. Il la trouvait très agréable.

« Oh, non, pas aussi près du rivage. Nous n'en avons pas vu depuis quelques décennies et ce n'est pas quelque chose que nous regrettons ! » plaisanta l'intendant.

Oh.

Pendant un moment, Sauron ne répondit pas. Il hocha la tête alors qu'ils progressaient ensemble vers la Muraille, dans laquelle ils entrèrent par une lourde porte de bois massif gardée par deux soldats en uniforme. « En soi, c'est une bonne chose. » finit-il par répondre. C'en était une, il était vrai. Mais ce n'était pas pour arranger ses affaires.

« Je vais vous faire visiter. Le commandant de la garnison attend votre venue pour quinze heures, nous avons largement le temps de faire un petit tour du propriétaire avant de retourner a l'intérieur et de boire un thé, voulez-vous ? 
Je vous suis. Et je vous prie d'ailleurs de ne m'épargner aucun détail quant aux infrastructures présentes. »

Sui-Wen s'exécuta ; il gravit un escalier, suivi de près par Sauron. Ce dernier écoutait plus qu'il ne parlait alors que l'intendant détaillait les quelques étages qu'ils avaient parcourus. L'intérieur de la muraille n'était pas entièrement plein, comme il aurait pu le croire, spécialement près des villes. Ainsi, à l'endroit de l'un des forts, on pouvait voir que l'intérieur de la muraille abritait un centre administratif. Sur deux des étages, les deux suivants étaient remplis de ballots et contenants divers. « L'administration de la muraille ? » s'enquit le Consul.

« Nous administrons une partie des effectifs ici. C'est plus simple de le faire en un endroit mais la force de travail est si étendue que nous avons du la répartir entre plusieurs des postes. Nous nous partageons la tâche avec la Citadelle principale de la Province du Henan. 
- Je vois. C'est un point que l'on pourrait considérer comme névralgique, si je ne m'abuse ? 
Oh non, nous amassons certes un tas important de papiers mais en aucun cas nous ne pouvons prétendre à une quelconque importance. Nous allons passer aux infrastructures. Le Commandant voulait s'entretenir avec vous à ce sujet par ailleurs, vous verrez ceci plus en détail. Déjà, on peut voir la base des mécanismes des fanaux juste ici. »

Sui-Wen lui expliquait que chaque tour était équipée d'un fanal qui pouvait signaler un problème aux tours avoisinantes, envoyant ainsi un message le long de la Muraille, avertissant les autres soldats en postes, les villages avoisinants ainsi que les autorités de l'intérieur du pays. Tout le monde, en quelque sorte. C'était un système des plus primitifs mes efficaces.

« Des moyens de défense en cas d'attaque ? »

Ils étaient arrivés a l'extérieur, au sommet de la muraille. Déambulant tranquillement le long du chemin, Sauron pouvait voir l'autre côté de la muraille ; les terres qui s'étendaient au dehors de la Chine. Les territoires inconnus, les steppes. Ce n'était pour l'instant qu'un paysage côtier quelque peu désolé partiellement recouvert d'algues et d'herbes foncées. Il n'y avait rien de ce côté là de la muraille. La mer charriait de l'écume qui venait paresseusement glisser sur le sable de couleur fade. Quelques oiseaux marins hantaient la crête des vagues, au loin. « Nous avons les fanaux, Général. »

Sauron fronça les sourcils. « Des moyens de défense, Hong. »

Interloqué, l'intendant leva vers lui une paie d'yeux ronds comme des billes, cernés de longs cils noirs. Le sans-cœur précisa ses dires. « Des balistes, des éclaireurs qui puissent patrouiller plus avant dans les territoires. Et une digue, peut-être ? Qui peut entrer dans vos eaux territoriales ? Jusqu'où s'étendent-elles ? Vous ne m'avez pas parlé de cette partie de votre muraille, qui est inexistante. »

Sauron n'avait pas levé la voix en disant cela. Il n'y avait pas pensé, mais la situation était réellement cocasse. Une ville prospère, un centre administratif. Une région en paix qui possédait une défense tout a fait obsolète.

« Les spécificités de ces défenses sont entre les mains du commandant, je le crains. »
« Bien. » répondit Sauron, presque immédiatement. « Il me semble que notre visite approche de sa fin, alors, il est temps de servir le thé et de parler de ce qui ne va pas. »

Hong Sui-Wen passait par tous les états. De l'interrogation d'abord il était passé par le dérangement et l'angoisse. « Je vous assure que notre édifice est des plus irréprochables ! Mais nous feront de notre mieux pour l'améliorer, Général ! »

Là, Sauron haussa un sourcil. Il n'y avait pas de problème majeur. Le pire était évité en ce moment-même, s'il était possible de le dire. Il n'y avait pas eu d'attaque ; les défenses catastrophiques étaient efficaces contre leurs ennemis inexistants. « Le Commandant ne sera pas libre avant quinze heures, je vous l'ai dit - »

« Qu'à cela ne tienne. Je possède le libre-passage sur cette Muraille, je vous prierai donc de me laisser l'explorer à mon bon vouloir jusqu'à l'heure voulue. Je vous suis reconnaissant quant à vos explications. »

Un signe de tête entendu et il était déjà parti. Il ne restait que peu de temps mais il lui fallut déjà quelques secondes – quelques secondes de trop, pour se défausser de l'intendant qui se confondait en excuses et annonçait dores et déjà que sa forteresse deviendrait des plus irréprochables. Son long manteau flottant au gré de la brise insistante, le sans-cœur s'en retourna vers le poste de gardes le plus proche.  

La ville s'étendait progressivement ; d'abord des petites maisonnées éparses au bord du rivage, puis plus loin vers les terres les bâtiments grossissaient comme des champignons, les habitants se densifiaient. Le tout finissait en un arc-en-ciel de toits aux couleurs chamarrées qui rivalisaient en ingéniosité ainsi qu'en originalité. L'un portait quatre dragons a chacun de ses angles. L'autre, une pagode aux multiples étages, arborait un arrangement complexe de tuiles noires étincelantes. Même si la lumière du soleil n'était pas clémente ce jour-là, Sauron pouvait observer une veste palette de couleurs. La muraille, elle, restait sobre. De la pierre claire, humide et parfois noircie et verdie par l'humidité de ce bord de mer. La pierre était massive ; il avait retenu de ses précis d'architecture que le mortier soutenait des pierres faites de terre de la région. Il semblait que, par précaution, l'endroit avait utilisé quelque chose de moins friable. La mer avait beau être relativement calme – comme le sans-cœur pouvait en juger par les vagues faibles même en une journée houleuse, le sel et le remous constant avait le pouvoir d'éroder toute construction. Il faudrait y porter un intérêt supplémentaire. Petit à petit, il étayait sa thèse, celle qu'il allait exposer au fameux commandant qu'il attendait vivement de rencontrer. La position de ce pan de mur perdu près d'une mer calme près d'un port marchand avait tout d'un talon d'Achille. Il avait bien fait de venir ici, songeait-il.

La petite tour de garde était un carré de pierre haut d'une quinzaine de mètres. Comme toutes ses semblables, elle était séparée de sa consœur de soixante-quinze mètres – a peu près, les mesures impériales n'étaient pas encore une science exacte pour lui. Un toit de pierre aux murs crénelés permettait aux gardes d'avoir une vue a trois-cent soixante degrés autour de la muraille. On voyait ainsi la construction qui s'étendait, comme naissant, jaillissant de l'océan pour s'en aller serpenter au milieu des collines basses de la Terre des Dragons. D'un côté la Chine, terre civilisée et centre de ce monde, de l'autre les Steppes, régies par les hordes des Huns et des cavaliers mongols tant redoutés. Un ennemi invisible contre lequel il fallait se défendre. Sauron n'avait pas assez lu sur ces énergumènes pour leur donner un visage, une forme tangible. Pas encore, du moins. Et il était loin d'en avoir rencontré un pour l'instant. Peut-être y en avait-il au Consulat ?

L'étoile rouge qui marquait son appartenance au Consulat était connue des soldats de l'Empire. Aussi il lui fut facile d'accéder a l'intérieur de la tourelle pour avoir un regard silencieux et, parfois, une conversation ténue avec les soldats. Il ne comprenait pas nécessairement tout ce qu'ils disaient tant leurs accents étaient différents de ce a quoi il s'attendait. Des enfants du pays ; il éprouvait de l'intérêt à leur égard. Il observait leur équipement, leurs armures. Il y en avait peu qui ne portaient pas un attirail complet malgré leur oisiveté. Ils étaient disciplinés, respectueux et travailleurs. Sauron en jugeait du peu qu'il pouvait le voir. C'était un bon point, un très bon point même. La plupart d'entre-eux étaient jeunes, en bonne santé. De bons soldats.

Il ne s'attarda pas ; continuant sa visite et descendant par une porte débouchant au pied de la muraille, côté chinois. Il n'y avait pas d'accès de l'autre côté, aussi avait-il pu en juger. Une autre porte de bois massif, fermant le chemin vers une trouée de pierre a la voûte solide qui menait à l'intérieur de la muraille par un petit escalier étriqué mais stable et bien taillé. La muraille était bien conçue. Les énormes pierres de sa base s'enfonçaient profondément dans le sol ; aussi pouvait-il en juger par la forme-même du bâtiment qui se campait sur des fondations solides. Un autre bon point. Elle semblait exister depuis une éternité et pourrait tenir plus longtemps encore. Peut-être pouvait-elle, comme les murailles d'Utumno ou d'Angband, survivre à ses habitants, à ses bâtiment, à la vie et le travail de l'intérieur des terres. Elle ne pouvait pas sciemment être envahie par les sables, recouvertes par la mer. Pas intentionnellement devenir une quelconque Citadelle oubliée dont les pierres seraient réutilisées par une civilisation la suivant. C'était un rêve qu'il souhaitait platement à cette construction pendant qu'il songeait au meilleur moyen de se l'approprier. Pourquoi la détruire ? L'investir était quelque chose des plus tentants. Mais il n'avait cure de ce monde. A quoi bon obtenir un bâtiment voué a la défense d'un territoire qui ne lui apporterait rien ? Il pouvait toujours s'atteler à la recherche de métaux dans la terre. A la création de son armée. A la prolifération de créatures de son cru.

« Général ! »

Une fois qu'il connaissait le sortit de sa rêverie. Si tant était que les créatures de son genre pouvaient s'adonner à ce genre de plaisir. Il ne se retourna pas car il savait retrouver derrière-lui la forme ramassée de Hong Sui-Wen, l'intendant local.

« Oui, Hong ? » lui demanda-t-il, le regard abîmé dans le paysage presque lunaire des terres qui s'étendaient au delà de la muraille.

« L'heure approche ; je ne vous voyais pas revenir aussi me suis-je assuré de vous retrouver. 
Ne vous inquiétez pas, j’attends ce rendez-vous avec impatience et il me serait très dommageable de le manquer. »

Il y avait un sourire sur ses lèvres. Mains gantées jointes, il se retourna finalement afin de suivre l'intendant. Il fallut rejoindre l'endroit d'où ils avaient commencé la visite. Le commandant siégeait et travaillait dans sa muraille. Un bon point là encore. Ce dernier les attendait dans au sommet de l'une des tours de garde dans une pièce spacieuse, meublée de manière spartiate avec quelques meubles de bois vernis de couleur sombre ainsi que des tentures et des armoires chargées de documents. Il y avait une table très basse. Des motifs carrés se répétaient, aimablement entremêlés dans un rythme ordonné. Le tout était très seyant et fort sobre pour un bureau de militaire. Il allait de pair avec un jeune officier en armure ; le commandant qui les attendait.

« Bienvenue, Général Sauron. J'espère que votre visite a été des plus enrichissantes. » dit-il. « Commandant Zhao Qin, ravi de voir un Consul dans une région aussi reculée. »

Son sourire était franc et son salut respectueux. Sauron ne se départissait pas de sa surprise. Pour un officier supérieur, cet homme état jeune. L'armure ornementée qu'il portait ainsi que ses cheveux attachés de la même manière que Hong ne faisaient que trahir un jeune homme qui dépassait à grand-peine le quart de siècle. Sauron le fixait ainsi en s'inclinant respectueusement, imitant presque ce salut que les chinois semblaient prompts à faire. Il baissa les yeux mais les braqua rapidement de nouveau sur le jeune commandant. « Votre Muraille est des plus impressionnantes, je dois admettre que les images et les détails sur ses spécificités ne lui font pas justice, loin de là. »

Un franc sourire répondit à celui, plus discret, du Consul. Cet homme ne semblait pas décontenancé par l'air relativement lugubre du sans-cœur, yeux oranges et tenue noire habituels de sa personne. Ces détails étaient habituellement prompts à susciter de l'hésitation chez ses interlocuteurs. « Je vous remercie. J'imagine que notre ami Hong vous a expliqué les choses les plus importantes sur notre portion de la muraille, n'est-ce pas ? » Un hochement de tête affirmatif de la part de l'intendant. « Bien, bien. Le temps est des plus maussades, mais la saison est bien avancée, nous pouvons nous estimer heureux que l'air marin adoucisse les températures. Je vous en prie asseyez-vous, j'ai ordonné que du thé nous soit amené. »

« Une attention très appréciée. » répondit Sauron, un pâle sourire toujours présent sur son visage. « Êtes-vous en poste ici depuis longtemps ? »

La question évoquait une réponse logique, selon Sauron. Ce dirigeant si jeune ne pouvait pas être resté très longtemps ici.

« Je suis arrivé il y a deux ans, à vrai-dire. » répondit le commandant Zhao Qin. « Mon oncle dirigeait cette garnison jusqu'à lors, il a été nommé à un poste de Lieutenant Général sur le mur de Liaodong, à l'ouest. J'étais pressenti pour reprendre son poste, aussi, me voilà. »

C'était logique, mais tout sauf militaire. « Vous lui avez succédé au poste de commandant ? » un haussement de sourcil ponctua la phrase du Consul. « Une tradition propre à la Terre des Dragons ? »

Il fut répondu par un sourire, de prime d'abord. « Ah ça, je ne saurais pas vous dire. Mais la succession est traditionnellement donnée ainsi, j'ai un fils de deux ans et j'espère qu'un jour il me succédera. Mon oncle n'a eu que des filles. Il devra passer les concours nécessaires évidemment, mais j'ai confiance. »

Du népotisme, donc. Traditionnel. Effroyablement illogique. Même si, das ce cas précis, Zhao Qin semblait être un jeune homme instruit et propre sur lui. Il s'exprimait clairement, avait le port fier et le sourire facile avec un visage très plaisant. La loterie qu'était la génétique aurait pu tourner en sa défaveur. Mais là encore, Sauron n'osait que préjuger des us et coutumes de cette terre ; y avait-il quelques membres de la même famille s'entrecroisant dans sa lignée ? Ou bien y avait-il une quelconque sélection au niveau de qui pouvait se lier avec untel ou un autre ? Sauron se demandait, mais il n'allait pas poser la question. C'était quelque chose qu'il avait encore à découvrir, mais en aurait-il le temps ? Il ne resterait pas longtemps dans cette charmante ville.

« Il va sans dire que la ville se porte bien et semble en paix.  annonça le Consul de but en blanc alors que le thé arrivait.
- Oui, Le mérite revient a une excellente administration et un revenu stable. 
- Il serait cependant nécessaire de ne pas laisser vos installations défensives prendre la poussière. Force est de constater que votre muraille est en excellent état, mais il serait fort malvenu que les Huns se... pardonnez-moi de l'idée vulgaire, que les Huns se mettent à la navigation et contournent votre superbe édifice. Qui serait là pour les arrêter ? Une jonque allouée au commerce ? »

Sauron n'avait pas dans l'idée de de brusquer le Commandant Zhao. Il cherchait tout de même a rester direct, à ne pas s'éloigner du sujet. Ce dernier fronça les sourcils.

« Je ne pense pas voir ceci de mon vivant, monsieur le Consul. L'idée est plutôt amusante, je dois même dire. »

Zhao Qin souriait en buvant une gorgée de thé. Il semblait impassible à ce que Sauron disait. « L'idée peut vous paraître saugrenue mais sachez que vous avez une voie royale qui n'attend que d'être exploitée par vos ennemis. Mais je pense qu'il suffirait d'une armée assez complète pour vous faire trembler. Vous avez une muraille et les Huns ont peur de l'eau ; mais ont-ils peur de venir prendre vos murs d'assaut, vous qui n'avez qu'un système de fanaux pour prévenir les tours voisines ? Combien de temps faut-il pour avertir la garnison la plus proche ? 
- Seriez-vous en train de sous-estimer la force de nos soldats, Général ? Ils sont entraînés, et ce aussi bien que n'importe quel autre soldat de l'Empire.
- Oh je ne les sous-estime pas, je sous-estime leur nombre. N'ayons pas peur des mots, combien de soldats avez-vous sous vos ordres, Commandant Zhao ? »

Posé, Sauron se détendit, laissant tomber légèrement ses épaules. Il fixait toujours le jeune commandant.

« Nous avons 3500 hommes sur les douze tours de la région. Je ne pense pas que nous soyons mal préparés ni mal équipés, ou encore moins pas assez nombreux pour défendre notre terre. » son ton était plus froid, direct.

« Vous pensez ? Mais le fait même que vous cherchiez tout d'abord a les défendre m'indique clairement que vous avez des choses à vous reprocher, très cher commandant. Écoutez-moi, je viens ici en qualité d'allié, de la part du Consulat. Mon but est de vous aider. Répondez clairement ; avez vous déjà fait l'expérience du combat, mené une attaque ou participé à la défense de votre domaine ? »

Il fallut quelques secondes pour qu'une voix s'élève une fois encore dans la salle. « Non. En effet. »

Sauron acquiesça. « En effet. Il me faudra quelques jours afin de mener une inspection plus précise de la ville ainsi que pour m'entretenir avec vous de défenses le long de vos côtes. Quelques pièces d'artillerie ne seraient pas de trop sur vos créneaux, très cher Commandant. »

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire ; il prit sa tasse et but le breuvage fumant. Il avait du travail, tout était pour le mieux