Une semaine et trois jours avaient passé depuis son départ du domaine enchanté en faisant escale à la Conquête de l’Ouest, un pays aride dont la population s’était révélée plus hétérogène encore qu’elle ne l’avait imaginé. Elle avait rejoint le Jardin radieux il y a deux jours, comme elle l’avait prévu, emménageant dans la chambre d’un hôtel en attendant d’avoir le projet d’une situation stable. Lulu avait profité des deux soirées qu’elle avait passées dans les environs pour se remettre à jour pour tout ce qui concernait les informations, les nouvelles, tâche qu’elle n’avait pas eu le temps d’achever jusqu’ici. Et bien sûr, elle avait envoyé quelques lettres de la première importance, dont une en particulier qui la mena un peu plus tard jusqu’à cette salle d’attente où elle était alors assise, patiente, avec sur ses genoux un calepin sur lequel elle griffonnait pour perdre le moins de temps possible, ainsi qu’une peluche du singe Bobo, tenant lui aussi un bloc-notes sur lequel il faisait semblait d’écrire. Bien qu’étant généralement assez tendue, étant dans une situation compliquée qu’elle réussissait à rendre de plus en plus confuse au fil des semaines, Lulu essayait de rentabiliser chacune des minutes qu’il restait à son père avant d’être dans une situation délicate. Ce qu’elle notait était en lien direct avec lui, par ailleurs. Elle espérait sincèrement pouvoir s’installer dans les cités dorées du Consulat, représentant une terre d’asile pour les cas particuliers de l’histoire moderne du Sanctum. Son père pourrait devenir consul, avec tout son savoir-faire. Aussi devait-elle estimer l’avenir de leur finance et ce qu’ils pouvaient se permettre quant à leur futur domicile, et cela dépendant de nombreuses variables. Il n’était pas certain que tous ses efforts pour trouver un emploi portent leur fruit, sans parler du fait qu’elle devait reconstituer un réseau d’information, même bancal, ce qui coutait une certaine somme.
Après de longues minutes à attendre, la porte devant elle s’ouvrit, laissant apparaître un homme au teint jaune citron. Elle écarquilla les yeux de surprise avant de tenter de paraître indifférente. Il devait avoir une cinquantaine d’années, ses cheveux blancs étaient coiffés en brosse et il était habillé d’un costume bordeaux assez triste. Le visage déconfit, l’air endormi, il s’approcha d’elle et lui serra la main.
« Lulu, enchantée. »
« Kent Brockman, venez, je vous en prie. »
Elle s’assit dans le bureau, qu’elle devait reconnaître très luxueux et dont les fenêtres donnaient sur la place centrale du jardin radieux, attendant que le dénommé Brockman, de ce qu’elle savait, s’asseye lui aussi devant un dossier ouvert. Il regarda longuement certaines feuilles de papier pendant qu’elle regardait d’un œil discret les différentes décorations. Son bureau, son fauteuil, jusqu’aux rideaux, témoignaient du faste de ses habitudes, ce qui s’accordait mal avec son statut de chef de l’information, et donc d’une certaine façon, d’une démocratie idéale. Elle décida de ne pas juger davantage ce monsieur.
« Bien, Lulu, donc. » prononça-t-il d’une voix lente, fatiguée, les yeux baissés sur son curriculum vitae. « Comme ma fille le dit si bien aux nouvelles étudiantes : bienvenue dans ma secte ! » Il leva les yeux et lui sourit d’un air sincère et fin. Une nouvelle fois, la sorcière fut surprise. « Vous… m’acceptez, vous voulez dire ? »
« Quoi ? Non ! » répondit-il d’un air indifférent. « Nous avons déjà une miss météo. »
« Je vous demande pardon ? » demanda-t-elle, sèchement. Elle voulut revenir sur le ton de sa question mais à bien y réfléchir, elle n’acceptait pas d’être aimable si c’était pour un refus. « Je ne veux pas être miss météo. »
« Vous… » Il baissa les yeux. Cette fois pas sur son dossier mais sur son décolleté qu’il regarda sans vraiment avoir l’air gêné. « Vous étiez surqualifiée, vous avez fait le bon choix. »
Lulu resta estomaquée quelques secondes. Elle voulait réellement devenir journaliste au sein de l’Éclaireur. C’était une décision récente, peu réfléchie en fin de compte, mais finalement terriblement raisonnable. Un poste dans cette agence utiliserait toutes ses compétences et lui permettrait d’avoir l’influence nécessaire pour combattre des choses telles que le pouvoir de Matthew March. Elle espérait se retrouver devant un intellectuel. Au lieu de cela, le directeur de l’Éclaireur poussait la grossièreté jusqu’à ses derniers retranchements.
« Avez-vous lu mon CV ? »
Il restait droit, sérieux dans son allure, mais péchait par la moindre de ses paroles. La suivante ne dénota pas, d’ailleurs.
« Une partie. Est-ce que cela vous dérange ? » demanda-t-il, la regardant fixement dans les yeux. Oui, cela la dérangeait. Mais… « Non. Je peux répondre à toutes vos questions. »
« Parfait. Commençons simple. »
Kent Brockmann appuya sur une touche du clavier de son ordinateur. Quelques secondes plus tard, son imprimante s’activa et produisit une feuille colorée qu’il prit en main d’un geste étonnamment fougueux, compte tenu de son flegme apparent avant de lui montrer comme un chrétien aurait brandi une croix devant un hérétique. Lulu se reconnut sur la feuille, ne comprit pas tout de suite. C’était un portrait d’elle annoté, une mise à prix. Morte, elle valait 500 munnies, à en croire ce papier. Vivante, 5000. Un texte précisait qu’elle avait trahi et volé le Sanctum. Elle ne pouvait en vouloir à Matthew d’agir aussi promptement… À vrai dire, avant de réaliser que ses jours étaient en danger, Lulu pensa à son père. Il n’était pas encore arrivé du domaine enchanté. Et si elle était déjà une traîtresse aux yeux de son monde natal, son père pourrait être sévèrement interrogé quant à ses intentions.
« 5000 munnies ?! Vous savez vous défendre ? »
« Oui. » répondit-elle machinalement à la question.
« Hum… » Il se gratta le menton avant d’ajouter. « Trois agents de la sécurité, c’est beaucoup pour vous ? »
« Vous allez appeler la sécurité ? Le Consulat va forcément…
« Mince ! Je les oubliais encore ceux-là ! »
Il frappa le bureau d’un air remonté avant de se calmer et de croiser les mains devant lui.
« Le Sanctum demande que vous diffusiez cette mise à prix ? »
« Oui. L’équipe éditoriale m’a fait promettre de ne pas la diffuser en douce. Soi-disant que c’est pas de l’information et soi-disant qu’on n’est pas là pour céder aux exigences des boss. »
Elle soupira légèrement. Même si visiblement, cet homme ne semblait pas doté d’une morale très aiguisée, le reste de l’Éclaireur lui donnait une impression d’honnêteté. Ceci dit, c’était face à lui qu’elle était à présent, et il dirigeait l'endroit. Son air peu sérieux et peu travailleur laissait présager la moindre importance qu’il avait finalement dans sa propre entreprise. Toutefois, elle avait appris à se rendre compte à quel point des personnes aux allures fainéantes pouvaient être dangereuses à certains moments. Esther en était la plus belle preuve, ayant menacé la sécurité du royaume à elle toute seule.
Lulu baissa les yeux, réfléchissant à la situation dans laquelle elle se trouvait, dans laquelle se trouvait son père, et de manière fortuite, vit une photo de Kent Brockmann, en maillot de bain, sans doute à Costa del Sol, à côté d’une très belle jeune femme bronzant sur le sable, qu’elle reconnut comme étant la présentatrice météo.
« Vous avez volé quoi ? De l’eau bénite ? De l’hostie ? »
« Une merveille de technologique app…
« Sérieusement, qu’est-ce qu’on peut vouloir voler au Sanctum ? Ils n’ont rien. »
« Je disais donc que c’est une machine. » Elle s’interrompit, voyant à travers ses yeux qu’il ne l’écoutait pas, bien qu’il la regardât fixement. Après quelques secondes d’attente, il s’exclama : « Une statue ! Vous avez volé une statue ! » en riant franchement durant quelques secondes. « Sérieusement quel pays. À les entendre, ce qui leur est arrivé de pire, c’est qu’on leur vole une statue. Vous croyez que si je vais y dormir une nuit et que je vole un peignoir, je vais avoir aussi une prime sur ma tête ? »
Il semblait incroyablement sérieux dans son questionnement. À vrai dire, Kent Brockman avait tout pour être l’homme de pouvoir le plus ignorant, rustre et machiste qu’elle avait pu voir de sa vie. Mais cette dernière réflexion sur le Sanctum la fit sourire, légèrement. Même si elle gardait une affection importante pour ce groupe, ce pays et cette religion, elle ne pouvait que lui donner raison sur un point : Le Sanctum tout entier reposait sur l’idée d’accorder beaucoup d’importance à des choses qui n’en méritaient sûrement pas autant.
« Vous souriez ! Ah bah c’est une première. Vous êtes partie pour ça ? Vous étiez interdite de sourire ? »
« Pour répondre à votre question, j’ai volé une machine incroyablement perfectionnée qui peut servir à de nombreuses choses. Matthew March retient ses facultés destructrices. C’est elle qui…
« Oui Matthew March, chouette type. Très bon revers du droit. Bon sang mais de qui vous me parlez ? »
« Alexis Fitzgerald, navrée. Matthew March est son vrai nom. »
« J’essaie de trouver du sens à tout ça mais… »
« C’est le nouveau Primarque. »
Il hocha la tête. Elle continua. « C’est cette arme qui a détruit le dragon lorsqu’il a attaqué le domaine enchanté. Mais Menrva – c’est son nom – a davantage d’intérêts historiquement et scientifiquement. Elle est formidable, n’a quasiment pas de limites. Que je sache, sa technologie est inégalée. Et en ce qui me concerne, Menrva détient des informations sur l’histoire du Sanctum. Des informations extrêmement sensibles que Matthew March voudrait voir détruites et que je veux pouvoir étudier. »
« Des informations qu’on pourrait diffuser ? » demanda-t-il avec un intérêt aiguisé, se grattant une nouvelle fois le menton.
« Possiblement. L’ouvrage sensible traite sans doute du fondement même du Sanctum, de la raison de son existence et de… »
« Donc… non ? »
Elle se figea et répondit, légèrement vexée : « Il y a matière à surprendre n’importe quel public. »
« Oui enfin. C’est une arme. C’est ce qu’on dira. »
« Vous n’aviez pas convenu avec votre équipe de ne pas parler de la mise à prix sur ma tête ? »
Il se leva et fit quelques pas dans son bureau avant de s’immobiliser devant sa fenêtre. « Imaginez ! » Il ouvrit les bras devant lui. « Elle a fui le Sanctum suite aux intentions destructrices de son nouveau Primarque ! Elle a emporté avec elle une arme capable de détruire un monde ! Elle a rejoint l’Éclaireur pour révéler la vérité sur Satan ! La nouvelle chroniqueuse beauté… Lulu. » finit-il en levant les yeux au ciel comme pour attendre une révélation divine.
« Vous m’acceptez ? »
« Bien sûr, ma p’tite. Rien que l’histoire autour de votre trahison va attirer l’attention. On va nous accuser de complicité de vol, on va nous coller des procès aux fesses, et les gens vont encore plus parler de nous, et de vous. J’ai l’habitude des procès. »
« Merci beaucoup, monsieur Brockman, toutefois…
« J’ai les mains baladeuses. »
Elle sursauta légèrement, craignant qu’il ne lui saute dessus profitant de sa position de force.
« Ne me dites pas des choses pareilles. » ordonna-t-elle froidement.
« Non je… J’ai l’obligation légale de prévenir mes employés. Beaucoup… beaucoup de procès… »
« Toutefois. Une rubrique dans votre magazine mode ne me conviendra pas. Tout comme je ne veux pas passer, de manière régulière du moins, à la télévision. Je souhaite travailler dans la presse écrite. »
« Moui. On parlera quand même de vous l’air de rien au 20h. »
« En plus du droit qu’a chaque journaliste de proposer un article à la rédaction de presse, j’aimerais avoir le droit d’écrire l’éditorial de la presse hebdomadaire une semaine sur deux. »
Kent sembla surpris. Bien sûr. Et il dit la seule chose à laquelle elle s’attendait, même d’un imbécile : « L’édito ? C’est la charge du rédacteur en chef, vous le savez bien. Il dirige la presse journalière et hebdomadaire, vous… »
« Je me permets de vous couper. » trancha-t-elle. Lulu prit alors une inspiration. « À vrai dire je crois que vous auriez eu tort de ne pas m’accueillir. Mais je crois aussi que vous auriez tort de ne pas me donner les meilleures possibilités. Si vous aviez lu ma lettre de motivation et mon curriculum vitae, vous auriez appris que j’ai été, pendant quelques années, un personnage politique important au sein du Sanctum, restant toutefois dans l’ombre. J’ai des contacts et des capacités. Je n’ai pas une grande notoriété, et à vrai dire, ce sera la première fois que l’on entendra parler de moi, mais mon ancienne position fera parler. Je pense apporter un réel point de vue à l’Éclaireur. Je suis, à priori, capable d’approcher tous les groupes et par-dessus tout, je souhaite que Menrva, l’arme dont je vous parlais, serve à l’Éclaireur. Elle est dotée de caméras très performantes, a une bonne capacité, et est solide. Elle restera toutefois sous ma garde. »
« En échange de l’édito ? Marché conclu. »
« Disons, en échange de votre confiance. »
« Oui. La confiance ou l’édito, ça me va. J’aurais accepté juste pour emmerder le rédacteur en chef. Il me déteste ! »
Lulu se leva, lui serra la main, reçut quelques informations quant à la suite des choses et s’en alla. Elle était rassurée de savoir sa place dans l’Éclaireur assurée, mais devait maintenant se soucier de son père. Pour peu qu’il soit prisonnier du Sanctum, toute immunité médiatique ne l’aiderait pas à le libérer.
Dim 5 Aoû 2018 - 6:13Après de longues minutes à attendre, la porte devant elle s’ouvrit, laissant apparaître un homme au teint jaune citron. Elle écarquilla les yeux de surprise avant de tenter de paraître indifférente. Il devait avoir une cinquantaine d’années, ses cheveux blancs étaient coiffés en brosse et il était habillé d’un costume bordeaux assez triste. Le visage déconfit, l’air endormi, il s’approcha d’elle et lui serra la main.
« Lulu, enchantée. »
« Kent Brockman, venez, je vous en prie. »
Elle s’assit dans le bureau, qu’elle devait reconnaître très luxueux et dont les fenêtres donnaient sur la place centrale du jardin radieux, attendant que le dénommé Brockman, de ce qu’elle savait, s’asseye lui aussi devant un dossier ouvert. Il regarda longuement certaines feuilles de papier pendant qu’elle regardait d’un œil discret les différentes décorations. Son bureau, son fauteuil, jusqu’aux rideaux, témoignaient du faste de ses habitudes, ce qui s’accordait mal avec son statut de chef de l’information, et donc d’une certaine façon, d’une démocratie idéale. Elle décida de ne pas juger davantage ce monsieur.
« Bien, Lulu, donc. » prononça-t-il d’une voix lente, fatiguée, les yeux baissés sur son curriculum vitae. « Comme ma fille le dit si bien aux nouvelles étudiantes : bienvenue dans ma secte ! » Il leva les yeux et lui sourit d’un air sincère et fin. Une nouvelle fois, la sorcière fut surprise. « Vous… m’acceptez, vous voulez dire ? »
« Quoi ? Non ! » répondit-il d’un air indifférent. « Nous avons déjà une miss météo. »
« Je vous demande pardon ? » demanda-t-elle, sèchement. Elle voulut revenir sur le ton de sa question mais à bien y réfléchir, elle n’acceptait pas d’être aimable si c’était pour un refus. « Je ne veux pas être miss météo. »
« Vous… » Il baissa les yeux. Cette fois pas sur son dossier mais sur son décolleté qu’il regarda sans vraiment avoir l’air gêné. « Vous étiez surqualifiée, vous avez fait le bon choix. »
Lulu resta estomaquée quelques secondes. Elle voulait réellement devenir journaliste au sein de l’Éclaireur. C’était une décision récente, peu réfléchie en fin de compte, mais finalement terriblement raisonnable. Un poste dans cette agence utiliserait toutes ses compétences et lui permettrait d’avoir l’influence nécessaire pour combattre des choses telles que le pouvoir de Matthew March. Elle espérait se retrouver devant un intellectuel. Au lieu de cela, le directeur de l’Éclaireur poussait la grossièreté jusqu’à ses derniers retranchements.
« Avez-vous lu mon CV ? »
Il restait droit, sérieux dans son allure, mais péchait par la moindre de ses paroles. La suivante ne dénota pas, d’ailleurs.
« Une partie. Est-ce que cela vous dérange ? » demanda-t-il, la regardant fixement dans les yeux. Oui, cela la dérangeait. Mais… « Non. Je peux répondre à toutes vos questions. »
« Parfait. Commençons simple. »
Kent Brockmann appuya sur une touche du clavier de son ordinateur. Quelques secondes plus tard, son imprimante s’activa et produisit une feuille colorée qu’il prit en main d’un geste étonnamment fougueux, compte tenu de son flegme apparent avant de lui montrer comme un chrétien aurait brandi une croix devant un hérétique. Lulu se reconnut sur la feuille, ne comprit pas tout de suite. C’était un portrait d’elle annoté, une mise à prix. Morte, elle valait 500 munnies, à en croire ce papier. Vivante, 5000. Un texte précisait qu’elle avait trahi et volé le Sanctum. Elle ne pouvait en vouloir à Matthew d’agir aussi promptement… À vrai dire, avant de réaliser que ses jours étaient en danger, Lulu pensa à son père. Il n’était pas encore arrivé du domaine enchanté. Et si elle était déjà une traîtresse aux yeux de son monde natal, son père pourrait être sévèrement interrogé quant à ses intentions.
« 5000 munnies ?! Vous savez vous défendre ? »
« Oui. » répondit-elle machinalement à la question.
« Hum… » Il se gratta le menton avant d’ajouter. « Trois agents de la sécurité, c’est beaucoup pour vous ? »
« Vous allez appeler la sécurité ? Le Consulat va forcément…
« Mince ! Je les oubliais encore ceux-là ! »
Il frappa le bureau d’un air remonté avant de se calmer et de croiser les mains devant lui.
« Le Sanctum demande que vous diffusiez cette mise à prix ? »
« Oui. L’équipe éditoriale m’a fait promettre de ne pas la diffuser en douce. Soi-disant que c’est pas de l’information et soi-disant qu’on n’est pas là pour céder aux exigences des boss. »
Elle soupira légèrement. Même si visiblement, cet homme ne semblait pas doté d’une morale très aiguisée, le reste de l’Éclaireur lui donnait une impression d’honnêteté. Ceci dit, c’était face à lui qu’elle était à présent, et il dirigeait l'endroit. Son air peu sérieux et peu travailleur laissait présager la moindre importance qu’il avait finalement dans sa propre entreprise. Toutefois, elle avait appris à se rendre compte à quel point des personnes aux allures fainéantes pouvaient être dangereuses à certains moments. Esther en était la plus belle preuve, ayant menacé la sécurité du royaume à elle toute seule.
Lulu baissa les yeux, réfléchissant à la situation dans laquelle elle se trouvait, dans laquelle se trouvait son père, et de manière fortuite, vit une photo de Kent Brockmann, en maillot de bain, sans doute à Costa del Sol, à côté d’une très belle jeune femme bronzant sur le sable, qu’elle reconnut comme étant la présentatrice météo.
« Vous avez volé quoi ? De l’eau bénite ? De l’hostie ? »
« Une merveille de technologique app…
« Sérieusement, qu’est-ce qu’on peut vouloir voler au Sanctum ? Ils n’ont rien. »
« Je disais donc que c’est une machine. » Elle s’interrompit, voyant à travers ses yeux qu’il ne l’écoutait pas, bien qu’il la regardât fixement. Après quelques secondes d’attente, il s’exclama : « Une statue ! Vous avez volé une statue ! » en riant franchement durant quelques secondes. « Sérieusement quel pays. À les entendre, ce qui leur est arrivé de pire, c’est qu’on leur vole une statue. Vous croyez que si je vais y dormir une nuit et que je vole un peignoir, je vais avoir aussi une prime sur ma tête ? »
Il semblait incroyablement sérieux dans son questionnement. À vrai dire, Kent Brockman avait tout pour être l’homme de pouvoir le plus ignorant, rustre et machiste qu’elle avait pu voir de sa vie. Mais cette dernière réflexion sur le Sanctum la fit sourire, légèrement. Même si elle gardait une affection importante pour ce groupe, ce pays et cette religion, elle ne pouvait que lui donner raison sur un point : Le Sanctum tout entier reposait sur l’idée d’accorder beaucoup d’importance à des choses qui n’en méritaient sûrement pas autant.
« Vous souriez ! Ah bah c’est une première. Vous êtes partie pour ça ? Vous étiez interdite de sourire ? »
« Pour répondre à votre question, j’ai volé une machine incroyablement perfectionnée qui peut servir à de nombreuses choses. Matthew March retient ses facultés destructrices. C’est elle qui…
« Oui Matthew March, chouette type. Très bon revers du droit. Bon sang mais de qui vous me parlez ? »
« Alexis Fitzgerald, navrée. Matthew March est son vrai nom. »
« J’essaie de trouver du sens à tout ça mais… »
« C’est le nouveau Primarque. »
Il hocha la tête. Elle continua. « C’est cette arme qui a détruit le dragon lorsqu’il a attaqué le domaine enchanté. Mais Menrva – c’est son nom – a davantage d’intérêts historiquement et scientifiquement. Elle est formidable, n’a quasiment pas de limites. Que je sache, sa technologie est inégalée. Et en ce qui me concerne, Menrva détient des informations sur l’histoire du Sanctum. Des informations extrêmement sensibles que Matthew March voudrait voir détruites et que je veux pouvoir étudier. »
« Des informations qu’on pourrait diffuser ? » demanda-t-il avec un intérêt aiguisé, se grattant une nouvelle fois le menton.
« Possiblement. L’ouvrage sensible traite sans doute du fondement même du Sanctum, de la raison de son existence et de… »
« Donc… non ? »
Elle se figea et répondit, légèrement vexée : « Il y a matière à surprendre n’importe quel public. »
« Oui enfin. C’est une arme. C’est ce qu’on dira. »
« Vous n’aviez pas convenu avec votre équipe de ne pas parler de la mise à prix sur ma tête ? »
Il se leva et fit quelques pas dans son bureau avant de s’immobiliser devant sa fenêtre. « Imaginez ! » Il ouvrit les bras devant lui. « Elle a fui le Sanctum suite aux intentions destructrices de son nouveau Primarque ! Elle a emporté avec elle une arme capable de détruire un monde ! Elle a rejoint l’Éclaireur pour révéler la vérité sur Satan ! La nouvelle chroniqueuse beauté… Lulu. » finit-il en levant les yeux au ciel comme pour attendre une révélation divine.
« Vous m’acceptez ? »
« Bien sûr, ma p’tite. Rien que l’histoire autour de votre trahison va attirer l’attention. On va nous accuser de complicité de vol, on va nous coller des procès aux fesses, et les gens vont encore plus parler de nous, et de vous. J’ai l’habitude des procès. »
« Merci beaucoup, monsieur Brockman, toutefois…
« J’ai les mains baladeuses. »
Elle sursauta légèrement, craignant qu’il ne lui saute dessus profitant de sa position de force.
« Ne me dites pas des choses pareilles. » ordonna-t-elle froidement.
« Non je… J’ai l’obligation légale de prévenir mes employés. Beaucoup… beaucoup de procès… »
« Toutefois. Une rubrique dans votre magazine mode ne me conviendra pas. Tout comme je ne veux pas passer, de manière régulière du moins, à la télévision. Je souhaite travailler dans la presse écrite. »
« Moui. On parlera quand même de vous l’air de rien au 20h. »
« En plus du droit qu’a chaque journaliste de proposer un article à la rédaction de presse, j’aimerais avoir le droit d’écrire l’éditorial de la presse hebdomadaire une semaine sur deux. »
Kent sembla surpris. Bien sûr. Et il dit la seule chose à laquelle elle s’attendait, même d’un imbécile : « L’édito ? C’est la charge du rédacteur en chef, vous le savez bien. Il dirige la presse journalière et hebdomadaire, vous… »
« Je me permets de vous couper. » trancha-t-elle. Lulu prit alors une inspiration. « À vrai dire je crois que vous auriez eu tort de ne pas m’accueillir. Mais je crois aussi que vous auriez tort de ne pas me donner les meilleures possibilités. Si vous aviez lu ma lettre de motivation et mon curriculum vitae, vous auriez appris que j’ai été, pendant quelques années, un personnage politique important au sein du Sanctum, restant toutefois dans l’ombre. J’ai des contacts et des capacités. Je n’ai pas une grande notoriété, et à vrai dire, ce sera la première fois que l’on entendra parler de moi, mais mon ancienne position fera parler. Je pense apporter un réel point de vue à l’Éclaireur. Je suis, à priori, capable d’approcher tous les groupes et par-dessus tout, je souhaite que Menrva, l’arme dont je vous parlais, serve à l’Éclaireur. Elle est dotée de caméras très performantes, a une bonne capacité, et est solide. Elle restera toutefois sous ma garde. »
« En échange de l’édito ? Marché conclu. »
« Disons, en échange de votre confiance. »
« Oui. La confiance ou l’édito, ça me va. J’aurais accepté juste pour emmerder le rédacteur en chef. Il me déteste ! »
Lulu se leva, lui serra la main, reçut quelques informations quant à la suite des choses et s’en alla. Elle était rassurée de savoir sa place dans l’Éclaireur assurée, mais devait maintenant se soucier de son père. Pour peu qu’il soit prisonnier du Sanctum, toute immunité médiatique ne l’aiderait pas à le libérer.