Hélas, bien qu’elle s’en doutait, son alter égo s’éloignait d’elle et de la grille. Il était trop risqué d’être à portée de main. Pour l’une comme pour l’autre. Lenore sentait l’envie la gagner comme une vague, celle d’être à sa place de l’autre côté des barreaux et d’avoir la possibilité de s’éloigner, celle d’avoir ses vêtements, élaborés avec tant de minuties et de temps, et malgré elle, l’envie d’avoir l’aplomb qu’affichait en ce moment cette femme qui n’était pas elle. Ses nerfs vacillaient, ses émotions devenaient confuses, n’arrivant pas à se fixer sur un comportement. Elle devait paraitre bien instable, tantôt frissonnante de peur, tordue de rire ou le regard fixé sur son interlocutrice avec autant d’intensité.
Elle n’arrivait pas à réfléchir, à prendre les devants, se protéger en calculant la meilleures façon de parler ou répliquer pour éviter les « risques ». Son cerveau rebondissait sur chaque mot, chaque changement de position ou d’attitude, partant en tous sens imaginant le pire des scénarios et se noyait sous les possibilités terribles.
« Ce jour dans les bois. »
Dans le tumulte de ses pensées, une étincelle.
Elle écoutait attentivement cette voix taquine qui venait d’accrocher son raisonnement sur un écueil, un indice, suivant le chemin de raisonnement que l’Autre traçait pour elle. Concentrée sur le décorticage de son discours.
Dans le tumulte de ses pensées, une étincelle venait d’allumer une mèche.
Grignotant lentement mais surement le bout de chanvre alors qu’elle revivait de mémoire l’évènement au fil de la description que lui en faisait l’Alter Ego. Pas une histoire, pas un tableau, juste quelques mots-clés qui déclenchait le souvenir de Lenore, revivant la scène dans son esprit. Son cœur, assailli par les images, souffrait des coups de poignards de ces émotions ravivées. Elle ne la voyait plus et pourtant son regard n’arrivait pas à s’en détacher.
Dans le tumulte de ses pensées, une étincelle venait d’allumer la mèche d’un explosif.
Et dans l’éclatement de ses souvenirs, une rage ardente brûlait dans son regard, se répandait dans ses veines à grande vitesse, noyait son cœur et ses poumons au point d’en rendre sa respiration une fois de plus difficile. Son instinct prenait le dessus, elle perdait tout contrôle sur elle-même comme à chaque fois qu’elle le voyait. Qu’elle pensait à lui.
IL était là.
Presque à portée de main… Si elle pouvait tendre davantage la main, elle pourrait le toucher… Le saisir… Presque assez pour le griffer… Lui arracher les yeux !
Death, le Boucher de Grimm, le Boss de la Coalition Noire, le responsable de son état, de son handicap, de ses échecs, de la fin d’un monde même et de son enfermement. IL lui avait tout pris et IL se pavanait là sous son nez avec… son apparence !
Etait-ce finalement bien lui qui avait attaqué le Centurio ? C’était pourtant si logique qu’elle y avait pensé en tout premier lieu au moment de son retour sur la place de Port-Royal fumante dans la neige, devant les restes effondrés du bâtiment.
Impunis, impertinent, impitoyable, la narguant de cette cicatrice immonde à son oreille dont elle avait du mal à supporter l’existence. Elle porta instinctivement la main à sa tempe pour la masquer comme si ce geste allait forcer son « reflet » à en faire autant comme devant un miroir.
Réalisant qui l’Autre était, changea tout à sa manière de se comporter, inconsciemment. Elle serrait les barreaux à deux mains, s’en faisant blanchir les jointures. Son front baissé contre la grille, son regard semblait vouloir éviscéré jeter des éclairs, des dagues, des malédictions. Sa conscience lui hurlait d'arrêter de jouer, de ne plus chercher à le manipuler, qu'elle ne pourrait de toute façon rien en tirer si ce n'est du sang.
IL s’éloignait, maintenant que le feu avait pris, que l’incendie était hors de contrôle. Elle en trépignait sur place, d’un pied sur l’autre, la douleur s’effaçant devant une injonction plus grande.
IL fit apparaitre une arme à feu de nulle part et Lenore voulu en faire de même. L’idée soudaine que sa lame noire, qu’elle cachait dans son écharpe de tissu immobilisant son épaule puisse apparaitre de la même façon éveilla quelque chose dans son esprit obsessionnel. Faisait-elle de la magie sans le savoir à chaque fois qu’elle utilisait sa chère Murasama ? Après tout elle se retrouvait dans sa main à chaque moment clef, à chaque fois que sa vie était en danger, à chaque fois qu’elle voulait lentement éventrer de sales ordures comme lui… Elle voyait rouge.
Mais une arme n’est qu’un outil qui doit servir. Ce pistolet six coups qu’il avait en main se retrouvait pointer sur sa camarade, presque oubliée dans l’histoire. IL voulait reproduire le même schéma. Tuer un proche. Dans le simple but de lui arracher une protestation, une supplique, une larme peut être ? Non pour lui arracher le cœur, l’envie, l’espoir, le peu qu’il lui restait. Lui tournant le dos si fier de lui et de son jeu malsain.
Lenore aurait voulu se jeter sur lui, l’attaquer, lui arracher le bras. IL l’avait délaissé du regard avec cette grimace vicieuse sur les lèvres. Elle devait l’interrompre d’une façon ou d’une autre, avant qu’il ne soit trop tard. Mais que pouvait-elle faire ? Rien. Les Princesses de cœur détournaient le visage, cachant leur honte, leur résignation, ne faisant que davantage attiser l’urgence. Elle était seule, devait absolument agir mais n’avait rien pour servir d’arme à distance.
La mercenaire fouilla sa cellule des yeux. Dans la précipitation, elle saisit la seule chose qu’elle pouvait lui jeter. Puis se figea, le regard dans le vide, l’espace et le temps disparu, éclaté, le temps d’un coup de feu, d’une odeur caractéristique de poudre. Trop tard. Elle en tremblait, prête à exploser. Le temps de quelques secondes semblants éternelles. Le temps d’entendre la vie.
Un gémissement, un râle, et l’existence de Naran reprenait dans ce monde. La rousse souffla enfin une respiration qu’elle n’avait pas eu conscience de retenir. Sa conscience redonna des couleurs à son environnement, au bruit, aux sensations.
Revenant se plaquer contre la grille, le Boucher l’observait de nouveau, la narguait d’une dernière pique cinglante. Il jouait avec ses nerfs, jouait avec le feu qu’il avait allumé. Le regard de Lenore voulait le dévorer de son intensité, ses flammes de peur, de haine, d’excitation.
Il allait recommencer, jouant avec elle et sa victime comme un gamin horrible arrachant les ailes d’une mouche ou brûlant le nid de fourmis. Elle devait l’arrêter, c’était ce qu’IL réclamait même. Allait-elle le supplier ? Négocier ? Même si elle le faisait, elle l’imaginait bien en rire et continuer, jamais il n’aurait exaucé ce souhait quel qu’en soit le prix. Car la récompense de la voir se débattre impuissante était bien plus savoureuse. Elle en aurait fait de même…
Elle jeta un dernier regard aux deux princesses de cœur, entre la répugnance et la supplique. Pourquoi ? Alors qu’elle avait été témoin du pouvoir de leur lumière au Palais du rêve à travers Cendrillon. Pourquoi avaient elles abandonnées ? Plutôt mourir que de perdre espoir et de courber la tête !
Pourquoi alors que cette lumière éblouissante, brûlante et chaleureuse à la fois, un sort qui aurait pu éradiquer CE monstre… Pourquoi étaient-elles les bras ballants, le regard cloué au sol à éviter celui de ceux qui souffre devant elles ?!
La lumière contre les ténèbres. Son cœur encore indécis flottait entre les deux extrêmes, prête à embrasser la voix de celui qui lui offrirait en premier la puissance pour l’exterminer LUI ! Si la lumière était devenu sourde et aveugle, amorphe, inapte… elle deviendrait ce monstre capable de rivaliser avec lui. Elle se l’était déjà juré depuis un moment mais là, face à ses princesses qui n’avait plus aucune dignité, qui avait littéralement échouée à leur mission, comment pouvait-elle penser autrement.
Le cliquetis du chien de l’arme résonna, attirant son oreille, attirant son attention, détournant son regard plus haineux que jamais. Elle devait l’en empêcher, de n’importe quelle façon. Elle ne pouvait pas attendre que la magie se manifeste. Sans contrôle sur celle-ci, doutant encore de son existence dans ses veines. Elle passa la main à travers les barreaux et lui jeta de toute sa rage ce qu’elle avait pu ramasser dans sa cellule en un geste dérisoire pour le détourner de son jeu. Visant sa tête, son visage, le paquet s’envola, prêt à faire réagir les réflexes du Monstre, quitte à exploser sous un tir de réflexe pour se défendre, s’ouvrant pour déverser sur ce terrible sourire vicieux une immonde mixture froide, gaspillant le dernier repas que les gardes lui avaient laissé.
« Naran ! Ce n’est pas moi ! Ce n’est pas Lenore, c’est Death ! » Aboya-t-elle mettant fin à la mascarade qui se jouait devant ses yeux.
« Plutôt mourir que te supplier… même si elle meurt, ça ne changera rien ! Il n’y a plus rien que tu puisses me faire depuis bien longtemps… »
Mar 7 Aoû 2018 - 22:51