Des émotions en pagailles l'agitaient comme milles armées de papillons en bataille… mais lui ne faisait que couler dans le vide et l'obscurité, incapable de penser. Etrangement calme malgré les douleurs, peines et peurs, qui furent censés l'agiter. L'eau l'endormait, lui faisant oublier qu'il devait respirer… et soudain pris de panique à l'idée, il fut d'autant plus apeuré de pouvoir encore respirer. Pour aussitôt se calmer, acceptant finalement ne rien contrôler de sa destinée. Et à lâcher prise, à comprendre que ce n'était pas à lui de décider… que ça ne l'a jamais été… pour la première fois, cet être fut en paix. Ce fut magnifique mais terrifiant, tout à fait fascinant, de sombrer dans cette immensité. Soudain, il lui sembla que les abysses l'enlaçaient… et une éruption en geyser vint pour le secouer, avant qu'une nuée d'oiseaux ne viennent achever de le réveiller. Sa vision flou, Surkesh vit quelques colombes à la blancheur de gris tachetées ; ce furent pourtant de noirs corbeaux qui dominaient.
D'un coup, il était debout… et sans rien comprendre, accepta tout simplement de se laisser guider, fatigué de lutter, de se rebeller.

« Surkesh Warui. » L'écho rappela l'être à son nom mais sa mémoire fut toujours embrouillé. Soudain assaillis d'une pluie de souvenir en fragments, Surkesh se rappela en un instant de toutes les fois où son nom fut prononcé mais aussi de toutes les voix. Certaines plus familières que d'autres, ces voix restant pourtant sans histoires ni visages ni noms. Un mal de crâne térrible l'atteint, visible à la manière dont il tint son crâne entre ses deux mains… comme pour le compresser et faire taire ses pensées. Avec tout cela, ce sinistre écho qui le premier parla… ne l'inquiéta pas, pas le moins du monde. Cet écho parlait ici comme un roi en ce monde inconnu où il semblait régner. Et cet écho, sans savoir qui ou quoi c'était, Surkesh savait le connaitre parfaitement.
Repensant à cet écho pour chasser touts ceux qui dans son esprit l'appelaient, soudain et pour la première fois, Surkesh ne se sentait plus si seul que ça.

En quête… l'être cherchait quelque chose ou quelqu'un sans savoir qui ni quoi. Tout autour de lui, il n'y avait que de l'ombre et au-dessus aussi… mais à ses pieds, quelque chose brillait si fort que ça l'en a ébloui. Protégeant ses yeux d'un bras, agitant l'autre lentement pour ne plus sentir l'étreinte de l'eau, il fallut un long moment pour que ses yeux s'adaptent aux lumières colorés. Quand enfin, ses yeux purent s'ouvrir sans souffrir… c'est là que l'être aperçu un vitrail sombre et pourtant magnifique.

A gauche, un vieillard mourrait empalé d'une clef noire en souriant, semblant se moquer de la personne au centre… et à droite, une sinistre silhouette, semblable à la faucheuse elle-même, enfonçait une faux dans le dos du personnage central. A gauche, le décor n'était qu'une marée d'ombre informe aux milles yeux jaunes tandis qu'à l'opposée, se dessinait les contours d'une Citée où trônait un soleil noir. Au centre, un homme dissimulée par une cape noire ; l'on en distinguait que vaguement les yeux jaunes… mais si ceux de l'ombre était ternes, les siens brillaient comme un brasier. Et de ce regard s'écoulait des larmes de sangs, à ses pieds formant une flaque écarlate qui paraissait vouloir tout dévorer.

Des secondes, des minutes, des heures, des jours, peut-être même des années… Surkesh resta là planté, debout et immobile à contempler ce vitrail. Des souvenirs confus lui revenaient mais aucun n'étaient véritablement agréables à regarder. Il n'y avait que souffrances et désespoirs émanant de cette sombre fresque. « Lève un pied. » Ce que l'être fit sans hésiter, ayant obéit sans retenue… et sans que l'écho n'eut à dire plus, l'homme réapprit à marcher. Le temps que Surkesh contempla le vitrail de sa vie tourmentée, trois armes flottantes apparurent, lévitant à portée de sa main après seulement quelques pas.

Il y eut un sceptre… une épée… et un bouclier… ce fut bien suffisant pour le paralyser de doutes par milliers. Un danger approchait, Surkesh le sentait… non ; il le savait. De ce choix dépendrait un énième virage de sa destinée. Très vite, Surkesh se désintéressa de l'épée… se rappelant l'avoir toujours fait mais aussi, l'avoir toujours regretté. A côtés, le sceptre sifflait de douces comptines, appellant le jeune homme et le faisant se sentir comme un nouveau-né qui entendrait sa douce mère chanter. Le bouclier, quand à lui, ne faisait rien et pourtant, Surkesh le regardait comme un mari regarde la femme dont il a toujours eu besoin mais n'a jamais mérité.
Des secondes… des minutes… es heures, des jours entiers… voir peut-être des années passés à hésiter.

Ce ne fut qu'au moment de se décider que les trois armes se volatilisèrent et disparurent… sans que Surkesh ne puisse se rappeller du choix qu'il avait fait. L'instant d'après, ce monde… cette étrange dimension, jusqu'ici éthéré, se fit violemment concrète. Le vitrail explosa, vola en milliers d'éclats qui lacérèrent Surkesh, lui rappelant ce qu'était la souffrance avant de le laisser chuter… pour s'écraser, lourd d'une impitoyable chute, sur un autre pallier. L'homme sursauta, s'étant retrouvé nez à nez avec un sans-cœur aux cheveux d'argents avant, d'une main sur son coeur posé, soupiré de soulagement à voir que ce n'était qu'une image.

Encore une fois, l'être passa une éternité à contempler ce vitrail. Le sans-cœur y apparaissait, victorieux. L'une de ses pattes écrasait le personnage central du premier vitrail qui rampait, à l'agonie, vers un coeur qu'une clef noire embrochait. Ces deux-là, au centre de la scène, s'offrait en spectacle à un humain n'ayant qu'une seule main : celui-là regardait la scène avec désintérêt du haut d'un chateau lumineux. Tandis que le reste du décor se composait de flots, de navires et d'une île… tandis que le sans-cœur, un sinistre katana levé, avait toute l'allure d'un pirate prêt à passer à l'abordage. Une foule d'autres personnages envahissait la scène mais trois seulement retinrent l'attention de Surkesh.

Une femme aux yeux plissés, son arbalète sur le sans-cœur braquée… une rousse qui regardait ailleurs, une pièce entre les doigts de sa main gauche levée et une petite lame émoussée dans la droite, dérrière son dos bien caché.

Surkesh observa les alentours, sans rien voir de particulier… et redirigeant ses yeux vers le vitrail en quête de réponse, un pur sentiment de peur l'envahit : le sans-cœur avait disparu de la scène et pour celui qui regardait du haut du château, il en était de même. Le combat que Surkesh appréhendait tant au moment choisir son arme arrivait… et d'instinct, l'homme comprit à quel genre d'ennemi il avait affaire. De la peur, il passa à la terreur.

Sa première réaction fut de fuir… et courir sans discontinuer pour se jeter dans le vide qui entourait le pallier ! Sans succès… une sensation de déjà-vu au moment de s'écraser sur le même vitrail duquel il s'était jeté… cela fit bien rire le sans-cœur alors que le simili soupirait d'ennui. La fuite n'était pas une option, pas ici, pas comme ce pu être le cas durant le reste de ses vies. Sans un mot, tout était dit… quelle spectacle pathétique se fut de voir Surkesh trébucher, ramper et s'agiter de sursauts erratiques, apeurés à voir ses ténèbres le pourchasser en marchant, son sinistre rire résonnant. Que peut-on face aux ténèbres de son propre coeur ?!

Du coin l'oeil, Surkesh aperçut le simili, toujours l'air de s'ennuyer profondément, qui se contenter de jouer à faire des moulinets de son épée. Des secondes… des minutes… des heures, des jours voir peut-être des années entières… pour que finalement, l'on entende les protagonistes, enfin, se parler.

« Si ça continue comme ça, je vais peut-être devoir l'aider… »

Cette voix… c'était la sienne… et cherchant à parler, Surkesh bougea ses lèvres mais resta muet. Ce fut le sans-cœur qui répondit d'une voix monstrueuse.

« Certainement pas ! » Hurla le sans-coeur comme un dément, cessant un instant de pourchasser un Surkesh ahuri et effrayé pour menacer le nonchalant.

« T'as bien raison… c'est pas mon rôle et de toute façon, y a rien qui me motive vraiment à le faire… » Dit-il, neutre, froid et monotone. « …après, t'as beau bien t'amuser, moi je m'ennuie à le voir qui ne comprend rien à rien. Pas toi ? »

Surkesh avait beau hurler, aucun son n'émanait alors que les deux autres, bien plus que familier à ses yeux, l'ignorait carrément.

« Nan… c'est mon ennemi… et à tout jamais, je le dominerais ! Jusqu'à l'engloutir ! »

Et… Surkesh crut comprendre alors qu'il se rappelait, peu à peu. Retraçant le fil de ses pensées en visualisant les vitraux. Si le simili est son corps… et le sans-cœur ses ténèbres… alors lui… ne pouvait décemment pas être Surkesh. Car si aucun des trois n'était réellement Surkesh, ce dernier était pourtant bel et bien là. Soudain, le simili comme le sans-cœur purent entendre une voix paniquée à l'idée de disparaitre ! Elle qui jusqu'ici, n'avait jamais pu s'exprimer, réprimer par sa jumelle ténébreuse et plus ou moins ignoré par son corps.

« Mais j'ai aucune chance de gagner ! Il est bien trop fort pour moi et l'a toujours été ! »

La lumière de Surkesh réalisa soudain, qu'à fuir le sans-cœur, elle rapetissait et s'affaiblissait… comme l'éclat recule face à la nuit pour disparaitre complètement… on entendait à peine sa voix si aigue et désagréable à écouter, si dur à comprendre que le simili parut agacé d'avoir ainsi les oreilles rayés.

« Evidément que tu ne pourras jamais gagner… mais c'est pas grave, l'important ici, c'est juste de ne pas perdre… et de ne pas abandonner non plus, ce que tu faits en fuyant. C'est à peine si tu gagnes du temps, là. »

« Sale chien ! »

Soudain, cela parut évident à la lumière de Surkesh, éclairé sur la solution quand à la sagesse de son corps. Il n'était pas question de gagner ou de perdre, ici… simplement de se battre pour continuer à exister… c'est alors que le sinistre katana disparu… et que le corps, toujours si lasse, observa un combat que l'on ne décrira pas. Comment décrire un combat qui, pour l'instant du moins, se révèlera sans fin ?

Quelques secondes… plusieurs minutes… des heures et des jours, voir peut-être même des années… pour qu'enfin, ces trois-là finissent par se confondre en un seul être.



« T'as peur de quoi ? » Demanda une voix, forte et grave, pleine de jugement comme prête à frapper.

« … » Surkesh fronça les sourcils, l'air brusqué et presque vexé… avant de répondre, le visage déprimé. « D'hésiter. »

« C'est quoi ton rêve ? » Demanda une voix, amicale et sympathique, le ton indescriptible ; entre méfiance et empathie.

« … » A la manière d'un philosophe, Surkesh porta un bras contre son ventre et l'autre sur sa main gauche reposée, il se gratta un instant son menton mal rasé. Soudain se détendant, ses bras retombèrent le long de son corps. « Devenir fort. »

« Qu'est-ce qui compte le plus pour toi ? » Demande une voix, douce et féminine, l'air certaine de quelqu'un ayant déjà tout prévu. Parmis les trois voix, la seule qui ne lui semblait en rien familière.

« … » Et là, Surkesh resta muet, les yeux en l'air comme s'il essayait de regarder dans son propre cerveau… ou bien attendant une réponse du ciel. Cela prit du temps avant qu'il n'ouvre la bouche pour répondre. Pourtant, ici, le temps n'avait pas grande importance. Nul n'aurait pu dire si Surkesh avait mis des secondes, des minutes, des heures ou même des jours entiers. Peut-être plusieurs années ? Au moment de répondre, Surkesh avait dans les yeux un feu que son regard n'eut jamais eu. « L'amitié. »

Et juste après avoir répondu, le visage du jeune homme se décomposa à nouveau. Sa triste voix résonnant semblable à celle d'un chien battu.

« Mais je n'ai pas d'amis. »

« Tu en as. »

Pris d'un sursaut, Surkesh s'agita à la recherche de l'origine de cette voix-là ; la cherchant à gauche, à droite, en haut et en bas. Sans se rendre compte du moindre changement, l'être perdu était déjà ailleurs, les pieds posés sur un vitrail brillant de milles feux.

Au centre, se tenait un jeune homme aux cheveux blonds hérissés, les bras écartés… et auréolé d'une douzaine d'épée-clefs formant une sorte horloge sans chiffres. A sa droite, un guerrier était posté, les bras croisés ; une femme brune à son bras accroché comme une mariée et une petite blonde dérrière ses jambes cachés comme une fille à couvert de son père. A sa gauche, une femme rousse apparaissait de dos, mystérieuse.
Deux yeux jaunes dont on ne voit pas le visage, seulement les cornes et les cheveux blancs, hantant le fond de la scène. Tandis que tout en bas, apparaît un sinistre personnage perforée par plus d'armes que l'on ne peut humainement en compter.

Quand au décor… ce n'était qu'ombre… et une lune en forme de cœur qui la scène dominait.

« Je me rappelle, désormais… » Surkesh porta une main à son coeur… et pour continuer d'exister, du se résoudre à s'en vouloir. Il accepta de souffrir enfin du remord pour admettre qu'il avait aimé… et si en son coeur, la Lumière ne gagnerait jamais… il devait s'assurer qu'elle ne perde plus jamais non plus. Sans détour, ni tricherie, il avait retrouvé ses émotions… comprenant enfin à quel point il y tenait. A quel point c'était précieux. Réalisant enfin qu'il n'avait jamais vraiment vécu et que sa vie, en réalité, ne faisait que commencer. Son combat intérieur, quand à lui, débutait pour -du moins l'espérait-il sincèrement- ne jamais se terminé. « …ca fait deux fois… ah non… trois fois au total. »

Un éclat… plus petit qu'une perle, un grain seulement… c'était tout ce qu'il restait de Lumière à Surkesh. Quelque chose auquel, désormais, il tenait précieusement… comprenant à quel point un coeur peut être précieux. Vorys Melkiore l'avait compris dès le départ, goutant à l'ennui d'une vie sans sentiment. Le sans-cœur, quand à lui, a mis plus de temps… pour finalement réaliser que tout à chacun est destiné à souffrir, avec ou sans émotions. Ces derniers, pourtant, ont le pouvoir de rendre cette souffrance à intérèssante. De la transformer en quelques chose d'utile là où les ombres ne font que subir sans apprendre.

Le dernier vitrail fut, et de loin, le plus douloureux de tous… alors qu'une rousse et une femme aux yeux plissés, au loin, étaient enchainés dans un coin. Cette scène-là décrivait le simili mort, assaillis par semble-t-il des bandits, le corps d'un être aux étranges oreilles dans les bras… et le sans-cœur, mis en joug par un homme en costard.

Surkesh… ne se rappelait plus si précisément… son coeur fissuré, à deux doigts de céder… et l'esprit embrouillé… mais non, ce n'était pas terminé.