« Salut Monsieur Zéro-Pièce... »

Surkesh parut brusqué par l'arrivée nonchalante du jeune messager, malgré l'air de s'en foutre un peu comme à son habitude. Qu'il fasse à son aise, c'est bien parce que ce groupe ne fait de manières qu'en affaires que le sans-cœur y est. Au detour d'un couloir en clair-obscur de Fort Royal, à l'heure où l'ombre de la pierre se confronte aux premiers rayons du soleil, en voilà deux qui se croisent mais que tout oppose. A les voir, on croirait assister à la rencontre d'Hadès et d'Hermès… en un peu moins classe. C'est pas le premier p'tit con à courir partout en réclamant des pourboires. En général, ce sont juste des gosses ou des tocards -selon l'âge- qui se démène pour deux-trois sous. Sauf qu'un bon messager, c'est celui prêt à braver le danger pour transmettre son putain de message. Honnêtement, Surkesh est assez orgueilleux pour trouver le p'tit humain courageux juste parce qu'il l'approche. A l'ombre d'un mur de pierre entre deux fenêtres sur la mer, recouvert de sa bure noire comme d'une couette, l'on voyait les pupilles jaunes-monstres briller.

« Va falloir que je dise à Lenore et Narantuyaa que ton fameux relooking à pas servit à grand-chose ! » A la lumière d'un rebord de fort, l'aventureux messager ne parvenait juste pas à se tenir tranquille. Fallait qu'il jongle avec quelque chose, se gratte, inspecte sa tenue... son regard plein de vie et d'énèrgie se suivait irrémédiablement d'un geste. Ca descendait et ça remontait des rebords comme un lapin sous caféine en ballade, du côté intérieur comme extérieur du fort.

« Tu veux pas arrêter de gesticuler un peu ?! Il est tôt, les gens dorment et... on ne voudrait pas les déranger, tu vois ? »

Le jeune messager s'arrêta net les mains jointes à l'arrière du crâne avec un sourire complice et une lueur d'intérêt dans les yeux, de la secousse, le sombre mercenaire se stoppa net… tout aussi brusqué qu'à son apparition.

« Ooooooooh... » Lança-t-il, murmurant audible et malicieux. « ...tu prépares quoi au juste ?! » S'il singeait soudain un air inquisiteur, ça crevait les yeux qu'il voulait en être.

« Un truc… toi qui sait tout, tu sais bien qu'en tout temps et à toute heure, je prépare toujours un truc ou deux. »

« Je sais pas tout, pour ça que je suis là.. »

Les deux se regardèrent en chiens de faïence quelques instants. Surkesh reprit sa route comme si de rien n'était pas.

« Au fait, je cherche Narantuyaa, tu l'as pas vu dans le coin ? » Et le messager suivait, bien plus calme, les mains dans les poches à jouer du pied avec un petit caillou.

« La dernière fois que j'ai entendu parler d'elle, la mongole partait pour Hill Valey s'occupper d'une escorte, me demande pas les détails. » Lança le sombre mercenaire, indifférent ou du moins, prétendant l'être. Les alliés c'est comme la puissance, on en a jamais assez. C'est de la puissance tout court… mais malgré les possibilités infinis de la sociabilité, on fait difficilement moins fiable qu'un allié. Pour un paranoïaque, n'est véritablement fiable que ce qui vient de soit.

« Escorte genre… »

« Escorte armé. Protection si tu préfères. Bref, de toute façon, ça remonte à loin. C'était genre... peu après l'attaque du dragon sur le Sanctum… ca fait un bail quoi. Je sais plus trop quand mais elle trainait en chine à une époque… » Jusqu'ici morne et blasé, la vie de Surkesh sembla soudain se rallumer comme sur l'impulsion d'un interrupteur déclenché. Le souvenir d'avoir participé à la capture de Tian-Long avec Death le Faucheur et Dame Vesper Earl réchauffait le sans-cœur. C'est juste… un truc cool qui a été fait un jour. Puis hey, vous en connaissez beaucoup qui ont croisés un olympien ?! Cet air singulier céda bien vite la place à l'allure de feignasse fatigué qu'arbore le plus souvent Surkesh. « …bref, c'est une grande fille maintenant, une vraie petite mercenaire ! Qu'elle se démèrde donc. »

« Et Lenore ? »

Au départ, Surkesh cherchait un contrat à la con pour s'enrichir pendant qu'il récupère de ses blessures… pas si graves après coup mais, et c'était peut-être pire, mal soigné. Alors le sans-cœur s'est assis, d'instinct à l'ombre d'un mur de pierre prêt d'une porte en bois. La chaleur commençait tout juste à vous faire sentir aux tropiques. A l'aise, l'athlétique messager des mercenaires enleva sa chemise et, tout tranquille, se laissa flaner à un peu de soleil. Les yeux fermés, Jérôme n'avait pas l'air de s'en vouloir aller, attendant de pied ferme une réponse que Surkesh murissait sous ses yeux l'air soucieux…

« Je sais qu'elle a ramenée un oeuf de cybug et bon, y a de grandes chances qu'elle l'ait chopé à la Salle d'Arcade. A part ça, j'en sais rien. »

« Tu veux des nouvelles ? »

« Pourquoi pas. »

Et… Jérôme tendit la main, tout fier de lui. Après avoir doucement grogné, Surkesh se lève et s'engouffre dans l'une des tours du château pour descendre un escalier en colimaçon percé de quelques fenêtres, pas assez pour se passer d'une ou deux lampes torches ici et là ; même à la lumière du soleil.

« Arrête de me suivre, t'auras pas de pourboire. Quoique tu me dises. »

« Du coup… j'ai cru comprendre que Kurt voulait récupérer ce fameux oeuf ? »

« Ca me dit rien. »

« Moi oui, j'étais là quand il a tapé à ta porte. Enfin, je laissais trainer les oreilles, tu vois ? Je sais pas trop ce qu'il voulait mais ça sentait pas trop le code des mercenaires selon moi.»

« Tu… ne peux pas le sentir non plus, hein… ? »

« Non. Il m'a pris pour son chien et j'ai pas du tout aimé ça. J'suis le messager du Centurio, merde quoi ! »

Le sans-cœur répondit en "versant une larme"…

« Merci Monsieur-Une-Pièce ! Allez, faut que j'y aille mais… je te tiens au jus. »

« Avant de partir… »

De quelques contorsions nerveuses de ses doigts, les cinq doigts de Surkesh tissèrent "Chut…" comme l'aurait fait les pattes d'une araignée, allongeant le mot de plus en plus pour donner "Chuuuuuuuuuuut…" et finalement se transformer en une petite phrase qui se dissipa dès que Jérôme l'eut lu.

"Les TURKS sont parmis nous."

«Et Kurt, c'est un TURK ou pas ? »

« J'en sais rien putain mais honnêtement, si s'en est un, je suis bien le plus déterminé de tous à le démasquer et j'ai… pas mal de pistes. »

« Tu pouvais pas juste me le dire direct au lieu de me stresser à te la jouer avec tes pouvoirs magiques à deux munnies ? Surtout que bon, c'est toujours pas du concret… »

« Woah… t'es pas cool là… mais ouais, pas encore du concret. Pourquoi tu le suivrais pas un peu histoire de m'aiguiller dans le bon sens ? »

« Pour combien ? »

Et Jérôme a fuit à la vitesse du vent en ne disant que ceci.

« Merci Monsieur Cinquante-et-une pièce ! A la prochaine ! »