[mini-série]
Le chant du Coq annonça les premières lueurs de l’aube sur le Mont-des-Lanternes. La Lune blafarde dominait encore le ciel obscur à l’horizon violacé. Sa lumière pénétrait la chambre pour baigner de sa lumière froide la partie du lit toujours désespérément vide de la chaleur de son aimée. Sans sa douceur et son sourire, la vie semblait tout aussi grise que le décor en cet instant.
L’animal de basse-cour insistait, ses notes aiguës et traînantes semblant l’exhorter à se lever, vite, avant que le soleil n’arrive. Il était l’heure. Un nouveau jour commençait et il était de sa responsabilité de se mettre aux fourneaux. Pierrot, sans sa Pierrette, se levait d’une aisance mécanique, se préparait par habitude, pour passer une journée de plus sans le soleil de sa vie. Le boulanger aurait volontiers pris une arme, serait volontiers partit à sa recherche, mais il n’était ni soldat, ni mercenaire. Il n’avait pas eu la force d’abandonner ses trésors. Elle ne lui aurait jamais pardonné.
Propre, sa courte tignasse peigné vers l’arrière, rasé soigneusement pour entretenir son imposante moustache rousse descendant jusqu’aux angles de sa mâchoire, il passait son tablier, serrant toujours un peu plus que la veille. Le chagrin rongeait ses traits et sa silhouette, faisant fondre son honnête brioche. Elle lui ferait un sermon de fin des temps si elle le voyait ainsi.
Il devait se motiver et gagner l’étage du dessous et l’arrière-boutique. Sourire, être fort pour ses trésors ainsi que l’ensemble de la ville, mettre de l’amour et du réconfort dans sa pâte pour partager avec ceux qui restent.
Tout d’abord, comme d’habitude, allumer le foyer jusqu’à la bonne chaleur, celle qui réchauffe le cœur comme un doux souvenir d’amour partagé. Préparer son premier gâteau, très important pour qu’il soit prêt rapidement. Préparer ses ingrédients, les pesées avec précision et patience, les ingrédients drastiquement sélectionnés, puis mélanger et brasser, longuement avec force et longueur de temps pour bien homogénéiser la pâte, autant de brassée que d’embrassade pour ceux que le boulanger veux tenir près de son cœur. Un moyen pour se donner le courage de continuer, encore un peu pour untel, encore un peu pour celle-ci, et ses trésors encore et toujours, le souvenir de leur visage rond, leurs grands yeux noisettes qui s’étonnent de tout et leur air canaille quand une idée leur traverse la tête. Séparer la pâte en autant de cœur rond à offrir et d’autres différentes formes, les fariner de poudre immaculée pour les blanchir de toutes mauvaises intentions, y graver un soleil emblème de la ville et les dorer à la vive chaleur pour leur insuffler la vie, celle qui fait gonfler les cœurs et rempli d’énergie. Le boulanger souriait, fier de sa fournée, prêt à apporter à cette journée son pouvoir silencieux comme l’appelait Pierrette, celui de faire fleurir un sourire au visage de ses clients.
Le soleil commençait à dorer l’arrière-boutique à travers le soupirail. Les bruits s’éveillaient à l’étage, des pas précipités et des pieds de chaises trainés. Il était déjà l’heure de s’occuper du déjeuner de ses trésors. Il frappa ses mains pour en faire retomber la farine et saisit son premier gâteau, aux fruits rouges gourmands, le remontant avec lui.
« Bien le bonjour mesdemoiselles ! Tonna-t-il jovial mettant fin aux éclats de voix chamailleurs.
- Papa ! S’exclama avec énergie la plus jeune en première place de la chaine.
- Arrête de bouger Anna ! La sermonnait l’une des deux jumelles en lui tressant d’innombrables tresses en tout sens, l’imagination fiévreuse et le sens esthétique aiguisé.
- Toi arrête de bouger ! Rétorquait son alter égo concentré, lui tressant elle-même deux tresses recourbées vers le haut.
- Calmez-vous s’il vous plait. Souffla doucement leur soeur un peu plus agée, s’appliquant à faire deux tresses régulièrement identiques tombant sur la nuque de la sœur devant elle, sans la faire souffrir.
- Bonjour Papa, nous terminons et nous nous lavons les mains. Tout va bien ce matin ? Demanda la plus âgée, déjà adolescente, presque adulte de par son sérieux. Terminant rapidement et avec aisance la longue tresse simple de sa voisine, elle s’appliqua à terminer ses propres préparations capillaires, fixant sa tresse en un chignon soigné, le temps que chacune finisse son rituel matinal.
- Tout va bien Amanda, c’est un beau jour qui s’annonce d’après l’oracle des petits pains. Précisa-t-il dans un sourire bienveillant en se penchant près de la plus jeune. Anna en trépigna de joie à entendre ce petit secret magique.
- Allez au lavage, tout le monde. Il ne faut pas faire mentir l’Oracle. Reprit la plus âgée en guidant les autres, un sourire amusé de jouer le jeu pour les plus jeunes.
Pierrot observait leurs petites manies, leur bonne humeur dans l’application de leurs rituels matinaux instaurés par sa femme. Leurs petites différences de caractère et leurs ressemblances si frappantes, toutes aussi rousses que lui et avec les yeux et la beauté de leur mère. Ses trésors lui réchauffaient le cœur.
Amanda la plus grande, responsable et solide, qui avait repris le rôle de sa mère et veiller à conserver leurs habitudes comme pour garder le souvenir de Pierrette dans l’esprit de chacune et qu’elle retrouve tout comme avant lorsqu’elle rentrerait enfin.
Annabelle était calme et timide, d’une douceur semblant sans bornes. Toujours à chouchouter ses petites sœurs, elle n’en oubliait pas d’apporter à son aînée une dévotion enthousiaste. Elle était la première à tenter de juguler les aventures folles des jumelles sans pour autant les arrêter.
Anita et Amélia se complétait parfaitement. L’une avait toujours une aventure loufoque en tête pour éveiller la curiosité de la benjamine et l’autre lui en trouvait les moyens, son esprit pratique trouvant toujours ce qu’il fallait pour les réaliser.
Et Anna, la plus jeune, une boule d’énergie pure toujours à s’émerveiller de tout avec un grand sourire addictif. Egalement la plus belle excuse de toutes ses filles pour tout se faire pardonner. « C’était pour amuser Anna » était rapidement devenu l’argument ultime et Pierrot ne pouvait que les pardonner, la petite étant la plus touchée par l’absence de sa mère.
Perdu dans ses contemplations, il n’avait pas vu le retour de la dernière qui se jetait déjà dans ses larges bras avec force et être installé sur ses genoux. La journée allait pouvoir débutée, à son habitude, par le partage du déjeuner dans la bonne humeur.
Le reste de la journée ne différait guère des autres également. Sortir les fournées de pains et pâtisseries, enchainer sur les suivantes pendant qu’Amanda tenait la boutique, parfois aidée d’Annabelle quand celle-ci n’entraînait pas ses petites sœurs ailleurs pour jouer sans entraver le travail. Même si régulièrement, elles déboulaient comme de petites tornades flamboyantes dans la boutique en pleine aventure. Juste assez pour des remontrances s’estompant dans l’air alors qu’elles ne les écoutaient qu’à peine. Peut-être que cette vie trépidante faisait partie de ce que venait chercher les clients, en tout cas tous repartaient avec un large sourire.
Le soleil finissait par retomber de l’autre côté du Mont-des-Lanternes, ainsi que la fatigue du labeur accompli sur les épaules du boulanger. En un long soupir satisfait, il contemplait les étagères vides de la fin de journée, balayant la boutique avec l’aînée de ses trésors jusqu’à ce qu’elle l’alerte avec une moue contrite. Elle venait de prendre tout en haut de l’étagère l’un des derniers pains de campagne. Le tenant contre elle en se mordillant la lèvre, elle cachait clairement quelque chose au patriarche. Un soupir et un froncement de ses sourcils broussailleux suffire pour que Pierrot obtienne la réponse. Tournant le pain, elle lui dévoila la marque d’une morsure à même le pain. Petite mais clairement identifiable. Sa moustache en frissonna de mécontentement.
L’heure du repas venu, le patriarche s’assit à table, entouré de ses trésors, joyeux, bruyants, jusqu’à ce que l’objet du crime soit déposé sur la table, la marque de dentition bien en évidence. Il hocha la tête devant le silence coupable et regarda ses enfants l’une après l’autre.
« Jeunes filles… Nous sommes confrontés à un odieux délit. Commença-t-il d’une voix grave. J’écoute ce que vous avez à en dire.
- C’est peut-être un lutin qui … Tenta la jeune Anna, avant de sursauter lorsqu’elle fut coupée par une grosse main frappant le bois de la table.
- Ne me mentez pas ! Tonna Pierrot. Votre mère et moi ne vous avons pas élevé pour être des voleuses !
Il se calma sous la pression de la main d’Amanda sur son épaule, lui rappelant que ce n'était pas aussi grave, alors que la plus jeune, sanglotante, et les deux jumelles s’étaient réfugiées dans les bras de la paisible et protectrice Annabelle.
- La marque de dent est trop petite pour la plupart d’entre vous. Mais le pain était bien trop haut pour qu’Anna ne puisse l’atteindre. Alors… Dit-il en soupirant et en croisant les bras. Je vous écoute.
- Comprenez que si nous l’avions vendu… Nous aurions eu des problèmes… Nous aurions dû nous excuser auprès des clients. Intervint Amanda pour calmer la situation.
- J’voulais … demander à l’Oracle… de ramener maman… Pleura Anna.
- Lenore nous aurait félicités, elle. Marmonna Anita en bougonnant.
- Quoi ?! fit Pierrot la mâchoire tombante devant cet argument improbable.
- C’est vrai, reprit Amélia pour soutenir sa jumelle. On a vaincu le dragon qui surveillait le trésor. Dit-elle en désignant l’Aînée aux côtés du père.
- Depuis quand je suis un dragon moi ?! répliqua-t-elle outrée.
- On a travaillé ensemble, renchérit Anita et surmonter les obstacles.
- Annabelle ? Fit le patriarche dépité.
- … J’ai… détourné l’attention d’Amanda… pendant qu’elles lui faisaient la courte échelle. Souffla-t-elle penaude en serrant contre elle ses condisciples.
Le silence alourdi des pleurs de la plus jeune s’installa. Pierrot ne savait plus qu’en penser. L’absence de leur mère et celle de Lenore leur pesait tout autant qu’à lui et leur tristesse innocente le blessait à vif et chacun baissait les yeux au sol. La main d’Amanda lui frictionna le dos pour le réconforter discrètement alors que sa voix brisa le silence, d’un ton joueur et menaçant.
- Et maintenant, le dragon et le Chevalier Noir, son maitre vous ont attrapés ! Ha ha ha ! Pauvres de vous. Vous allez être punis pour avoir tenté de voler ce trésor. Allez-vous laver les mains et mettez la table avant que je ne vous croque ! Fit-elle en levant des doigts crochus menaçant.
- Vite ! Vite ! Reprit Annabelle forçant un sourire. Elle veut nous manger.
Les trois petites furies, suivies de la plus calme, partirent en hurlant vers la salle d’eau, changeant l’ambiance au jeu de nouveau.
Pierrot reconnaissant, embrassa la joue de sa fille.
- Tu as l’intelligence de ta mère. Que ferais-je sans toi. Souffla-t-il.
- Je sais qu’elles te manquent à toi aussi. Tu sais… Lenore a dit que les meilleurs mercenaires cherchaient aussi après les mères, en plus des gardes et soldats de tout les groupes. Même si elle ne nous a pas écrit depuis longtemps, nous on peut lui envoyer une lettre… et un petit pain. Tu sais qu’elle en raffole autant qu’Anna.
L’aînée s’éloigna de son père pour regagner la salle d’eau en grognant comme un dragon, arrachant un sourire au boulanger.
- Prêtes ou pas prêtes, j’arrive ! GROAR !
- Bon allez, monsieur Chevalier Noir. La journée n’est pas finie… Il faut préparer le dîner et ensuite coucher ses crapules dans leur cellule.
Pierrot se leva lourdement, se tournant vers le foyer de la cuisine pour faire réchauffer la soupe, se promettant de faire un peu plus de pains encore le lendemain et d’en envoyer vers Port-Royal au nom de Lenore. Peut-être que cela suffirait à lui rappeler de donner de ses nouvelles à sa famille.