Je quitte le Bubble Bath pour rejoindre Francis dans sa voiturette à l’arrière de l’établissement. Il a mis des lunettes de soleil et a l’air de bonne humeur, tant mieux. Je lui fais signe de la main et monte dans le véhicule léger.
« En route Madame ! On va où ?
- Centre de commandement de la garde urbaine, Je dois voir le Lieutenant Harch.
- C’est parti ! »
Nous démarrons avec une certaine vitesse pour trouver notre voie jusqu’au front de mer, que nous longeons ensuite plus calmement – consignes de sécurité pour éviter les accidents de la route-, tout en gardant un rythme régulier. Il fait beau, comme d’habitude. Le bruit des vagues qui se déversent sur la plage, provoquant des éclats de rire chez les plus petits et les plus grands, comme d’habitude. Les jeunes d’Illusiopolis et du Jardin Radieux qui comparent leurs capacités d’ingurgitation de l’alcool en attendant l’ouverture des bars du soir, comme d’habitude.
Peut-être que pour les touristes, la Costa del Sol est un endroit exceptionnel où vous faîtes, voyez des choses différentes de votre quotidien. Le problème, en tout cas pour moi, est de voir, revoir les mêmes individus refaire indéfiniment les mêmes activités. Honnêtement, cela peut être un peu lassant à la longue. Alors, certes, on ne risque pas de mourir à chaque coin de rue comme dans certains autres mondes, mais c’est usant à la longue. Heureusement que Rufus a enfin décidé de signer ma proposition, sinon je crois que je me serai enfuie tant tout ceci devenait monotone. Mais maintenant je fais réellement ce que je veux, il y a du nouveau.
« Madame Song, je suis curieux. Le Lieutenant Harch, il est pas un peu flippant dans le genre ? Je le vois bien égorger des vierges les soirs de pleine Lune… Voyez le style ?
- Je comprends Francis. Cependant Harch est un homme… Qui a une expérience indéniable en termes de stratégie militaire. Il a juste besoin d’un coup de pouce pour réveiller ses compétences endormies.
- Ouais mais pour les vierges on fait comment ?
- Tssss Francis, voyons ! Pas vu, pas pris… » dis-je en rigolant légèrement.
Au détour d’un palmier, nous nous engouffrons dans les bourgs de la Costa pour rejoindre le quartier-général des forces de l’ordre. Ce n’est pas très loin du Bubble Bath, une quinzaine de minutes en voiturette, avec les limitations. Le bâtiment est de la forme d’un grand « U » avec plusieurs étages, trois pour être exact. Les murs blancs relativement bien entretenus, sont tâchés des fenêtres aux volets fermés, ne laissant rien paraître de ce qu’il y a à l’intérieur. Une fois que vous avez passé la grille, il y a une grande cour, propice aux entraînements de petits groupes. Tout autour de la bâtisse, des terrains d’entraînement plus grands tant pour le sport que pour le combat existent, le tout encerclé par des barbelés. Au moins, on sait où on est ici.
Nous pénétrons dans l’enceinte et nous nous rendons à l’entrée principale. Les gardes me saluent à la limite de la désynchronisation totale. L’un d’eux est un petit jeune, il ne doit pas avoir plus de vingt ans. Au garde à vous, ils se tiennent droit et prient que je ne leur reproche rien. La réforme n’est pas encore passée. Je vais être clémente avec eux.
« Tâchez d’être synchronisés la prochaine fois. Sinon je vous enverrai à la circulation pendant les six prochains mois. »
Je ne m’y attarde pas plus. Ils ont déjà dû comprendre la leçon. A peine passons nous le porche que le Lieutenant Harch vient à notre rencontre, toujours avec son sourire particulièrement douteux. Il salue « chaleureusement » Francis et moi-même.
« Cela me fait plaisir que vous veniez me voir si vite, Madame Song.
- Les choses importantes doivent être toujours vues en priorité, Lieutenant.
- Certainement… Ne restons pas ici, allons dans mon bureau. »
Le dos légèrement voûté, il nous conduit à travers les couloirs sombres du bâtiment. Tous les volets étant fermés, sous ses ordres certainement, la moindre pièce est au minimum ombragée aux meilleures heures de la journée, ou totalement dans les ténèbres. Heureusement qu’ils ont des lampes électriques. Tout de noir vêtu, il se fond parfaitement avec les lieux, renforçant son aspect quelque peu inquiétant. Il ne me fait pas spécialement peur, cependant je ne peux nier sa nature… Particulière. Au vu des regards du personnel administratif du centre de commandement, je crois qu’il les terrorise un peu. Tant mieux, au moins ils vont filer droit.
Il ouvre une porte simple, dévoilant un bureau tout aussi minimaliste. Peu d’éléments de décoration, peu de traces de réel travail. Cela ne semble pas être son principal lieu d’exercice.
« Ce n’est pas votre vrai bureau n’est-ce pas ?
- Non, en effet. Le poste de contrôle est en sous-sol. Je l’ai fait déménagé en bas lorsque je suis arrivé à la Costa. Je vous montrerai après.
- Très bien. Permettez ? »
Je pointe les sièges du doigt, lui demandant poliment son approbation, il hoche la tête.
« Je vous en prie, prenez place. »
Nous nous exécutons et nous laissons notre hôte débuté.
« Je tiens vous renouvelez mes sincères félicitations pour votre… Opération, Madame Song. Je ressens que tout ceci nous sera à tous profitable… D’une manière… Ou d’une autre.
- J’y compte bien. Cependant, je suis quelque peu étonnée que vous ayez choisi de rester à votre poste au lieu de choisir une autre affectation. Quelle raison à cela ?
- Vous pensez que je préfère rester ici ou retourner léchez les bottes de la figure bien blonde et lumineuse qui m’a envoyé manu militari ici pour s’occuper d’une milice qui n’est bonne qu’à intercepter les délinquants alcoolisés du samedi soir ?
- J’imagine que c’est la première.
- En effet. Pardonnez mon ton légèrement agacé… Revenons-en à nos moutons… »
Il a l’air de s’être un peu laissé aller sur ses émotions. Mais c’est bien, c’est très bien. Une légère perte de contrôle qui permet d’un peu mieux cerner le personnage. Peut-être que son ressenti contre la hiérarchie militaire de la Shin-Ra pourra être à mon avantage.
« Bien Lieutenant Harch... Donc, comme je vous ai pu vous le signifier précédemment, j’ai pour projet d’améliorer nos forces de l’ordre pour garantir un maximum de sécurité aux touristes, aux habitants de la Costa… Et au Syndicat.
- C’est tout à fait louable. Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ?
- Où avez-vous des difficultés ?
- Hé bien… Pour être honnête… »
Il se relève de sa chaise, et soupire un grand coup.
« Venez voir. » dit-il, presque triste.
Nous nous levons et sortons de la pièce, il nous conduit à travers de nouveaux couloirs, rejoignant un sas nécessitant un code d’accès, puis un second, puis un troisième. Au bout d’une dizaine de minutes, nous arrivons dans les sous-sols du bâtiment, suivant notre chef de la milice à travers des allées bien lugubres, légèrement éclairées par de vieux néons verts ou dorés. Nous atteignons finalement une grande salle, qui sert de zone de contrôle principale pour toutes les activités de maintien de la paix à la Costa. Caméras, serveurs de l’intranet Shin-Ra, radios en contact avec les agents sur le terrain : tout est là.
« P’tin, je ne pensai pas qu’il y avait ça en dessous. » me souffle Francis.
C’est vrai que ça a son charme. Cette ambiance bunker bien bétonnée, avec des câbles qui partent dans tous les sens, une luminosité très douteuse et des salariés avec des têtes d’enterrement. On est au maximum de l’environnement de travail sympathique. Moi qui pensait que j’étais une chef horrible, je comprends que je ne suis pas la seule à être dans cette compétition. Cependant, petit détail intéressant : je trouve que la disposition des plans de travail rappelle celui d'un certain modèle de croiseur de la Shin-Ra, avec la place du capitaine au centre du lieu. Même dans sa chute à la Costa del Sol, il a voulu garder ses habitudes de pilote stellaire.
« Voici notre centre de commandement. Très rustique, mais très opérationnel. Ne faîtes pas attention à la lumière, c’est moi qui l’ait changée.
- Sans blagues…
- Je vous ai entendu. Comme vous pouvez le voir, nous manquons de caméras dans certaines ruelles de la ville, permettant parfois à des alcoolisés de passer hors champs et du coup de s’enfuir alors qu’il y a eu dégradation sur la voie publique. »
Donc, son centre de contrôle est une véritable caverne, mais la priorité semble ailleurs. On va régler cela, je ne peux pas laisser le Syndicat avoir un quartier-général pour sa milice aussi… Etrange ?
« Avant toute chose, je pense que l’ensemble de votre structure nécessite une rénovation. Les câbles apparents des serveurs et des écrans, ce n’est pas possible à notre époque, Lieutenant.
- Cela ne me dérange pas vraiment, mais si cela peut vous faire plaisir.
- Pour les caméras, je suis d’accord avec vous, nous devrions en prendre de nouvelles… Cependant, je comptai faire autrement, pour nous éviter de trop gros investissements pour de simples ruelles. Une petite idée simple mais efficace.
- Laquelle ?
- Vous verrez d’ici peu. Je dois préparer le projet proprement. Cependant, nous allons devoir agrandir la surface dédiée aux serveurs, notamment ceux hébergeant les ondes radio.
- A votre guise. Refaites la décoration si vous le souhaitez, mais je veux une luminosité basse.
- Des concessions sont possibles, ne vous en faîtes pas Lieutenant. »
Il sourit légèrement. La lueur de son œil robotique rouge brillant dans les ténèbres, lui donnant un air particulièrement sinistre. Il nous invite à le suivre au centre de la pièce, où un siège est libre. Je devine qu’il nous présente son poste de travail.
« Voici mon véritable bureau. Il n’y a que la fine fleur de la milice qui est dans cette salle. Avec ces écrans, je peux voir la Costa et communiquer en temps réel avec nos agents sur le terrain.
- C’est impressionnant. Donc si comprends bien, vos besoins – en dehors d’un relooking de vos installations, du moins pour éviter que ce soit si… caractéristique- ne sont pas vraiment « techniques ».
- Exactement. Bien qu’il faut toujours investir pour garantir notre sécurité technologique, c’est avant tout avec mes hommes et mes femmes qu’il y a… Du travail.
- Auriez-vous des exemples clairs ?
- Voyez plutôt. »
Il se tourne vers son écran et pianote deux touches sur son clavier. Il tourne l’engin vers notre direction. Nous avons l’image de l’un des terrains d’entraînement des forces de l’ordre, c’est une séance de formation avec l’une de mes récentes recrues : Dr Dimitri Lokhov. Un fier gaillard si vous voulez mon avis.
« Cela date d’hier. Je vais vous montrer les passages intéressants. »
Il se trouve que c’est assez édifiant : la vidéo nous montre le chemin à parcourir. Dimitri est peut-être un expert en combat, il n’en reste que ses apprentis ne sont strictement pas qualifiés pour de vrais affrontements, armés. Nous avons donc en face de nous, des hommes et des femmes, prêtes à maintenir la paix, mais certainement pas de « forcer » la paix. En fait, le problème du Lieutenant Harch, c’est qu’il a une « police », plus qu’un groupe armé.
« Comprenez-vous notre problème Madame Song ?
- Moi je comprends que vos petits jeunes ils sont pas très costauds.
- Ce que je pense cerner Lieutenant, c’est que vous souhaitez intensifier la formation de nos agents, c’est bien cela ?
- Avec un équipement adéquat.
- Cela va de soi. »
Nous nous sourions. La rencontre de deux personnalités, si différentes, mais à la fois partageant un certain nombre de points communs. Je lui fais signe de se relever. Je retourne sur mes pas, intimant mes deux compagnons de me suivre. Ils s’exécutent parfaitement. Une fois loin des oreilles trop aiguisées :
« Vous êtes conscient qu’il va falloir revoir toute une partie de l’entraînement des recrues, plus les anciens agents qu’il faudra former aux nouvelles ?
- Tout à fait. Cependant, comme vous l’avez dit, il nous faut avoir les meilleures forces de l’ordre possible pour parer à tout incident majeur. »
Je me concentre un instant et j’envoie un message télépathique à Francis.
« Eloigne toi un peu, je veux lui parler en privé. »
Francis fait mine de rien et se retourne en excusant le fait d’avoir besoin d’un verre d’eau. Mon regard revient sur l’ombre inquiétante qui nous accueille en ces lieux. Il sourit encore. Tâchons de nous assurer de la loyauté de notre ami ici présent.
« Vous comprendrez Lieutenant Harch que je n’ai pas d’intérêt à investir autant d’argent alors qu’il n’y a ni menace imminente et urgente, ni assurance de votre dévotion au Syndicat. J’ai besoin de garanties de votre part.
- Je comprends, Madame Song. Nous nous connaissons que peu, au final. » dit-il, tout en calibrant son œil rougeâtre.
Il joint ses mains devant lui et prend un air des plus sérieux.
« Donnez-moi les moyens de vivre comme un vrai officier. C’est bien plus glorieux qu’un simple fonctionnaire sur un monde paumé baigné dans le soleil. J’étais capitaine d’un bâtiment de patrouille sur les Routes Stellaires, pas à la tête d’une milice de… De paysans avec des matraques et des tazers. Le plus gros calibre que nous avons c'est un fusil à pompes.
- Je peux comprendre votre frustration, Lieutenant. Mais ce n’est pas une garantie.
- Hum… Très bien. Je suivrai tous vos ordres… Sans poser de questions. »
Alléchant. Mais cela ne me semble pas bien convaincant. Je le regarde avec un regard de serpent. Entre personnes rusées, nous nous comprenons.
« Je mets mes compétences au service du Syndicat, Madame Song. Nous ferons de très bons partenaires, je le pressens… De toute manière, nous savons tous les deux ce qui m’arriverait si je vous déçois. Je sens ce genre de choses… Je vous fais confiance, retournez moi la faveur.
- Je préfère cela et je suis tout à fait d’accord avec vous, Lieutenant Harch. »
Francis revient avec un gobelet en plastique rempli d’eau.
« Donc, nous disions Lieutenant : revoir les processus de formation pour anciens et nouveaux membres, quelques investissements pour remettre un peu certaines choses à jour ?
- Oui. Reste le problème des effectifs.
- Expliquez-moi votre souci. »
Il se dirige vers une salle annexe, avec un grand écran typiquement digne de la compagnie interstellaire où il affiche la liste des différentes unités des forces à la Costa del Sol. Il prend une mine concernée.
« En soi, nous avons de quoi faire en termes d’unités pour le maintien de l’ordre. Cependant, nous avons une pénurie de recrues. Avant, nous pouvions bénéficier d’effectifs que la Shin-Ra envoyait ponctuellement, maintenant ce n’est plus le cas. Ce qui nous fait risquer un manque de renouvellement dans nos équipes.
- Combien de temps avons-nous pour ce problème ?
- Plusieurs mois au minimum. Après c’est un souci de long terme potentiellement. Ce qui m’inquiète c’est comment réussir à motiver des jeunes de la Costa à s’engager dans notre organisme ? Il n’y a pas d’insécurité, et ils préfèrent plutôt s’amuser la nuit plutôt qu’être de ceux qui mettent les gens en cellules de dégrisement.
- Je réfléchirai à cette problématique Lieutenant, et je vous donnerai des hommes et des femmes pour combler les manques, bien que futurs.
- Vous feriez de moi un homme heureux. » dit-il tout en pouffant de rire d’une manière presque grinçante. On dirait une machine ce garçon.
Après cette visite basse en couleurs, oui Francis m’a un peu contaminé avec ses jeux de mots pathétiques, nous revenons à l’accueil. Nous allons quitter les lieux.
« Monsieur Francis, n’hésitez pas à venir nous donner quelques cours. Je suis certain que nos agents pourraient bénéficier de votre expérience importante pour le parcours… Martial.
- Vos gars vont prendre cher mais pourquoi pas ! »
Nous échangeons quelques banalités avant de faire l’ultime au revoir à cette bâtisse avec décidément beaucoup de surprises.
« A très bientôt Lieutenant, et merci de votre coopération. N’oubliez pas de mettre à jour tous vos emblèmes.
- Je n'y manquerai pas. C’est un plaisir de travailler avec vous, Madame. » dit-il, avec un sourire tentant vainement d'être rassurant. Pauvre Harch, sa blessure lui a vraiment anéanti les nerfs du visage.
Nous nous quittons sur ces mots.
Un bilan plutôt positif. Francis me raccompagne au Bubble Bath à bord de sa voiturette. Il n’a pas l’air aussi confiant que moi.
« Vous lui faîtes confiance à l’amateur du conte de Dracula ? Me fait peur ce con avec son œil rouge chelou.
- Il en veut autant que moi, si ce n’est plus à la compagnie qui l’a envoyé ici. Maintenant qu’il a fait son trou, il souhaite retrouver un peu de sa gloire passée. Moi, c’est par attrait pour le pouvoir. Chacun son truc. En attendant, nos intérêts se recoupent.
- Faudrait demander à des gars de le surveiller quand même, je le sens moyen.
- Ne t’inquiète pas Francis, j’ai déjà une petite idée derrière la tête pour être sûre qu’il soit sur un siège éjectable en cas de besoin.
- Ah ouais ?
- Patience, Francis. Patience.
- Je vous fais confiance. En attendant, je vais me charger de voir si cette Evelyn peut vous servir de garde du corps fiable.
- C’est gentil Francis, j’apprécie. Tu as vu Yijun récemment ?
- Nope !
- Tu me le feras mander s’il te plaît.
- Ça marche, Madame. »
Patience.
« En route Madame ! On va où ?
- Centre de commandement de la garde urbaine, Je dois voir le Lieutenant Harch.
- C’est parti ! »
Nous démarrons avec une certaine vitesse pour trouver notre voie jusqu’au front de mer, que nous longeons ensuite plus calmement – consignes de sécurité pour éviter les accidents de la route-, tout en gardant un rythme régulier. Il fait beau, comme d’habitude. Le bruit des vagues qui se déversent sur la plage, provoquant des éclats de rire chez les plus petits et les plus grands, comme d’habitude. Les jeunes d’Illusiopolis et du Jardin Radieux qui comparent leurs capacités d’ingurgitation de l’alcool en attendant l’ouverture des bars du soir, comme d’habitude.
Peut-être que pour les touristes, la Costa del Sol est un endroit exceptionnel où vous faîtes, voyez des choses différentes de votre quotidien. Le problème, en tout cas pour moi, est de voir, revoir les mêmes individus refaire indéfiniment les mêmes activités. Honnêtement, cela peut être un peu lassant à la longue. Alors, certes, on ne risque pas de mourir à chaque coin de rue comme dans certains autres mondes, mais c’est usant à la longue. Heureusement que Rufus a enfin décidé de signer ma proposition, sinon je crois que je me serai enfuie tant tout ceci devenait monotone. Mais maintenant je fais réellement ce que je veux, il y a du nouveau.
« Madame Song, je suis curieux. Le Lieutenant Harch, il est pas un peu flippant dans le genre ? Je le vois bien égorger des vierges les soirs de pleine Lune… Voyez le style ?
- Je comprends Francis. Cependant Harch est un homme… Qui a une expérience indéniable en termes de stratégie militaire. Il a juste besoin d’un coup de pouce pour réveiller ses compétences endormies.
- Ouais mais pour les vierges on fait comment ?
- Tssss Francis, voyons ! Pas vu, pas pris… » dis-je en rigolant légèrement.
Au détour d’un palmier, nous nous engouffrons dans les bourgs de la Costa pour rejoindre le quartier-général des forces de l’ordre. Ce n’est pas très loin du Bubble Bath, une quinzaine de minutes en voiturette, avec les limitations. Le bâtiment est de la forme d’un grand « U » avec plusieurs étages, trois pour être exact. Les murs blancs relativement bien entretenus, sont tâchés des fenêtres aux volets fermés, ne laissant rien paraître de ce qu’il y a à l’intérieur. Une fois que vous avez passé la grille, il y a une grande cour, propice aux entraînements de petits groupes. Tout autour de la bâtisse, des terrains d’entraînement plus grands tant pour le sport que pour le combat existent, le tout encerclé par des barbelés. Au moins, on sait où on est ici.
Nous pénétrons dans l’enceinte et nous nous rendons à l’entrée principale. Les gardes me saluent à la limite de la désynchronisation totale. L’un d’eux est un petit jeune, il ne doit pas avoir plus de vingt ans. Au garde à vous, ils se tiennent droit et prient que je ne leur reproche rien. La réforme n’est pas encore passée. Je vais être clémente avec eux.
« Tâchez d’être synchronisés la prochaine fois. Sinon je vous enverrai à la circulation pendant les six prochains mois. »
Je ne m’y attarde pas plus. Ils ont déjà dû comprendre la leçon. A peine passons nous le porche que le Lieutenant Harch vient à notre rencontre, toujours avec son sourire particulièrement douteux. Il salue « chaleureusement » Francis et moi-même.
« Cela me fait plaisir que vous veniez me voir si vite, Madame Song.
- Les choses importantes doivent être toujours vues en priorité, Lieutenant.
- Certainement… Ne restons pas ici, allons dans mon bureau. »
Le dos légèrement voûté, il nous conduit à travers les couloirs sombres du bâtiment. Tous les volets étant fermés, sous ses ordres certainement, la moindre pièce est au minimum ombragée aux meilleures heures de la journée, ou totalement dans les ténèbres. Heureusement qu’ils ont des lampes électriques. Tout de noir vêtu, il se fond parfaitement avec les lieux, renforçant son aspect quelque peu inquiétant. Il ne me fait pas spécialement peur, cependant je ne peux nier sa nature… Particulière. Au vu des regards du personnel administratif du centre de commandement, je crois qu’il les terrorise un peu. Tant mieux, au moins ils vont filer droit.
Il ouvre une porte simple, dévoilant un bureau tout aussi minimaliste. Peu d’éléments de décoration, peu de traces de réel travail. Cela ne semble pas être son principal lieu d’exercice.
« Ce n’est pas votre vrai bureau n’est-ce pas ?
- Non, en effet. Le poste de contrôle est en sous-sol. Je l’ai fait déménagé en bas lorsque je suis arrivé à la Costa. Je vous montrerai après.
- Très bien. Permettez ? »
Je pointe les sièges du doigt, lui demandant poliment son approbation, il hoche la tête.
« Je vous en prie, prenez place. »
Nous nous exécutons et nous laissons notre hôte débuté.
« Je tiens vous renouvelez mes sincères félicitations pour votre… Opération, Madame Song. Je ressens que tout ceci nous sera à tous profitable… D’une manière… Ou d’une autre.
- J’y compte bien. Cependant, je suis quelque peu étonnée que vous ayez choisi de rester à votre poste au lieu de choisir une autre affectation. Quelle raison à cela ?
- Vous pensez que je préfère rester ici ou retourner léchez les bottes de la figure bien blonde et lumineuse qui m’a envoyé manu militari ici pour s’occuper d’une milice qui n’est bonne qu’à intercepter les délinquants alcoolisés du samedi soir ?
- J’imagine que c’est la première.
- En effet. Pardonnez mon ton légèrement agacé… Revenons-en à nos moutons… »
Il a l’air de s’être un peu laissé aller sur ses émotions. Mais c’est bien, c’est très bien. Une légère perte de contrôle qui permet d’un peu mieux cerner le personnage. Peut-être que son ressenti contre la hiérarchie militaire de la Shin-Ra pourra être à mon avantage.
« Bien Lieutenant Harch... Donc, comme je vous ai pu vous le signifier précédemment, j’ai pour projet d’améliorer nos forces de l’ordre pour garantir un maximum de sécurité aux touristes, aux habitants de la Costa… Et au Syndicat.
- C’est tout à fait louable. Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ?
- Où avez-vous des difficultés ?
- Hé bien… Pour être honnête… »
Il se relève de sa chaise, et soupire un grand coup.
« Venez voir. » dit-il, presque triste.
Nous nous levons et sortons de la pièce, il nous conduit à travers de nouveaux couloirs, rejoignant un sas nécessitant un code d’accès, puis un second, puis un troisième. Au bout d’une dizaine de minutes, nous arrivons dans les sous-sols du bâtiment, suivant notre chef de la milice à travers des allées bien lugubres, légèrement éclairées par de vieux néons verts ou dorés. Nous atteignons finalement une grande salle, qui sert de zone de contrôle principale pour toutes les activités de maintien de la paix à la Costa. Caméras, serveurs de l’intranet Shin-Ra, radios en contact avec les agents sur le terrain : tout est là.
« P’tin, je ne pensai pas qu’il y avait ça en dessous. » me souffle Francis.
C’est vrai que ça a son charme. Cette ambiance bunker bien bétonnée, avec des câbles qui partent dans tous les sens, une luminosité très douteuse et des salariés avec des têtes d’enterrement. On est au maximum de l’environnement de travail sympathique. Moi qui pensait que j’étais une chef horrible, je comprends que je ne suis pas la seule à être dans cette compétition. Cependant, petit détail intéressant : je trouve que la disposition des plans de travail rappelle celui d'un certain modèle de croiseur de la Shin-Ra, avec la place du capitaine au centre du lieu. Même dans sa chute à la Costa del Sol, il a voulu garder ses habitudes de pilote stellaire.
« Voici notre centre de commandement. Très rustique, mais très opérationnel. Ne faîtes pas attention à la lumière, c’est moi qui l’ait changée.
- Sans blagues…
- Je vous ai entendu. Comme vous pouvez le voir, nous manquons de caméras dans certaines ruelles de la ville, permettant parfois à des alcoolisés de passer hors champs et du coup de s’enfuir alors qu’il y a eu dégradation sur la voie publique. »
Donc, son centre de contrôle est une véritable caverne, mais la priorité semble ailleurs. On va régler cela, je ne peux pas laisser le Syndicat avoir un quartier-général pour sa milice aussi… Etrange ?
« Avant toute chose, je pense que l’ensemble de votre structure nécessite une rénovation. Les câbles apparents des serveurs et des écrans, ce n’est pas possible à notre époque, Lieutenant.
- Cela ne me dérange pas vraiment, mais si cela peut vous faire plaisir.
- Pour les caméras, je suis d’accord avec vous, nous devrions en prendre de nouvelles… Cependant, je comptai faire autrement, pour nous éviter de trop gros investissements pour de simples ruelles. Une petite idée simple mais efficace.
- Laquelle ?
- Vous verrez d’ici peu. Je dois préparer le projet proprement. Cependant, nous allons devoir agrandir la surface dédiée aux serveurs, notamment ceux hébergeant les ondes radio.
- A votre guise. Refaites la décoration si vous le souhaitez, mais je veux une luminosité basse.
- Des concessions sont possibles, ne vous en faîtes pas Lieutenant. »
Il sourit légèrement. La lueur de son œil robotique rouge brillant dans les ténèbres, lui donnant un air particulièrement sinistre. Il nous invite à le suivre au centre de la pièce, où un siège est libre. Je devine qu’il nous présente son poste de travail.
« Voici mon véritable bureau. Il n’y a que la fine fleur de la milice qui est dans cette salle. Avec ces écrans, je peux voir la Costa et communiquer en temps réel avec nos agents sur le terrain.
- C’est impressionnant. Donc si comprends bien, vos besoins – en dehors d’un relooking de vos installations, du moins pour éviter que ce soit si… caractéristique- ne sont pas vraiment « techniques ».
- Exactement. Bien qu’il faut toujours investir pour garantir notre sécurité technologique, c’est avant tout avec mes hommes et mes femmes qu’il y a… Du travail.
- Auriez-vous des exemples clairs ?
- Voyez plutôt. »
Il se tourne vers son écran et pianote deux touches sur son clavier. Il tourne l’engin vers notre direction. Nous avons l’image de l’un des terrains d’entraînement des forces de l’ordre, c’est une séance de formation avec l’une de mes récentes recrues : Dr Dimitri Lokhov. Un fier gaillard si vous voulez mon avis.
« Cela date d’hier. Je vais vous montrer les passages intéressants. »
Il se trouve que c’est assez édifiant : la vidéo nous montre le chemin à parcourir. Dimitri est peut-être un expert en combat, il n’en reste que ses apprentis ne sont strictement pas qualifiés pour de vrais affrontements, armés. Nous avons donc en face de nous, des hommes et des femmes, prêtes à maintenir la paix, mais certainement pas de « forcer » la paix. En fait, le problème du Lieutenant Harch, c’est qu’il a une « police », plus qu’un groupe armé.
« Comprenez-vous notre problème Madame Song ?
- Moi je comprends que vos petits jeunes ils sont pas très costauds.
- Ce que je pense cerner Lieutenant, c’est que vous souhaitez intensifier la formation de nos agents, c’est bien cela ?
- Avec un équipement adéquat.
- Cela va de soi. »
Nous nous sourions. La rencontre de deux personnalités, si différentes, mais à la fois partageant un certain nombre de points communs. Je lui fais signe de se relever. Je retourne sur mes pas, intimant mes deux compagnons de me suivre. Ils s’exécutent parfaitement. Une fois loin des oreilles trop aiguisées :
« Vous êtes conscient qu’il va falloir revoir toute une partie de l’entraînement des recrues, plus les anciens agents qu’il faudra former aux nouvelles ?
- Tout à fait. Cependant, comme vous l’avez dit, il nous faut avoir les meilleures forces de l’ordre possible pour parer à tout incident majeur. »
Je me concentre un instant et j’envoie un message télépathique à Francis.
« Eloigne toi un peu, je veux lui parler en privé. »
Francis fait mine de rien et se retourne en excusant le fait d’avoir besoin d’un verre d’eau. Mon regard revient sur l’ombre inquiétante qui nous accueille en ces lieux. Il sourit encore. Tâchons de nous assurer de la loyauté de notre ami ici présent.
« Vous comprendrez Lieutenant Harch que je n’ai pas d’intérêt à investir autant d’argent alors qu’il n’y a ni menace imminente et urgente, ni assurance de votre dévotion au Syndicat. J’ai besoin de garanties de votre part.
- Je comprends, Madame Song. Nous nous connaissons que peu, au final. » dit-il, tout en calibrant son œil rougeâtre.
Il joint ses mains devant lui et prend un air des plus sérieux.
« Donnez-moi les moyens de vivre comme un vrai officier. C’est bien plus glorieux qu’un simple fonctionnaire sur un monde paumé baigné dans le soleil. J’étais capitaine d’un bâtiment de patrouille sur les Routes Stellaires, pas à la tête d’une milice de… De paysans avec des matraques et des tazers. Le plus gros calibre que nous avons c'est un fusil à pompes.
- Je peux comprendre votre frustration, Lieutenant. Mais ce n’est pas une garantie.
- Hum… Très bien. Je suivrai tous vos ordres… Sans poser de questions. »
Alléchant. Mais cela ne me semble pas bien convaincant. Je le regarde avec un regard de serpent. Entre personnes rusées, nous nous comprenons.
« Je mets mes compétences au service du Syndicat, Madame Song. Nous ferons de très bons partenaires, je le pressens… De toute manière, nous savons tous les deux ce qui m’arriverait si je vous déçois. Je sens ce genre de choses… Je vous fais confiance, retournez moi la faveur.
- Je préfère cela et je suis tout à fait d’accord avec vous, Lieutenant Harch. »
Francis revient avec un gobelet en plastique rempli d’eau.
« Donc, nous disions Lieutenant : revoir les processus de formation pour anciens et nouveaux membres, quelques investissements pour remettre un peu certaines choses à jour ?
- Oui. Reste le problème des effectifs.
- Expliquez-moi votre souci. »
Il se dirige vers une salle annexe, avec un grand écran typiquement digne de la compagnie interstellaire où il affiche la liste des différentes unités des forces à la Costa del Sol. Il prend une mine concernée.
« En soi, nous avons de quoi faire en termes d’unités pour le maintien de l’ordre. Cependant, nous avons une pénurie de recrues. Avant, nous pouvions bénéficier d’effectifs que la Shin-Ra envoyait ponctuellement, maintenant ce n’est plus le cas. Ce qui nous fait risquer un manque de renouvellement dans nos équipes.
- Combien de temps avons-nous pour ce problème ?
- Plusieurs mois au minimum. Après c’est un souci de long terme potentiellement. Ce qui m’inquiète c’est comment réussir à motiver des jeunes de la Costa à s’engager dans notre organisme ? Il n’y a pas d’insécurité, et ils préfèrent plutôt s’amuser la nuit plutôt qu’être de ceux qui mettent les gens en cellules de dégrisement.
- Je réfléchirai à cette problématique Lieutenant, et je vous donnerai des hommes et des femmes pour combler les manques, bien que futurs.
- Vous feriez de moi un homme heureux. » dit-il tout en pouffant de rire d’une manière presque grinçante. On dirait une machine ce garçon.
Après cette visite basse en couleurs, oui Francis m’a un peu contaminé avec ses jeux de mots pathétiques, nous revenons à l’accueil. Nous allons quitter les lieux.
« Monsieur Francis, n’hésitez pas à venir nous donner quelques cours. Je suis certain que nos agents pourraient bénéficier de votre expérience importante pour le parcours… Martial.
- Vos gars vont prendre cher mais pourquoi pas ! »
Nous échangeons quelques banalités avant de faire l’ultime au revoir à cette bâtisse avec décidément beaucoup de surprises.
« A très bientôt Lieutenant, et merci de votre coopération. N’oubliez pas de mettre à jour tous vos emblèmes.
- Je n'y manquerai pas. C’est un plaisir de travailler avec vous, Madame. » dit-il, avec un sourire tentant vainement d'être rassurant. Pauvre Harch, sa blessure lui a vraiment anéanti les nerfs du visage.
Nous nous quittons sur ces mots.
Un bilan plutôt positif. Francis me raccompagne au Bubble Bath à bord de sa voiturette. Il n’a pas l’air aussi confiant que moi.
« Vous lui faîtes confiance à l’amateur du conte de Dracula ? Me fait peur ce con avec son œil rouge chelou.
- Il en veut autant que moi, si ce n’est plus à la compagnie qui l’a envoyé ici. Maintenant qu’il a fait son trou, il souhaite retrouver un peu de sa gloire passée. Moi, c’est par attrait pour le pouvoir. Chacun son truc. En attendant, nos intérêts se recoupent.
- Faudrait demander à des gars de le surveiller quand même, je le sens moyen.
- Ne t’inquiète pas Francis, j’ai déjà une petite idée derrière la tête pour être sûre qu’il soit sur un siège éjectable en cas de besoin.
- Ah ouais ?
- Patience, Francis. Patience.
- Je vous fais confiance. En attendant, je vais me charger de voir si cette Evelyn peut vous servir de garde du corps fiable.
- C’est gentil Francis, j’apprécie. Tu as vu Yijun récemment ?
- Nope !
- Tu me le feras mander s’il te plaît.
- Ça marche, Madame. »
Patience.