Une nuit sans étoile, comblée par le son des cloches résonnant dans la ville, il était vingt-deux heures à la Cité du Crépuscule quand un vaisseau survolait difficilement les toits du quartier-général de la Coalition Noire. Il perdait de l’altitude progressivement, se redressant brusquement à chaque fois que la carlingue manquait de raser les ardoises. Finalement, il passait au-dessus de la forêt et atterrissait lourdement dans les jardins du Manoir tout en raclant le sol de deux profonds sillons.
Suite au bruit du crash, ce fut celui des moteurs s’essoufflent qui résonnait dans les jardins. L’instant d’après, les portes du bâtiment s’ouvrait avec fracas et dévoilant une troupe de gardes dévalant les marches pour encercler le vaisseau et pointer celui-ci de leurs armes à feu.
— Vous avez choisi le mauvais endroit pour atterrir…
— Quitter le vaisseau, tout de suite !
— C’est quel connard qui s’est cru assez malin pour s’pointer chez nous ?
Ils allaient tous de leur petit commentaire alors que, difficilement, le Démon reprenait la forme de Death et s’avançait au travers du cockpit en longeant la paroi d’acier de son épaule. Une large plaie, traversant son corps d’un côté à l’autre à en faire pendre des lambeaux de chair ensanglantés. L’effort le faisait suer à grosses gouttes, viande gâchée, le consumant progressivement alors qu’il trébuchait à l’ouverture de la passerelle.
Un râle de douleur, Namtar posait ses mains à plat tout en poussant pour se relever, un sang qu’il plagiait se répandant dans son propre vaisseau. Les hommes se regardaient les uns et les autres alors que le grand Death se redressait difficilement devant leurs yeux. La Bête imaginait déjà l’ambition grandissante tout autour de lui, ça n’allait pas se passer ainsi. Machinalement, il dressait une main pour faire apparaître son épée à deux mains afin de s’en servir comme support. Il redressait le regard, les paupières lourdes en réponse au défi tacite que ses propres membres lançaient.
— N’essayez même pas…
— Ni Vesper, ni Abigail ne te viendront en aide… Cette fois…
Malgré la tête basse, le front en sueur, Namtar dressait une main vers les cieux. Une aura noire s’accumulait dans le creux de sa main, brillant entre le mauve et le rouge pour finalement s’illuminer alors qu’un monticule de terre se soulevait pour faire apparaître un golem de chaire. L’invocation composée de plusieurs de dizaines de cadavres se dressait au côté du démon, dégoulinant de puanteur et attendant l’ordre de son maître. Le chef de la Coalition Noire semblait encore plus faible suite à ça alors que les gardes reculaient de plusieurs pas.
— Vous ignorez qui je suis…? Amenez-moi Jessica, maintenant…
Il tombait à genoux, écartelant un peu plus les lambeaux de sa blessure en tenant péniblement sa créature en laisse. Maudit orgueil, maudit pantin en quête de pouvoir. Il ne devait pas sombrer après tout ce qu’il venait de traverser. L’affront qu’il avait essuyé, il ne resterait pas impuni bien longtemps. Namtar se le jurait, fermant progressivement ses paupières alors que l’infirmière arrivait en transportant une civière. Faiblesse de la chaire, faiblesse du corps. Il s’évanouissait.
Une douleur fulgurante faisait sortir Namtar de son inconscient, le faisait hurler quand son regard ne croisait rien d’autre que la silhouette de l’infirmière. Il cherchait à se redresser dans un râle, la main de Jessica se posait sur son torse pour l’inciter à rester couché, sauf qu’il ne respectait que l’ordre de la souffrance qui le clouant sur le table. Il ne pouvait réellement comprendre ce qui lui arrivait, il ne faisait que le deviner. Une lumière au-dessus de lui, brûlant sa pupille, le froid d’une table en fer et la piqûre. Le Démon sombrait de nouveau.
La bête ouvrait progressivement les yeux, les paupières collées et la gorge sec. Il se détestait. Il hochait péniblement la tête, vérifiant l’apparence qu’il revêtait. Il ressemblait toujours à Death, une chance inestimable. Il laissait ensuite sa tête tomber en arrière, s’enfonçant dans un coussin alors qu’une brève douleur parcourait son échine. Semblable à un flash-back.
L’atterrissage, l’invocation, la civière et un lit de l’infirmerie. Namtar n’avait aucun autre souvenir, son poing se serrait instinctivement sous l’impulsion de la colère alors qu’il relevait le drap qui reposait sur son corps.
La totalité de son buste était recouvert d’un épais bandage, un rouge cramoisi perçant au travers du tissu par endroits. Il redressait son regard, un fin tuyau accroché au dos de sa main et allant jusqu’à une flasque pendue à proximité de son lit. Il pestait. Le visage de Death se déformait dans une expression de colère alors qu’il tentait de bouger ses propres jambes, la douleur revenait.
Un bruit d’une paire de talons heurtant le sol, rapidement, se rapprochant. Une ombre derrière le voile entourant le lit de l’infirmerie. Jessica apparaissait en même temps qu’elle tirait le rideau, surprise un instant, se rapprochant ensuite tout en faisant naître un sourire sur son visage.
— Vous voilà ré…
— Combien de temps…
Namtar toussait, une toux sèche, faisant sursauter tout son corps et déformant son visage. Maudite chaire ! Maudite enveloppe faible, de surcroit. Elle ? Elle s’approchait pour poser sa main sur l’épaule de la Bête tout en présentant un verre d’eau, le trait de Death se contractait avant d’accepter de se faire servir comme un pourri trop feignant pour faire les choses lui-même.
— Quatre jours, Abigail a fait attention à ce qu’il n’y ait pas de dissident.
— Parfait… Et… Ma sortie…?
Le démon baissait son regard, fixant les bandages tout en continuant à soulever la couverture.
— Il nous a fallu des heures pour vous rafistoler, la blessure était net et…
— Ce n’est pas la question !
Il hurlait, la rage était incontrôlable et qu’importe cette douleur. Il se moquait de connaître la blessure, il voulait repartir, retrouver le fils de succube qui était parvenu à faire ça et le tuer définitivement.
— Combien de temps pour que je puisse quitter ce lit miteux ?
— Impossible à dire, il faut que votre corps se reforme et…
— Des potions, appeler un mage ou que sais-je ! Il m’est interdit de rester ici…
Elle fermait les yeux, hochant la tête avant de se relever et s’écarter. Bafoué, le Démon tentait de se relever et s’arrêtait tout aussi rapidement quand il glissait sa main sur sa plaie. Faible, plié sous la douleur. Médiocre. Inutile.
Il regardait l’infirmière s’en aller, tirer le rideau derrière elle. Seul le rythme de ses talons s’éloignant animait l’infirmerie. Seul, trop stupide, crétin.
Le dos contre la tête de lit, le Démon fermait ses yeux tout tendant ses deux bras devant lui. Il faisait appel à son énergie, la même qui lui permettait de prendre l’apparence de ses ennemis ou à invoquer les créatures des ténèbres.
Progressivement, une garde apparaissait dans le creux de la main de Namtar, du simple cuir se terminant en un pommeau sans fioritures. Tournant légèrement le regard, il canalisait plus d’énergie alors que la lame se matérialisait à la suite de la garde pour que la pointe termine dans son autre main. Il y était parvenue. Ouvrant ses paupières, il observait sa propre création avec dédain, pitoyable amas de fer sans importance. D’un geste, il la faisait disparaître. Levant le plat de sa main vers les vieux, il imaginait dorénavant une dague dentelée et elle se matérialisait plus rapidement que l’épée.
Observant son autre main, il avait en tête une longue chaîne aux maillons noirs qui faisait son apparition à son tour. Parfait. Fermant les yeux de nouveau, il attendait une dizaine de secondes avant de les ouvrir et découvrir ses mains vides. Il n’en demandait pas plus.
Expirant longuement, le Démon cherchait dans les méandres de sa mémoire pour se rappeler de l’arme détenue par Surkesh. Il n’avait pas observé la poignée, il se contentait de visualiser une poignée de cuir jusqu’à ce que la garde apparaisse devant lui, une garde ronde et faite d’or s’il se souvenait bien. Il n’oubliait pas le scintillement de celle-ci. Finalement, le souvenir le plus persistant était la longueur de la lame et sa blancheur parfaite et sans la moindre imperfection.
L’arme était recréée de par ses souvenirs, de quoi s’agissait-il ? Le traître à la Keyblade n’utilisait pas ce genre d’arme à l’époque. Il n’était pas connu pour ses qualités de sabreur. Alors, d’où pouvait venir cette chose pour qu’il en oublie d’user de sa magie ou de son arme de prédilection. Une question, pas la moindre réponse. Namtar devait y réfléchir. L’inactivité, la Bête avait cela en horreur. Il avait beau être contraint par la faiblesse de la chaire, il n’avait que l’envie de déployer ses ailes et voguer au gré des vents son avoir la moindre entrave.
Il y aurait un jour pour les retrouvailles, tout cela sera bien différent et plus excitant. Patience.