河神 - He Shen, le Dieu de la Rivière Szp8河神 - He Shen, le Dieu de la Rivière 4kdk河神 - He Shen, le Dieu de la Rivière 4kdk
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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.

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« Vous êtes ravissante ma Dame, aujourd’hui. » dit l’eunuque avec un grand sourire tout en observant son ancienne élève, devenue sa Dame avec le temps.

« Seulement aujourd’hui Xupeng ? » répondis-je, avec un léger sourire moqueur. Nous savions tous les deux apprécier ce genre de petits moments amicaux et privés. La taquinerie et les bons mots sont nos moyens de nous détendre entre deux affaires à régler. Je me prépare pour un festival religieux qui a lieu chaque année dans ma ville de résidence. Un festival dédié au Dieu de la Rivière local, He Shen. Certains prêtres et clairvoyants se rassemblent et mènent une cérémonie sensée apporter prospérité et richesse pour la cité.

« Qui sera là cette année ? » demandé-je, tout en commençant à me coiffer.

« Tout le monde, vous le savez bien. Aucun notable ne raterait cette occasion pour se montrer.
- Il y aura Yuanyuan et son mari Yanglin ?
- Oui. Ils sont en position de faiblesse dans le haut cercle de la ville : leur fils a déserté l’armée. Il a apporté le déshonneur sur sa famille.
- C’est d’ailleurs très surprenant qu’ils se montrent en public.
- Ils font cela pour survivre. S’ils ne tentent rien, ils perdront tout pouvoir.
- Yuanyuan a toujours été une empotée simple d’esprit. Yanglin l’a toujours considéré comme un avantage, là où elle n’est réellement qu’un boulet à son pied.
- Certes. Mais j’imagine qu’ils ont été poussé par un personnage local pour oser se montrer.
- Qui dont ?
- Hum… Vous, peut-être. » finit par dire Lin Xupeng.

Je pose mon peigne sur ma coiffeuse. Je me redresse et fais désormais face à mon eunuque. La réponse ne m’a pas du tout satisfaite, comme vous le devez le supposer. Mon visage devenant aussi froid que la glace là où quelques instants auparavant j’avais un soupçon d’expression.

« C’est-à-dire ?
- Vous vous montrez toujours en public, malgré la disparition de Maître Zhan Haojun, vous continuez de vivre seule et à jouer de votre influence en ville.
- Haojun n’est pas mort. Il est disparu.
- Je sais, ma Dame. Cependant, ce n’est pas nécessairement l’avis de tous en ville.
- Le Tigre ne se préoccupe guère de l’avis du Mouton. Tu me l'as appris toi-même.
- Certes. Mais en l’occurrence Yanglin est un mouton avec encore un peu d’influence sur la ville malgré le déshonneur dont il est victime. Les vautours vont se tourner vers lui et sa famille pour prendre le contrôle de son réseau d’influence.
- Dommage que je sois venue pour gâcher le festin. Je n’aime pas partager.
- Hum… Vous êtes au courant de celui qui a été choisi par les prêtres pour plonger cette année ?
- Non. Qui est-ce ?
- Yanglin.
- Je ne peux pas nier qu’il est tenace. » dis-je dans un murmure.  

Le « plongeur » est un homme, traditionnellement, choisi pour accomplir le rituel annuel. Les prêtres relâchent des tortues dans la rivière pour représenter He Shen, le plongeur doit s’engouffrer dans l’eau pour en attraper une et remonter avec. S’il la remonte, il représente l’acceptation de He Shen : le plongeur est béni pour le prochain cycle –soit une année, jusqu’au prochain festival- et lave par conséquent une partie de ses forfaits. De plus, bien entendu, la rivière est bénie pendant un an et continue de donner du poisson, comme à l’accoutumée. Yanglin a donc choisi de tout jouer sur une tradition. S’il échoue, il est définitivement déshonoré et sera en plus méprisé par la population de la ville. Je me sens prête pour la suite de la journée, cela fait un moment que je n’ai pas participé aux jeux politiques locaux. Je fais signe à Xupeng de sortir. Ce dernier incline la tête lentement et quitte la pièce pour suivre le programme : soit appeler les porteurs.

Assise sur un coussin fort épais, je me regarde un instant dans le miroir, puis ferme les yeux. Je réfléchis. Après quelques minutes de silence, j’inspire un grand coup et relâche tout l’air emprisonné dans ses poumons. Je me lève et rejoins la sortie principale de ma maison où les six porteurs m’attendent. Xupeng est déjà assis à l’intérieur, reste la deuxième place pour moi. Il n’y a pas beaucoup de gens dans les rues à cette heure si matinale : prévoyant des embouteillages, j’ai décidé de partir plus tôt, quitte à arriver dans les premières. Les porteurs se positionnent et le voyage commence.


« Tu as pris ton arme ?
- Toujours.
- J’ai également fait vérifier l’origine des gardes au cas où, s’il y a des problèmes, nous ne serons pas abandonnés.
- Bonne idée. Quel militaire est en charge de la cérémonie cette année ?
- Zhu Xiang. Le chef de la garnison Est de la ville.
- Celui qui a beaucoup de sympathie pour vous ?
- En effet. Et j’ai également quelques informations sur lui qui sont suffisamment compromettantes pour que ses gardes nous protègent en priorité.
- Pourquoi autant de prédispositions pour cet événement ? Quelque chose vous effraie ? » dit-il, légèrement suspicieux. Très vite, il dû se rendre compte que ce n’était pas nécessairement la meilleure chose qu’il est dite.

Je le regardais avec des yeux noirs et n’inspirant aucune sensation positive. Je n’aime pas être vue comme quelqu’un de faible, encore moins comme une peureuse ou une pleurnicheuse. Je réponds en ces termes très clairs :

« Je t’interdis d’être faible, et je m’interdis de l’être tout autant. Mes ennemis sont partout, nos ennemis sont partout Xupeng. Ils sont là, autour de nous, dans cette ville et au-delà. Ils ont pensé pouvoir nous écraser facilement et ils n’ont pas réussi. Ils ont voulu m’humilier, ils n’ont pas réussi. Certains ont souhaité me voir morte, ils sont morts en retour. Je suis une femme qui tente de survivre. Le fait que je ne sois pas morte, ni re-mariée au premier venu nous prouve cela.
- Ne soyez pas si… Dramatique. Vous avez l’air d’une mélomane.
- Qu’importe. Je suis peut-être trop théâtrale, mais au moins moi je n’ai pas un double menton. » dis-je avec un léger sourire pour le détendre, malgré mon énervement.

Xupeng s’empresse de redresser ostensiblement la tête pour tendre un peu sa peau et ainsi cacher les affres du temps, mais surtout dissimuler – vainement à mes yeux- un manque d’exercice qui a fini par se payer. Il a en effet, particulièrement grossi ces derniers temps, même si s’occuper du jeune corbeau qui parle le fait courir un peu dernièrement.

« Votre petit protégé apprend vite d’ailleurs.
- Noah est un bon élève ?
- Gardez vos sarcasmes pour vous, ma Dame. Il est agile d’esprit mais il est très actif physiquement. Et puis il commence à grandir un peu. Avec tout ce qui mange, vous me direz.
- Il sait voler ?
- Non, pas encore en tout cas. »

Bien que j’ai eue beaucoup d’empathie pour ce petit, je ne peux m’empêcher de réfléchir à comment je peux utiliser ce petit être au nom de Noah à mon avantage dans cette ville. J’ai réprouvé cette idée en premier lieu, car immorale, mais malgré tout elle continue à refaire surface. Encore et encore. Les porteurs s’arrêtent. C’est trop tôt, Xupeng me regarde aussi avec surprise, comme s’il s’attendait à ce que je dise que tout cela était prévu. Je lui fais un signe du regard et il sort de ses vêtements une petite épée, prêt à agir. Il se dresse lentement et glisse la tête à l’extérieur. Après l’avoir entendu râler, il rentre sa tête à l’intérieur de la cabine.

« La rue est bloquée, ils dévient cette rue pour une raison que j’ignore. Il va falloir faire le tour.
- Soit. Donnez l’ordre aux porteurs, nous n’avons pas de temps à perdre. »

Les porteurs, suite aux ordres de l’eunuque, changent de trajet et reprennent leur marche.

« Quels sont les récents développements dans la Shin-Ra, ma Dame ?
- Tu es bien curieux dis-moi.
- Votre frère Song Gao, m’a demandé de vos nouvelles l’autre jour…
- Mon frère est suffisamment intelligent pour savoir que je vais bien, s’il a demandé cela c’est qu’il voulait savoir où j’étais. Les hommes, si prévisibles. Vous pourrez lui répondre que je me débrouille comme je peux, même si progresser dans la hiérarchie de cette organisation prend du temps.
- Song Huayan, vous éblouissez la cité de votre présence et de votre élégance.
- C’est tout ce que tu as en réserve, Lin ? Je m’attendais à mieux qu’une phrase de charmeur de bas étages.
- De toute manière, nous rencontrerions des difficultés à partir d’une certaine étape.
- Ce n’est pas faux. » dis-je, en rigolant quelque peu, dissimulée derrière mon large éventail rouge.

Nous arrivons enfin à notre destination. Les porteurs déposent la cabine au sol, laissant Lin Xupeng et moi-même descendre l’un derrière l’autre. Tous baissent la tête en signe de respect. En signe de respect, ou de peur. Je traîne avec moi une réputation de femme rusée et belle. Ils savent qu’au moindre écart, ils sont sanctionnés. Malgré cela, certains continuent de travailler pour moi, ne serait-ce que pour continuer à me regarder, ou par admiration. L’eunuque se place derrière moi pour me laisser mener la marche vers la terrasse réservée aux notables de la ville et d’au-delà. Cet endroit est réservé à la cérémonie religieuse. Les notables se tiennent tout en haut, sur une sorte de terrasse de pierre surplombant les marches, entourés de gardes. Les prêtres et les clairvoyants se tiennent traditionnellement en contrebas des marches en pierres qui descendent en deux voies parallèles jusqu’au bord des eaux du fleuve. Le peuple et les gens du commun se tiennent sur les côtés des marches ou en amont, près des notables pour avoir une vue d’ensemble –partielle, à cause des gardes et des gens d’importance-.

Chaque notable arrivant doit se présenter au gouverneur de la province, puis de la ville. Seulement aujourd’hui, il n’y a que le gouverneur de la ville. Chan Dong est un homme d’âge mûr, d’expérience, qui a longtemps été dans l’armée impériale. Ses cheveux demeurent pourtant noirs comme la nuit. Il cultive également sa fine moustache qui descend de part et d’autre de sa bouche pour arriver jusqu’à son menton. Il a l’air frêle, mais en vérité il dissimule sa force. Je sais que mon frère a vu cet homme combattre, il y a longtemps, et d’après ce qu’il m’avait raconté, il est redoutable avec son épée. Il a quitté l’armée pour rejoindre l’administration et s’est vu confié la gestion de la ville. Une tâche qui le place au plus haut de l’échiquier politique local. C’est l’homme qu’il ne fallait pas fâcher et encore moins énerver ou à abattre selon les points de vue. Je m’avance devant lui et m’incline, les deux mains jointes devant moi comme le veut le protocole chinois.


« Chan Dong Zhouzhang ! » clame-je. La tradition veut que l’on parle haut et fort lorsque nous devons saluer un haut responsable, un notable, voir l’Empereur lui-même. Zhouzhang correspond au titre de gouverneur.

« Song Huayan. Quelle joie de vous revoir. J’ai entendu dire que vous aviez quelques affaires au-delà du Ciel ?
- Oui, Zhouzhang. Mais je ne saurai rester trop longtemps éloignée de mon pays et de son peuple. »

Il me fait signe de disposer. Il a beaucoup de gens qui font la queue pour le saluer et à titre personnel je ne souhaite pas avoir une mauvaise place. Je m’incline à nouveau et je m’éloigne lentement, en ne faisant jamais dos au gouverneur. Mon eunuque se sépare de moi pour rejoindre la foule des petites gens. Il n’est pas autorisé par les gardes pour rester sur la terrasse des notables. Je rejoins une place non loin de celle de Chan Dong, pour garder un œil sur lui. Quand on dit une place, il s’agit d’un emplacement en vérité, seul le Zhouzhang a l’honneur de s’asseoir sur une petite estrade accompagnée d’un assez modeste coussin.

Yuanyuan se montre enfin, seule. Yanglin doit déjà être avec les prêtres. Elle salue Chan Dong comme tout le monde et se dirige directement vers un emplacement sur les côtés pour éviter la masse de fonctionnaires et de notables qui arrive peu à peu.


« Pas facile d’être une femme quand on n’est pas très douée ma chère Yuanyuan. » dis-je dans mon esprit.

Yuanyuan est un peu plus jeune que son mari Yanglin. Sans trop m’avancer, je dirai qu’elle a une certaine élégance, même si la forme de son visage, très rond, a certainement perturbé plus d’un potentiel mari. C’est une femme de la campagne. Très traditionnelle, elle n’a pas saisie suffisamment tôt l’importance des cercles et des factions de la ville qui assurent à nos familles de ne pas finir aux oubliettes. Il n’y a pas de nobles – à proprement-parlé - dans l’Empire, par conséquent, les moyens pour nous élever dans la société sont par l’administration impériale et l’armée. Parfois, en récompense, l’Empereur donne un titre à un sujet loyal et honorable ainsi que des terres. Cependant, cela reste honorifique et utile uniquement en cas de guerres civiles, vu que les terres sont administrées par l’administration impériale la plupart du temps et donc les gouverneurs bien qu’au mieux vous pouvez avoir une certaine influence, mais cela sous-entend de la corruption ou des conspirations, ou être en bonne relation avec votre Zhouzhang. Les titres de noblesse ne sont pas héréditaires et à votre mort, toutes les terres doivent revenir à l’Empire qui les redistribue, ou les confie à quelqu’un d’autre. Yanglin est un officier de l’armée. Il a rencontré sa femme pendant une campagne où il était stationné vers le Shaanxi. Ils sont venus dans cette ville pour s’éloigner de la guerre et fonder leur foyer. Il travaille toujours à la garnison Ouest de la ville, celle où j’ai le moins de contacts. Ils ne sont pas riches, mais ils ont une réputation qui était jusqu’à récemment impeccable. C’est regrettable que leur fils ait apporté le déshonneur sur eux. Yuanyuan a mis ses beaux vêtements, bien que très sobres pour une notable. Cependant, quelque chose m’interpelle. Le ton des couleurs utilisées est très sombre et il n’y a pas de rouge. Le rouge est la couleur qui est la plus symbolique pour les chinois : cela peut signifier le bonheur, le mariage, la prospérité et le pouvoir dans une certaine mesure – selon les époques également-. Aujourd’hui est une fête « joyeuse » dans le sens où il est fort probable que tout se passe bien et que le peuple soit content. Pourquoi mettre des couleurs sombres et froides ? En l’occurrence, beaucoup de bleu. Peut-être souhaite-elle attirer l’attention de He Shen ? Je suis tirée de ma réflexion par les premiers retentissements des batteurs de tambours disposés le long des marches.

La délégation des prêtres et clairvoyants approchent et descendent les marches de pierres, menée par la plus ancienne et respectable prêtresse de la ville : Jiawei Dajisi – la Haute Prêtresse Jiawei-. C’est une vieille dame de petite taille, un peu ronde, habillée complètement en blanc. Elle porte un large chapeau blanc avec de nombreux rubans de multiples couleurs accrochés dessus. C’est elle qui a rencontré mon mari peu avant sa disparition. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lui poser des questions, mais je compte bien profiter de mon séjour pour le faire. Derrière elle, des prêtres portent les offrandes au Dieu de la Rivière. Puis les autres. Y compris le plongeur de l’année, Yanglin, pauvrement vêtu. Ce n’est pas une règle, mais manifestement il veut mettre en avant son aspect « dépouillé » et d’homme « honnête ». Ce genre de petits tours ne marchent que pour les simples d’esprits, la plupart des gens comme moi savent très bien que c’est une image. La cérémonie est rythmée par les battements de tambours, qui continuent de jouer tant que Jiawei ne dit aucun mot. Je la connais un peu, cette dame. Elle était venue me voir plusieurs fois après la disparition de mon époux. A l’époque, je l’avais reçu. Nous n’avions pas parlé. Elle est restée un long moment avec moi, deux ou trois fois, et sans un mot elle repartait à chaque fois. Lin Xupeng m’a bien dit qu’elle demandait de mes nouvelles régulièrement. Je lui ai bien dit de ne rien dire : je ne crois pas aux actes de pure bonté. Si elle vient me voir, c’est qu’elle a besoin de moi : d’une manière ou d’une autre. Les prêtres prennent place. Les tambours s’arrêtent. Jiawei lève les mains vers le Ciel.

« He Shen ! Nous implorons ta bénédiction sous l’œil bienveillant de l’Empereur Jaune ! Apporte nous prospérité et richesse en ce nouveau cycle ! Apporte à notre ville ta bénédiction ! » clame t-elle.

Les offrandes sont conduites en même temps jusqu’à de petites embarcations qui s’éloignent du rivage pour les offrir au fleuve. Les tambours reprennent leur cadence. Je jette un œil à Yuanyuan. Elle a l’air stressée. Je remarque qu’elle a même une main qui tremble un peu. Etrange, son mari ne fait rien de particulièrement dangereux après tout : Il sait nager. Ce qui est une compétence rare chez les chinois, c’est à saluer.

Jiawei fait signe à Yanglin d’approcher. Je les vois échanger quelques mots, mais je suis trop loin pour entendre quoique ce soit, sans compter le bruit des tambours. Il s’éloigne d’elle et sans attendre, plonge dans la rivière. Les tambours continuent, mais avec un rythme plus lent, beaucoup moins frénétique. L’assemblée attend. Elle guette les eaux calmes du fleuve, attendant le retour du plongeur. Les tambours s’arrêtent. Le silence. Un long silence. Un instant qui semble être une éternité. Les murmures commencent à se répandre dans la foule. C’est trop long. Jiawei continue de faire des gestes rituels, imperturbable. Les petites embarcations reviennent se mettre à quai. Tout le monde plonge son regard vers le fleuve. Rien. Quelques minutes passent où toute l’assemblée semble commencer à s’inquiéter. Des gardes se détachent de la protection de la délégation des prêtres pour s’approcher de l’eau. Toujours rien.

Un jeune membre de la délégation se détache des autres prêtres, je ne le connais pas celui-ci. Il retire une partie de ses vêtements et se jette à l’eau ! Quel culot ! Non pas pour le fait de sauter dans l’eau, mais de retirer ses vêtements en public. Les jeunes se dévergondent avec le temps, où va la société ?

Quelques instants après, il refait surface. Brandissant fièrement une des tortues du rituel. Ouf ! On a sauvé la cérémonie. La population éclate de joie, et quelques rires se font même entendre parmi les notables. Les gardes, cependant, font évacuer la foule. En douceur, certes, mais ils sont très rapides cette année. La disparition de Yanglin n’était donc pas prévue. Yuanyuan quitte son emplacement pour descendre le plus rapidement possible les marches en pierre, traversant la foule de gens du commun pour rejoindre les prêtres. Je remarque que Chan Dong n’a pas l’air très heureux non plus : il est contrarié. Les gardes commencent à également demander aux notables de sortir pour rejoindre les festivités en ville. Avant que moi aussi je sois évacuée comme une malpropre, je prends les devants et me dirige également vers le fleuve. Les gardes n’osent pas m’empêcher de passer. De toute façon, ils ont suffisamment de travail avec tous ces paysans.

J’arrive au bord de l’eau. Jiawei et Yuanyuan continuent de regarder l’eau avec inquiétude, attendant que Yanglin reface miraculeusement surface. Quelques gardes sont là aussi. Le jeune prêtre reste dans l’eau mais s’agrippe au quai pour ne pas dériver. Les autres prêtres se tiennent à distance. Chan Dong s’approche, escorté par ses gardes du corps personnels. Nous le saluons, comme le veut le protocole. Cependant, le jeune prêtre se détache et repart sous l’eau, malgré les soudaines protestations de Jiawei.


« Il va se faire emporter par le courant ! » dit-elle, visiblement inquiète.

Chan Dong interpelle Jiawei en lui demandant ce qui se passe.

« Je ne comprends pas, Zhouzhang. Normalement, Yanglin aurait dû ressortir comme à l’accoutumée. Pourquoi He Shen l’aurait maintenu sous l’eau ?
- Il aurait payé pour le déshonneur sur son nom ?
- He Shen n’est pas si cruel !
- Quelle autre explication alors ? »

Jiawei ferme les yeux et ne répond pas. Yuanyuan se met à genoux au bord du fleuve et se positionne comme pour implorer He Shen de lui rendre son mari. Son vœu est en partie exaucer alors que le jeune prêtre – ou oracle, je ne suis pas sûr de son titre - refait surface avec un corps entre les mains.

« Aidez-moi ! » crie t-il.

Des gardes s’approchent de lui en vitesse et lui tendent leurs lances pour qu’il s’agrippe à quelque chose. Puis, d’autres se défont de leurs lourdes armures pour s’approcher de l’eau et tirer le corps que le jeune homme tient sur un bras. Yuanyuan éclate en sanglots à la vue de son mari décédé, visiblement noyé. Aussi subtilement que possible, je m’approche du corps du défunt. Histoire de jeter un œil. Il est mort noyé, c’est indubitable. Cependant, je demeure surprise. Yanglin n’était plus de première fraîcheur mais il était un bon nageur malgré tout. Aurait-il eu du mal à trouver une des tortues au point de rester plus que nécessaire sans respiration ?

Jiawei se penche sur le corps et l’inspecte rapidement.

« Chan Dong Zhouzhang, il est mort noyé.
- C’était prévisible, Dajisi.
- Je ne comprends pas la volonté de He Shen.
- Faites le nécessaire pour la cérémonie du défunt. Ne laisser pas Yanglin à la vue de tous, ici. Je viendrai lui rendre mes hommages plus tard.
- Il sera fait selon vos désirs, Zhouzhang. »

Chan Dong fait un signe de la tête aux différentes personnes présentes et se retire. Il a probablement plus important à faire. Yuanyuan continue de pleurer, effondrée à côté du corps de son époux. Même à moi, cela me fait de la peine. Je sais ce que vit cette femme. Je ne peux cependant m’empêcher de remarquer que dans son malheur, elle a plus de chance que moi : au moins, elle peut faire son deuil. Moi, je dois continuer d’attendre une réponse : mort ou vivant ? Pourquoi ? Où ? Comment ?

Jiawei continue de fixer le fleuve, en quête de réponses. Tandis que Yuanyuan se fait évacuer par ses serviteurs, loin du corps. D’autres prêtres s’approchent avec un petit chariot pour disposer le corps dessus, le dissimuler avec un drap et l’emporter pour la préparation de son rituel funéraire. Je remarque cependant le jeune oracle, sortant de l’eau. Plutôt mignon, pour un religieux j’entends. Ses cheveux noirs et longs, comme tout Han qui se respecte, sont tressés d’une manière plutôt originale. Il n’est pas fait de muscles, mais il a l’air agile, avec un regard vif : signe d’un esprit actif. Il a l’air en pleine réflexion, regardant le corps s’éloigner. Puis, il me regarde, droit dans les yeux. Je n’aime pas trop être observée ainsi, en public. Avant qu’il ne dise quoique ce soit, je décide de m’éloigner. Lentement, pour vérifier s’il me regarde pour le plaisir ou s’il souhaite me parler.

Je finis par rejoindre Lin Xupeng, et nous rentrons. Nous discutons rapidement de l’affaire, mais nous ne parlons pas des suites à donner. A priori, un accident. Lorsque je rentre dans ma demeure, le petit Noah vient me sauter au cou. Il a effectivement grandi au point que je vacille presque tant il est devenu un peu plus lourd.


« Madame Song ! Madame Song ! » dit-il, enthousiaste.

Je pose le petit au sol et lui dit d’aller se mettre à table, nous allons déjeuner. Je me dirige rapidement vers ma chambre pour me changer, toujours en pensant à cet accident matinal. C’est étrange, tout de même. J’enfile des vêtements plus simples que l’habit d’apparat et je me dirige vers la salle à manger. Les plats sur la table sont copieux et semblent tous plus délicieux les uns que les autres. L’odeur de canard laqué, mêlée à celle du bœuf à la tomate et aux haricots mélangés avec des saucisses chinoises me donne une faim de loup. Accompagnés de riz, nous mangeons tous ces délicieux plats tout en écoutant les dernières leçons que Noah a apprises. Je regarde Xupeng et dit :


« Il va bientôt falloir lui trouver un maître d’armes. Il est en âge de commencer.
- Cela sera compliqué. Je ne connais pas beaucoup de maîtres d’armes habitués à travailler avec des élèves si…
- Si ?
- Aviaires. »

Xupeng marque un point.

« Je me débrouillerai via la Shin-Ra, il doit bien y avoir un contact ou quelqu’un de disponible en Terre des Dragons pour s’occuper de ce petit chenapan. »

Alors que nous continuons de déjeuner tranquillement, un serviteur vient nous interrompre.

« Ma Dame. Un jeune oracle demande une audience auprès de vous.
- Comment s’appelle-t-il ?
- Zhang Haiying, Oracle de He Shen.
- Faites-le rentrer dans le salon de l’entrée. »

Le serviteur repart aussitôt vers l’entrée de la demeure. Pour ma part, je quitte la table et me dirige vers le petit salon qui me sert à recevoir ce genre d’individus à côté de l’entrée. Lorsque j’arrive dans la salle, il est déjà là. Le serviteur lui a offert un peu de thé. Haiying se redresse et s’incline devant moi. Je regarde le serviteur, il sait qu’il doit sortir. Je ne dis mot tant qu’il est dans la salle. Je me dirige vers mon coussin et je m’assois lentement dessus, invitant implicitement mon invité à faire de même. J’arbore un léger sourire.

« Quel bon vent peut bien m’apporter la visite d’un Oracle de He Shen en cette journée de célébration ?
- Je vous ai vu ce matin, lors de la cérémonie.
- Oui. J’ai déjà priée les dieux à ce sujet. Quelle horreur.
- C’est regrettable, en effet. Cependant, je suis venue vous voir car je crois que vous pouvez m’aider.
- A quel sujet ?
- Je pense que Yanglin a été assassiné. »

Je plisse légèrement les yeux. Il vient pour m’accuser ou est-il vraiment honnête ?

« Je ne suis qu’une modeste notable de cette ville, Zhang Haiying. Que pourrai-je offrir pour vous aider dans cette quête ?
- Vous avez des relations. Je ne suis pas un joueur des petits jeux politiques de cette ville, mais je sais que vous avez des intérêts ici. J’apporte la justice et vous faîtes… ce dont vous avez besoin de faire.
- Vous apportez la justice ? En quel nom ?
- Au nom de He Shen.
- Le Mandat Divin a été confié à l’Empereur et par conséquent aux autorités gouvernementales. Donc, c’est une enquête clandestine dont vous me parlez ici.
- Je vois que vous êtes bien… Renseignée. J’ai besoin de vous pour punir ceux qui ont utilisé cette fête pour tuer un homme cherchant la bénédiction de He Shen. Je vous en supplie, je vous serai redevable. »

Là, cela devient intéressant. C’est typiquement mon domaine d’expertise. De plus, un jeune homme plein de ressources et de volonté qui me serait redevable, cela a une valeur. Et puis, je pourrai utiliser cette enquête pour avancer certains de mes pions. Cela me paraît être un bon marché.

« J’accepte de vous aider. Cependant, j’ai mes conditions.
- Je suis d’accord avec toutes.
- Fort bien : si vous êtes attrapé, condamné, interrogé ou que sais-je encore, vous ne m’avez jamais vu, vous ne m’avez jamais parlé et nous n’avons aucun accord.
- Bien.
- Ensuite, personne ne doit être au courant de notre association, y compris Jiawei Dajisi.
- D’accord.
- Très bien. Où souhaitez-vous commencer l’enquête ?
- Je vais aller voir le corps de Yanglin et l’inspecter... Profondément.
- Vous vous rendez compte que vous aller contre les traditions en pratiquant une autopsie ?
- Oui, mais c’est nécessaire. Je soupçonne un empoisonnement.
- C’est fort possible, oui ... Que voulez-vous que je fasse ?
- Visitez Yuanyuan. Profitez-en pour voir s’il avait des ennemis plus… Publics que d’autres ces derniers temps.
- Bien, je ferai cela. Vous n’aurez qu’à aller dans mon jardin ce soir, après le couvre-feu, nous ferons un bilan à ce moment-là. »

Il incline la tête en signe d’approbation et sans cérémonies superficielles, se lève et sort de ma demeure. Il sait ce qu’il veut et ne perd de temps avec le protocole. Les justiciers sont des êtres à part dans nos mondes. Des individus altruistes, prêts à se mettre en danger pour apporter des réponses là où parfois un silence vaut mieux. Je ne sais pas qui a bien pu empoisonner le pauvre homme, mais la liste est longue et à mon humble avis la personne responsable ne compte pas réellement se faire attraper.

Je quitte la salle et je rejoins mon déjeuner. Xupeng et Noah ont fini de manger, il y a quelques instants. Noah gesticule un peu lorsqu’il me voit revenir, il est mignon. Xupeng comprend vite que la visite n’était pas anodine. Après un échange de regards, il regarde Noah :


« Noah. Va donc réviser ce que nous avons vu il y a deux jours. Je dois discuter avec ta Dame.
- Mais je ne la vois pas souvent !
- Tu dois apprendre, Noah. Tu es jeune et désœuvré, c’est une chance que nous t’offrons.
- D’accord, d’accord… Mais je veux des baozi pour le goûter !
- Soit.
- Ouaiiiiiis ! »

Et Noah part vers sa chambre. Il en faut peu pour les enfants, si faciles à corrompre. Vous vous rendez compte ? Juste un baozi –brioche avec de la viande à l’intérieur, habituellement du canard ou du porc- pour un silence.

« Qu’est-ce que l’invité voulait, si ce n’est pas trop indiscret ?
- Il est venu implorer notre aide pour enquêter sur la mort de Yanglin. J’ai acceptée.
- Vous êtes sûre que c’est une bonne idée ?
- Je n’aime pas que tu remettes toutes mes décisions en jeu à chaque fois.
- C’est mon rôle de mentor, bien que je ne le sois plus vraiment, m’enfin…
- Tu ne l’es plus et j’ai bien grandie. Fait confiance à la Shin-Ra pour cela. »

Un petit silence s’installe. Nous nous regardons dans les yeux, un duel de génération. D’un côté, le mentor désormais dépassé par l’élève et de l’autre moi, la jeune fille devenue plus redoutable et ambitieuse. Il finit par baisser le regard. J’ai gagné. Ce n’est pas un vrai combat, il sait que je le respecte et que je tiens à lui. Seulement, je ne suis plus la petite fille d’autrefois, et j’ai besoin qu’il me fasse confiance.

« Quel est le plan ?
- Je vais aller rendre visite à Yuanyuan.
- Ce n’est pas un peu prématuré ?
- Elle est encore dans la phase de déni, elle sera anéantie uniquement dans quelques jours quand elle se rendra véritablement compte que son mari n’est plus là. »

Lin Xupeng baisse la tête, il sait que j’ai probablement raison. Moi-même, j’ai eu cette phase de déni, puis ce fut ma vertigineuse chute. Je quitte Xupeng, en lui indiquant de bien surveiller Noah, et je vais me préparer pour une visite impromptue chez Yuanyuan. Je vais dans ma chambre, j’enfile une tenue plus légère que celle du matin, pas besoin d’autant de protocole pour une telle visite. Une fois dignement habillée, sans trop d’exubérance tout de même, je sors de ma demeure. Je ne me fais pas accompagner, je serai repérée rapidement et de plus à cause des festivités, je risque d’être trop ralentie.

Les célébrations marchent bien cette année. Une multitude de marchands proposent de délicieuses choses à manger, il y a des danseurs, des artistes : une véritable effervescence dans le centre-ville. Quelques gardes encadrent le tout, cherchant à prévenir tout accident ou toute délinquance. Après une heure de marche, j’arrive à la maison de Yuanyuan et de Yanglin et je toque deux fois. Leur maison est de la même taille que la mienne, une entrée située dans une rue plutôt qu’une avenue, un grand et large porche avec une lourde porte. D’ailleurs, je remarque que la peinture de la porte est fraîche : cela a été repeint récemment. Je n’ai pas le temps d’examiner plus en détails, un serviteur vient m’ouvrir.


« A qui ai-je l’honneur ?
- Song Huayan. Je souhaiterai voir Yi Yuanyuan.
- Veuillez entrer. »

Le jeune serviteur ouvre la porte légèrement, je rentre lentement mais il a l’air pressé de refermer. J’attends qu’il le fasse pour qu’il me conduise à sa maîtresse. Il me conduit dans un enchaînement de couloirs classiques pour arriver sur un salon où Yuanyuan est affalée sur un coussin, avec du thé entre les mains. Le serviteur nous laisse après un geste de sa maîtresse.

« Je crois qu’il a peur de vous. » dit-elle.

Je la regarde, un peu interpellée. Je m’approche de quelques pas.

« Que voulez-vous dire ? »

Elle relève la tête, les cheveux décoiffés. Ses yeux gonflés par les larmes, le visage rouge, les mains tremblantes. Elle inspire un grand coup et soupire. Elle m’invite à m’asseoir sur un coussin à proximité. Je remarque que le salon où nous sommes n’est pas le salon principal : il est trop petit par rapport à la taille de la maison et il y a très peu de décorations. Yanglin était un homme simple, voir austère, mais je ne pensai pas que c’était à ce point-là.

« Que puis-je faire pour vous ? Je ne vous ai parlé qu’une seule fois je crois.
- Vous devez savoir que mon mari a disparu et que je suis toujours sans nouvelles de lui. Je sais ce que vous traversez, dans une certaine mesure.
- Je lui avais dit de ne pas aller dans le fleuve. He Shen peut être capricieux, comme la rivière, et il n’avait aucune garantie qu’il lave notre déshonneur.
- Qu’a dit Jiawei Dajisi à ce sujet ?
- Elle ne s’est pas prononcée. Je n’ai plus trop d’espoir maintenant. Je suis trop âgée pour être remariée, je n’ai pas la même chance que vous. Vous voulez un peu de thé ?
- Allez-y. »

Elle me verse un peu de thé dans une tasse et me la pousse lentement vers moi. Je la saisis, mais je ne bois pas. Je suis trop prudente pour cela. Nous attendons quelques instants, puis je reprends l’initiative.

« Comment se portaient vos affaires dernièrement ?
- La routine, je dirai. Rien d’exceptionnel vous savez.
- Il avait des ennemis ? »

Yuanyuan lève les yeux vers moi, son air triste se transforme en air suspicieux, assez rapidement d’ailleurs.

« Qu’est-ce que vous voulez ?
- Nous sommes dans le même camp. Je cherche à savoir si sa mort est vraiment naturelle ou si elle est due à… Un facteur externe. Je vous ai vu ce matin, vous n’étiez pas dans un état normal pendant la cérémonie. »

Elle soupire de nouveau, reprenant son air triste. La voix faible, voir tremblante, elle dit :

« J’ai… Je savais que ça arriverait.
- Comment ça ?
- Je l’avais entendu se disputer dernièrement dans son bureau. Des hommes différents. Je pense que la politique locale a eu raison de lui…
- Vous avez un nom qui vous vient à l’esprit ? »

Si Yanglin a été tué pour des raisons politiques, l’enquête devient sérieusement intéressante comme elle devient dangereuse. Je sens qu’il y a quelque chose à tirer de cette affaire. Yuanyuan hésite un instant et dit à voix basse :

« Xu Yang Gexia, le courtisan de Chan Dong Zhouzhang. »

Aïe. Là, c’est moins bien. Si je me mets à trop ennuyer les proches du gouverneur, je ne donne pas chère de ma tête. Il va falloir que je fasse les choses avec délicatesse et discrétion pour éviter les problèmes.

« Je ne vous en voudrais pas, si vous ne trouver rien. Je n’en ai plus pour très longtemps.
- Pourquoi vous dîtes cela ?
- Mon fils a déserté, ma famille est déshonorée. Mon mari est mort et je ne peux pas être remariée. Que feriez-vous dans mon cas ? »

Je sais ce qu’elle veut dire, mais je ne préfère pas répondre pour éviter de me replonger dans mes douloureux souvenirs, ceux de l’époque où mon mari a disparu. Elle le sait aussi. Elle regarde son thé à nouveau, se balançant légèrement sur son coussin, comme le ferait un enfant. Elle pleure un peu.

« Vous savez… J’ai toujours aimé mon mari. Il avait ses défauts, c’est vrai. Mais ce qu’il a fait, ce qu’il faisait… Je ne pouvais pas le prévoir. Vous connaissez ce sentiment ? Vous vivez avec une personne pendant des années, vous mangez avec elle, vous dormez avec elle, vous riez avec elle et à la fin… Elle vous quitte, brusquement avec cette impression que vous ne la connaissiez pas vraiment. Sa vie s’échappe d’entre vos doigts, comme de l’eau. Je l’ai aimé, de tout mon cœur. J’ai toujours été une épouse modèle, je lui ai même donné un fils ! Tout ça pour cela ? Qu’est-ce que j’ai fait aux Dieux pour mériter un tel sort ? 
- Ne dîtes pas cela. Votre mari vous aimait aussi.
- Il m’a laissé seule ici. Je suis partagée entre le désespoir et la colère. Il n’avait pas le droit de partir…Maintenant laissez-moi, s’il vous plaît… je suis fatiguée… »

Yuanyuan est dans un état psychologique grave, mais compréhensible au vu de la situation. Je décide de me lever, je m’incline légèrement, et je sors de la salle. Je croise le jeune serviteur dans le couloir, qui accepte de me reconduire à l’entrée. Sans un mot, je sors d’ici. C’est encore l’après-midi, et le soleil brille. Je pense avoir le temps d’aller donc rendre visite à Xu Yang Gexia – Gexia étant un titre honorifique informel sensé montrer l’importance d’une personne-, le fameux limier du gouverneur Chan Dong. De mémoire, il habite non loin du palais du gouverneur. Je prends l’avenue principale du centre-ville pour aller plus vite. Les festivités continuent et je dois esquiver les différents stands et la multitude de sujets se promenant ici. Au bout d’une trentaine de minutes, j’arrive à la propriété de Yang. Une demeure plus grande, et surtout gardée. A peine je pénètre dans la rue que j’aperçois trois gardes devant la porte. Ce ne sont pas des gardes la ville ceux-là, ce sont des gardes recrutés. A priori, je n’ai rien à craindre de Xu Yang, il me connaît de réputation et il sait que je ne le menace pas directement dans ses affaires avec le gouverneur. Je m’approche des gardes.

« Bonjour messieurs. Est-ce que Xu Yang Gexia est disposé à me recevoir ?
- Qui es-tu  Meimei ? »

L’arrogant. Meimei signifie petite sœur. Ce mot peut être utilisé, même en dehors de la famille avec des filles plus jeunes que vous. Cependant, c’est tout à fait informel et très, voir trop amical : si cet arrogant personnage ose l’utiliser avec moi, alors il devra en subir les conséquences.

« Song Huayan. »

Tout de suite, ils se rendent compte que je ne suis pas n’importe quelle fille du commun. L’un des gardes se lève et rentre dans la demeure par la grande porte. Les deux autres m’observent, avec un sourire en coin. Je me demande s’ils regardent si j’ai des armes sur moi ou s’ils sont plus intéressés par mon corps. Je penche pour la seconde solution. Le garde ressort et me fait signe que je peux approcher. En avançant, je m’arrête à hauteur du garde effronté et je lui susurre délicatement ces mots d’amour :

« La prochaine fois que tu t’adresses à moi irrespectueusement, tu le regretteras. »

Il me regarde, les yeux remplis de colère et de surprise. Il ne s’attendait pas à ça. Je lui souris et je passe la grande porte, qui se referme derrière moi.

« Madame Song Huayan. Quelle surprise. Que me vaut l’honneur de votre visite en cette journée de fête ? » dit une grosse voix, forte.

Je la reconnais bien, c’est celle de Xu Yang. De ce que je vois, j’ai l’impression qu’il a encore pris du poids. Pas qu’il soit gros, loin de là, mais lui qui était autrefois svelte, aujourd’hui se retrouve avec un petit ventre. Rien de bien dérangeant, il a passé la quarantaine après tout. Je remarque qu’il a choisi de raser son crâne : il perd ses cheveux par poignées, il a donc dû choisir une solution radicale. C’est un officier de l’armée impériale, d’un grade inférieur à celui de Chan Dong Zhouzhang, mais je crois qu’ils sont originaires du même village, dans le sud. Malgré les années passées, il a d’ailleurs conservé son accent. Je soupçonne que sa langue maternelle ne soit pas le mandarin comme beaucoup de gens ici. Les villes de l’Empire étant des carrefours commerciaux, les accents et les langues se mélangent.

« Xu Yang Gexia. Je suis heureuse de vous revoir en excellente santé.
- Pffffft ! Pas besoin de protocole avec moi. Qu’est-ce que vous voulez encore ?
- Je voudrais parler avec vous… En privé. Encore. »

Xu Yang regarde ses serviteurs du regard, immédiatement leurs yeux se baissent pour retourner à leurs tâches. Il me fait un geste de la main pour le suivre et nous entrons à l’intérieur. Nous montons les quelques marches de l’entrée, pour ensuite rejoindre son bureau. De nombreux parchemins sont posés sur une petite table, proche du sol. Nous nous asseyons sur de confortables coussins, très épais. Il a un petit sourire en coin et des yeux perçants.

« Qu’est-ce qui vous amène, alors ? Que me vaut la visite de la Reine des Fleurs ?
- La Reine des Fleurs ?
- Vous ne connaissez pas votre propre surnom en ville ?
- Je l’ignore en effet. D’où me vient ce surnom ?
- Tout le monde dit que vous êtes aussi belle qu’une rose et que votre beauté est sans pareille dans la ville ! Mais qui dit belle rose, dit épines. Puis vos vêtements aident beaucoup aussi, vous avez souvent des couleurs chaudes sur vous… Enfin bref. Je vous écoute.
- Arrêtez, vous allez me faire rougir. Vous vous doutez que ma visite n’est pas uniquement de la pure courtoisie.
- J’imagine que ce n’est pas pour mon physique d’athlète ou mon joli visage, oui.
- J’ai… Disons que je suis curieuse et que je m’intéresse au tragique accident qui a eu lieu plus tôt ce matin. »

Xu Yang hoche la tête lentement de haut en bas. Il regarde un instant un parchemin posé sur son bureau, puis me regarde de nouveau, avec un sourire que je devine très forcé. Ce n’est pas le genre du personnage d’après ce que j’ai entendu. Je décide d’utiliser une autre technique pour éviter de la braquer trop.  

« Curieuse ? Pour quelle raison ?
- Rien, vous savez ce que c’est… Les femmes. On se pose toujours des questions sur tout.
- Je ne sais quoi vous dire.
- Ce n’est pas grave. Je ne comptai pas vous déranger plus longtemps avec mes bêtises.
- Acceptez au moins de faire un tour par mon jardin, je viens de le faire refaire.
- Soit. Avec plaisir ! »

Je remarque qu’il a l’air satisfait que j’ai changé de sujet. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que je suis moi-même étonnée de son comportement, habituellement plus… Rustique et beaucoup moins chaleureux. Il a l’air content. Peut-être à cause des festivités ? Ou autre chose ? Nous nous levons et il m’invite à le suivre. Nous sortons par une petite porte donnant sur le jardin. Je vois qu’il a un piètre goût en matière de jardin : bien que très traditionnel, le choix des arbres, des plantes et des fleurs n’est absolument pas harmonieux et l’ensemble reste pauvre au final. Après quelques instants, il se remet à parler :

« Vous êtes uniquement venue pour me dire ça au fait ?
- Que voulez-vous dire ?
- Vous visitez rarement les gens en ville, je suis surpris que vous soyez venue. Je ne m’y attendais pas vraiment, je suis même sorti de mon bureau pour vous accueillir en personne lorsque mon serviteur est venu me prévenir.
- Il est vrai que je voyage souvent.
- Comment c’est dans les autres mondes ? Je me suis toujours demandé ce qu’il y avait par-delà la Lune et le Ciel.
- En toute honnêteté, je vous conseillerai de rester en Chine. Rien n’équivaut la beauté de notre pays.
- Pourtant, j’ai entendu dire que le monde principal de notre « protecteur », le Consulat, est magnifique.
- Vous seriez probablement déçu.
- Si vous le dîtes. »

Nous continuons à marcher, lentement, le long du petit bassin. Il a les mains croisées derrière son dos. Visage légèrement penché, gardant un œil sur moi. Je suis son rythme. Notre marche est perturbée par le son d’un erhu – instrument traditionnel chinois- qui s’immisce dans nos oreilles, une délicieuse mélodie. Très dramatique cependant. Je tourne mon regard vers l’origine du son et j’aperçois une jeune fille, tout de jaune et de rouge vêtue. Je m’arrête et je la regarde. Xu Yang se met à ma hauteur et me dit, d’un ton plus bas qu’auparavant :

« Je vous présente ma fille en personne. Xu Junjing. Mon précieux trésor. N’est-elle pas magnifique ? Vous ne l’aviez pas encore vu en vrai je crois. »

Je vous avoue qu’elle n’est pas d’une ravissante beauté, mais elle pourrait plaire à des hommes c’est sûr. Notamment, elle a un petit grain de beauté tout à fait adorable sur la joue droite. Ce n’est pas comme si son père était d’une grande beauté après tout.

« Oui, c’est certain. Est-elle en âge de se marier ? 
- Oui. A vrai dire, j’ai déjà contacté les marieuses de la ville, je devrais recevoir des demandes d’ici peu.
- Fort bien. Tâchez de lui trouver un mari aimant et… De bonne famille, surtout.
- C’est une évidence, oui. »

Il m’invite d’un geste de la main à reprendre notre marche. Je garde cependant un instant les yeux fixés sur cette jeune fille, qui doit avoir environ dix-sept ans, jouer de son instrument avec une telle concentration qu’elle a occulté notre présence. Pourtant, nous ne sommes qu’à quelques mètres d’elle. Je la regarde une dernière fois, pour me souvenir de son visage. Cela peut toujours être utile. Je reprends la marche avec Xu Yang, nous avançons désormais vers la sortie.

« Merci pour votre visite, Madame Song Huayan.
- C’est moi qui vous remercie. »

Sans plus de bavardages, je le vois quitter son agréable –mais faux- sourire pour retourner à l’intérieur de sa demeure alors que je passe de nouveau le porche où le garde de tout à l’heure me regarde avec une haine peu dissimulée. Je le défie du regard, il baisse les yeux. Il a dû comprendre que je ne suis pas la simple ménagère du quartier qui vient parler de la pluie et du beau temps. Nous sommes en fin d’après-midi. Il va falloir que je rentre. Je décide de passer par les petites ruelles, discrète du mieux que je peux. Les fêtards commencent à rentrer chez eux, ce sera bientôt le dîner après tout. Toujours à six heures et trente minutes, pour des raisons superstitieuses chinoises. Je rejoins sans encombres ma demeure, où mes deux agents de sécurité – des gardes privés, engagés par mon eunuque préféré pour la sécurité de la maison paraît-il – m’attendent sur le pas de la porte. Ils inclinent la tête en me voyant arriver et m’ouvrent la porte.

Le petit Noah mange dans les cuisines avec la cuisinière, ainsi je peux discuter tranquillement avec Lin Xupeng des affaires courantes. Il a l’air concerné, nous entamons la conversation :


« Vous avez trouvé quelque chose ?
- Pas vraiment. Je sens qu’il y a quelque chose en-dessous des gens que j’ai vu. Je ne saurai dire quoi encore.
- Vous êtes allée voir Yuanyuan et qui d’autres ?
- Le Limier de Chan Dong Zhouzhang, Xu Yang. »

Lin Xupeng se tord les lèvres et pose ses baguettes sur la table. Il a l’air un peu inquiet.

« Pourquoi êtes-vous allée le voir ? Vous savez qu’il peut être dangereux.
- Yuanyuan m’a dit qu’il s’était querellé, probablement avec son mari.
- Probablement ?
- Rien n’est sûr dans cette affaire.
- Vous avez appris quelque chose d’utile ?
- Pas vraiment. Si ce n’est que le Limier cache définitivement quelque chose.
- Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
- Son attitude. Il faussait sa sympathie. Tout le monde sait que c’est un homme ignoble, et pourtant, il a été extrêmement agréable, avec moi.
- Vous savez pourquoi, non ?
- Peut-être Xupeng, peut-être. A vrai dire, j’ai bien vu que je l’embêtais avec Yanglin, mais son attitude était positive avant que je n’aborde sa disparition.
- Il y a quelque chose qui se trame, je n’aime pas ça.
- Ne soit pas si suspicieux. J’ai une attitude très passive dans la politique locale ces derniers temps, je ne gêne presque personne et les personnes que je gêne sont insuffisamment intelligentes pour se débarrasser de moi.
- Nos ennemis sont nombreux et autour de nous, vous l’avez dit vous-même.
- C’est vrai. Mais en même temps Xupeng, tout ce qui n’est pas nous est une menace. Seulement, certaines sont plus proches que d’autres. »

Nous arrêtons de parler. Chacun réfléchissant à la suite de notre conversation. Je me remémore ma journée, notamment la cérémonie de ce matin, en quête de détails que je n’ai peut-être pas remarqués sur le coup. Je me souviens maintenant : Jiawei Dajisi a échangé quelques mots avant que Yanglin plonge dans l’eau. Ce n’est probablement rien, mais cela reste une piste.

« Qu’allez-vous faire maintenant ?
- Je pense rendre une visite à cette vieille chouette de Jiawei Dajisi.
- Ne soyez pas irrespectueuse.
- C’est vrai, pardonne-moi. Cette chère et estimée Jiawei Dajisi.
- Pourquoi vous souhaitez la voir ?
- Je crois qu’elle a parlé avec Yanglin juste avant qu’il plonge. Je serai curieuse de savoir ce qu’ils se sont dits.
- Ce n’est peut-être pas une bonne idée. Vous savez qu’elle n’a plus forcément toute sa tête, sa situation a empiré depuis l’époque où elle était venue vous voir.
- Soit elle vieillie mal, soit elle fait exprès de se faire passer pour moitié-folle.
- Ce qui ne fait que la rendre potentiellement plus dangereuse.
- Néanmoins, je dois lui parler. Elle a probablement des choses à dire à la Reine des Fleurs.
- La Reine des Fleurs ? Qu’est-ce que c’est que ce nom étrange ?
- J’ai appris que c’était le surnom que l’on me donnait en ville, dans les cercles où les conspirations sont reines.
- Reine des Fleurs… Vous savez d’où vient cette référence ? En vérité, c’est assez bien trouvé… Dans une certaine mesure.
- Je t’écoute avec attention. »

Il se remet correctement sur son coussin et reprend sa position bien droite de professeur et de lettré. J’aime le voir ainsi, cela me rappelle mon enfance et les bons moments que nous avons passé ensemble. C’est un homme bien. Je regrette de l’avoir entraîné dans mes aventures. Je sais qu’il est volontaire, mais je sais aussi qu’il le fait pour moi. Je le pousse et je l’ai poussé à faire des choses que je ne peux nommer pour un tel homme. Il le fait car il tient à moi. Il a commis des délits pour moi, il a tué en mon nom, il s’est déshonoré pour moi. Je suis dure avec lui, là où je dois être généreuse et reconnaissante. Malgré tout, il me comprend et continue de me soutenir pour ne recevoir en retour que ma simple reconnaissance. J’ai fait des choses que vous trouvez horribles, mais pour moi, l’un de mes plus grands crimes est d’avoir sali l’honneur et l’âme d’un ami, mon ami.

« La Reine des Fleurs, fait le lien avec les fleurs, et plus particulièrement la pivoine. Elle représente la prospérité, la beauté et la richesse, cela ait dû à son apparence : un large bourgeon, une couleur vive, son parfum délicieux et ses nombreuses variétés. Quelque part, vous ressemblez à cette fleur : vous êtes d’une grande beauté, souvent habillée dans des couleurs vives, voir chatoyantes et vous avez un large panel de personnalités. Puis, vous sentez bon, vos investissements dans des parfums hors de prix a dû enfin montrer ses effets. Et puis, il y a la partie un peu plus… Opaque.
- Pourquoi donc opaque ?
- La « reine des fleurs », c’est-à-dire la pivoine, avait une fervente admiratrice autrefois, en la personne de l’Impératrice Céleste Wu Zetian. Qui comme vous le savez, n’a pas exactement eu le règne le plus paisible de notre pays.
- Effectivement, je me serai bien gardée de cette comparaison.
- Et pourtant, vous avez certains de ses traits. »

Je ne réponds pas. Il sait que je suis d’accord avec lui. L’Impératrice est décrite comme d’une grande cruauté et prête à tout, quitte à tuer ses propres enfants, pour conserver le trône impérial. C’est une personnalité à la fois effrayante, mais terriblement attirante de part son charisme et son intelligence. Sans être un modèle pour moi, je l’admire secrètement pour sa capacité à gouverner habilement. Je souris l’espace d’un instant, je me rends compte de la chance que j’ai d’avoir Xupeng.

« Merci. »

Je sais qu’il n’aime pas les effusions sentimentales, cela le gêne. Mais parfois, un petit mot vaut mieux que de longs discours ou le silence. Nous continuons de discuter d’affaires courantes, puis il se retire dans sa chambre. Pour ma part, je confis aux gardes la mission de patrouiller le jardin et de garder la porte. Je vais me mettre dans une tenue plus délicate et légère surtout. Il fait désormais nuit. Comme prévu, je m’assois sur le regard d’un couloir dans le jardin, attendant l’arrivée de mon invité nocturne. Je ne sens rien approcher pour l’instant. J’attends.
J’attends longuement, je vois plusieurs fois l’un des deux gardes passer dans le jardin. Il me regarde avec un certain intérêt, se demandant ce que j’attends là à une heure si tardive désormais, certainement. Je décide de ne pas perdre plus de temps, je me dirige vers ma chambre, pour dormir. Je n’aime pas attendre inutilement. Je me déshabille, fait un brin de toilette et me couche. Je n’oublie jamais de glisser une petite lame sous mon oreiller, on ne sait jamais ce qui peut venir vous rendre visite la nuit. Je m’endors.

Je suis allongée sur le sol. J’ai froid. Le sol est noir. Je n’arrive pas à discerner l’horizon, tout l’environnement est noir. Je suis habillée de rouge. Ce n’était pas ma tenue en m’endormant pourtant. Je me redresse sur mes jambes, j’entends comme un bruit de ruissellement. Très léger. Je regarde autour de moi, il n’y a rien. Tout est noir. Je fais quelques pas. Je marche comme sur un sol avec quelques centimètres d’eau dessus, donnant une tonalité particulière à mes pas. J’avance dans une direction, dans le doute, autant bouger un peu. Je me sens comme compressée, écrasée par l’atmosphère. Soudain, je discerne un nouveau son : des pas. Je vois une forme humanoïde s’avancer, mais je n’arrive pas à distinguer son visage. Je pense que c’est un homme. J’attends un moment, entendant toujours les pas. Je vois une nouvelle forme apparaître, baignée dans un halo de lumière blanche. Cette fois-ci, après un court instant éblouie, la luminosité baisse et je suis en mesure de savoir à qui j’ai affaire : je vois la fille de Xu Yang, le limier du gouverneur : Xu Junjing. Elle ne semble pas vouloir bouger ; elle me regarde fixe, comme une statue. Ses vêtements sont blancs : c’est étrange. C’est la couleur de la Mort pour les chinois. J’ai du mal à respirer. J’ai un poids sur la poitrine. J’entends toujours les pas dans l’eau, la forme humanoïde est passée derrière moi. J’ai envie de me retourner, mais je ne peux pas. J’entends une voix, femme ou homme, je ne sais pas vraiment qui murmure :
« He Shen. He Shen. He Shen. ».

Qu’est-ce que cela peut signifier ? He Shen, que me veux-tu ? Pourquoi moi ? Est-ce réel ou est-ce un rêve ? Je vois le jeune oracle apparaître sur ma droite, il a un buffle à ses côtés. Qu’est-ce que c’est que cette mascarade ? Je veux sortir d’ici ! Laissez-moi ! Mes mains deviennent aussi rouges que le sang.

« He Shen. He Shen. He Shen ! »

Ma tête se met à tourner, je perds l’équilibre. Je tombe lourdement su
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Il ne dit rien, il se redresse lentement et se remet à côté de moi.
« Désolé, je ne voulais pas vous faire peur.
- Vous attendiez là depuis longtemps ?
- Au moins une heure, oui.
- Espèce de détraqué, quel genre d’homme regarde une femme dormir chez elle pendant plus d’une heure ? »

Il ne répond pas. Moi j’ai une petite idée en tête cependant. En temps normal, je suis beaucoup plus vindicative, mais il s’agit là d’un jeune oracle de He Shen, son statut fait que je ne peux pas forcément me permettre de trop l’abîmer. Sans compter que les oracles et prêtres ne sont pas forcément tous très sains d’esprits. Ils ne sont pas très dangereux, habituellement, mais certaines de leurs substances feraient certainement fureurs dans les rues d’Illusiopolis.
« Pourquoi vous étiez en retard ?
- J’ai été retardé au temple.
- Un problème ?
- J’ai eu droit à un sermon de Jiawei Dajisi à propos de l’enquête, elle n’accepte pas que j’agisse seul.
- Elle n’est pas au courant pour moi ?
- Non, je ne lui ai pas dit.
- Vous avez bien fait. Qu’avez-vous pu apprendre ?
- Yanglin a bien été empoisonné. Je crois qu’à Illusiopolis, ils appellent ça du « curare ».
- Uniquement du curare ?
- Non, il y a eu un mélange avec d’autres plantes, en tout cas il a été paralysé et a convulsé dans l’eau. Pour mourir noyer.
- Faire un tel mélange nécessite des connaissances avancées en herboristerie… Ou beaucoup d’argent. Est-ce que par hasard vous avez pu apprendre ce que Jiawei Dajisi a dit à Yanglin avant qu’il plonge ?
- Elle m’a dit qu’elle lui avait apporté une bénédiction pour l’aider dans sa quête. »
La discussion se tient dans les ténèbres, peu de lumière si ce n’est celle de la Lune. Nous sommes deux formes, dans une pièce entre ombres et lumière nocturne. Rien ne semble vouloir troubler cet instant où ensemble nous cherchons une vérité. Est-ce que nous cherchons la même vérité ? Nous savons désormais qu’il a bien été victime de quelqu’un, mais de qui ? La liste demeure longue. D’ailleurs, je me rends compte que je ne sais pas grand chose de mon invité nocturne. Je me décide poser quelques questions. J’ose le tutoyer.

« D’où viens-tu ?  
- Suzhou.
- Jolie petite ville… Pourquoi être devenu un oracle de He Shen ?
- Il m’a appelé, je suis venu.
- Tu n’as pas de famille ? »

Il marque un silence, avant de me répondre.

« Pas vraiment. Mes parents sont morts quand j’étais jeune. J’ai été élevé par Jiawei Dajisi.
- Je vois. Pourquoi m’avoir demandé de l’aide à moi ? Et pas à d’autres ?
- He Shen m’a dit de vous aider.
- M’aider ? A quoi ?
- Je ne peux pas vous répondre.
- Tu as quel âge ?
- Le même âge que vous.
- Tu dors tous les soirs au temple ?
- Cela dépend, j’ai une maison près du marché … Noir.
- Ah je vois, un endroit charmant. Tu veux dormir ici cette nuit ?
- Non, j’ai d’autres choses à faire. Continuez l’enquête, je vous recontacterai le moment venu. »

Sans avoir le temps de dire le moindre mot, il s’échappe de ma chambre. Je reste là, dans ma couche, attendant je ne sais quoi. Je m’allonge de nouveau, cherchant un sommeil qui sera dur à trouver. Quelques heures plus tard, je devine l’aube prochaine faisant suite à la disparition de la lumière de l’astre lunaire. Je me lève et je commence à m’habiller. J’entends du mouvement dans la maison, je reconnais le pas lent de Xupeng. Ce vieux professeur continue de se lever aux aurores, je ne l’ai jamais vu se lever après sept heures du matin.

Nous prenons le petit-déjeuner ensemble, pour une fois. J’évite de parler de la visite de l’oracle pendant la nuit et nous discutons d’affaires banales, jusqu’à ce qu’un serviteur s’approche de la salle à manger. Il me regarde, attendant un signe de ma part pour l’autoriser à rentrer. Je l’invite à approcher d’un geste du doigt. Il me dépose dans ma main gauche un parchemin de bambous, apparemment arrivé très tôt ce matin. Le message porte le sceau de Chan Dong Zhouzhang. Je suis quelque peu surprise. Je me demande ce qu’il a à me dire. Je déplie le rouleau et je lis à voix haute pour que Xupeng puisse entendre :


« Madame Song Huayan,

Veuillez accepter cette invitation à déjeuner en ma compagnie en ce jour. Je serai ravi d’avoir une conversation avec une femme aussi belle qu’intelligente dans ma demeure. Cela me changera de ma femme.

Je vous attends.

Avec tout mon respect,

Chan Dong Zhouzhang. »


Un long et délicieux sourire apparait sur mon visage. Peut-être ne comprenez-vous pas ce que ce message représente ? Le gouverneur veut me voir, certes, mais pourquoi veut-il me voir ? Pour qu’un si haut responsable de l’administration souhaite me voir pour « déjeuner » c’est qu’il y a soit une conspiration dans l’air, soit je suis une menace qu’il a besoin d’écarter, soit c’est pour me récompenser et ainsi me mettre dans sa poche. Dans tous les cas, cela m’offre une opportunité de me sortir de mon statut plus ou moins délicat. En effet, bien que j’ai réussi à me débrouiller pour ne pas être remariée au premier venu après la disparition de mon mari, je ne suis pas à l’abri d’un revirement. Typiquement, un mauvais calcul politique peut me coûter chère et m’éliminer en un rien de temps. Avoir l’appui du gouverneur, ou une récompense encore meilleure me permettrait de prévoir l’avenir avec plus de sérénité.

« Ne souriez pas trop vite, cela pourrait être un piège.
- Peut-être. Cependant, je ne peux pas me permettre de refuser une telle invitation. »

Xupeng le sait bien. Si je refuse cette invitation, je suis effectivement et définitivement finie. Je n’ai pas l’âme d’une fugitive et je me refuse à l’idée de vivre ainsi. Ma vie actuelle est sur un pauvre fil, qui est pour l’instant très fin. Je travaille pour la Shin-Ra pour survivre, mais malgré tout la situation sociétale dans l’Empire ne me permet pas d’être assurée de quoique ce soit. Alors, je vais aller voir Chan Dong Zhouzhang, et je vais tirer mon épingle du jeu le mieux possible.

Je n’attends pas les prochaines remarques de Xupeng, je me dirige vers ma chambre pour m’habiller. Je rencontre le gouverneur de la ville, il faut que je m’habille en conséquence : le protocole est important et je déteste ressembler à une simple roturière. Je pense cependant que le gouverneur n’aime pas les tenues trop exubérantes, comme j’ai pu l’observer la veille. J’opte pour un ensemble argenté et noir. Ma marque de couleur sera mon maquillage et une coiffe de pivoines. Je fais appeler des porteurs. Je finis de me préparer, je mets quelques bijoux. Je fais une toilette complète, je dois être parfaite. Le tout me prend bien deux heures je crois. Un jeune serviteur vient taper à ma porte pour me signifier qu’ils sont prêts. Je sélectionne un éventail rouge écarlate, deux petits couteaux de lancer et je sors. Xupeng me regarde partir, sans un mot. Je monte dans la petite cabine et les quatre porteurs commencent le voyage. J’arrive aux alentours de onze heures devant les portes –lourdement- gardées du gouverneur. En effet, sa demeure est entourée de bureaux administratifs, sans compter les maisons des serviteurs et des gardes attitrés de la résidence-préfecture. Mes porteurs me déposent devant l’entrée.


« Ne m’aidez surtout pas à descendre. »

Les quatre se précipitent pour me servir d’appui et descendre avec précaution. Ils s’inclinent à répétition, s’excusant de leur attitude. Ils font bien. Je me dirige vers le premier garde que je vois. Il s’incline poliment. Je lui montre la lettre du gouverneur. Sans plus de cérémonie, il m’ouvre une petite porte –cela évite d’ouvrir la grande porte toutes les cinq minutes, mine de rien, il y a du trafique ici-. Un garde se détache pour m’escorter jusqu’à la résidence du gouverneur. Je suis un peu en avance, donc je fais exprès de marcher lentement. Cela m’offre également l’occasion d’observer la disposition des lieux. Cela peut toujours servir. On me fait entrer dans un vestibule, près du salon privé. Le garde me dit d’attendre ici, un serviteur viendra me chercher lorsque le gouverneur sera prêt.

J’attends patiemment. Je ne peux pas abuser l’hospitalité du gouverneur, étrangement. Un jeune serviteur, assez charmant d’ailleurs, très grand, vient me chercher. Sans un mot, il me fait entrer dans la salle, et clame haut et fort :


« Chan Dong Zhouzhang, voici Madame Song Huayan de … »

Il marque une pause, ne sachant pas d’où je viens, ni qui je suis réellement. Je lui murmure très discrètement :

« Du Quartier des Perles, quartier Ouest de la ville »

« Chan Dong Zhouzhang, voici madame Song Huayan du Quartier des Perles ! »

Le gouverneur semble amuser de la situation, il est déjà assis à sa table. Il me regarde et me fait signe d’approcher. Le serviteur sort, la tête honteuse. Pauvre petit. Je m’approche du gouverneur et me prosterne devant lui, comme le veut le protocole. Le gouverneur ricane un peu et dit, très calmement :

« Nous ne sommes pas en séance officielle, venez vous asseoir, nous allons manger froid sinon. »

Je n’attends pas mon reste et m’assois sur son côté droit. Certainement pas face à lui, ce serait un aveu de défi. Nous commençons à manger, d’abord en silence. La nourriture ici est excellente. J’en suis presque jalouse. J’attends qu’il brise le silence, ce serait malpolie de ma part de le rompre. Je remarque qu’il ne s’est pas spécialement fait beau pour moi. Il est habillé très simplement, la qualité du repas est le seul indice permettant de savoir que c’est un homme riche. Je remarque qu’il hausse régulièrement le sourcil gauche. Il regarde un peu dans ma direction, après quelques minutes, il pose ses baguettes et ose enfin parler :

« Je ne m’attendais pas à tant de respect de la part de la Reine des Fleurs. »

Je souris en coin, presque timidement. Ils commencent à tous m'insupporter à me donner ce surnom sorti de nulle part. Je pose mes baguettes, pour commencer à converser avec lui. Je ne le regarde pas directement dans les yeux, préférant une approche polie. Ici, je dois jouer à la fois sur mon côté naturellement désagréable et hautaine tout en restant dans les bonnes grâces de mon hôte. Une mission fort périlleuse.

« Vous aussi vous avez entendu parler de ce surnom ?
- Je me demande bien qui ne le connaît pas. Je connaîtrai mal mes administrés si ce n’était pas le cas.
- Ce repas est délicieux. Je suis jalouse de vos cuisiniers.
- Je vous remercie, ce n’est pas grand chose. Je ne reçois pas d’aussi belles femmes tous les jours.
- Je suis une femme mariée, ne l’oubliez pas, huhu. »

Ma réponse est un test. Selon sa réponse, je serai en mesure de savoir s’il a des projets quant à mon statut marital, ou s’il m’a convoqué pour autre chose.

« Ne vous en faîtes pas. Je ne vous ai pas fait venir pour cela.
- Qu’est-ce qu’une humble Dame comme moi peut vous apporter Gouverneur ?
- Vous êtes dans cette ville depuis plus longtemps que moi. Vous avez fréquenté beaucoup de gens, beaucoup de factions. Vous avez un grand réseau ici. De plus… Vous travaillez pour cette étrange entité, appelée la Shin-Ra. Sans compter votre éclatante victoire contre une embuscade Mongole ! Vous savez que j’ai reçu un rapport de l’armée vous concernant, un geste courageux que celui-ci. En temps de guerre, il faut mettre en avant les actes héroïques comme le vôtre.
- Les femmes ne peuvent pas rentrer dans l’administration impériale.
- Je sais. Mais rien ne vous empêche de rejoindre ma faction…
- C’est risqué pour moi, vous savez pourquoi.
- Vous avez peur de Jiawei Dajisi et de Zhilai Bo à ce point-là ?
- Chacun a de quoi réduire ma vie à néant. J’ai de quoi m’inquiéter. Votre faction a ses avantages, mais vous savez certainement mieux que moi que tous les humains peuvent mourir facilement.
- Tâchons alors de garder cela secret pour l’instant. Cependant, je pense que mon offre devrait trouver… Un certain intérêt pour quelqu’un comme vous.
- Que diriez-vous si je vous disais que votre mari va avoir le privilège de devenir Vicomte ? »

Je le regarde dans les yeux un instant, tâchant de savoir s’il s’agit d’un mensonge. Il existe cinq rangs de « noblesse » dans l’Empire : Baron –Nan-, le plus faible, Vicomte –Zi-, Comte –Bo-, Marquis –Hou- et enfin Duc –Gong-, le plus élevé. Sans compter les titres exceptionnels et spéciaux. Si mon mari devient Vicomte, je deviens donc automatiquement Vicomtesse, ou en l’occurrence mon titre exact sera Song Huayan Zhugong. Le Zi est pour mon mari, moi je suis sa femme donc je dois utiliser le titre de Zhugong, qui veut dire « princesse » mais qui est utilisée pour parler des femmes de nobles, comme moi. Cela me permet de toucher de très faibles rentes du gouvernement impérial et qui m’offre un statut me permettant d’être à l’abri de manigances de bas étage sur mon sort marital. Je ne pense pas que la proposition comprend des terres, mais au moins j’ai une vie plus… Sûre désormais. Si j’accepte.

« Pourquoi m’offrir cette sécurité ?
- J’ai besoin d’alliés en ville. Vous êtes plus compétente que la moitié des femmes d’influences de cette ville. J’ai besoin de vous. Je protège ceux dont j’ai besoin. Vous êtes la Reine des Fleurs, et vous savez comme moi que les roses ont des épines.
- Ai-je vraiment le choix de toute façon ?
- Vous lisez dans mes pensées ma chère. Félicitations Song Huayan Zhugong, je suis fier de vous ! Pas besoin de cérémonie, votre mari n’est pas là. Je vous ferai parvenir la paperasse quand tout sera prêt.
- Je suis bouleversée par tant d’émotions, Gouverneur. »

Nous continuons à discuter poliment pendant quelques minutes. Il me laisse une chance pour le quitter. Il doit travailler et moi je dois aller voir Jiawei Dajisi. Je saisis cette occasion, bien que peu protocolaire. En temps normal, je n’aurai pas accepté mais au vu de mon emploi du temps chargé, je préfère me permettre cette petite incartade. Je quitte la résidence du gouverneur de la ville pour rejoindre mes porteurs, toujours sous escorte d’un garde. Je demande à ces hommes de m’emmener vers le temple de Jiawei Dajisi. En vérité, ce n’est pas un immense temple comme vous pourriez l’imaginer : juste un lieu de taille assez réduite où elle vit. Un large autel est présent, mais les suivants de He Shen ne vénèrent pas leur Dieu dans cet endroit, ils vont directement au fleuve. Le ciel se couvre et la pluie commence à tomber sur nous. Temps pour les chiens.

Nous avançons dans un quartier plus modeste, proche de l’eau, de la partie Est de la ville. Les passants regardent ma cabine avec curiosité, se demandant qui peut bien être à l’intérieur. Je les regarde à travers les rideaux en souriant. Mes porteurs me déposent devant l’entrée du temple. Je descends en vitesse, souhaitant éviter la pluie pour sauver mon maquillage. Je leur demande de m’attendre, je n’en ai pas pour longtemps a priori. Le temple ressemble à une maison simple de pêcheurs, seul l’autel rappelle qu’il s’agit d’un lieu religieux. Jiawei Dajisi est proche de ce dernier, elle le nettoie. Je m’approche lentement, et la salue.


« Salutations Jiawei Dajisi. Pardonnez ma visite impromptue. »

Elle détourne son regard de l’autel pour me regarder. Elle est habillée tout en blanc comme d’habitude, aujourd’hui elle porte cependant une sorte de gilet orange avec quelques fleurs accrochées dessus. Aussi, elle a une coiffe de fleurs, semblable à la mienne : seulement les fleurs sont différentes. Son maquillage, pourtant bien fait, n’arrive plus à cacher les rides de son visage et c’est encore plus vrai aujourd’hui que la veille durant la cérémonie. Cette vieille bique paraît très étrange, presque folle, et parfois d’une normalité surprenante. Voyons ce que je vais avoir aujourd’hui.

« Bienvenue Song Huayan. Que puis-je faire pour toi ?
- Ne jouez pas le jeu de la gentille ecclésiastique avec moi.
- He Shen te montrera la voie mon enfant.
- Peut-être, mais ce n’est pas l’objet de ma visite.
- Tu viens pour Yanglin c’est cela ? Je n’ai pas de réponses à t’apporter.
- Tu lui as parlé avant qu’il meurt.
- Je lui ai souhaité bonne chance pour l’épreuve.
- Bien sûr. »

Je marque une pause, je lui tourne autour comme un vautour le ferait. Je souris un peu. Même si au fond de moi, je ne suis pas vraiment inquiète. Elle reste influente, bien que vieille, mais son pouvoir décroît année après année. Elle s’assoit à côté de l’autel. Le fait que nous nous tutoyons n’est pas une marque amicale, ils signifient juste que nous pensons être au même niveau social.  

« J’étais venue te voir à l’époque, pour voir comment tu allais.
- Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi d’ailleurs.
- Voudrais-tu entendre une vérité sur ton mari ? »

Je me retourne vers elle et je m’arrête de marcher. Comment peut-elle oser ? Mon visage ne sourit plus et mon regard devient aussi noir qu’une nuit sans Lune. Quel venin va-t-elle me lancer cette vipère ? Je ne réponds rien, attendant son attaque.

« Cela a dû être difficile, en tant qu’épouse, en tant que femme de voir son mari disparaître du jour au lendemain. Tu n’as jamais pensé pourquoi avait-il disparu ? J’imagine que non. Quand j’étais venue te voir, tu étais faible et anéantie. Ton monde s’est effondré autour de toi, jeune naïve que tu étais, tu as cherché à survivre. Et honnêtement, je ne pensai pas que se serait possible. Et te voilà devant moi, à demander ce que j’ai bien pu dire à Yanglin avant qu’il ne soit tué.
- Vous savez donc qu’il a été tué.
- Ne fait pas l’impertinente avec moi petite. Je reste ton aînée, ce n’est pas au vieux singe à qui l’on apprend à manger la banane. Je ne comprends pas bien ton implication dans cette affaire, mais les Dieux rendent Justice tôt… Ou tard.
- C’est toi qui a envoyé le jeune oracle chez moi ?
- Quel oracle ?
- Ce n’est pas important.
- Song Huayan, ne devient pas comme ton mari. Zhan Haojun était une maladie. Je regrette d’avoir aidé à la propager, tu le seras aussi. Peut-être pourrai-je t’aider ? Je peux t’aider Huayan. »

C’en est trop pour moi. Je sors immédiatement de la salle sous le regard sérieux de Jiawei. Elle m’a frappé. Et elle le regrettera un jour, croyez-moi. Je sors rapidement du bâtiment pour retrouver mes porteurs. Je leur adresse mon ordre d’une voix plus que colérique :

« Ramenez-moi chez moi. Et vite ! »

Ils s’empressent de me porter en direction de ma demeure. Je ne suis pas la plus gentille des patronnes, mais depuis ma rencontre avec Rufus Shin-Ra, je m’améliore. Imaginez leurs têtes quand je leur ai offert deux jours de congés lorsque je suis arrivée quelques jours avant la cérémonie. Nous repartons sous la pluie, en direction de ma maison.  La pluie battante rend le retour plus long que prévu. Je ne cesse de repenser à ce que Jiawei a dit. Cette femme va payer un jour, et je ferai en sorte que toute sa faction s’écroule avec elle. Elle a toujours été une femme complexe aux multiples objectifs. Ne vous perdez face à son discours, elle peut endormir un loup en lui faisant croire qu’il est un mouton. Cependant, j’ai au moins appris que l’oracle agit seul, ou du moins de sa propre initiative. Les porteurs arrivent exténuer. Ils n’osent dire quoique ce soit alors que je rentre déjà chez moi. Je laisse cependant un petit pourboire derrière moi, histoire de compenser leurs peines. Je fonce vers ma chambre, Xupeng me regarde passer mais n’intervient pas. Il a dû voir que je ne suis pas en état d’avoir une conversation sensée. J’ai envie de la piétiner, j’ai envie qu’elle implore mon pardon, j’ai envie de la punir. Ce sentiment d’impuissance qui m’envahit n’est pas sain, je le sais, mais pourtant je ne peux rien pour l’arrêter. Comment ose-t-elle parler de mon mari ?!

Je m’assois là, j’attends que la colère passe. Mon repos est troublé par Xupeng qui ouvre doucement la porte. Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir ?


« Madame, le jeune oracle est là.
- Il attendra. »

Il repart en silence, sans ajouter ne serait-ce qu’un mot. Je soupire un coup. J’avance jusqu’au miroir de la pièce voisine à ma chambre. Je me regarde. Je me dis que ce sera bientôt fini. Plus qu’une étape. Je sors de la chambre après avoir gommé les effets de la colère. J’arrive dans le salon réservé aux invités. Je constate que Lin Xupeng discute déjà avec Haiying. A mon arrivée, ils arrêtent de parler et Lin se dirige vers l’arrière de la pièce, où il va nous écouter converser. Je m’assois devant l’oracle, ce dernier s’assoit également.

« Pourquoi êtes-vous allée voir Jiawei Dajisi ?
- Je voulais savoir si elle avait un lien avec l’enquête.
- En a-t-elle un ?
- Je ne pense pas. Elle m’a offensé mais je ne pense pas qu’il y a un lien avec l’enquête.
- Qu’a-t-elle dit ?
- Quelque chose… En lien avec mon mari disparu. »

La colère remonte quelque peu en moi, je redeviens froide, distante. Je marque une pause et recentre la conversation pour me calmer :

« Où en êtes-vous dans votre enquête ?
- J’ai rassemblé des indices. Je vais cependant avoir besoin de vous pour obtenir le dernier.
- Dites-moi tout.
- Je dois aller voir une certaine personne au marché noir. J’ai besoin de vos compétences sur place, peut-être. Il faut y aller ce soir.
- Je vous suivrai dans ce cas. »

Il a l’air étonné de ma réponse rapide. Pourtant je n’ai pas le choix : mes pistes sont toutes fermées, ou presque. Des éléments nouveaux ne seraient pas de refus.

« Attendez-moi ici. Je vais m’habiller. »

Lin Xupeng disparaît de l’autre côté de la salle pour rejoindre ma chambre. Il n’a pas l’air rassuré :

« Vous ne comptez pas aller au marché noir de nuit et accompagnée par une seule personne ?
- Bien sûr que si.
- Je vais demander aux deux gardes de vous suivre.
- Certainement pas, je ne leur fais pas confiance. Des hommes qui offrent leur loyauté contre de l’or ne sont pas fiables par nature. Ne t’en fais pas pour moi Xupeng. J’ai déjà fait face à bien pire. Ça va aller. »

Il ne dit rien et quitte la chambre pour aller surveiller le jeune oracle. Je sors une tenue de style chinoise mais plus adaptée au combat ou du moins à la discrétion. Je peux courir, c’est déjà un bon point. J’attache mes cheveux simplement, j’enfile mes bottes et ma tenue. J’enlève le maquillage trop brillant comme mon rouge à lèvres. J’enlève les bijoux. Je dispose mes petites armes, ces chers petits couteaux dans mes manches, deux dans les bottes, quelques stylets près de la taille. Je prends ma fameuse fiole de poison, au cas où les choses tournent mal. Je suis prête. Allons donc au marché noir.

Je sors de ma chambre les pas décidés et sous les yeux de mes serviteurs qui voient qu’ils vont devoir nettoyer le sol après mon passage : la boue sur le bois, c’est pas élégant. Xupeng nous accompagne à la porte, puis nous regarde partir. Il fait de plus en plus sombre, les nuages dissimulent le coucher de soleil. J’avance avec Haiying, silencieuse.


« Ce n’est pas votre première fois dans un endroit dangereux.
- Tu es perspicace. »

Il ne répond pas, peut-être l’ai-je blessé ? Ce n’est pas bien grave, nous avons une heure de marche au moins devant nous dans les rues les plus sinueuses de la ville. Au bout d’un moment, nous atteignons le fleuve, plongé dans l’obscurité, quelques lumières se reflétant sur sa surface. Haiying s’éloigne de moi quelques instants, il monte sur un ponton, puis une péniche et me fait signe de monter. Je le suis. Il détache la péniche et avec une longue perche commence à nous faire avancer vers l’autre côté du fleuve. Nous ne faisons aucun bruit sur l’eau. Nous restons aux aguets. Surtout moi d’ailleurs, on ne sait jamais ce qu’il y a sous l’eau.

Nous atteignons la rive, Haiying attache notre véhicule à un quai en pierre. Nous descendons et rejoignons les quais. De nombreuses ombres sont déjà présentes sur ces quais du quartier est. Non loin du petit temple de Jiawei Dajisi se trouve le marché noir. Un lieu où l’on peut trouver les plus abjects individus, les derniers poisons à la mode ou bien encore des sages-femmes pour les avortements illégaux. On entend des murmures, quelques rires gras dans des tavernes pourries, des soupirs. Haiying me fait signe de le suivre, silencieusement. Je le suis. Nous avançons vers une petite ruelle. Je vois une prostituée, un vieil homme édenté assis par terre, à sourire au vide, quelques hommes d’affaires louches. Nous continuons d’avancer malgré tout, je remarque que le jeune oracle n’a pas l’air très à l’aise ici. Il ne doit pas être habitué à ce genre de lieux. Pourtant il m’a dit qu’il n’habitait pas très loin. Il doit essayer de faire l’homme brave pour m’impressionner. Seulement, je suis habituée à Illusiopolis. Je sais ce que c’est la puanteur, l’anarchie, l’insécurité. Une fois notre peur maîtrisée, nous pouvons aller très loin. Ce soir, une étrange brume infiltre les rues et les ruelles près des quais. Une aura de mystère entoure ses passages et ses étranges personnages. Nous passons à travers cette ambiance nocturne particulière, la Lune est absente. Au bout d’une bonne dizaine de minutes de marche, Haiying s’arrête à un croisement. Il se tourne vers moi et me dit :


« Si quelque chose se passe… Nous nous retrouverons chez vous. Compris ? »

J’acquiesce de la tête. C’est toujours une bonne chose de prévoir un plan de secours au cas où. Je me tiens prête à tout éventualité et il prend la ruelle de droite. C’est une impasse, une petite chaumière dégage une fine lumière par une petite fenêtre. La seule de l’impasse. Un rideau en guise de porte, nous l’écartons pour rentrer dans la chaumière. Une vielle dame nous regarde. Elle a les mains aspergées de sang séché. Je laisse Haiying poser les questions et j’en profite pour jeter un œil discrètement à la pièce. C’est une chaumière pauvre, n’en doutons pas. Peu de décorations, une petite statuette de He Shen sur l’un des seuls meubles de la pièce. Je remarque quelques pots, certains avec du sang, d’autres avec des os. Des murs en pierre garantissent une certaine sécurité à la vieille dame, une sécurité toute relative vu la porte d’entrée. Haiying commence à parler :

« Bonjour Madame.
- Bonjour… Excusez-moi, je ne vois pas très bien… Qu’est-ce que vous voulez ?
- Avez-vous aidé une femme à avorter récemment ? Je suis un oracle de He Shen et j’enquête sur une affaire de meurtre. »

Je me retourne immédiatement vers Haiying. Il voit que mon regard est surpris. En même temps, je ne m’attends pas à ce qu’on pose ce genre de questions dès le début d’un entretien. L’avortement est un sujet tabou dans l’Empire, officiellement interdit, il reste largement utilisé notamment par les riches familles pour débarrasser leurs filles d’enfants illégitimes. La vieille dame cependant ricane un peu et répond :

« J’en ai avorté plusieurs en vérité…
- Une jeune femme avec un grain de beauté sur la joue droite, ça vous dit quelque chose ?
- Attendez… Ah oui, en effet ! Je l’ai avorté il y a deux semaines ! »

Je me fige. Je ne respire plus, je ne bouge plus. Un grain de beauté sur la joue droite ? Aurait-il compris ? Vite, il faut que je rejoigne la maison ! Je me dirige vers la sortie, je fais signe à l’oracle de se dépêcher.

« Merci beaucoup Madame, au revoir ! »

Je ne regarde pas ce que fait la vieille, je sors pour rejoindre l’impasse. Je m’arrête une nouvelle fois. Trois hommes bloquent la rue. Ils sont armés. Haiying sort une sorte de gourdin de sa besace. Je commence à me concentrer.

« Qu’est-ce que vous voulez ? »

Ils ne répondent pas. C’est mal parti pour nous. Je sens que deux armes de jet sont prêtes. Je n’attends que le début des hostilités.

« Oracle. On nous envoie chercher une dame qui vous accompagnerait, elle est demandée par notre employeur. Veuillez vous écarter ou nous devrons faire usage de la violence. »

Haiying me regarde, attendant ce que je préfère adopter comme attitude. Il sait que ce sont des gens mauvais et qu’ils me feront du mal, mais cela reste mon choix. Brave petit. Nous avons le même âge et pourtant nous sommes si différents.

« Désolé. »

Je me concentre une ultime seconde et je lance de toute ma force psychique mes deux armes de jet cachées dans mes manches vers les ennemis. Je ne crie pas, je jette un regard de colère immense contre eux. Ils ne s’attendent pas à ce que j’attaque j’imagine. L’effet de surprise joue en ma faveur et un des trois hommes, le plus frêle se prend les tirs. Sa gorge est touchée, il s’effondre sur le sol. Il ne bouge plus, certainement mort. Les deux autres compères dégainent leurs armes : deux glaives chinois. Haiying n’attend pas non plus trop longtemps et charge dans leur direction. Il en prend un en combat singulier. Le plus grand et fort se dirige vers moi en courant. Je sais qu’il ne veut pas me tuer, j’ai cet avantage : il doit me garder en vie. Moi, je suis libre. Je commence à me concentrer pour effectuer une poussée vicieuse de mes cheveux qui devraient être suffisamment costauds pour me débarrasser de mon adversaire. Il me bondit dessus et me plaque au sol. Il me fait mal au dos, je pousse un petit cri de douleur. Il essaye de me maîtriser, je décide de le mordre au cou pour le déconcentrer.

« Arrêtez ! Saloperie ! »

Mes cheveux commencent à réagir et fondent sur ma cible qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Il me lâche mais il est déjà trop tard : mes cheveux l’étranglent. Il se défend en utilisant son glaive pour m’attaquer. Il retient son coup mais me blesse à l’avant-bras gauche, heureusement ma tenue a pris la plupart des dégâts. Etant au sol, je prends un couteau de ma botte droite et je saute sur l’ennemi déjà à terre. Je n’attends pas de me prendre un autre coup de glaive et je lui plante le couteau dans la gorge aussi. Son sang se déverse sur mes voluptueux cheveux. Il ne parlera pas. Pendant que mes cheveux se relâchent, je vois que mon oracle semble se débrouiller avec le dernier assaillant. Je vais l’aider un peu. Je me relève. Je charge mes projectiles magiques pendant que Haiying tient l’adversaire en respect avec son gourdin. Lorsque je sens que j’ai une bonne ouverture, je lance mes projectiles. Certains finissent leur course dans le mur mais deux d’entre eux touchent le combattant dans les côtes. Il tombe au sol et Haiying lui met un coup de gourdin qui finit le travail. Plus de crâne de disponible, pas de témoins. J’aime ce procédé.

Je récupère mes lames rapidement. Haiying me regarde faire, un peu surpris de voir que je suis capable de me défendre. Au moment où il semble vouloir parler avec moi sur ce qui vient de se passer, nous entendons un homme crié depuis la rue d’où nous sommes venus :


« Ils sont là ! Attrapez-les ! »

J’échange un dernier regard avec Haiying et je cours en direction de la ruelle à ma gauche. Je ne cherche même pas à savoir s’il a pu s’enfuir ou pas. Je ne pense qu’à survivre. Survivre. Je cours à travers les rues sinueuses, je les entends courir derrière moi. Heureusement, je suis plus fine qu’eux et j’arrive à avancer plus rapidement entre les ombres hantant les lieux. J’arrive dans une rue avec des marches en pierre, je négocie mal un pas et je tombe en roulant. Ils ne sont qu’à une quinzaine de mètres. Il est temps d’utiliser la magie. Je me concentre, et dans un geste de survie, je projette tout ce qui est à porter sur mes adversaires. Je vois vaguement des fruits, de petits cailloux, un bout de bois voler dans leur direction. Les ralentissant momentanément. Suffisamment longtemps pour moi pour me redresser et courir. Je tourne à droite dans une ruelle. Ils ont repris leur course et sont toujours derrière moi. Heureusement pour moi, ce ne sont pas des athlètes, sinon je serai déjà stoppée. Tout en courant dans cette rue, je profite de l’ambiance mystérieuse pour me concentrer sur mes pouvoirs. Jouons-leur un mauvais tour. J’arrive à un croisement. Je tourne à gauche et avec la brume, signe que je me rapproche des quais de plus en plus, je projette une image de moi plus loin, comme si j’avais continué tout droit. Je continue de courir et je gagne ainsi quelques secondes : cependant cela marche moyennement et certains assaillants m’ont vu. Ils se séparent en deux groupes, l’un à la poursuite de mon image, maintenant disparue, et l’autre étant à mes trousses.

« Elle est là ! »

Laissez-moi tranquille ! Ils sont tenaces. Un rapide coup d’œil derrière moi me laisse distinguer trois personnes.  Je fais une roulade pour passer sous une charrette en vitesse, ils ne sont pas aussi souples que moi. Ils doivent faire le tour. Je me concentre pour former mon arme éthérique de prédilection : le fouet. Je m’avance dans une petite ruelle, à l’abri des regards. Mon fouet se forme. Je les attends, je les sens arriver.

« Tu vas pas aimer ce qu’on va te faire ma jolie ! »

La ruelle joue à mon avantage : ils ne peuvent pas m’attaquer de front à trois en même temps. C’est trop étroit, ils vont devoir faire un par un. Le premier tente de me bondir dessus, je le flagelle au niveau du ventre et il s’effondre sur le mur de droite, se cognant la tête. Le second a son glaive dégainé et tente de s’approcher tout en attaquant. Avec le fouet, je peux frapper à distance plus que lui. Je donne plusieurs coups dans le vide pour le tenir éloigné. Il mugit comme un bœuf à chaque fausse attaque, je joue avec ses nerfs. Il s’énerve. A mon tour d’attaquer, vermines. Je commence à avancer tout en donnant des coups, la plupart touchent les murs autour de nous, j’enjambe le blessé à terre. Je me concentre et j’inflige un vertige à mon adversaire direct. Je vois qu’il vacille quelque peu. Je profite de ce moment de faiblesse pour l’attaquer. Je le frappe de plein fouet, c’est le cas de le dire. Il tombe. Le dernier maintenant. Il me regarde un moment, il regarde le fouet éthérique qui luit dans la brume, rendant la scène très impressionnante plus qu’elle ne l’est réellement. Il me regarde et se met à fuir. Fuir ? Je ne le permets pas. Tu vas payer, tout comme tes petits camarades. Je désactive le fouet. Je me concentre et je projette mon image une nouvelle fois mais au bout de la rue, devant le garde. Il freine de toutes ses forces et regarde des deux côtés, perdu. Il tombe à genou. Implorant ma pitié. La pitié ? Allons, allons, ne soyons pas si tragiques.

« Je ne vais pas te tuer.
- Que… Que… Quoi ?
- Tu vas vivre… Encore un peu.
- Merc… Mer… Merci…
- Mais il y a un prix.
- Tout ce que vous voudrez !
- Aussi longtemps que tu vivras, tu diras que la femme qui t’as fait ça est tout comme la rose. Belle, mais avec des épines traîtresses. La Reine des Fleurs ne pardonne jamais.
- Qui m’a fait quoi ? Quelle Reine de…
- Ça. »

J’appose mes mains sur sa tête et dans un ultime geste de magie, je déchire par la force psychique l’esprit du scélérat. Il crie. Mais il vivra encore. Lorsque je finis de le brutaliser, je le laisse là… Les yeux grands ouverts, comme perdus. Je ne l’ai pas brisé, mais il devrait se souvenir de ce traumatisme pendant longtemps. Je récupère l’un des glaives des assaillants. Je termine les blessés. L’un est inconscient au sol. Le dernier est affalé contre le mur, il reprend connaissance. Je le tiens en joue.

« Une dernière volonté ?
- Connasse !
- Oh ! C’est tout ce que tu as à dire ? Allez, tu peux mieux faire.
- Va crever !
- Soit. »

Je l’achève, un coup planté sec dans la gorge. Je laisse le glaive là. J’ai du sang partout. L’adrénaline continue de monter, et je sais qu’ils sont encore nombreux à me chercher… Vite ! Le fleuve ! Je cours vers le fleuve, reprenant un peu mon souffle à de courts intervalles. Je suis exténuée. Je me dirige vers la petite péniche, encore intacte. Je saute dedans, détache les liens et avec le bâton, je quitte les lieux. Je suis sauve. L’adrénaline redescend. Alors que je suis sur le fleuve, je regarde derrière moi. Je me rends compte que j’ai tué beaucoup d’hommes ce soir, je ne me suis pas maîtrisée. Qu’ai-je fait ?

« Non, c’était nécessaire. » me dis-je à moi-même, cherchant à me convaincre. Cela ne rentre pas dans le cadre de la nouvelle Huayan que souhaite le président Rufus.

Je rejoins ma demeure, ensanglantée. Légèrement blessée au bras gauche. Xupeng me regarde de haut en bas quand je rentre durant la nuit.

« Xupeng… Aide moi. » dis-je, en m’effondrant presque dans ses bras.

Il s’occupe de me soigner et de me donner des vêtements propres. Il m’aide à me laver. Il ne pose pas de question. Il a compris ce qui s’est passé. Il a tout compris, sans que je n’ai eu à dire quoique ce soit. Après m’avoir nettoyé et aidé, il sort de mes quartiers pour rejoindre le sien. Je sais qu’il est fâché, mais il ne le sera pas très longtemps, il tient trop à moi. Au fond de moi, je le sais. Je me couche, exténuée et faible psychiquement, je m’endors. Je suis une nouvelle fois plongée dans une réalité que j’ignore, comme un cauchemar qui semble si réel. Tout est noir. J’ai froid, je tremble sur le sol. Il y a une brume similaire à celle de la rivière.

Peu avant l’aube, Xupeng vient me réveiller en urgence.


« L’oracle est là. Il demande à vous voir. »

Je me lève. Xupeng m’aide à m’habiller. J’ai dormi que quelques heures, je suis exténuée par l’aventure que j’ai eue, certainement l’une des plus physiques de ma vie. Je dissimule les bandages sur mon avant-bras gauche. Habillée convenablement, je rejoins Haiying. Il est toujours habillé comme cette nuit, cependant il a beaucoup moins de tâches de sang que moi. Il a l’air fatigué. Il se lève quand j’entre dans la pièce et attend que je suis assise pour faire de même. Xupeng apporte du thé. Nous commençons à boire quelques gorgées, en silence. Ou plutôt, Haiying commence à boire le thé. Je n’ai pas le cœur à boire, et avant l’aube cela me paraît normal. Xupeng reste là aussi pour entendre ce que nous avons à dire, il reste derrière l’oracle, debout. Haiying prend la parole.

« Je sais qui a tué Yanglin.
- Comment ?
- En réunissant les indices, je suis formel : c’est sa femme Yuanyuan la coupable. »

Je le regarde interpelée. Quand je suis allée la voir, elle avait l’air bouleversé, au bord du suicide presque ! Comment a-t-il fait cette déduction ?

« Vous êtes sûr ? Mais pourquoi ? Et comment ? »

Haiying me regarde en souriant. Il prend un air fier.

«  Après avoir semé nos assaillants d’hier soir, je suis allé directement à la demeure de Yuanyuan. Devinez ce que j’y ai trouvé ?
- Yuanyuan ?
- Oui. Elle est morte, elle s’est tranchée les veines. »

Je le regarde surprise, je ne m’attendais pas à cela, du tout. Il incline la tête, en ricanant quelque peu.

« Vous ne buvez pas de thé, Madame Song Huayan. Ou plutôt devrais-je dire, Song Huayan Zhugong ? » dit-il, avec un air plutôt sûr de lui.

Je ne comprends pas ce qui se passe. Interpelée, je lui réponds :

« Non, je ne bois pas à cette heure. Pourquoi ?
- Vous êtes la dernière personne à qui j’aurai dû demander de l’aide. Sachez seulement que je sais. Nous nous reverrons. »

Haiying se lève et sort de la pièce, tout en poussant Xupeng en chemin.

« Devons-nous l’arrêter Ma Dame ?
- Non. Il n’a aucune preuve concrète. »

Maintenant qu’il est parti, j’ai une petite soif tiens. Je prends un peu de thé. Je sens que Xupeng va me poser la question fatidique.

« Pourquoi et comment, Huayan ? » me dit-il enfin, curieux de savoir ce qui s’est passé.

J’inspire un grand coup en regardant l’entrée. Il comprend le message et fait coulisser la porte pour la fermer. Il s’assoit ensuite face à moi.

« Je n’ai pas eu le choix Xupeng. Lorsque je suis rentrée il y a quelques jours, j’ai entendu parler d’une nomination que le gouverneur devait faire. Une nomination pour son vieil ami Yanglin de l’armée, qui était dans sa faction vraisemblablement. Seulement, leur fils a apporté le déshonneur au meilleur moment possible. Humilié, j’ai profité de l’occasion pour proposer un accord au Gouverneur en passant par son limier, Xu Yang. Si par malheur Yanglin disparaissait, je serai la suivante sur la liste de nomination. A lui de se débrouiller pour convaincre son supérieur. J’ai fait valoir ma réussite militaire contre les mongols. Cela a marché, maintenant il ne me restait plus qu’à sortir le poison et l’utiliser. Il s’est noyé, j’ai été choisie à sa place.
- Mais pourquoi Xu Yang a choisi de vous aider ? Et comment avez-vous empoisonné Yanglin ?
- C’est très simple. Yanglin trompait sa femme avec la fille de Xu Yang, Xu Junjing. Leur liaison était secrète jusqu’au jour où Junjing a dû avoué à son père qu’elle était enceinte d’un homme marié. Xu Yang a explosé de colère et est allé réclamer justice à Yanglin, qui a dit qu’il allait trouver une solution. Ne pouvant le tuer sur-le-champ, Xu Yang a remis sa vengeance à plus tard. De plus, Yanglin devait s’inquiéter du père de sa maîtresse, mais en plus sa femme Yuanyuan a été mise au courant. Imaginez la colère d’une femme trompée pour une autre femme, beaucoup plus jeune et plus jolie. Une colère noire. C’était presque de la haine.
- Cela ne m’explique toujours pas… Oh non, ne me dîtes pas que ?
- Si. J’ai donné le poison à Xu Yang, qui l’a donné à Yuanyuan. Yuanyuan a empoisonné elle-même son mari, par vengeance. Sauf qu’elle ne savait pas que cela venait de moi. Dans le même temps, j’ai recommandé à Xu Yang de faire avorter sa fille dans le quartier est, avant que cela ne soit plus possible. Ainsi la boucle était bouclée : Yuanyuan pouvait se venger de son mari qui l’avait délaissé, Xu Yang lavait l’honneur de sa famille, et je suis nommée Vicomtesse.
- Le suicide de Yuanyuan n’était pas prévu ?
- Non. J’imagine qu’elle a dû comprendre que j’étais l’instigatrice du complot et que je l’avais fait pour avoir la nomination. Voyant que ses bandits recrutés à la va-vite n’ont pas pu m’arrêter, elle a préféré se suicider pour éviter d’être accusée du meurtre de son mari.
- Quelle triste histoire… Au moins tu es Vicomtesse maintenant. Cela me rassure que tu ne seras pas revendue au plus offrant. »

L’entretien se finit. Trois jours plus tard, mon nom est annoncé par décret impériale comme faisant partie des nouveaux nobles. Enfin le nom de mari, mais par extension, je suis concernée. Une belle cérémonie officielle se déroule au palais du gouverneur. Tout le gratin de la ville est là. J’ai l’occasion d’échanger quelques mots avec les différents invités avant de quitter les lieux tard dans la soirée. Avec mon nouveau titre, j’ai également une nouvelle demeure à disposition. Je pense m’installer la prochaine fois que je viendrai en Terre des Dragons, je ramènerai quelques personnes pour m’aider. Il faudra aussi que je mette la main sur cet oracle. J’ai comme un mauvais pressentiment à son sujet…

L’Amour est un poison. Un poison certes délicieux, mais qui n’en est pas moins mortel. Après tout, je n’ai fait que fournir le poison à Yuanyuan, c’est par amour qu’elle a décidé de le tuer, pensant que Yanglin n’était à personne d’autre. Je n’ai fait que profiter de l’opportunité de prendre la nomination en cours de route.

Et les fleurs continuent de pousser…
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Oui ! Voilà ! Tu as attendu de long instant pour le voir arriver et le voilà, le commentaire de ton exploit !

Bon, j’vais déjà dire un truc avant de commencer de rédiger mon commentaire. Systématiquement, j’commente un texte le lendemain de ma lecture. Pour quelle raison ? Au moment ou j’dois le commenter et que j’utiliser ma mémoire sans trop de failles, j’retienne les éléments importants ou ce qui m’a interpellé lors de ma lecture.

Donc, aujourd’hui, j’me rends compte que j’ai retenu pas mal de chose ! Normal, c’est un très long exploit. ;)

Commençons !

Déjà, c’est le genre de rp que j’apprécie à lire. Cette phrase, j’pense que je l’écris à chaque fois que quelqu’un fait un exploit purement personnel. Pour la simple et bonne raison que ce genre de texte nous apprends toujours plus la psyché et les motivations d’un personnage. Ici, c’est l’exemple parfait, comme tu reviens dans ton village natal.

Déjà, j’vais te rassurer, je n'ai pas eu de mal à retrouver qui correspondait à quel nom. Il y a eu l’intelligence de ta part de nous donner des sonorités / lecture différente pour chaque protagoniste, j’ai donc pas eu besoin d’un papier pour me rappeler qui correspond dans l’intrigue. Toutefois, j’ai été perdu par rapport à un truc. Les titres honorifiques attribués à chaque personne. Genre, pour l’oracle ou le gouverneur, ça m’a perdu plus d’une fois. Enfin, surtout pour l’oracle, j’ai probablement loupé l’information mais j’ne voyais pas du tout à quoi il correspondait dans le culte de He Shen. Après, l’erreur vient probablement de moi.

Pourquoi est-ce que ça viendrait de moi ?! Remarque la superbe transition. C’est parce que tu prends le temps d’expliquer certaines choses à tes lecteurs. Ici, j’devine que cette culture te parle à mort et que tu connais ça sur le bout des doigts. Ce qui est bien, c’est que tu te retrouves avec la conscience de te rendre compte que des gars (genre, moi) y connaît rien du tout et ce qui est un peu compliqué est expliqué juste après pour que nous puissions faire le lien. Souvent avec une explication, parfois avec une analogie bien à nous pour que l’on puisse comprendre.

Par contre, j’vais y revenir à cet élément en terme de narration. Parfois, c’est presque parodique d’avoir l’explication juste après et ça casse un peu le rythme. Là, j’ai en tête l’exemple du baozi. Scène touchante, réaction de Noah et sourire de Huayan. Et là, description à la mode du documentaire du samedi soir sur Arte. En vrai, c’est rigolo de voir ça balancer en brut, mais j’pense que ça aurait put être mieux amené plus tard. C’est un équilibre à trouver, savoir quand donner une information pour que cela soit naturel aux yeux de ton lecteur.

Tiens, j’vais faire un petit écart par rapport à une chose que j’ai déjà dite dans l’un de tes rp, les répétitions de mot. Ici, dans la première moitié (voir trois quarts) c’est flagrant. D’autant moi qui te fais remarquer cela il y a déjà une semaine. Mais bon, j’suis pas idiot, j’sais que tu avais commencé le rp avant que je n’écrive le commentaire concernant cet aspect et j’le remarque vers la fin de ton texte. Donc, pour dire, continue sur cette voie !

Voilà, j’reviens au rp. En soit, j’ai vu quelques fautes et des fautes d’inattention. Dans un texte de cette longueur, j’vais clairement pas être pénible par rapport à ça. Et j’vais le dire ici, parfois, tu te trompais dans les couleurs de dialogue pour tes personnages. C’était un poil perturbant sur le coup. Bref, la critique sur la forme est faite, j’vais passer au fond de ton texte !

Pour la fond, j’adore le déroulement du rp. Au début de la cérémonie, j’ai compris que ça allait partir en une enquête policière en mode « Agatha Christie » ou « Hercule Poirot ».

Malheureusement, étant super friand de ce genre de littérature, j’ai déjà une critique à faire par rapport à cela. Ouais, il ne fallait pas m’demander à noter ! En gros, c’est par rapport au climax de l’enquête, le moment final. Ce que tu utilises, c’est l’une des habitudes anglaises du genre qui m’énerve pas mal. Donner les indices menant à la résolution, mais plus pauvre par rapport au reste. J’vais taire le nom pour ceux qui cherche à résoudre l’enquête, mais ici, j’compte trois indices seulement (dont un obvious) qui mènent à la résolution alors que tu donnes beaucoup plus de pistes pour les autres.

Là, j’sais pas si j’suis précis, mais le dénouement final ne me « satisfait » pas pour la simple et bonne raison que c’est fait à la manière d’un flashback. Un peu à la manière de « Sherlock : Games of Shadow » sortit il y a deux ans. Parce que nous avions des éléments complètement inconnus. Ça fait son effet, c’est indéniable, sauf que c’est clairement pas ma came. Malheureusement pour toi ! Ceci est une remarque purement subjective !

Vraiment, ne prends pas ça du côté négatif. En attendant, j’vais me taire plus possible dans le commentaire pour que ceux qui comptent lire ne soient pas spoil ici. Et tu vas vite comprendre que c’est pas simple de commenter avec cette contrainte. ^^

Bah ouais ! J’vais pas expliquer ce qui me permet de faire les liens et ainsi de suite ! Du coup, j’vais amputer mon commentaire d’une bonne partie. Si tu m’poses la question en mp, j’te réponds.

Cependant, pour le fond ! Ce qui est bien avec ce rp, c’est qu’il réserve une suite. Vraiment, j’me demande ce que ça pourrait donner. Et ici, il y a un truc dont j’me pose la question. Est-ce que la scène d’action dans le marché noir n’est pas une motivation pour donner plus de « punch » dans ton texte ? On s’comprend, les enquêtes, c’est rarement le truc le plus vivant de l’histoire de l’humanité. Et là, j’vais reprendre l’exemple de Sherlock, les films sont rythmés avec un inspecteur plutôt vénère et bagarreur par une volonté que je n’explique pas;

Du coup, est-ce que tu as voulu t’inspirer de ce genre de chose pour nous offrir une scène d’action ? Où plutôt, est-ce que tu ressentais le besoin d’ajouter ça pour ne pas « ennuyer » ton lecteur ?

Pour moi, et une fois de plus, c’est entièrement subjectif… Ton texte n’avait pas le besoin d’avoir cela en plus. Soyons d’accord sur un point, j’ai rien contre la scène en question. Simplement, tu nous embarquais dans une direction sur une sorte de jeu d’influence et de coup bas. Ici, c’est plus violent / virulent. Certes, voir une personne en tête d’une « faction » agir de la chose à le mérite d’être concret en terme de réputation, mais ça m’semble un peu extrême ! Enfin, j’veux dire que… Toute l’ambiance que tu donnais ici avait du friand et de l’énergie dans son sens, la raison pour laquelle j’me pose la question sur cette scène.

C’est pas too much, pas du tout. Simplement que, ça dénote tellement que la question se pose dans mon esprit.

Sinon, qu’est-ce que j’peux rajouter ? L’intrigue est vraiment bien amenée, les enjeux et le contexte aussi. Vraiment, c’est un texte que j’ai apprécié à lire. Néanmoins, ne prends pas mes remarques plus hautes comme universelle. Ici, c’est mon avis de personne friande de ce style. Du coup, j’vais être beaucoup plus critique qu’un autre qui regard ça d’un oeil discret. Les goûts et les couleurs !

Exploit accompli !


Avancé : 31 points d'expérience + 325 munnies + 3 PS ! Alors, deux en Psychisme et un en Défense.

En rentrant dans ton vaisseau, tu remarques un collier de jade accroché dessus ! Peut-être un cadeau d’un admirateur secret.
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