La matinée était déjà bien avancée, bien que l'heure lui fut inconnue, Fabri arriva devant la porte de la sorcière Il y avait probablement plein de sorcières au Domaine, car comme il avait pu s'en apercevoir, les personnes exhibant une certaine facilité pour la magie étaient légion. Cependant, même s'il pouvait nommer une bonne demi-douzaine de ses connaissances qui savaient au moins lancer un sort de feu sans prendre trois heures, il ne connaissait pas de mage professionnel. Pas personnellement, du moins. En descendant le long des rues, toujours plus bas dans les faubourgs du Domaine, il s'était d'ailleurs posé pas mal de questions ; dans quelles circonstances on disait mage, ou sorcier, ou magicienne, ou encore ensorceleur ?
Il y avait aussi les alchimistes, mais ils ne comptaient pas vraiment, non ?
Sans hésiter, s'approcha de la porte qui, comme la maison n'était pas des plus droites ni ne semblait des plus solides. Le quartier entier semblait ancien, les maisons faites de pierre étaient collées les une aux autres, certaines composées d'un étage, d'autres n'étant que de petites masures accolées à la muraille extérieure. D'autres, vers l'intérieur, étaient hautes de deux ou parfois trois étages. Cependant, plus il avait progressé vers le bout des rues, le soldat avait pu remarquer que l'espace entre les bâtisses se faisait plus important ; laissant la place à des arbres, des espaces envahis d'herbes. Tout était ancien, du lierre sur les murs aux alcôves où nichaient les derniers oiseaux qui ne s'étaient pas tirés avant l'arrivée de l'automne.
Il toqua rapidement à la porte et attendit. Ayant demandé son chemin une fois de trop que nécessaire, il était sûr que c'était le bon endroit. Ceci dit, cette maison ressemblait à n'importe quelle maison, pas à un logis de sorcière.
Mais les sorcières n'étaient-elles pas humaines ?
Durant les quelques longs instants durant lesquels il attendit une réponse, guettant le moindre son venant de l'intérieur, Fabrizio se demanda si, en réalité, il y avait une quelconque différence entre les humains doués de magie et le reste. Il se rappelait distinctement son père le mettre en garde contre ceux qui pratiquaient la magie. Un autre temps, un autre monde, s'efforçait-il de penser. Mais il devait y avoir du vrai dans cela, quand même ?
Ce n'était peut-être pas la meilleure idée de l'envoyer, lui, démarcher une sorcière alors que toute sa famille avait collé des sorcières au bûcher sur trois générations ! Ou quatre, peut-être, il n'avait jamais vraiment chercher à demander ce que son arrière grand-père faisait dans sa vie.
« Si vous êtes là pour mon toit, je vous attendais en mai. Mais bon puisque vous êtes là je ne vais pas vraiment faire la fine bouche. »
La voix venait de derrière lui. Fabri se retourna, surpris. Une vieille femme se tenait devant la porte. Plus grande qu'une petite vieille dame comme celles qui allaient au marché tous les jours, mais tout de même plus petite et rabougrie qu'une femme dans la force de l'âge. Elle fixait son interlocuteur d'un air sévère.
« Pardon ? Votre toit ? »
« Combien de temps est-ce que tu es resté planté là ? Lève donc les yeux, regarde dans quel état il se trouve ! »
Ah. Bien, elle le prenait pour un réparateur de toits. Est-ce qu'il y avait un nom pour ce corps de métier ?
« Vous devez faire erreur, en réalité, je viens vous voir de la part du Sanctum. »
Il avait retenu une chose de ses aventures à Mornevie. C'était de faire de phrases claires et concises afin de contenir la volonté exécrable qu'avaient les vieux de vouloir l'interrompre. Cela semblait avoir marché. La vieille dame le regarda en hochant la tête, d'un air entendu. « Il y a bien neuf mois que j'attendais que le Sanctum se charge de mon toit, comme prévu ! »
Merde. Elle ne l'avait pas interrompu, mais c'était tout comme.
Elle le regardait de manière insistante, aussi se décala-t-il pour lui laisser le passage libre afin qu'elle puisse rentrer chez elle. « Je regrette, je ne suis pas venu pour réparer votre toit. Vous êtes bien Esmerine Mons ? »
Elle entra chez elle, sans se retourner vers lui. Posant son panier dans l'entrée, elle retira le châle qu'elle portait ; un long châle aux couleurs sombres. Elle ne portait qu'une longue robe noire, un tablier de même couleur. Ses cheveux étaient blancs ; dans un contraste certain avec le reste de sa personne.
« Ce serait bien la première fois que quelqu'un toque à ma porte en ne sachant pas qui je suis ! Enfin, bon. Vous enverrez un petit rappel par chez vous, pour mon toit. Il va commencer à faire froid assez rapidement. »
« Désolé, je voulais pas paraître impoli- » répondit-il en faisant un pas vers l'entrée.
La porte claqua à deux centimètres de son visage et l'interrompit sobrement dans sa phrase. Non mais c'est pas vrai, se dit-il.
Il resta planté là pendant quelques secondes. Son état d'esprit se résumant à une indignation profonde, un peu de honte mais surtout de l'énervement. Il était cependant rassuré car il ne s'était pas trompé de porte.
Que faire ? Rendu devant l'évidence que l'ordre qu'il avait reçu ne serait pas si simple à appliquer, il devait trouver une solution. Fabrizio toqua de nouveau à la porte. Inutile de dire qu'il n'avait pas d'autre solution. Inutile de dire qu'il n'avait pas non plus cherché d'autre solution. Surtout parce qu'il n'en voyait pas vraiment de valable.
Et il ne voulait pas en rester là. Tout simplement.
Après une minute d'attente -bien moins qu'il ne l'attendait, la sorcière rouvrit la porte.
« Vous désirez ? »
« La même chose que tout à l'heure, madame. Le Sanctum souhaiterait vous compter parmi ses membres. »
Ce n'était pas comme si on lui avait donné des consignes claires autre que « recruter » cette bonne femme. Il avait eu le temps de trouver les mots adéquats afin de ne pas la faire fuir. Mais à part deux ou trois expressions toutes faites et de la politesse de hangar, il avait tout épuisé.
« Qu'est-ce que le Sanctum pourrait bien faire d'une vieille dame, je me demande ! Quel genre de travail est-ce que vous me donneriez ? Je porte très mal l'armure ça je peux vous l'assurer ! »
Elle avait raison, dans un sens. Fabrizio espérait que March n'avait pas dans l'idée de la foutre sur les remparts.
« Vous êtes une magicienne reconnue. Votre savoir pourrait profiter bien d'autres pers- »
« J'ai déjà des apprentis - un apprenti ! » rétorqua-t-elle sèchement en retournant à l'intérieur de chez elle comme une tortue retournait dans sa carapace.
Sauf que cette fois, Fabri ne se laissa pas avoir. Si elle voulait jouer à 'qui a le plus de culot' et bien il savait y jouer aussi. Alors qu'elle poussait la porte, la claquant sèchement sans pour autant fermer le verrou, il la rouvrit ; sans pour autant entrer, il la laissa ainsi, entrebâillée.
« Laissez-moi au moins vous convaincre ! »
« Me convaincre avec quoi ? Avec cet air de gobie sorti de l'eau, tu ne convaincrais pas ta mère de te donner à manger ! » répliqua la sorcière. Elle n'avait pas attendu qu'il entre pour rouvrir grand la porte. Se tenait en face de lui, de toute sa hauteur, poings sur les hanches. « Tu veux une sorcière pour ton église ? Et bien ouvre un bouquin, apprends la magie, le nom des choses, des pierres des arbres et des vents, apprends à lire les runes, comprendre les signes des ombres ! Deviens un sorcier ! »
Surpris, Fabrizio resta silencieux quelques secondes. Il la fixa alors qu'elle s'en retournait vers le fond de la pièce.
Dans un clair-obscur aussi vaseux que la couleur douteuse des fenêtres, il détailla avec difficulté un âtre, des ustensiles de cuisine ; des casseroles posées par terre. Des traces d'humidité étaient visibles le long de la charpente. Merde, c'était donc aussi sérieux que ça, son problème de toiture. Il n'imaginait pas l'état de l'étage.
Il ne savait pas quoi répondre. Et ce n'était vraiment pas le moment de montrer de l'hésitation.
« Je lance des sorts aussi bien que vous porteriez une armure, sans chercher à vous offenser, hein. »
« Excellente nouvelle. Je pense que je ne t'aurais pas pris comme apprenti de toutes manières. »
Cette vieille dame n'avait tout bonnement aucun respect, ça, Fabri le sentait bien.
« Tu comptes rester jusqu'à la fonte des neiges sur le seuil ? Tu n'as pas idée de ce qui peut profiter d'une porte ouverte pour s'insinuer dans une maison, gamin. Tu entres ou tu sors, mais tu fermes cette porte. »
Fabrizio regarda la vieille, puis la porte, et puis la vieille de nouveau. Pas l'ombre d'un sourire, ni même d'une chute de blague quelconque. Elle semblait sérieuse. Aussi s'exécuta-t-il et entra. C'était une vieille sorcière qui croyait dur comme fer à ses superstitions. Cependant, il avait assez de recul pour songer à une image plus large. Il avait ses croyances à lui également.
Alors qu'il passait le seuil, il entendit un léger son à sa gauche ;il venait d'un petit carillon suspendu à une cordelette. Des pierres, orangées pour la plupart, certaines tirant sur le verre, entraient en contact avec le métal pour produire un tintement particulier. Il ferma la porte sans chercher à comprendre.
« Les pierres ne mentent jamais. Elles connaissent tes moindres secrets. » dit Esmerine, sans même le regarder.
Restant sur le seuil, Fabrizio ne comprit pas réellement le sens de ses paroles, toujours était-il qu'il ne lui fallait pas plus pour s'inquiéter. Ce qu'il pensait être une frayeur dépassant les bornes de la logique se trouvait un fondement tangible. Il songeait à ces après-midis passées dans quelque recoin du Palais de Justice, à tranquillement regarder les accusées passer devant le juge. Il les avait vues sans être lui-même vu, et pouvait entrer et sortir du bâtiment par des couloirs que personne n'empruntait.
Il n'y avait jamais repensé. Pas jusqu'à maintenant. Son père l'avait toujours mis en garde contre les sorcières, comme de juste car lui-même en avait chassé plus d'une en son temps. Peut-être que les pierres lisaient ça comme lui lisait un livre.
Les souvenirs de cette vie, d'une permissivité enfantine lui revenaient quelques fois. Ils reprenaient un relief certain alors qu'il se trouvait en face d'une vraie sorcière.
« Qu'est-ce qu'elles peuvent bien vous dire ? »
Silence. La vieille s'affairait.
Il restait, debout au milieu de cette pièce qu'il ne connaissait pas. Il regardait tour à tous les ustensiles, les quelques fleurs séchées au dessus du manteau de la cheminée. Des piles de livres sur une large table, sur quelques étagères éloignées des murs de quelques centimètres.
« Ça sonne à cause du vent, bougre d'idiot. Tu lis pas une pierre. Ce serait comme parler à une truite. »
Sa surprise plut à la sorcière, qui partit d'un franc rire. Elle s'était retournée, avait posé son châle, l'avait plié sur le dossier d'une chaise.
« Tu n'y connaît rien à la magie. Mais tu n'es pas d'ici, tu es comme mon apprenti, ça s'entend quand vous parlez. Vraiment, écouter des cailloux ! Tu as déjà collé ta tête sur le sol et essayé d'écouter des pavés ? »
« L'approche de la magie est... différente, était différente. » répondit-il, cherchant ses mots. « J'ai pas de métaphore pour expliquer ça, par contre. »
« Tu m'en diras tant. » Esmerine Mons ponctua sa phrase d'un hochement de tête. « Comment tu t’appelles ? J'aime bien savoir à qui je m'adresse, quand même. Tu connaît mon nom, je suis en droit de savoir le tien. »
« Je m'appelle Fabrizio. »
La vieille dame hocha la tête. « Ah ça oui effectivement ça vient pas d'ici. Alors, tu ne viens pas pour réparer mon toit, tu viens pour me proposer une embauche ! Tu sais ce que ça signifie, de proposer un contrat à une sorcière, Fabrizio ? »
« Pas vraiment, ça doit peut-être vouloir dire vous entendre parler par énigmes les trois quarts du temps ? »
La sorcière le regarda. Elle pouffa de rire après quelques secondes d'un silence malaisé.
« C'est bien, tu t'excuses moins quand tu parles franchement. »
« C'était de la politesse. »
« J'assimile ça à un balai dans le derrière. »
Alors qu'il se tenait comme la plus magnifique des plantes en pot au milieu de l'entrée de madame Mons, Fabrizio regardait cette dernière ranger le contenu de son panier – majoritairement des légumes de saison, dans quelques recoins de sa cuisine.
« J'ai déjà ma vie ici. Un apprenti qui utilisera la magie dès que j'ai le dos tourné. Il n'y a rien de pire qu'un sorcier qui utilise un sort pour allumer une foutue bougie, tu m'entends ? C'est du gaspillage de pouvoir ! Est-ce que tu utiliserais.... ton épée pour couper ton déjeuner ? C'est idiot. »
« C'est plus pratique, ceci dit. Le feu, pas l'épée. »
Menaçante, la sorcière s'approcha de lui.
« Tu as exactement le visage parfait pour oser me dire ce genre de choses, gamin. »
Fabrizio essayait toujours de garder son calme et sa composition, mais comme à aucun moment il n'aurait pensé qu'une vieille dame puisse être aussi directe. Directe, pour ne pas dire qu'elle versait franchement dans l'impolitesse. Même s'il devait reconnaître qu'elle n'avait pas tout à fait tort ; tout au fond de lui par contre. Avec le recul – qu'il ne cessait d'invoquer d'ailleurs, il se disait qu'il avait bien fait d'aller s'en prendre à un dragon pour défendre la veuve et l'orphelin comme il l'avait fait. Il en porterait peut-être les séquelles à vie, à ce point il n'en savait trop rien même si, des mois après il supportait chaque jour, dans chaque miroir, leur triste rappel.
C'était une vieille dame, il allait pas gueuler sur une vieille dame ! De plus, ce serait complètement contre-productif !
« Je ne voulais pas te vexer, viens, reste pas planté là. L’équinoxe rend les gens méchants. Ce n'est pas un bon jour pour travailler ; j'ai envoyé mon apprenti faire une petite course, aussi je me retrouve toute seule. Tu aiderais bien une vieille dame, à défaut de réparer son toit non ? »
« Ça c'est une excuse. »
« Pardon ? »
« L'équinoxe, c'est une excuse. Et vraiment pas une excuse valable. » Pour pas dire une excuse de merde.
La sorcière étouffa un rire, puis partit dans le coin cuisine de la pièce. « Que de cruauté pour une innocente vieille dame ! Tu me ferais pleurer, mon garçon. »
Oh ça ce serait une bonne nouvelle.
« Je veux bien vous aider. Mais il va falloir que vous me donniez une réponse claire. Je m'en fiche, que vous veniez ou pas. L'idéal ce serait que vous veniez, quand même. »
« Viens par là, aide-moi à bouger cette étagère. Il y a bien trois mois qu'elle prend l'eau. Les fuites ont des fuites dans cette maison ! »
Fabri s'exécuta, suivant la vieille femme. Au final, il remarqua bien qu'à peine eut-il commencé à bouger l'énorme étagère – probablement en chêne massif, elle s'était barrée. Il entendait le bruit distinct de tasses et d'eau. Ah, par 'l 'aider' elle entendait donc 'faire le travail à sa place'. Il plaignait son apprenti, à devoir travailler même un jour d'équinoxe.
« Vous été demander aux Templiers pour votre toit ? Ce serait pas la seule demande de réparation qu'ils auraient eue. »
Il se souvenait bien que ces derniers avaient étés occupés à divers travaux, s'il en croyait Aubrey ou encore Senrith Cette dernière avait passé un mois à déblayer les gravats du grenier d'une maison. Mais elle ne parlait pas souvent de son travail, préférant profiter de ses journées de libre à, non pas se plaindre comme Aub le faisait, mais cachée dans un coin à jouer de la musique. En pensant à elle, Fabri se demanda ce qu'il aurait pu faire aujourd'hui s'il n'avait pas eu du temps livre.
Non. Non, il devait reprendre le travail. Et même si ça impliquait déplacer des meubles chez une sorcière acariâtre.
« Hm ! Ils savent très bien que ce quartier a été réduit en ruines ! »
« … Vous avez pas été demander, hein ? »
La vieille reparut, bocal rempli de feuilles de thé en main. « Est-ce que j'ai l'air d'avoir envie d'aller perdre mon temps avec tes semblables !? »
Il avait envie de lui répondre que c'était un peu ce qu'elle faisait actuellement. Mais pour le coup, il s'était plutôt imposé. Donc il choisissait de garder le silence. Il se contenta d'un haussement d'épaules.
« J'ai raison. Vous savez, ils peuvent pas vraiment savoir que votre maison en particulier a besoin d'un nouveau toit ! »
Loin de l'idée de la sorcière terrifiante qu'il s'était imaginée avant de venir, Esmerine Mons se rapprochait plutôt de la vieille dame acariâtre. Comme une grand mère attachée à son foyer. Le chat en moins, en fait. Elle n'avait pas l'air d'avoir de chat.
Elle n'avait pas répondu à sa dernière invective, et Fabri considéra ce silence comme une victoire alors qu'il finissait de dégager l'armoire. « Ici ça vous va ? » lui demanda-t-il.
Tasses de thé en main, elle revint. « … Ça pourrait être pire, allez, viens on va discuter de ton offre... Arrête avec ce regard de poisson frit ! - de poisson, mort. Excuse-moi. L'équinoxe, hein. »
« Y'a pas de mal. »
Y'avait vraiment pas de mal. En réalité, Fabri pensait qu'elle avait clairement refusé sa proposition. Aussi la suivit-elle, la rejoignant à table, en face d'elle plus précisément.
Boire du thé avec une sorcière n'était pas vraiment l'idée qu'il se faisait d'une après-midi plaisante mais, au final, ce n'était pas si mal.
« Donc. Le Sanctum a besoin de sorciers, c'est bien ça ? »
Le thé était vraiment trop chaud, mais une bonne odeur s'en dégageait. A défaut d'être buvable donc, il donnait à la pièce une petite ambiance qui n'était pas déplaisante.
« Non, le Sanctum a besoin de vous particulièrement. »
La sorcière haussa un sourcil, visiblement dubitative. Elle, par contre, buvait son thé comme s'il se fut agi d'eau fraîche. « Ma vie est très bien où elle est, petit. Il va falloir être plus convainquant que ça ! »
« Je pense vraiment que votre savoir mérite à être partagé. Vous n'avez qu'un apprenti, pourquoi pas ouvrir une école ? Apprendre la sorcellerie à des gens qui montreraient des qualités magiques ? »
Fabri savait qu'elle refuserait, car à ce moment là, elle hochait négativement la tête avec un air des plus désapprobateurs. « Avoir un apprenti, c'est pas comme faire une potion contre l'insomnie. Il faut être responsable de la vie du gosse, je sais pas si tu comprends l'entièreté de la chose. »
Il ne peut que hocher la tête en silence. D'un apprenti, il ne comprenait pas vraiment l'importance d'en avoir un. Cependant, il savait ce qu'était la responsabilité quant à la mort de quelqu'un. Devait-il en parler ? Pas à elle, quand même... Il n'en parlait à personne, ce n'était pas le lieu.
« Quand un de ces petits... disparaît, c'est comme si c'était ma propre chair qui m'était arrachée. »
Elle avait déjà vécu au travers de bien des choses ; c'était plus que probable qu'elle parlait en connaissance de cause.
Il n'osait pas lui répondre, de peur qu'elle n'ait qu'une remarque acerbe à lui servir. Mais d'un autre côté, il ne voulait pas lui répondre pour lui servir une remarque acerbe de son cru à lui. Ils restèrent donc un moment, silencieux.
« Si c'est un sujet que vous voulez éviter, on peut en changer. Si vous voulez, je veux dire, on n'est pas forcés. »
Esmerine avait de grands yeux d'un bleu perçant. Elle les braquait sur lui, dans un air de surprise. Ses deux mains étaient jointes autour de sa tasse, laquelle avait un motif de hibou peint dessus.
Sa surprise se mua en un sourire, puis en un franc rire.
« Mais qui est-ce qui m'a – Etro, ne m'envoie pas de poètes devant ma porte ! » gloussa-t-elle.
« Alors, fanatique oui, crétin j'en ai déjà eu, vous m'avez traité de poisson tout à l'heure mais poète c'est la première fois ! Je vois pas ce qu'il y avait de poétique là dedans. »
« Hm ! Tu n'm'auras pas comme ça petit. Éviter les sujets qui fâchent, c'est bien pour l'esprit, mais il ne faut pas les oublier. Je ne suis pas née de la dernière pluie, le Sanctum a toujours une idée derrière la tête, je comprends que les soldats du roi avaient un corbeau noir à leur tête, ça je l'ai bien senti, mais je n'ai pas envie que ma magie serve à élever une armée de petite dégénérés zélés. »
« Si jamais le Sanctum vous emploie à leur apprendre la magie, enseignez-leur le nom de tout du mieux que vous pouvez, vous ne leur apprendrez jamais que la magie, libre à eux d'utiliser leur bon sens. La croyance, c'est pas une affaire de sorciers. Chacun porte la sienne à sa manière. »
Fabri commençait à boire son thé, qui avait finalement gagné une chaleur potable.
« Tu serais un rejeton de philosophe que ça me surprendrait pas. »
« Pas vraiment. Si vous acceptez mon offre on aura tout le temps de reprendre un thé ensemble. Vous me direz tout sur la magie. Je vous dirait tout sur la poésie, la philosophie... des choses de haute volée. Comme le nom des choses, des roches et des ar- »
La sorcière plaqua sa main sur la table et se pencha vers lui. « Tu parles de choses que tu ne connaît absolument pas ! T'entendre dire des énormités pareilles – on ne rigole pas avec la magie, ce sont des choses qui te dépassent ! »
En réponse, Fabri la regarda pendant quelques secondes. Il finit par sourire ; posant un coude sur la table, il s'approcha également d'elle.
« Vous m'en direz tant. »
Dans un rictus, Esmerine Mons plissa les yeux.
« Je t'en dirait tant. Tu préviens tes ouailles des Templiers que mon toit a besoin d'être réparé. Et j'irai voir quel travail ton Sanctum peut bien me proposer. Est-ce que ça te va ? »
« C'est plus que ce que j'avais espéré, je dois dire. »
« Bien. Maintenant, on va finir de ranger un peu avant que mon apprenti ne revienne. On a encore quelques armoires à bouger, toi et moi. »
Il y avait aussi les alchimistes, mais ils ne comptaient pas vraiment, non ?
Sans hésiter, s'approcha de la porte qui, comme la maison n'était pas des plus droites ni ne semblait des plus solides. Le quartier entier semblait ancien, les maisons faites de pierre étaient collées les une aux autres, certaines composées d'un étage, d'autres n'étant que de petites masures accolées à la muraille extérieure. D'autres, vers l'intérieur, étaient hautes de deux ou parfois trois étages. Cependant, plus il avait progressé vers le bout des rues, le soldat avait pu remarquer que l'espace entre les bâtisses se faisait plus important ; laissant la place à des arbres, des espaces envahis d'herbes. Tout était ancien, du lierre sur les murs aux alcôves où nichaient les derniers oiseaux qui ne s'étaient pas tirés avant l'arrivée de l'automne.
Il toqua rapidement à la porte et attendit. Ayant demandé son chemin une fois de trop que nécessaire, il était sûr que c'était le bon endroit. Ceci dit, cette maison ressemblait à n'importe quelle maison, pas à un logis de sorcière.
Mais les sorcières n'étaient-elles pas humaines ?
Durant les quelques longs instants durant lesquels il attendit une réponse, guettant le moindre son venant de l'intérieur, Fabrizio se demanda si, en réalité, il y avait une quelconque différence entre les humains doués de magie et le reste. Il se rappelait distinctement son père le mettre en garde contre ceux qui pratiquaient la magie. Un autre temps, un autre monde, s'efforçait-il de penser. Mais il devait y avoir du vrai dans cela, quand même ?
Ce n'était peut-être pas la meilleure idée de l'envoyer, lui, démarcher une sorcière alors que toute sa famille avait collé des sorcières au bûcher sur trois générations ! Ou quatre, peut-être, il n'avait jamais vraiment chercher à demander ce que son arrière grand-père faisait dans sa vie.
« Si vous êtes là pour mon toit, je vous attendais en mai. Mais bon puisque vous êtes là je ne vais pas vraiment faire la fine bouche. »
La voix venait de derrière lui. Fabri se retourna, surpris. Une vieille femme se tenait devant la porte. Plus grande qu'une petite vieille dame comme celles qui allaient au marché tous les jours, mais tout de même plus petite et rabougrie qu'une femme dans la force de l'âge. Elle fixait son interlocuteur d'un air sévère.
« Pardon ? Votre toit ? »
« Combien de temps est-ce que tu es resté planté là ? Lève donc les yeux, regarde dans quel état il se trouve ! »
Ah. Bien, elle le prenait pour un réparateur de toits. Est-ce qu'il y avait un nom pour ce corps de métier ?
« Vous devez faire erreur, en réalité, je viens vous voir de la part du Sanctum. »
Il avait retenu une chose de ses aventures à Mornevie. C'était de faire de phrases claires et concises afin de contenir la volonté exécrable qu'avaient les vieux de vouloir l'interrompre. Cela semblait avoir marché. La vieille dame le regarda en hochant la tête, d'un air entendu. « Il y a bien neuf mois que j'attendais que le Sanctum se charge de mon toit, comme prévu ! »
Merde. Elle ne l'avait pas interrompu, mais c'était tout comme.
Elle le regardait de manière insistante, aussi se décala-t-il pour lui laisser le passage libre afin qu'elle puisse rentrer chez elle. « Je regrette, je ne suis pas venu pour réparer votre toit. Vous êtes bien Esmerine Mons ? »
Elle entra chez elle, sans se retourner vers lui. Posant son panier dans l'entrée, elle retira le châle qu'elle portait ; un long châle aux couleurs sombres. Elle ne portait qu'une longue robe noire, un tablier de même couleur. Ses cheveux étaient blancs ; dans un contraste certain avec le reste de sa personne.
« Ce serait bien la première fois que quelqu'un toque à ma porte en ne sachant pas qui je suis ! Enfin, bon. Vous enverrez un petit rappel par chez vous, pour mon toit. Il va commencer à faire froid assez rapidement. »
« Désolé, je voulais pas paraître impoli- » répondit-il en faisant un pas vers l'entrée.
La porte claqua à deux centimètres de son visage et l'interrompit sobrement dans sa phrase. Non mais c'est pas vrai, se dit-il.
Il resta planté là pendant quelques secondes. Son état d'esprit se résumant à une indignation profonde, un peu de honte mais surtout de l'énervement. Il était cependant rassuré car il ne s'était pas trompé de porte.
Que faire ? Rendu devant l'évidence que l'ordre qu'il avait reçu ne serait pas si simple à appliquer, il devait trouver une solution. Fabrizio toqua de nouveau à la porte. Inutile de dire qu'il n'avait pas d'autre solution. Inutile de dire qu'il n'avait pas non plus cherché d'autre solution. Surtout parce qu'il n'en voyait pas vraiment de valable.
Et il ne voulait pas en rester là. Tout simplement.
Après une minute d'attente -bien moins qu'il ne l'attendait, la sorcière rouvrit la porte.
« Vous désirez ? »
« La même chose que tout à l'heure, madame. Le Sanctum souhaiterait vous compter parmi ses membres. »
Ce n'était pas comme si on lui avait donné des consignes claires autre que « recruter » cette bonne femme. Il avait eu le temps de trouver les mots adéquats afin de ne pas la faire fuir. Mais à part deux ou trois expressions toutes faites et de la politesse de hangar, il avait tout épuisé.
« Qu'est-ce que le Sanctum pourrait bien faire d'une vieille dame, je me demande ! Quel genre de travail est-ce que vous me donneriez ? Je porte très mal l'armure ça je peux vous l'assurer ! »
Elle avait raison, dans un sens. Fabrizio espérait que March n'avait pas dans l'idée de la foutre sur les remparts.
« Vous êtes une magicienne reconnue. Votre savoir pourrait profiter bien d'autres pers- »
« J'ai déjà des apprentis - un apprenti ! » rétorqua-t-elle sèchement en retournant à l'intérieur de chez elle comme une tortue retournait dans sa carapace.
Sauf que cette fois, Fabri ne se laissa pas avoir. Si elle voulait jouer à 'qui a le plus de culot' et bien il savait y jouer aussi. Alors qu'elle poussait la porte, la claquant sèchement sans pour autant fermer le verrou, il la rouvrit ; sans pour autant entrer, il la laissa ainsi, entrebâillée.
« Laissez-moi au moins vous convaincre ! »
« Me convaincre avec quoi ? Avec cet air de gobie sorti de l'eau, tu ne convaincrais pas ta mère de te donner à manger ! » répliqua la sorcière. Elle n'avait pas attendu qu'il entre pour rouvrir grand la porte. Se tenait en face de lui, de toute sa hauteur, poings sur les hanches. « Tu veux une sorcière pour ton église ? Et bien ouvre un bouquin, apprends la magie, le nom des choses, des pierres des arbres et des vents, apprends à lire les runes, comprendre les signes des ombres ! Deviens un sorcier ! »
Surpris, Fabrizio resta silencieux quelques secondes. Il la fixa alors qu'elle s'en retournait vers le fond de la pièce.
Dans un clair-obscur aussi vaseux que la couleur douteuse des fenêtres, il détailla avec difficulté un âtre, des ustensiles de cuisine ; des casseroles posées par terre. Des traces d'humidité étaient visibles le long de la charpente. Merde, c'était donc aussi sérieux que ça, son problème de toiture. Il n'imaginait pas l'état de l'étage.
Il ne savait pas quoi répondre. Et ce n'était vraiment pas le moment de montrer de l'hésitation.
« Je lance des sorts aussi bien que vous porteriez une armure, sans chercher à vous offenser, hein. »
« Excellente nouvelle. Je pense que je ne t'aurais pas pris comme apprenti de toutes manières. »
Cette vieille dame n'avait tout bonnement aucun respect, ça, Fabri le sentait bien.
« Tu comptes rester jusqu'à la fonte des neiges sur le seuil ? Tu n'as pas idée de ce qui peut profiter d'une porte ouverte pour s'insinuer dans une maison, gamin. Tu entres ou tu sors, mais tu fermes cette porte. »
Fabrizio regarda la vieille, puis la porte, et puis la vieille de nouveau. Pas l'ombre d'un sourire, ni même d'une chute de blague quelconque. Elle semblait sérieuse. Aussi s'exécuta-t-il et entra. C'était une vieille sorcière qui croyait dur comme fer à ses superstitions. Cependant, il avait assez de recul pour songer à une image plus large. Il avait ses croyances à lui également.
Alors qu'il passait le seuil, il entendit un léger son à sa gauche ;il venait d'un petit carillon suspendu à une cordelette. Des pierres, orangées pour la plupart, certaines tirant sur le verre, entraient en contact avec le métal pour produire un tintement particulier. Il ferma la porte sans chercher à comprendre.
« Les pierres ne mentent jamais. Elles connaissent tes moindres secrets. » dit Esmerine, sans même le regarder.
Restant sur le seuil, Fabrizio ne comprit pas réellement le sens de ses paroles, toujours était-il qu'il ne lui fallait pas plus pour s'inquiéter. Ce qu'il pensait être une frayeur dépassant les bornes de la logique se trouvait un fondement tangible. Il songeait à ces après-midis passées dans quelque recoin du Palais de Justice, à tranquillement regarder les accusées passer devant le juge. Il les avait vues sans être lui-même vu, et pouvait entrer et sortir du bâtiment par des couloirs que personne n'empruntait.
Il n'y avait jamais repensé. Pas jusqu'à maintenant. Son père l'avait toujours mis en garde contre les sorcières, comme de juste car lui-même en avait chassé plus d'une en son temps. Peut-être que les pierres lisaient ça comme lui lisait un livre.
Les souvenirs de cette vie, d'une permissivité enfantine lui revenaient quelques fois. Ils reprenaient un relief certain alors qu'il se trouvait en face d'une vraie sorcière.
« Qu'est-ce qu'elles peuvent bien vous dire ? »
Silence. La vieille s'affairait.
Il restait, debout au milieu de cette pièce qu'il ne connaissait pas. Il regardait tour à tous les ustensiles, les quelques fleurs séchées au dessus du manteau de la cheminée. Des piles de livres sur une large table, sur quelques étagères éloignées des murs de quelques centimètres.
« Ça sonne à cause du vent, bougre d'idiot. Tu lis pas une pierre. Ce serait comme parler à une truite. »
Sa surprise plut à la sorcière, qui partit d'un franc rire. Elle s'était retournée, avait posé son châle, l'avait plié sur le dossier d'une chaise.
« Tu n'y connaît rien à la magie. Mais tu n'es pas d'ici, tu es comme mon apprenti, ça s'entend quand vous parlez. Vraiment, écouter des cailloux ! Tu as déjà collé ta tête sur le sol et essayé d'écouter des pavés ? »
« L'approche de la magie est... différente, était différente. » répondit-il, cherchant ses mots. « J'ai pas de métaphore pour expliquer ça, par contre. »
« Tu m'en diras tant. » Esmerine Mons ponctua sa phrase d'un hochement de tête. « Comment tu t’appelles ? J'aime bien savoir à qui je m'adresse, quand même. Tu connaît mon nom, je suis en droit de savoir le tien. »
« Je m'appelle Fabrizio. »
La vieille dame hocha la tête. « Ah ça oui effectivement ça vient pas d'ici. Alors, tu ne viens pas pour réparer mon toit, tu viens pour me proposer une embauche ! Tu sais ce que ça signifie, de proposer un contrat à une sorcière, Fabrizio ? »
« Pas vraiment, ça doit peut-être vouloir dire vous entendre parler par énigmes les trois quarts du temps ? »
La sorcière le regarda. Elle pouffa de rire après quelques secondes d'un silence malaisé.
« C'est bien, tu t'excuses moins quand tu parles franchement. »
« C'était de la politesse. »
« J'assimile ça à un balai dans le derrière. »
Alors qu'il se tenait comme la plus magnifique des plantes en pot au milieu de l'entrée de madame Mons, Fabrizio regardait cette dernière ranger le contenu de son panier – majoritairement des légumes de saison, dans quelques recoins de sa cuisine.
« J'ai déjà ma vie ici. Un apprenti qui utilisera la magie dès que j'ai le dos tourné. Il n'y a rien de pire qu'un sorcier qui utilise un sort pour allumer une foutue bougie, tu m'entends ? C'est du gaspillage de pouvoir ! Est-ce que tu utiliserais.... ton épée pour couper ton déjeuner ? C'est idiot. »
« C'est plus pratique, ceci dit. Le feu, pas l'épée. »
Menaçante, la sorcière s'approcha de lui.
« Tu as exactement le visage parfait pour oser me dire ce genre de choses, gamin. »
Fabrizio essayait toujours de garder son calme et sa composition, mais comme à aucun moment il n'aurait pensé qu'une vieille dame puisse être aussi directe. Directe, pour ne pas dire qu'elle versait franchement dans l'impolitesse. Même s'il devait reconnaître qu'elle n'avait pas tout à fait tort ; tout au fond de lui par contre. Avec le recul – qu'il ne cessait d'invoquer d'ailleurs, il se disait qu'il avait bien fait d'aller s'en prendre à un dragon pour défendre la veuve et l'orphelin comme il l'avait fait. Il en porterait peut-être les séquelles à vie, à ce point il n'en savait trop rien même si, des mois après il supportait chaque jour, dans chaque miroir, leur triste rappel.
C'était une vieille dame, il allait pas gueuler sur une vieille dame ! De plus, ce serait complètement contre-productif !
« Je ne voulais pas te vexer, viens, reste pas planté là. L’équinoxe rend les gens méchants. Ce n'est pas un bon jour pour travailler ; j'ai envoyé mon apprenti faire une petite course, aussi je me retrouve toute seule. Tu aiderais bien une vieille dame, à défaut de réparer son toit non ? »
« Ça c'est une excuse. »
« Pardon ? »
« L'équinoxe, c'est une excuse. Et vraiment pas une excuse valable. » Pour pas dire une excuse de merde.
La sorcière étouffa un rire, puis partit dans le coin cuisine de la pièce. « Que de cruauté pour une innocente vieille dame ! Tu me ferais pleurer, mon garçon. »
Oh ça ce serait une bonne nouvelle.
« Je veux bien vous aider. Mais il va falloir que vous me donniez une réponse claire. Je m'en fiche, que vous veniez ou pas. L'idéal ce serait que vous veniez, quand même. »
« Viens par là, aide-moi à bouger cette étagère. Il y a bien trois mois qu'elle prend l'eau. Les fuites ont des fuites dans cette maison ! »
Fabri s'exécuta, suivant la vieille femme. Au final, il remarqua bien qu'à peine eut-il commencé à bouger l'énorme étagère – probablement en chêne massif, elle s'était barrée. Il entendait le bruit distinct de tasses et d'eau. Ah, par 'l 'aider' elle entendait donc 'faire le travail à sa place'. Il plaignait son apprenti, à devoir travailler même un jour d'équinoxe.
« Vous été demander aux Templiers pour votre toit ? Ce serait pas la seule demande de réparation qu'ils auraient eue. »
Il se souvenait bien que ces derniers avaient étés occupés à divers travaux, s'il en croyait Aubrey ou encore Senrith Cette dernière avait passé un mois à déblayer les gravats du grenier d'une maison. Mais elle ne parlait pas souvent de son travail, préférant profiter de ses journées de libre à, non pas se plaindre comme Aub le faisait, mais cachée dans un coin à jouer de la musique. En pensant à elle, Fabri se demanda ce qu'il aurait pu faire aujourd'hui s'il n'avait pas eu du temps livre.
Non. Non, il devait reprendre le travail. Et même si ça impliquait déplacer des meubles chez une sorcière acariâtre.
« Hm ! Ils savent très bien que ce quartier a été réduit en ruines ! »
« … Vous avez pas été demander, hein ? »
La vieille reparut, bocal rempli de feuilles de thé en main. « Est-ce que j'ai l'air d'avoir envie d'aller perdre mon temps avec tes semblables !? »
Il avait envie de lui répondre que c'était un peu ce qu'elle faisait actuellement. Mais pour le coup, il s'était plutôt imposé. Donc il choisissait de garder le silence. Il se contenta d'un haussement d'épaules.
« J'ai raison. Vous savez, ils peuvent pas vraiment savoir que votre maison en particulier a besoin d'un nouveau toit ! »
Loin de l'idée de la sorcière terrifiante qu'il s'était imaginée avant de venir, Esmerine Mons se rapprochait plutôt de la vieille dame acariâtre. Comme une grand mère attachée à son foyer. Le chat en moins, en fait. Elle n'avait pas l'air d'avoir de chat.
Elle n'avait pas répondu à sa dernière invective, et Fabri considéra ce silence comme une victoire alors qu'il finissait de dégager l'armoire. « Ici ça vous va ? » lui demanda-t-il.
Tasses de thé en main, elle revint. « … Ça pourrait être pire, allez, viens on va discuter de ton offre... Arrête avec ce regard de poisson frit ! - de poisson, mort. Excuse-moi. L'équinoxe, hein. »
« Y'a pas de mal. »
Y'avait vraiment pas de mal. En réalité, Fabri pensait qu'elle avait clairement refusé sa proposition. Aussi la suivit-elle, la rejoignant à table, en face d'elle plus précisément.
Boire du thé avec une sorcière n'était pas vraiment l'idée qu'il se faisait d'une après-midi plaisante mais, au final, ce n'était pas si mal.
« Donc. Le Sanctum a besoin de sorciers, c'est bien ça ? »
Le thé était vraiment trop chaud, mais une bonne odeur s'en dégageait. A défaut d'être buvable donc, il donnait à la pièce une petite ambiance qui n'était pas déplaisante.
« Non, le Sanctum a besoin de vous particulièrement. »
La sorcière haussa un sourcil, visiblement dubitative. Elle, par contre, buvait son thé comme s'il se fut agi d'eau fraîche. « Ma vie est très bien où elle est, petit. Il va falloir être plus convainquant que ça ! »
« Je pense vraiment que votre savoir mérite à être partagé. Vous n'avez qu'un apprenti, pourquoi pas ouvrir une école ? Apprendre la sorcellerie à des gens qui montreraient des qualités magiques ? »
Fabri savait qu'elle refuserait, car à ce moment là, elle hochait négativement la tête avec un air des plus désapprobateurs. « Avoir un apprenti, c'est pas comme faire une potion contre l'insomnie. Il faut être responsable de la vie du gosse, je sais pas si tu comprends l'entièreté de la chose. »
Il ne peut que hocher la tête en silence. D'un apprenti, il ne comprenait pas vraiment l'importance d'en avoir un. Cependant, il savait ce qu'était la responsabilité quant à la mort de quelqu'un. Devait-il en parler ? Pas à elle, quand même... Il n'en parlait à personne, ce n'était pas le lieu.
« Quand un de ces petits... disparaît, c'est comme si c'était ma propre chair qui m'était arrachée. »
Elle avait déjà vécu au travers de bien des choses ; c'était plus que probable qu'elle parlait en connaissance de cause.
Il n'osait pas lui répondre, de peur qu'elle n'ait qu'une remarque acerbe à lui servir. Mais d'un autre côté, il ne voulait pas lui répondre pour lui servir une remarque acerbe de son cru à lui. Ils restèrent donc un moment, silencieux.
« Si c'est un sujet que vous voulez éviter, on peut en changer. Si vous voulez, je veux dire, on n'est pas forcés. »
Esmerine avait de grands yeux d'un bleu perçant. Elle les braquait sur lui, dans un air de surprise. Ses deux mains étaient jointes autour de sa tasse, laquelle avait un motif de hibou peint dessus.
Sa surprise se mua en un sourire, puis en un franc rire.
« Mais qui est-ce qui m'a – Etro, ne m'envoie pas de poètes devant ma porte ! » gloussa-t-elle.
« Alors, fanatique oui, crétin j'en ai déjà eu, vous m'avez traité de poisson tout à l'heure mais poète c'est la première fois ! Je vois pas ce qu'il y avait de poétique là dedans. »
« Hm ! Tu n'm'auras pas comme ça petit. Éviter les sujets qui fâchent, c'est bien pour l'esprit, mais il ne faut pas les oublier. Je ne suis pas née de la dernière pluie, le Sanctum a toujours une idée derrière la tête, je comprends que les soldats du roi avaient un corbeau noir à leur tête, ça je l'ai bien senti, mais je n'ai pas envie que ma magie serve à élever une armée de petite dégénérés zélés. »
« Si jamais le Sanctum vous emploie à leur apprendre la magie, enseignez-leur le nom de tout du mieux que vous pouvez, vous ne leur apprendrez jamais que la magie, libre à eux d'utiliser leur bon sens. La croyance, c'est pas une affaire de sorciers. Chacun porte la sienne à sa manière. »
Fabri commençait à boire son thé, qui avait finalement gagné une chaleur potable.
« Tu serais un rejeton de philosophe que ça me surprendrait pas. »
« Pas vraiment. Si vous acceptez mon offre on aura tout le temps de reprendre un thé ensemble. Vous me direz tout sur la magie. Je vous dirait tout sur la poésie, la philosophie... des choses de haute volée. Comme le nom des choses, des roches et des ar- »
La sorcière plaqua sa main sur la table et se pencha vers lui. « Tu parles de choses que tu ne connaît absolument pas ! T'entendre dire des énormités pareilles – on ne rigole pas avec la magie, ce sont des choses qui te dépassent ! »
En réponse, Fabri la regarda pendant quelques secondes. Il finit par sourire ; posant un coude sur la table, il s'approcha également d'elle.
« Vous m'en direz tant. »
Dans un rictus, Esmerine Mons plissa les yeux.
« Je t'en dirait tant. Tu préviens tes ouailles des Templiers que mon toit a besoin d'être réparé. Et j'irai voir quel travail ton Sanctum peut bien me proposer. Est-ce que ça te va ? »
« C'est plus que ce que j'avais espéré, je dois dire. »
« Bien. Maintenant, on va finir de ranger un peu avant que mon apprenti ne revienne. On a encore quelques armoires à bouger, toi et moi. »