Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’obscure farce qu’avait été — comme tous les ans quoique personne ne semble vraiment en tirer de conclusions — la Saint-Patrick. Le Soleil entamait une prudente descente lorsqu’Agon revint vers le campement de fortune en marge de la citadelle où il séjournait désormais. A dire vrai, sa cellule n’avait pas bien apprécié le passage du dragon sans-coeur lâché par la Coalition Noire récemment encore, et le château n’était plus investi que par le personnel le plus strictement nécessaire — et par les VIP du coin.

Pour les autres, il était pour le moment l’heure de la relocalisation temporaire.

En tant que prêtre il n’avait pas à se plaindre. Tout au moins il n’était pas mal loti. Contrairement à certains, il avait une tente pour lui seul (quoique modeste), et il avait le bénéfice d’être toujours invité à partager, à l’heure où l’on se retrouve le soir venu, un moment avec les hommes du Sanctum, ou quelques familles de croyants. Il semblait qu’on l’appréciait. Et plus encore, il semblait que sa récente nomination pour une tâche de taille lui avait attiré la curiosité malvenue de quelques innocentes sangsues. Le Primarque nouvellement découvert n’avait pas vraiment cherché à lui donner cette mission dans un cadre privé, il y avait eu témoins, et la rumeur s’était donc dans un premier temps répandue parmi les rangs de l’ordre religieux plus vide que des petits loukoums distribués gratuitement à Agrabah.
Puis, elle avait discrètement enflé, se déversant dans les oreilles tendues de quelques fervents sujets du Roi Stéphane. Sujets que la perte de leur demeure avait sensiblement rapprochée de leurs religieux (et de circonstance) voisins en armures.

L’idée ne semblait pas si complexe : faire surveillant organisationnel pour buffet d’Ascension Primarqual. En résumé, vérifier que tout se passe bien pour la cérémonie officialisant la prise de position de Matthew March. En temps normal, il s’en persuadait, cela n’aurait été qu’une formalité. Mais les temps n’étaient pas vraiment à la facilité, et l’archiviste chétif qui s’était attaché à organiser la cérémonie d’ascension avait, dans les minutes qui suivirent sa rencontre avec Agon, évoqué le problème qui se posait à lui.

Non, la robe de cérémonie n’était pas à repriser.
Le petit homme s’en était assuré, oui, lors de l’attaque, que rien ne mette en péril l’intégrité de cet instrument de foi ! Cette institution Sanctumiale ! Ce symbole du faste, de la richesse, de l’élégance qui doit se dégager du Primarque au jour si spécial de son Ascension, le jour où il est révélé comme l’Individu parmi les Individus (dire ‘Homme’ serait sûrement un peu trop ethnocentrique) !

Le problème touchait plutôt le buffet, et tout le reste en fait. En soi, ce à quoi le Primarque en devenir avait l’air d’attacher beaucoup d’importance. Matthew n’avait en effet communiqué à Agon que peu de directives : qu’il y ait de la bonne nourriture, qu’on ramène du monde, et que ce soit nickel.
Or comme tout le monde savait déjà qu’il avait plus ou moins été désigné comme coordinateur de l’organisation de l’évènement, l’archiviste n’avait eu aucun mal à se débarrasser dans les mains d’Agon, d’une liste exhaustive des fonds ou ressources à dégager pour une bonne conduite de la procession.

Et bordel, ça coûtait bonbon.

Et non seulement ça coûtait bonbon et il allait devoir réfléchir à une solution, mais en plus on lui avait exposé, en sus de ce contretemps financier, tout l’enjeu politique que présentait ce manque caractérisé de fonds.
D’une part, le Sanctum avait perdu une partie de ses richesses en fournitures et soins au lendemain de la ‘guerre civile’ du Domaine, mais en plus il était désormais entendu que la Coalition s’était déchaînée sur la Forteresse au motif que l’ordre religieux aurait causé (directement s’entend) la mort de la tristement célèbre Ariez. Pour la faire simple : la Cité était dans cet état (1) à cause de leur conflit avec Swain et (2) à cause d’un conflit allégué entre eux et la Coalition Noire.

Pour le résumer plus avant : la Cité était dans cet état à cause d’eux. D’où l’idée émergeant chez certains prêtres que quoique la cérémonie d’Ascension du Primarque soit normalement l’occasion d’une grande fête, il fallait que le Sanctum participe autant financièrement qu’humainement aux réparations de la Cité-Forteresse. Une faste célébration alors même que le Culte dérogerait aux plus purs enseignements d’Etro en laissant les gens dans le besoin, au-delà de cet instant de foi et de réjouissances, paraîtrait malavisé.
D’où, qu’il fallait trouver de nouvelles solutions de financement. Agon s’était retourné la tête toute la journée avec ça. Il fallait dire, que ce n’était pas vraiment son domaine. Mais c’était Gregor Martigan, un paysan simple mais… appréciable, au demeurant, qui lui avait donné ‘l’idée’.


Le Sanctothon était né.


Spoiler :