La mercenaire commença par chercher un endroit moins enchevêtré par où se faufiler à l’intérieur du bois. Ce n’était pas des plus évident malgré son faible volume, elle s’accrochait régulièrement des tiges en travers de la cage thoracique. L’araignée ayant élu domicile dans son ossature, qu’elle finit par surnommer Gipsy, semblait s’agacer de voir son travail de soie brisé. Lenore se posait la question de savoir si ce qui avait été un corps charnu subirait des complications suite au nombre de chose qui la traversait désormais si facilement, sans oser imaginer la présence de l’arachnide dans ses entrailles dès son retour à un physique plus classique.

Le silence qui accompagnait sa progression lente dans les bois sombres, n’était brisé que par l’écho des brindilles craquant sous son poids. Les présences fantomatiques que la Lune joueuse sculptait dans les rides des troncs, ne faisaient que davantage grandir cette sensation de solitude que renvoyait ce monde inhospitalier à la mercenaire. Il fallait meubler ce vide pour rester concentrée, et ne pas dériver sur des pensées déprimantes sur le bilan de sa vie. Elle devait chantonner n’importe quoi lui passant par la tête.


« L’araignée Gipsy, grimpe à la gouttière
Tiens voilà la pluie, Gipsy tombe par terre…

Mais non je ne te laisserai pas tomber, ne me regarde pas comme ça… »


Une nuée de moucheron passa devant Lenore qui ne les aperçut qu’au dernier moment dans un sursaut. Ils s’engluèrent dans la toile de l’arachnide en voulant se faufiler entre les côtes. La mercenaire dégoutée se désintéressa de ce diner impromptu se refusant à prendre conscience d’éventuelles sensations. Elle préféra penser à autre chose, finissant par repérer une fosse à pieu trop peu profonde et trop visible.

De son expérience en forêt de Grimm, où il lui était vital de repérer et d’esquiver les pièges des nombreux trappeurs, elle se doutait que ce piège trop évident dissimulait le véritable traquenard. Le chemin était encombré pour inviter quiconque passait à vouloir enjamber la fosse, pour tomber sur la trappe presque dissimulée qui lui succédait. Celle-ci était entrebâillée, laissant voir son contenu bien plus profond aux pieux acérés.

Lenore marchait avec précaution, s’installant dans le faux piège pour pouvoir travailler à la restauration du véritable mécanisme. Elle poussa sur la trappe pour l’ouvrir davantage et la vider des restes d’ossements de petits animaux. Il n’était pas évident de manipuler des objets avec les baguettes osseuses qu’étaient ses doigts ce matin encore, désormais privés de sensation. Le système de ressorts, qui permettait à la trappe de se refermer toute seule après avoir piégé sa victime, était rouillé. Elle se contenta de la nettoyer avec son mélange mousseux de sel et de vinaigre et de frotter le tout avec son torchon. Au moins elle ne serait pas déranger par l’odeur âcre qui se dégageait habituellement de ce genre d’opération. Elle testa la nouvelle jeunesse du mécanisme avant de passer à la suite, répétant la technique sur deux autres fosses couplées à une trappe dans cette partie de la forêt.

Elle reprit son vagabondage vers une autre zone des bois en chantonnant de nouveau.


« Promenons-nous dans les bois,
Pendant que le Loup n’y est pas ….

Si ce psychopathe y était,
Je serais bien loin d’ frimer,

Déjà qu’là-bas,  il me fait flipper,
Ici pour lui, j’suis qu’un os à ronger. »


Elle riait doucement à cette pensée avant de s’arrêter aux aguets quand résonnèrent les bruits de rires taquins enfantins qui s’éloignaient. Elle n’apercevait aucune lumière autour d’elle, ce ne pouvait donc pas être des feux follets cherchant à l’attirer. Des lutins ? Des Korrigans ?.... Des écureuils vampires garous ? Rien ne semblait vouloir apparaître, les bruits s’étant rapidement enfuis loin d’elle. Elle attendit encore quelques secondes avant de reprendre sa route en gardant le silence, récupérant son péroné gauche entre ses phalanges pour être parée à toute éventualité.




C’est au moment où le calme de cette étrange forêt finissait de l’apaiser qu’elle crut discerner une ombre glisser au sol, zigzagant à la recherche d’une proie. Un sans cœur, le plus banal de tous, même si la mercenaire n’en considérait aucun comme facile. Elle aurait peut-être pu l’esquiver ou l’attirer vers un piège s’il n’y avait eu ses brindilles mortes partout au sol craquant pour signifier sa présence au moindre geste. Le cercle d’ombre se dirigea rapidement vers elle, pour en faire sortir cette silhouette de gros bébé obscur avec des antennes et des yeux jaunes, toutes griffes dehors.

La mercenaire, encore malhabile dans sa poigne, put guider le mouvement des griffes vers l’extérieur, de sa dague osseuse et éviter de se faire entailler. Profitant de l’élan que le geste lui donnait, elle pivota juste assez pour donner un coup de poing dans la tête du monstre, le faisant reculer.

Elle ne pouvait fuir avec des articulations hasardeuses, elle ne pouvait pas non plus se battre à son habitude, sans sa tenue, sans sa cape et craignait de voir sa jambe se détacher si elle osait les rotations pour donner de la force à un coup de pied. Il ne lui restait que le corps à corps et son adversaire revenait déjà à la charge. Il fusionnait avec le sol afin de se déplacer plus rapidement et apparaître à la dernière minute pour surprendre sa victime.

Lenore ne pouvait pas se permettre de prendre le moindre dommage, ignorant l’effet que cela aurait sur son organisme normal, une fois de retour dans la station Shinra. Lorsqu’il revint à la charge, elle l’esquiva d’une roulade. Elle se releva avec difficulté, gagnant du temps en lui lançant un des éclats osseux de ses côtes flottantes. Suivant ses zigzags du regard, elle aperçut une poulie dissimulée. Il y avait un autre piège suffisamment proche.

Elle se recula à temps pour éviter un autre coup de griffe qui se planta dans la terre et donna un grand coup de lame osseuse devant elle, pour qu’il disparaisse de nouveau dans le sol. Une roulade de plus pour s’approcher du piège et rapidement en distinguer le mécanisme. Une dernière pour l’activer au moment où l’ombre réapparaissait devant elle.

Le collet se déclencha au passage de la mercenaire et en une seconde, la corde dévissa dans la poulie et relâcha une branche griffue qui se déploya rapidement comme un fouet, plantant en différents endroit l’ombre sans cœur qui explosa en volutes noires.





Lenore resta un instant allongée au sol, haletante, reprenant son souffle dont elle n’avait pas besoin. Gipsy s’activait pour se débarrasser une nouvelle fois des brindilles dans son ouvrage de soie, protégeant le petit cœur racorni d’une couche supplémentaire tel un cocon protecteur. La mercenaire se demandait tout de même si elle ne devait pas s’en inquiéter un instant avant de se relever. Ce piège salvateur était en parfait état heureusement.

Elle récupéra ses armes et replaça la branche en état d’être déclenchée de nouveau en se disant qu’elle pourrait l’améliorer si les sans cœur y était particulièrement attiré. Le problème étant qu’il devrait de toute façon être réarmé manuellement. Elle réfléchit à la possibilité de faire mettre un jeu de miroirs teintés de rouge qui refléteraient la lumière de la Lune en un petit puit de lumière rosie qu’elle s’imaginait semblable à la lumière d’un cœur du moins visuellement. Du moins c’était à bricoler et à tester.





Avec toutes ses péripéties, elle s’aperçut qu’elle s’était un peu trop éloignée de la direction de la ville. Elle n’avait aucun soucis à s’orienter en forêt, mais elle ne souhaitait pas non plus perdre de temps dans une partie qui n’avait aucune raison d’être piégée pour repousser les sans cœur. Sur le chemin du retour, elle aperçut un dernier mécanisme, deux arbres proches formaient une arche de leurs branches emmêlées et dans le tronc de l’un des deux était fichée une lame courbe de métal.

La mercenaire délogea le couperet pour s’apercevoir qu’il s’agissait d’un balancier aiguisé, une véritable guillotine déclenchée par un fil au ras du sol. Elle replaça la lame à son point de départ. Le fil déclenchait le basculement d’un morceau de bois bloquant le couperet en position de départ et provoquait le balancement fatal. Seulement il était dommage que sa course se termine dans le bois et que le réarmement du piège se fasse manuellement alors que le simple poids de la guillotine suffisait à ramener à son point de départ la lame, prête à être de nouveau réenclenchée. Il suffisait pour cela à Lenore de modifier quelque peu le piège, l’orientation de l’axe du couperet afin qu’il ne s’encastre plus mais qu’il balance librement, ainsi que la position du loquet de bois. Ce dernier rebasculant en position d’arrêt par le passage de la lame.

Elle se recula pour déclencher le piège et vérifier ses modifications. Elle saisit une branche qu’elle lâcha sur le fil. Le morceau de bois basculant en avant libéra la lame qui passa près du tronc opposé et revint simplement. Le couperet repassa contre le morceau de bois en le basculant de nouveau en arrière pour mettre fin à son déplacement, prêt à être de nouveau activé.

La mercenaire était satisfaite de son travail mais plaignait les pauvres âmes qui voudraient simplement se balader dans les bois. Ce monde n’était pas fait pour les cueilleurs de pâquerette ou de champignon. Il ne lui restait que le cimetière à vérifier, à l’entrée de la ville après s’être enfin extirpée non sans mal des abords de la forêt.