En tant qu'élu de la clef... ce monde attise ma curiosité, je dois l'avouer... alors que ce fameux monstre reste une occasion en or pour moi de faire mes preuves... et putain, sa tête est mise à prix à quatre-cent-cinquante munnies ! Sans parler du danger et du défi que ça représente, j'avais aucune raison de pas y allez à moins de manquer de bravoure.
Et je n'en manque pas ! C'est donc pour ça que j'entame l’ascension d'un sentier aménagé et comme décoré de somptueux marécages, courant sans forcer pour m'échauffer... j'hésite pas à faire des pauses, à m’étirer. Les gars de Port Royal ne sont pas des tafioles, si tout le monde fait un foin pas possible pour ce contrat là... c'est pas pour rien, raison pour laquelle je porte une ceinture en corde à laquelle sont accrochés une potion et une potion +. Après le sentier, ma petite séance de sport préparatoire se poursuit sur un gigantesque escalier en colimaçon dévoré par la végétation, enserrant la montagne comme un serpent de pierre et le décor était impressionnant, j'en perdais le nord. Ce genre de panorama s'étendant à perte de vue qui vous fait sentir tout petit, humblement humain face à une nature qui a toujours imposé ses lois par-dessus toutes les autres. Cette même nature cruelle et impitoyable qui fait que le meilleur gagne ; ni le plus gentil, ni le plus honorable, ni le plus honnête. Finalement, pour ne pas finir par être fatigué là où je voulais me mettre en forme, j'achève l’ascension en marchant et prend le temps de m'habituer à l'air de la montagne. A chaque marche gravit, le soleil tombe un peu plus, prenant des teintes oranges et roses. Comme si on l'avait saigné pour que son sang se mélange peu à peu à sa lumière éclatante de jaunes et blancs... c'est vrai qu'à force de trainer à la Citée du Crépuscule, je m'étais habituer à voir un soleil noir, oubliant ce que peut vraiment être la lumière.
Et la nature peut être terrible, cruel, impitoyable, pragmatique... tout autant qu'elle peut être belle, agréable, plaisante... je ne vois pas pourquoi il faudrait obstinément me contenter d'une seule moitié de l'univers. Non, il faut voir les choses dans leurs globalités.
Sauf que j'ai bien plus concret à penser là tout de suite, notamment quand j'arrive sur une cour ronde... comme une anti-chambre... avant de rentrer dans le manoir de la Contrée du Départ, au sommet de la montagne, le siège historique des maitres de la clefs. Quelque chose en moi se réveille quand j'observe cette relique d'un passé révolu, sans savoir ni comprendre, je ressens que ce manoir est quelque chose de semblable... à un refuge pour un élu comme moi. Puis mes ténèbres se réveillant, mes yeux jaunes luisent à la lueur spectrale de la pleine lune fraichement apparue... qu'aucun nuage, tous bien en-dessous de nous, ne dissimule. Une présence hante ce château... je le sens, je le sais et je le comprend... cette chose, qui doit surement être l'épouvantail, n'a rien à foutre là. Tout ça me dépasse mais à partir de là, ma clef sur l'épaule et un air déterminé au visage, quelque chose d'au-dessus de moi m'envahit ; quelque chose de mystique emplit mon cœur, me prévient de l'atroce souillure qui siège au manoir.
Ce n'est plus pour l'argent, mes deux groupes ou l'adrénaline que je le fais... enfin si, toujours mais... un but bien plus important et que je comprends à peine prend le pas sur tout le reste.
Je traverse la plateforme ronde... et escalade les maigres escaliers qui mènent jusqu'au manoir... dont l'entrée n'est plus qu'un trou béant, ayant marqué à jamais l'édifice de terribles dégâts, qui resteront eux aussi en témoignage du passé. Comme si on y avait posé une bombe mais pas une petite du tout. C'est probablement l'épouvantail qui en est responsable... sur mes gardes, concentrés et alertes, je traverse rapidement le hall d'entrée complètement ravagé puis a la joie d'apercevoir la bâtisse de nouveau intact après plusieurs mètres, simplement usé par le temps et l'abandon. Des vitraux sont présents ici et là, donnant aux lieux une atmosphère onirique quand la lumière lunaire passe au travers... mais entrecoupés par d'autres endroits, beaucoup plus sombres. Le contraste est troublant, me rappelle encore une fois à cette question d'équilibre qui m'a foudroyé quand j'ai enfin vu le panorama au lieu de juste le regarder en passant. Les couloirs s'étendent, de même que les escaliers, donnant sur d'innombrables pièces qui m'inspirent autant d'appréhension que de curiosité.
J'ai beau savoir que mon inspection des lieux s’éternise, ça passe si vite... et ce qui brise alors mon hébétement, c'est une vitrail brisée. A partir de là, je refuse de me laisser endormir par la contemplation de ce vestige d'un temps révolu.
Soit j'active ma détection magique, sûr de ne pas être surpris... soit j'économise ma magie dont je risque d'avoir fort besoin contre cet épouvantail à la réputation si sinistre. Doucement, je m'approche du vitrail cassé, suffisamment confiant pour ne me fier qu'à cinq de mes sens... et finalement non, j'active ma détection magique... je me recule d'un bond nerveux, resserrant mon emprise sur ma clef-broyeuse tout en me tenant prêt à frapper. L'épouvantail est là, juste en-dessous du vitrail brisé, je sens sa présence... et immédiatement, je laisse ma magie s'écouler depuis mon cœur jusqu'à mes pieds... puis dans mon ombre. Celle-ci se déforme et ondule, prête à se déchainer dès que je lui en donnerais l'ordre.
" Je... ♪ vais... ♪ te... ♪ "
A l'instant où l'épouvantail se met à chanter, d'une voix aiguë et criarde, je tends ma main gauche vers la fenêtre... mon ombre se déforme pour le rejoindre, guider par ma détection magique... puis sort du sol pour s'en saisir ! Soudain, sa présence se subdivise... et une nuée de corbeaux me passent aux travers, me lacérant de leurs dizaines de serres ou de becs... se réformant derrière moi en un seul être, ses deux faux rouillés en l'air prêtes à s'abattre !
" Tuer ! ♫ "
Je me retourne et dévie d'un revers de clef ses deux bras, simplement fait de quatre morceaux de bois dont les coudes sont faits de simples cordes... lui se laisse faire, pivotant sur sa seule jambe de bois construites comme ses bras... pour m'enfoncer ses deux lames incurvés dans les côtes après un tour complet ! Mon corps entier se tend, m'empêchant de respirer et même de hurler alors que mon sort s'est dissipé au moment où j'ai frappé. Si proche qu'on pourrait s'enlacer, je vois son visage... un simple sac de jute troué comme une citrouille au sourire cruel que les flammes ont tentés de dévorés, d'où s'échappe une lueur verte digne d'un spectre. A la douleur qui me tétanise comme un éclair, s'ajoute une terreur qui me gèle jusqu'aux os. Enfin, je finis par réagir et frapper d'un coup du pommeau sur sa... tête... son corps d'épouvantail se laisse chuter sans résistance, roulant-boulant chaotiquement... et ses faux me déchirent encore plus atrocement à leurs sortie. Ça pisse le sang... mes jambes deviennent fébriles alors que je tiens ma plaie face à ce monstre qui rie aux éclats, jonglant avec ses faux en bondissant sur une seule patte, me promettant le pire de son regard fantomatique. La main qui tient ma plaie ne parvient pas à en arrêter le saignement, à peine en réduit-elle le flux. J’amène alors mon arme par-dessus mon épaule, y concentrant ma magie alors que lui s'immobilise en écartant les bras, semblent redevenir un véritable épouvantail...
Quelque chose se passe... l'éclat vert qui émane de lui s'intensifie... et la même nait au niveau de mon cœur... moi qui suit déjà pâle, je prends soudain la pâleur d'un cadavre, maigrissant d'un coup quand cette même lumière créer un lien entre nous deux.
... je lâche mon arme mais malgré ça, use du peu de force qu'il me reste pour la lancer comme si je l'avais encore, tout en m'écroulant douloureusement le dos au sol. Ma clef part alors en tourbillonnant vers lui à ras de sol, réussissant à lui faucher la jambe... mais celui-ci se laisse renverser, enchainant d'un salto pour atterrir de nouveau sur sa jambe, j'ai posé une main sur ma potion +. Mon arme revient, lui fauchant la jambe par derrière de nouveau mais celui-ci laisse sa jambe se plier... pour la remettre droite et fléchit son membre de vieux bois, prêt à décoller, j'ai enlevé le bouchon de ma potion +. Ma clef tente de l'intercepter pendant son saut, n'y parvient pas et dans un rire dément, il brise ma fiole d'un coup de faux bien placé au passage et passe derrière moi.
Mon arme, à sa poursuite, déchire la jute à moitié calcinée qui forme son tronc alors qu'il s'est déjà retourné... et planté dans sa structure en bois, ma clef le pousse aussi loin que possible ! Lui lance ses deux faux vers moi alors qu'il s'éloigne, hurlant de rire comme un maniaque pendant que je baigne dans mon sang, la seule preuve de vie en moi étant cette douleur qui me cloue au sol.
L'une des faux rebondit au sol, frôlant mon visage... et l'autre se plante dans ma cuisse droite, m'arrachant un cri étouffé de douleur... le sachant loin, je prends le temps de lever une main en l'air... puis de fermer le poing. Un sort de dopage envahit alors mon corps, le danger m'aidant à trouver la force de faire le nécessaire. Alors que mon cœur bat plus vite, mon sang coule plus encore et je respire aussi rapidement que brièvement... je rampe misérablement jusqu'à la flaque de potion+, léchant misérablement tout ce que je peux comme un chien assoiffé, y sentant le goût du sang. Cela me redonne de l’énergie, j'ai la force de continuer mais mon agonie ne cesse pas... et j'avale ma dernière potion... sentant mes forces me revenir pour me quitter ensuite par mes saignements. Une main tremblante se pose alors sur mes plaies aux côtes... des fils immatérielles de ténèbres violets s'y amassent... recouvrent intégralement mes plaies pour y former un bandage de matière noire qui me broient côtes.
Mon sort de mental se dissipe... pas à cause du temps... mais à cause de la distance et activant ma détection magique, je sens le cauchemar revenir vers moi à vive allure. La douleur... ma jambe toujours empalée pas une faux émoussée... mes côtes qui me lacèrent et me compriment... j'arrive à peine à respirer, je n'ai plus ma clef.
Ma magie s'est épuisée et continue tant que ma détection magique est active... mais je peux l'avoir... je dois l'avoir. Ce n'est que de la jute ainsi que du vieux bois... et ma seule chance, c'est de l'attraper dans mon ombre... à partir de là, je peux le broyer... il est de plus en plus proche, moi qui me suit trainé contre l'appui le plus proche. Mon sang glacé coagule sous mon sombre bandage mais j'en ai déjà trop perdu... heureusement, peu importe mon état, tant que j'ai de la magie... je peux lancer un sort et ce sera probablement le dernier. L'épouvantail arrive alors à cloche-pied, un petite rire sadique et chantant s'échappant de lui en écho recouvrant la pièce... j'attends qu'il se rapproche... d'un geste de la main vers lui qui me fissure les côtes, je hurle alors que mon ombre surgit du sol en vague pour l'avaler !
A ce moment-là, son corps se subdivise en une nuée de corbeaux... et j'en attrape plus de la moitié pendant que les autres me picorent... puis serre le poing, broyant tous ceux que j'ai attrapé.
Le reste des volatiles se reforment alors dans un rire funeste, ne laissant de l'épouvantail qu'une tête, un bras... et ce qu'il faut de torse pour que les deux soient encore reliés. Mon visage se décompose de terreur alors que de son dernier membre, il se hisse vers moi... mon sort de dopage se dissipe et... je sens tout mon être qui s'écroule, incapable même de ramper. Sa main m'attrape la cheville... mais je peux encore bouger le bras... et le tend vers la faux qui ne m'a pas empalé... mon ombre se saisit de l'arme en prenant la forme d'un fin tentacule. Je lève le bras mollement alors que l'épouvantail pose une main sur mon visage... puis lâche prise, laissant la créature se faire transpercer la tête par sa propre faux.
Elle est morte... ? Non, se relève d'un sursaut en hurlant de rire pour m'effrayer ! Et finalement, s'achève de son propre mouvement... alors que son bras, inerte, reste fermement agrippé à mon visage, une griffe à deux doigt de me crever l’œil.
Tant pis... je l'enlèverais plus tard... toujours incapable de me relever... je ferme les yeux... et m’écroulerai si ce n'était pas déjà fait...