La journée commençait mal, mais la mission débutait à peine.
Lenore avait atteint la caserne, une pointe de stress au creux du ventre. C’était risqué tout de même. Et culotté. Elle avait presque envie de faire machine arrière, maintenant au pied des murs immenses qui l’avait déjà enfermé, devant les garde à l’armure impeccable, peut-être même ceux qu’elle avait attaqué en faisant s’enfuir les brigands. Elle essaya de les distinguer tout en s’approchant.
Pour le peu qu’elle s’en souvienne, ils semblaient différents, mais elle n’était pas très sûr de ses souvenirs. Elle fit une moue boudeuse pour déformer ses traits et mettre autant de différences possibles entre son aspect de faux chaperon rouge et son aspect de domestique actuel. Elle masqua même le ton de sa voix, grave et acariâtre.
Elle retenait son souffle, le moment de vérité.
S’il fallait, elle se mettrait à courir comme une dératée. Elle connaissait bien la ville, il y avait quelques coins où se cacher en attendant que les choses se calment, attendre que les patrouilles cessent avant de pouvoir s’enfuir, se réfugier dans la forêt. Peut-être même chez les connards boiteux… Mais elle retrouverait ce vieil ivrogne pervers. Elle préférait encore croiser le Loup…. Enfin non quand même pas.
« ‘Jour. J’dois voir la garde. On m’envoie nettoyer vos ch’vaux. »
Les gardes posèrent leur regard sur elle.
Tadum. Tadum.
Elle se concentrait sur les battements de son cœur.
« Suivez-moi s’il vous plait. Je vous conduis aux écuries. »
Tadum. Ta…dum…...Ta...dum...
Son cœur et son stress se calmaient. Elle pouvait de nouveau respirer.
Elle suivit son guide à travers les couloirs, passant des portes qu’elle avait crocheté une fois et qui n’avait à priori pas été changé. Elle se raidit à un moment, croyant apercevoir un visage connu. En cas de besoin, elle n’était pas sûre de pouvoir de nouveau fuir par cette voie. La dernière fois, elle avait bénéficié de la nuit, du changement de rondes, de la peur et de la surprise causé par son déguisement de fantôme et elle avait Vladimir...
Tout devait bien se passer, elle n’était là que pour brosser des chevaux !
Ils restèrent au rez-de-chaussée, gagnant l’extrémité opposée à son entrée dans le bâtiment. Le garde la confia au responsable de l’écurie une fois passer la lourde double porte en bois, sans se risquer à pénétrer dans l’endroit, préférant assurer la propreté de sa tunique, puis disparu vers son poste au pas de course.
Un gringalet, la peau sur les os, lui tendit une main large. Il n’était pas peu fier de son grade en se présentant au vu de son large sourire aux dents imposantes magnifiquement alignées sur sa mâchoire inférieure rétrognathe. Pour un peu que Lenore lui imaginait des oreilles de mulet, il avait la tête de l’emploi.
« Salut, je suis le lieutenant Augias ! Responsable de l’écurie et de ses pensionnaires. C’est vous le mercenaire qu’on m’envoie donc. Je m’attendais à un peu plus... enfin un peu moins … enfin pas tout à fait vous. »
Il lui secouait vigoureusement la main.
« Déjà lieutenant à votre âge ? Vous devez cacher un sacré physique. » Et très bien le cacher se dit Lenore.
« Oh je suis surtout là grâce à mon talent pour dompter ses majestueux compagnons. »
Il voulut prendre la pose, coude sur le bord d’un des box mais ses grosses lunettes épaisses avaient dû le leurrer sur son appréciation de la distance. Il abaissa son coude dans le vide avant de se reprendre une deuxième fois pour le poser contre le bois.
« Vous vous y connaissez un peu ? »
« Pas du tout. Mais j’apprends vite, pour peu que vous ayez envie de passer un peu de temps avec moi. »
« Pour brosser les chevaux ? » hésita-t-il.
« Bien évidement. »
« Ah. Oui oui bien sûr. Je vous montre ça. Mais je vais être surtout occupé par les deux zigotos du fond, sinon je n’aurais pas engagé des extérieurs. Ne leur dites pas que je les ai appelés ainsi…» Il emmena Lenore faire le tour du propriétaire.
L’écurie occupait toute une aile de la caserne, longiligne. Leurs bottes résonnaient sur la pierre qui apportait de la fraîcheur à l’endroit quelque fût le temps. Des meurtrières hautes perchées permettaient d’éclairer l’endroit. Le chemin de ronde qui devait y donner accès servait principalement à entreposer en hauteur le foin et la paille.
Augias présenta convenablement son assistante du jour à chacun des canassons, échangeant leurs noms, les saluant d’un signe du chef, les complimentant. Lenore se posait des questions quant à sa santé mentale, mais continua de faire comme on lui demandait, distribuant une pomme à chacun.
« Une pomme par jour, éloigne les mauvais jours, comme disait ma maman. »
Il lui avait expliqué que ses animaux étaient craintifs et méfiants d’instinct. Il valait mieux qu’il la présente avant de la laisser faire le travail aux box, nettoyer et nourrir le cuir des selles et ensuite seulement, elle pourrait les brosser et tresser leur crinière.
Après une vingtaine de salut protocolaire, Augias arrêta Lenore, lui désignant à distance Maximus et Sergent. Le premier un étalon blanc taillé dans le muscle souffla du nez à entendre son nom. Les oreilles droites à l’affût. Le port altier, l’œil vif, la mercenaire cru voir un semblant de rictus dessinant un sourire fier. Le second était non moins impressionnant, d’un noir de jais en contraste avec le rayon de soleil qui apparaissait derrière lui, l’œil mauvais rivé sur l’intruse. Il donna un coup de sabot sec dans la porte du box qui heureusement résista, faisant sursauter Lenore.
« Ces deux-là vous ne vous en approchez pas. Maximus parce que seul le capitaine de la garde et moi-même nous en occupons, et Sergent parce qu’il a très peur des inconnus. »
Il a peur ? Mais c’est plutôt lui qui donne l’impression de vouloir tuer !
« Bien compris » fit la mercenaire.
« Je vais vous montrer ce que vous allez devoir faire avec Maximus et ensuite je vous laisserais vous débrouiller. Quand j’aurais finis les soins sur lui et Sergent, je vous rejoindrais pour finir le travail. C’est assez physique je vous préviens.»
« Tu m’étonnes, il y en a vingt à faire et je sens que je vais tous me les taper. » Pensait Lenore.
Il se prit une vocation d’éducateur, passionné par son sujet et ravi d’avoir autre chose que des hennissements pour réponses pour une fois.
Sortie du canasson de son box, attaché non loin. Nettoyage de la paille à la pelle. Nettoyage du box. Dispersion de la paille, plus haute le long des murs mais suffisamment répartie partout.
Il se permettait même d’interroger Lenore pour vérifier qu’elle suivait bien, la faisant sourire.
Vérifier les coutures et attaches des selles, en faisant attention à leurs poids, ce n’était pas le moment de se faire un tour de reins. Licols, étrivières, rênes et sangles.
Entretien du cuir à la brosse, éponge et eau savonneuse, séchage au torchon puis graissage.
La mercenaire retint un rire à imaginer le cavalier montant sur son cheval et glissant par excès de graissage de sa selle. Mais elle devait garder son sérieux et son attention sur Augias et ses ordres.
Encore une douche de compliment et Maximus en parfait modèle se présenta de profil pour son soin, trottinant pour pivoter en un pas de danse.
Le palefrenier présenta l’étrille et ses mouvements circulaires qu’il mima à son étudiante, pour nettoyer la boue séchée dont ce cheval n’avait pas besoin. Puis la brosse dure pour retirer les saletés et la brosse douce pour dépoussiérer, enfin le peigne à grosse dent pour démêler délicatement le crin.
« Soyez toujours très délicat lorsque vous brossez les jambes et toute partie du corps qui n'est pas charnue. » Avait-il précisé.
Bref, rien d’exceptionnel, pensait la mercenaire. Cependant elle commençait à appréhender la quantité de travail qui l’attendait… Jamais elle n’aurait le temps de s’éclipser pour vadrouiller dans les couloirs. Surtout qu’il resterait là à la surveiller. Elle poussa un soupir de regret et d’ennui.
« Pour ce qui est des sabots et des dents, je m’en occuperais moi-même, je préfère. » Conclut-il.
Ces majestés canassones étaient mieux traitées que les gardes royaux. Et assurément plus propre que la moitié des mercenaires. Un instant, Lenore s’interrogea sur un probable enlèvement de l’un ou l’autre de ces bestiaux - non pas des mercenaires - qui donnerait lieu ou non à une belle prime en échange.
Augias la sortit de sa rêverie, la pressant de commencer.
Bon grès mal grès, puisque de toute façon elle avait choisi d’effectuer cette mission, Lenore se motiva. Elle avait beaucoup à faire et ne comptait pas rester ici plus que nécessaire. Même si ses plans crapulistiques étaient tombés à l’eau. Il était également hors de question de saboter le travail pour rentrer plus vite. Tant qu’à faire, autant bien s’entendre avec la garde locale.
Elle prit le parti de faire chaque chose après l’autre. D’abord ! Ménage par le vide et tournée générale de paille !
La mercenaire fut impressionnée par ces animaux. Être devant leur nez baissé pour ronger leur carotte et être debout devant leur encolure à deux mètres ne procurait pas la même notion de taille. Ils étaient dressés et habitués, aussi n’eut elle aucune de difficultés à les déplacer le temps de se charger des box.
Quelques chamailleries entre voisins de paliers qu’elle prenait d’abord pour des bisous, par naïveté, avant qu’ils ne commencent à bien se mordre. Elle les calma par la force de compliments plus ou moins farfelus, elle ne pensait pas réellement qu’ils comprenaient le langage des hommes mais le ton de la voix et bien plus parlant que les mots eux même.
Quelques pelletés de paille plus tard, et quelques impressions dentaires sur sa tenue, Lenore regardait ce qu’il lui restait à nettoyer, en sueur sous l’effort toussant à la poussière soulevée par les mouvements de paille. Encore une belle moitié. Effectivement c’était physique. Et effectivement elle était seule.
Augias nettoyait une à une les dents de son pensionnaire particulier blanc. Consciencieux ou prenait il juste son temps ?
Mission facile, mouais.
Lenore souffla, maugréant quelques injures avant de reprendre son travail.
A force, elle gagnait en efficacité, à répéter les mêmes gestes. Elle parvint à rafraichir l’ensemble des box et se permis un petit entracte. Elle approcha pour prélever une pomme, dans le dos du lieutenant mais pour cela, elle dut passer devant la porte du box de Sergent. Bien qu’elle fît des gestes lents et contrôlés celui-ci se dressa sur ses pattes arrière, menaçant d’un hennissement qui alerta Augias.
Ce dernier jeta la mercenaire en arrière, hors du carré sacré des VIP, avant de calmer l’animal sombre. Une fois fait, il se tourna vers son étudiante insolente.
« Je vous ai dit de ne pas vous approcher d’ici. Ce sont ses pommes à lui. Vous lui avez fait peur ! » Gronda-t-il.
« Pardon » Hocqueta-t-elle.
Tant pis pour la pause, elle préféra retourner le plus loin possible de cet animal fou, prendre le temps de se calmer.
Elle hésita à pénétrer dans le box du premier canasson, pour le brosser, mais hormis Sergent, elle n’eut pas de difficulté à s’occuper d’eux. Elle s’appliqua en se remémorant les conseils du gringalet.
Etrille, brosse dur puis brosse douce. Lenore dut retenir un éternuement lorsque le nuage de poussière soulevé par le brossage de l’animal la surprit.
Comment pouvait-il avoir sur lui autant de poussière ! Maximus n’avait montré qu’à peine quelques grains et encore, illuminés par le rayon de soleil sinon elle ne l’aurait pas vu.
Il y avait du favoritisme à la cour chevaline. La mercenaire imaginait facilement que ces animaux s’étaient roulés volontairement dans le sable de la plage en attente de leur traitement pour avoir autant de poussière dans leur robe.
Déjà en suée, Lenore fut recouverte de poussière assez rapidement, lui donnant un faux air de ramoneur à la fin du toilettage. Elle avait appliqué les technique et consignes de tressage pour que les crinières soient impeccablement coiffées courtes le long de l’encolure, et la queue raccourcie maintenue pliée.
Un dernier coup d’œil à Augias, pendant qu’elle s’essuyait le visage et soufflait un peu. Il terminait de bichonner ce « pauvre » Sergent.
Secouant la tête, elle s’attela sans attendre à la sellerie. Etrangement, malgré le poids conséquent du matériel, ce fût la partie la plus simple et rapide. Elle astiqua et graissa le matériel jusqu’à être fière de leur rendu, tant pis si le soldat qui s’assoit dessus glisse pendant la parade d’inspection.
Elle ricanait quand Augias s’approcha d’elle.
« Oh bah vous avez tout finis déjà. Moi qui venais vous aider. » Dit-il.
« Oh bah c’est bien dommage çà » répondit-elle sans cacher son sarcasme.
« Je viens de terminer avec mes deux pensionnaires. Je jette un coup d’œil à votre travail pis je vous renvoie à la vie civile ? »
« Mais je vous en prie patron, faites donc. » Elle l’invita d’un geste de la main, terminant avec sa dernière sellerie.
Culotté le bonhomme.
Elle sourit, ne pouvant pas s’empêcher de faire une connerie et se badigeonna la main droite de graisse pour le cuir.
L’inspection terminée et plutôt satisfait le lieutenant revint pour conduire Lenore à la sortie de la caserne.
« Merci bien pour votre travail et bonne soirée. On se garde en contact. » Fit il.
La mercenaire lui serra la main avec motivation et un grand sourire, le remerciant et surtout lui graissant littéralement la patte. Il masqua un petit rictus de dégout, bien embêté à quelques minutes de la revue d’inspection.
Effectivement la soirée était déjà bien entamée, elle avait perdu sa journée à faire des corvées et il lui restait encore à rentrer à Port Royal. Cette journée avait été une déception d’un bout à l’autre. Elle avait hâte de rentrer se délasser dans un bon bain et tuerait surement tous ceux qui l’en empêcheraient. Enfin… sans vraiment aller jusque-là.
Lun 12 Déc 2016 - 16:12