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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.

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Tu te fais beaucoup trop de tracas, compagnon !

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La pluie froide trempait tout : les grands arbres de la foret, les plus petits, les énormes et les plus fins, leurs feuilles, le sol, la souche qui faisait office de pont et la figure encapuchonnée qui marchait dessus en équilibre pour traverser l'affluent au débit rapide. Arrive au bord, le jeune homme vêtu de noir sauta a pieds joints sur la terre humide et, tête penchée en avant, sortit de la poche intérieure de sa veste une petite carte rendue fripée par la pluie.

Il l'observa un instant et releva les yeux vers le petit chemin sinueux droit devant. En haut, tout en haut se cachait un bout de ciel bleu et de soleil. Il le savait car on pouvait voir plonger entre les arbres un arc-en-ciel. Avec un sourire, il rangea la carte, enleva sa capuche et Sora reprit son chemin, laissant la pluie tomber sur ses cheveux.


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La Forêt de Sherwood
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Plus loin sur le chemin, un bruit singulier attira son oreille. Il contrastait avec les battements de la pluie sur la terre. Il contrastait avec la pluie tout court, car c'était un sifflotement joyeux et entraînant. Saisi par la mélodie, Sora quitta le chemin de terre pour s'engager sur un terrain fait de racines, d'herbes et de pièges naturels. Il parvint cependant sans heurts à rejoindre le bord de la clairière d'où venait la mélopée et s'adossa à un arbre pour voir sans être vu.

Là, fourrageant dans les buissons, à la recherche de lui seul savait quoi, il y avait un coq. Sa crête était rouge et sa queue plumée verte. Il cessa de siffloter un instant, puis commença un autre chant, plus lancinant celui-là.


"Des bas des hauuuuuts
Il y en a partouuuut
Mais des draaaames
Il y en a surtouuuut
Là-bas à Nottingham."

Le sourire de Sora s'effaçait au fur et à mesure que les mots prenaient sens dans sa tête. Il tendit d'avantage l'oreille.

"Et leurs cœurs sont trop laaas
Pour vouloir partiiiiir
Pour pouvoir fuiiiir
Que n'ont-ils d'ailes pour s'envoler ?
Qui prendra pitié de leurs larmes ?
Il y a-t-il une âme qui priera pour tous
Ceux de Nottingham ?"

On aurait dit que la pluie redoublait, mais en réalité, il n'en était rien. Le chant désespéré faisait frissonner le cœur et le corps de Sora. Les vêtements et chaussures trempées n'aidaient pas. Son instinct lui disait d'aller à la rencontre du coq, de dire qu'il était là maintenant, que tout irait bien, qu'ils allaient sauver Nottingham ensemble, avec des amis trouvés sur le chemin. Oui. Et pourquoi pas verrouiller la serrure de ce monde, tant qu'ils y étaient ?

- "Hé, Adam, t'as pas bientôt fini avec cette chanson, j'ai le cafard maintenant !"
- "C'est tout l'objectif, ma chère. Et vous avouerez qu'elle sied encore et toujours à notre histoire. Je n'ai eu qu'a modifier subtilement quelques mots."

Une autre voix ? Sora plissa les yeux pour distinguer la forme qui venait d'apparaître sur la gauche des fourrés et qui trottinait vers le coq. Une jeune lapine grise qui se déplaçait à deux pattes, et dont la tête dépassait à peine des buissons qu'elle tentait de traverser. Elle avait une courte épée à la ceinture.

- "Oui mais je m'en fiche ! Chante plutôt une de tes nouvelles, celle du triste clown !"
- "Maudit soit Kefka de mauvais aloi ? Encore une adaptation facile. Et elle sonne fort mieux avec toute la joyeuse compagnie aux instruments... et avec la marionnette !"

Le sourire revenait aux lèvres de Sora. La chanson pour résister, c'était une idée qui lui plaisait bien. Et à coup sûr, il était en présence de membres de la rébellion. Il ne lui restait plus qu'à sortir de sa cachette sans présenter de menace et...

En regardant de nouveau devant lui, il vit un arc tendu et une flèche à son bout, prête à traverser deux mètres d'air pour lui transpercer le gosier. Un lapereau blanc tenait l'arc. Un drôle de chapeau jaune-vert avec une plume rouge reposait sur ses grandes oreilles. Instinctivement, la main de Sora glissa a l'intérieur de sa veste.

"Hun-hun" protesta le lapereau, qui tenait son arc d'une main ferme et assurée. "Laisse tes mains où j'peux les voir. T'es qui ?" Sa voix laissait penser à un gamin de 10 ans, mais il n'avait pas l'air de plaisanter. Levant les mains en l'air, Sora déclara : "Je suis un ami de la rébellion. Je m'appelle Sora. Et toi ?"

"- Un ami de la rébellion ? Prouve-le. C'est qui notre chef ?"
"- ... Robin des Bois ?"
"- D'accord, elle était facile. Hmmm... C'est quoi nos trois insultes préférées pour le clown ?"
"- ... Je ne sais pas. Tu sais, je ne suis pas de ce monde."
"- Tu viens d'arriver, et tu dis que t'es notre 'ami' ? Qu'est-ce que t'as fait pour être notre 'ami', hm ?"

Le lapereau semblait s'impatienter. Il banda encore plus son arc. Attirés par le bruit, le coq et la petite lapine les avait rejoints. La lapine avait dégainé sa dague.

"Mais qu'avons-nous là ? Quelle peut donc être votre histoire, jeune homme à la chevelure hispide  ?" Le coq avait une voix douce et chaude, rassurante.
"L'histoire d'un scélérat, c'est sûr ! Il est venu pour tout cafker à.. tout capter.. tout cafter à Kefka !"
"Non ! Je suis un ami du Général Primus. Je viens de la part de Fiona, la capitaine des gardes de la Lumière."
"Hm."

Le lapereau agitait le museau, comme s'il pouvait détecter par l'odorat si Sora mentait ou non.

"- C'est vrai qu'tu r'ssembles pas vraiment à un sale larbin de Kefka. On veut bien te croire... mais tu dois jurer."
"- Jurer ?"
"- Mets ta main sur ton cœur et croise les yeux."

La lapine et le coq mirent patte et main sur leur cœur et croisèrent les yeux. Après un bref moment d'étonnement, Sora fit de même. Il devait avoir l'air bien ridicule à loucher comme ça, avec la pluie qui lui dégoulinait des joues et s'engouffrait dans sa nuque.

"Répète. Serpent, Araignée et Mandragore.
- Serpent, Araignée et Mandragore", reprit Sora avec sérieux et emphase.
- Si je mens, je meurs jusqu'à c'que j'sois mort !
- Si je mens, je meurs jusqu'à ce que je sois mort !
- Tu développes trop tes mots, mais ça ira ! Pas vrai, les gars ?
- Attends Bobby !", intervint la lapine. "Ok, il a juré. Mais si c'était vraiment un éclaireur ennemi ? Rappelle-toi ce que Maman disait sur les étrangers !
- Bah, il a pas l'air méchant, et puis il est tout seul." Le lapereau baissa enfin son arc. "J'ai écouté les environs avant de le choper. T'sais quoi ? On a qu'à l'amener au chef, c'est elle qui décidera !"

"Une sage décision, jeune guerrier !" clama le coq. "Il faut toujours en référer à la sagesse de ses aînés. Oh, mais où sont nos manières ? Les présentations n'ont pas été faites dans les formes." Il s'avança vers Sora, gloussant, et se courba devant lui, relevant et révélant tout son plumage trempé. "Mes hommages. Je me nomme Adam de la Halle, troubadour au service de Frère Tuck et, bien sûr, de l'inénarrable Prince des Voleurs, le fieffé Robin des Bois ! J'aime conter de belles histoires !"

"Moi c'est Bobby, Bobby la Terreur !" fit le jeune lapin en se redressant tout droit, pointant du doigt le haut de sa tête. "Et c'est Robin en personne qui m'a donné son chapeau !"

"Je suis la sœur de Bobby", fit la soeur de Bobby avec une certaine réticence et le regard réservé. Visiblement, elle n'était pas encore convaincue de ses bonnes intentions.

"Sora, je suis... envoyé par la capitaine des gardes de la Lumière", fit le brun avec un sourire pour ses nouveaux compagnons. Il avait bien essayé de trouver une manière colorée de se présenter, mais rien ne lui était venu en tête sur le coup. Ah, mais si ! "C'est Dame Rav.. le Général Primus en personne qui m'a donné cette épée !" Il allait la sortir de son fourreau, mais Bobby retendit son arc, ce qui l'arrêta net. "Nan. T'as juré, mais tant qu'le chef a pas décidé c'qu'on va faire de toi, tu restes tranquille !" Sora soupira un "d'accord..." avant de reprendre : "Alors je vous suis."
"- Ok. On va au vieux châtaigner. C'est là qu'elle nous a donné rendez-vous.. on doit y être dans cinq minutes alors faut s'grouiller !"

Ils se mirent alors en route à travers la forêt, Bobby ouvrant la marche, puis Sora, puis la sœur de Bobby, et en queue de cortège Adam, qui se remit derechef à siffloter, avant d'être interrompu par les autres : "Adaaam. On va se faire repérer !"
- Oh, mille excuses. C'est plus fort que moi !
- Si un sans cœur débarque, tu as une chanson pour le faire fuir ?
- J'aurais bien jousté ce jour avec ma vielle, si quelqu'un de ma connaissance, et dans cette présente compagnie, ne l'avait brisée la veille !
- Oh tais-toi, Adam."


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La Forêt de Sherwood

- Le vieux châtaigner -
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Contre toute attente, le trajet se fit sans encombres et ils arrivèrent au vieux châtaigner à l'heure voulue. C'était un arbre majestueux, la circonférence de son tronc dépassait sûrement les dix mètres. Son écorce était vieille, sèche et brunie par endroits, mais il tenait encore debout. Il y avait plein de grosses branches faciles à escalader. C'est ce que firent tout de suite Bobby et sa soeur, tandis qu'Adam se mit à fureter tout autour, bec au sol.

"Voila, y'a plus qu'à attendre not'chef !" fit le lapereau, juché à 3 mètres du sol sur une des branches. Il mettait sa main en vigie sur son front pour guetter les environs. Sa sœur était assise sur une branche voisine. Sora n'était pas monté, il s'était adossé sur le tronc de l'arbre, les mains derrière la nuque et la tête en l'air, profitant du feuillage du châtaigner qui les protégeait de la pluie. Il était trempé, vraiment trempé de la tête aux pieds, il commençait à geler, mais il n'était pas pressé de se sécher ou de prendre un bain chaud. Là-haut, le bout d'arc en ciel était encore visible, ses couleurs se renforçaient, c'était suffisant pour l'instant.

"Dis Bobby, tu la trouves pas un peu triste en ce moment ?"
"- Plus que d'habitude ?"
"- Oui."
"- Ben tu sais... son chéri... son vrai chéri hein, le genre de chéri que t'as pour la vie et tout." Bobby s'était mis à murmurer mais c'était encore trop fort et Sora entendait tout.. "Paraît qu'il est avec Kefka. Et elle s'est pris une sacrée rouste par la Générale pasqu'elle aurait foiré une mission. C'est le shérif qui l'a dit au Frère Tuck un matin ou il avait trop bu, et l'Frère Tuck l'a répété à Adam. Et Adam.. ben... il en a fait une chanson."
"- LES AMIS !" s'égosilla soudain Adam, faisant sursauter tout le monde. "Regardez ! J'ai trouvé un ver dans ce trou, là !" Il le montrait fièrement, tendant la patte.
"- Super, Adam", firent les lapereaux en cœur, l'air blasé.
"- Hé ! C'est de bon augure.. pour un trouvère !", gloussa le coq avant d'avaler l'asticot.

Son jeu de mot trouva d'abord le silence. Puis Bobby renifla, Sora pouffa et tous eurent un petit rire. Bobby les interrompit bien vite : "Attendez chuuuut. Quelqu'un vient." Il tendit une de ses grandes oreilles, concentré, avant de se trémousser sur sa branche. "C'est elle ! C'est Freyja ! Elle est avec les autres !"

Les deux lapins descendirent dare-dare du châtaigner pour se mettre en rang et au garde à vous avec le coq. Sora resta adossé à l'arbre. Freyja. Il se remémorait ce qu'il avait lu d'elle.. ce qu'on lui avait dit de la rate. Et d'après ses souvenirs, et ce qu'il venait d'entendre, la rencontre promettait d'être intéressante.
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Freyja était toujours assise sur sa branche, la cape des rebelles recouvrant ses épaules, cherchant à se réchauffer au petit matin. Elle n’avait pas désiré rentrer au camp, du moins, pas cette nuit. La fatigue avait pris le dessus par rapport à sa volonté, elle s’était assoupie en contemplant les lumières de la ville. La bruine matinale eue raison de son sommeil, s’étirant un instant, la jeune rate réajusta son couvre-chef avant de se redresser et quitter son observatoire. Laissant son regard se perdre dans la brume matinale, protégeant les remparts du château d’un manteau gris irréel. Elle n’allait pas pouvoir pleurer aujourd’hui, le constat de cette nuit avait eu raison de son coeur et de ses sentiments, ce dernier tari de toutes joies devant l’inéluctabilité du destin se profilant à l’horizon.

Silencieusement, elle retraçait le même chemin qui l’avait amené jusqu’ici, passant de branche en branche. Il n’y avait personne dans la forêt à cette heure-ci, l’envoyée de la Lumière lambinait jusqu’au camp de la rébellion, avait-elle seulement envie d’y retourner ? Dorénavant, elle était lasse de jouer cette comédie, de revêtir ce masque devant les habitants de Sherwood, devant le shérif et devant le Général Primus.

S’arrêtant sur une branche de chêne assez épaisse, elle s’appuya contre le tronc de l’arbre et laissa son regard se perde dans le vide. La pluie commençait à tomber sur le sol de la forêt, transperçant le toit de feuille coloré par l’automne. Freyja ferma les yeux un moment, laissant la musique de l’averse parvenir à ses oreilles ainsi que le choc délicat de l’eau contre ses vêtements. Progressivement, les sons se mettaient en place. Le bruit aigu des gouttelettes frappant frénétiquement les feuilles les plus épaisses, alors que l’accumulation d’eau donnait naissance à des goute plus conséquente. Ces dernières s’écrasaient avec lourdeur contre le sol et le bois des branches jonchées au sol. Une légère brise vint briser l’harmonie de l’eau, cependant, il donnait ce petit crépitement des feuilles s’entrechoquant. Ici, au plus profond de la forêt, la nature offrait sa plus belle représentation.

L’unisson des sonorités vint à être perturbé, dérangeant la jeune rate dans sa méditation avant qu’elle ne cherche du regard l’origine de la cassure. L’éclat perçant si particulier des bottes de fer s’entrechoquant, personne ne pouvait l’ignorer, personne ayant vécu un instant en présence des ombres.

En contrebas de sa position, elle remarquait très clairement une troupe de soldats sans-coeur traverser les bois, se fichant pas mal de passer inaperçu. Subjugué l’espace d’une minute, la jeune femme finissait par se demander si cela n’était pas un appel du destin. La providence lui faisant signe qu’il y avait une solution à ce qu’elle vivait, il suffisait de les regarder, de les observer en train d’errer. Quelle était la particularité d’un sans-coeur ? Le fait de ne rien éprouver, d’être libre de sentiment et ne jamais avoir à aimer…

… De ne jamais avoir à souffrir…

Était-ce aussi simple que cela ? Elle pouvait, elle avait ce choix de quitter son perchoir et de s’avancer vers les ombres. De les regarder s’approcher et de la libérer de la lourdeur hantant son coeur. Était-ce douloureux, allait-elle ressentir mille morts où cela s’apparenterait-il à une quelconque libération. L’homme de foi avait pour fâcheuse habitude de répéter que les derniers seront les premiers, que devant le créateur, tous les pêchers seront pardonner et bien d’autre chose. Si les sans-coeur était là pour apporter cette paix à laquelle chacun aspirait. Freyja s’assit finalement sur le bois, ses jambes balançant dans le vide alors qu’elle continuait d’observer le phénomène se produisant sous ses yeux. Que faisaient-ils ici, il devait y avoir une raison à leur présence. Un signal, une alarme pour réveiller la rate ?

Aussi soudainement qu’ils étaient apparus, les sans-coeur s’enfoncèrent dans le sol et quittèrent les lieux. Laissant la rebelle dans ses pensées, sans aucun élément de réponse. Le destin avait choisi pour elle. La rate finie par se relever, reprenant sa route jusqu’au camp de Robin. Elle arriva au moment ou la vie s’éveillait dans les quartiers de la rébellion, plusieurs hommes s’apprêtaient à suivre l’entrainement de la Général alors qu’un homme-chien passait dans chaque tente afin de distribuer le déjeuner à ses occupants. Freyja ne se fit pas prier, elle passa par-dessus la palissade et se dirigea vers la tente de commandement afin de recevoir ses ordres du jour de la bouche du shérif.

La vie avait ce petit quelque chose d’inattendu, de comique. La jeune rate avait passé sa nuit sur une branche, et alors que le soleil accomplissait son parcours sous un manteau de pluie, elle montait la garde à l’orée de la forêt. Elle, accompagnée de deux compagnons de Robin, avait pour objectif de surveiller le château de Nottingham. Appuyée contre un tronc d’arbre, maintenant sa lance dressée par la hampe, elle surveillait d’un regard absent la bâtisse baignant toujours dans son brouillard gris.

Un raton-laveur ainsi qu’un lièvre étaient assis non loin de Freyja, observant eu aussi d’un oeil vagabond le château. Ils n’agissaient pas par mauvaise volonté, que du contraire. Simplement qu’aujourd’hui, et comme beaucoup d’autres jours, il n’y avait rien à rapporter. Les forces du régent restaient terrer derrière les hautes murailles, et quand bien même elles étaient en manoeuvre, le brouillard empêchait de distinguer quoi que ce soit. Les trois rebelles avaient passé de longues heures à surveiller l’endroit, au point qu’ils manquèrent d’oublier le rendez-vous avec les habitants de Sherwood. L’idée de retrouver Bobby, sa soeur ainsi qu’Adam redonnait un sourire à la rate. Depuis quelque temps, les lapereaux ne vivaient pas des jours heureux et ils tentèrent d’échapper aux sombre pensées. Quand bien même, c’était une bouffée d’air de voir le garçon pas plus haut que trois pommes retourner au campement pour saluer son héros. L’étincelle d’espoir qu’amenait Robin a cet enfant, c’était peut-être la seule chose dont Freyja devait d’avoir en ce jour. Quelque chose ou quelqu’un en qui croire.

Par la voie du sol, la troupe de rebelles arrivait au pied du vieux châtaignier sous le couvert de l’averse, endroit ou se retrouvait les gars chargés d’escorter les enfants jusqu’au camp. Même si depuis tout ce temps, ils n’ignoraient plus le chemin du campement. Robin demandait à ce que les lapereaux soient accompagnés, les ombres rodaient et aucun ne désiraient avoir à faire avec un accident. Freyja apercevait enfin les deux lapins;, ainsi que le coq au garde-à-vous, la faisant sourire devant ce protocole qu’ils instauraient à chaque fois. Obéissants à ce petit jeu de rôle, ils avancèrent tous les trois afin de se confronter les uns aux autres. Le raton-laveur faisait face à la jeune lapine, le lièvre à Adam et Freyja à Bobby. Après de longues secondes, tous se firent un salut en portant leur patte à la tempe avant de pouffer et s’accoler dans un rire. Bobby se plongea dans les jambes de la rate, celle-ci répondant en caressant calmement l’arrière de son crâne en souriant alors qu’Adam et le lièvre se livrèrent à un échange de calembours. Dans sa longue robe rose gorgée d’eau, la lapine enlaça le raton-laveur avant de venir tirer sur la cape de Freyja, lui demandant de s’abaisser pour chuchoter quelque chose à son oreille.

- Mademoiselle Freyja, avec Bobby, nous avons trouvé un inconnu dans les bois. Il épiait Adam alors qu’il récitait l’un de ses chants.
- Cela t’étonne-t-il ? Le coq est un fameux conteur, peu de personnes peuvent lui résister.
- Oui ! Oui ! Et j’ai réussi à le tenir en joue avec mon arc, comme Robin. Il ne m’a pas vu venir !
- Voyez-vous ça, nous aurons devant nous le futur chef des voleurs ?

Freyja pouffa de rire devant les enfants, jusqu’à ce qu’elle remarque le jeune garçon sortir de sa cachette, derrière le tronc du vieux châtaignier. La soeur de Bobby tira avec autant d’effort sur la cape de la rate, demandant de nouveau son attention.

- Il dit venir de la Lumière, il doit aussi parler à la Générale au nom de la Capitaine des Gardes.
- Il s’appel Sora, et il a juré sur le coeur !
- S’il a juré sur son coeur, c’est que nous pouvons le croire.

Se relevant d’abord, la jeune femme s’approcha du garçon. Il était plus petit qu’elle, une tignasse brune résistant avec ferveur contre la pluie et tremper comme s’il sortait de la rivière. Ainsi, il s’agissait de Sora ? Freyja réfléchissait un instant, l’avait-elle jamais aperçu au Château Disney. Elle l’ignorait, elle avait finalement passé très peu de temps dans son enceinte. Cependant, peu de personnes ayant vécu dans le château de marbre blanc, même une seule journée, ne pouvaient ignorer qui était Sora, le grand héros des temps passés ayant combattu bien plus de mal que la Lumière. Poliment, elle s’avançait vers lui, enlevant son chapeau et laissant ses longues mèches blanches tomber alors qu’elle faisait une révérence polie. Se recoiffant de son galurin, elle s’adressa au jeune homme en face d’elle.

Permettez-moi de me présenter, Freyja Crescent. Moi aussi, je fais… Faisait partie de la Lumière, l’on vous nomme Sora, je me trompe ? Bobby et sa soeur viennent de me dire que vous venez parler à la Générale, au nom de la Capitaine des Gardes, c’est bien cela ?
Un petit silence gêné, la rate passait sa main contre sa nuque avant de poursuivre.

Nous nous rendons au camp, Primus vous recevra sous sa tente afin de discuter de vos affaires. Du moins, si vous êtes réellement envoyé par Fiona, dans le cas contraire, vous devriez faire demi-tour maintenant. Elle n’est pas du genre à perdre son temps, vous ne l’ignorez sans doute pas.
En effet, le moment à l’infirmerie resta à jamais gravé dans les mémoires. Que ce soit celle de Freyja ou des hommes présents autour de la tente ce jour-là.


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De son coin de châtaigner, à demi dissimulé par l'imposant tronc, Sora observait la scène du garde à vous militariste entre les jeunes lapereaux, le coq, le lièvre, le raton-laveur et Freyja. Et lorsque tout le monde se mit à rire et à se saluer beaucoup plus humainement, même affectueusement, il sourit. Ainsi la rate n'était pas vraiment la "chef" de Bobby et de sa sœur, comme il s'en était douté. Elle était quelqu'un d'encore plus important, à en juger par la manière dont ils se parlaient.

Ils parlaient de lui, alors il fit quelques pas dans leur direction. Freyja le rejoignit et le salua en se découvrant la tête. Il se contenta d'un hochement de tête amical. Elle se présenta et il l'écouta poliment, approuvant de la tête à toutes les questions qu'elle lui posait. On aurait pu le croire passif ou désintéressé, mais en vérité, il faisait attention aux petits détails. Elle "faisait", puis "avais fait" partie de la Lumière. Et les affaires de la Lumière n'étaient plus "ses affaires". Quelque chose la troublait, et elle préférait aller droit au but. Elle portait la même cape que le raton-laveur et le lièvre.

A l'allusion au caractère plutôt franc et incisif de Primus, il prit enfin la parole, l’œil rieur :
"Oui, je connais la Générale. Notre première rencontre n'a... pas bien commencé. J'étais retenu dans une chambre et Roxas avait mis un seau d'eau sur la porte. C'est tombé sur elle quand elle est entrée." Les dents serrées, il ne pouvait s'empêcher de sourire. Il revoyait très bien le visage déconfit de Ravness, ces traits froids qui cachaient difficilement une passion colérique bouillonnante. "Mais je pense qu'elle a oublié. Enfin j'espère. Et j'ai une nouvelle importante à lui transmettre, Fiona avait besoin de quelqu'un qui pouvait se sacrifier pour la cause."

Il avait serré son poing et frappa sèchement sa poitrine au mot sacrifier, accentuant l'ironie que son ton laissait déjà suggérer. Le reste de la bande continuait à échanger nouvelles et plaisanteries, sauf le jeune Bobby qui s'était rapproché, le regard inquisiteur.
"C'est quoi, la nouvelle ?" Un instant hésitant, Sora finit par se pencher en avant, mains sur les genoux pour se mettre presque au niveau du lapereau. "Je peux en parler seulement à la Générale. J'ai promis." Un petit clin d’œil et Bobby comprit.

"- Oh d'accord. C'est ta chef alors ?
- N...on, pas exactement.
- Et c'est qui le chef de la Lumière ?
- La Générale Cissnei.
- Elle est gentille ? Vous faites quoi à la Lumière, vous aidez les pauvres qui paient trop de taxes ? Vous terrassez les méchants ?
- En... quelque sorte." C'était au tour de Sora de se passer une main derrière la nuque, l'air gêné. Heureusement qu'il avait affaire à un enfant. Face à un adulte, il aurait eu bien du mal à élaborer ses réponses et à détailler concrètement les objectifs de ce groupe qui l'avait recueilli et qui l'hébergeait.
- Et c'est grand la Lumière ? Z'êtes combien ? Cinquante ? Cent !?" Bobby ne s'arrêtait plus, visiblement captivé par les réponses laconiques de Sora. "Z'avez une super cachette où vous chantez des chansons ? Faut faire quoi pour entrer chez vous ?"

Sora se mordilla la lèvre inférieure, avisant un instant le lapereau, puis Freyja. Il s'agenouilla pour de bon et posa doucement une main sur l'épaule frêle et humide de Bobby. Le reste de la bande s'était rapproché, formant naturellement un cercle autour d'eux trois. La pluie battait plus fort.

"Tu sais, on n'entre pas à la Lumière... et on n'en sort pas non plus. La Lumière est déjà là, chez toi, chez moi, chez Freyja, chez tout le monde. Elle devient plus forte quand tu penses à quelqu'un que tu aimes vraiment. Quand... tu fais quelque-chose, mais pas juste pour toi. Quand tu as faim mais que tu partages quand même. Quand tu prends des risques pour sauver tes amis. Elle peut s'affaiblir quand tu es triste, ou quand il arrive quelque-chose de terrible, mais elle reste en toi. Tu peux l'oublier, mais elle ne te quitte jamais."

Bobby le regardait avec des yeux ronds, mais il finit par hocher lentement la tête de bas en haut. "Oh. Alors la Lumière est là, dans mon cœur ?" Il avait posé son pouce sur son torse. Sora se releva et, tout sourire, réajusta le chapeau de Robin sur le crâne du lapereau. "Il te l'a pas donné par hasard." Puis il tourna la tête vers Freyja, sans mot dire, juste pour la regarder. Bobby aussi regardait la rate, l'air fier de lui.

"Ce furent là de bien belles paroles, sieur Sora, et inspirantes !" Le coq s'était avancé à l'intérieur du cercle. "Si vous me permettiez d'en faire une geste ou une chanson, je m'assurerai d'y inscrire votre nom. 
- Pas de problème, Adam. Mais personne ne me connaît ici, et je ne pense pas rester. Hm. Tu pourrais mettre Bobby dans ta chanson.
- Ah, mais j'en ai déjà concocté une dont le héros est Bobby La Terreur !
- "Il est sans reproche et sans peur !" reprirent en cœur Bobby et sa sœur.
- Hé, maintenant que j'suis à la Lumière, j'peux aller voir votre cachette ?
- Bobby ! Tu crois pas qu'on a des choses à faire ici d'abord ?" La sœur du lapereau croisait les bras en tapant rapidement de la patte droite sur le sol trempé. Bobby baissa les oreilles et les épaules un instant mais se redressa rapidement, retrouvant son enthousiasme. "T'as raison ! D'abord on boute Kefka hors de Nottingham ! J'ai une flèche rien qu'pour lui."

Il attrapa une flèche dans son carquois et se mit à courir en bandant son arc. "Il est là ! Venez, vous autres !" La jeune lapine et le coq ne se firent pas prier, brisant le cercle que la petite bande avait formé. Ne restaient là que le lièvre, le raton-laveur et la rate, avec leur capes imbibées d'eau qui flottaient dans le vent. "Je suis prêt à vous suivre jusqu'au campement", signifia Sora à Freyja avant de s'adosser de nouveau au châtaigner, les mains croisées derrière la nuque. "Mais la Générale Primus sera sans doute très heureuse si Bobby réussit à capturer Kefka." Un léger sourire aux lèvres, il adressait un regard mutin à la rebelle.

Les échos des enfants qui jouaient résonnaient aux alentours, et dans sa mémoire, Sora retrouva des moments similaires au bord d'une plage. "Prends ça saleté de clown ! Mince, encore raté." "Te débines pas Bobby ! Fais-lui sa fête !" "Oudelali !"

Dernière édition par Sora le Sam 26 Nov 2016 - 16:02, édité 2 fois
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Freyja regardait le jeune homme, le visage placide alors qu’elle l’écoutait parler avec attention. L’allusion à la blague faite par Roxas retint difficilement à faire rire la rate, d’autant plus quand son interlocuteur ponctuait l’anecdote d’un sourire. D’aucuns n’ignoraient non-plus la personne qu’était le Marechal, ainsi que la rivalité régnant entre lui et Primus. À croire qu’entre les deux membres de la Lumière existaient une guerre d’usure, à savoir, lequel des deux parviendraient à fatiguer l’autre en premier. Étrangement, elle n’avait aucun mal à imaginer l’expression colérique de la Générale, ayant elle-même été la cause de l’une de ses aigreurs. Et surtout, elle doutait que la Capitaine des Gardes ait oublié un seul instant l’affront fait par cet homme. La jeune femme ignorait beaucoup du caractère de son supérieur, mais elle était persuadée d’une seule et unique chose, elle devait partager sa mémoire avec celles des éléphants vivant à Nottingham.

Certes, la rebelle ignorait parfaitement le ressenti que la Général pouvait avoir envers elle, les moments isolés avec la dame pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main. Par ailleurs, elle se portait mieux en ignorant les propos faits à son encontre. Était-elle seulement prête à pouvoir supporter une nouvelle déconvenue émotionnelle, probablement que non.

En dépit de la promesse faite par Ravness, cette lettre envoyée pour radier Freyja des rangs de la Lumière, elle ne pouvait s’empêcher de se questionner sur la nature de sa mission. Non par un élan de curiosité, plutôt pour se changer les idées et penser à autre chose, se vider simplement la tête. La présence des lapereaux et du coq l’aidaient déjà à focaliser son attention sur autre chose, cependant, une fois l’escorte finie et que tout le monde sera retourné à ses affaires. Eh bien, elle se retrouvera de nouveau seule avec ses pensées et ses démons.

Baissant le regard et retroussant ses lèvres à cette idée, elle s’apprêta de proposer à Sora pour prendre la route jusqu’au camp. Cependant, le jeune lapereau était plus rapide et ce dernier monopolisait l’attention de l’envoyé de la Lumière en un instant. Le jeune garçon se prêta au jeu et se mit aussitôt à sa hauteur afin de lui répondre, laissant le loisir à Freyja d’être spectateur à la discussion qu’ils allaient avoir. Elle croisa les bras et pencha légèrement la tête sur la gauche à la vue de cette scène, un brin nostalgique de son enfance. Ses souvenirs remontaient au moment où quelqu’un avait parlé à la rate de cette façon, c’était son père. Quelques heures avant qu’elle ne lui dise pour une ultime fois « au revoir » sans qu’elle ne le sache, qu’elle ne puisse profiter de ses derniers instants avec lui avant que le feu ne consume tout ce qu’elle n’a jamais aimé.

Ce jour-là, tout aurait été différent si elle avait décidé de rester avec ses parents plutôt que de partir rejoindre Aiden, traçant la route qu’elle empruntait aujourd’hui sans jamais l’avoir véritablement décidée. Un acte manqué, un autre choix imposé à sa vie sans qu’elle n’ait eu de mot à dire. Finalement, elle n’était qu’une marionnette avec laquelle un être céleste se plaisait à jouer avec et à torturer. Elle ferma les yeux, retenant ses larmes devant cet inconnu alors qu’il parlait à Bobby, l’avenir d’un monde embourbé dans une guerre que, lui non-plus, n’avait demandé. Il a dû grandir là-dedans alors qu’elle, elle avait fuis le malheur et l’oppression. Alors, pourquoi l’avoir fait ? Rien n’avais changé, elle était toujours seule et désespérément triste au coeur de cette forêt.

Alors qu’elle sentait le flot monter à ses yeux, elle entendit la voix de Sora. Parlant de la Lumière autrement qu’une personne cherchant à vendre le groupe, non, il parlait de ce que représentait véritablement le symbole que voulait défendre ses membres. Les paroles étaient adressées au jeune lapin, cependant, elle sentait que chacun des mots prononcés faisait écho dans son esprit, dans son coeur. Elle eut un souffle court, priant que personne ne l’ai entendu, elle rouvrit ses yeux légèrement rouges et continua d’observer le jeune homme. Il venait de se relever et se retourna vers elle. Elle voulait le remercier, lui dire quelques choses par rapport à tout cela. Néanmoins, elle ne dit rien, elle resta sur place et silencieux, souriant seulement à son regard et à celui de Bobby. Visiblement, il avait lui aussi atteint par ces paroles.

Du regard, elle regardait filer Bobby, sa soeur et Adam dans les fourrés aux alentours, bandant son arc dans une quelconque direction. L’insouciance de ce jeune garçon était un exemple à prendre, malgré ce qu’il avait vécu, il gardait la tête haute et savait sourire dans la pire des situations.

Si seulement elle était capable d’apprendre cette leçon du lapereau…

Je suis prêt à vous suivre jusqu'au campement. Mais la Générale Primus sera sans doute très heureuse si Bobby réussit à capturer Kefka
Raclant sa gorge, elle se retourna et s’adressa à Sora, lui-même retourné s’appuyer contre le châtaignier. Souriante à sa remarque, elle s’avança vers lui, les mains dans le dos.

Pensez-vous vraiment qu’elle sera satisfaite en voyant ses efforts ruinés par un seul garçon, autant de préparation pour rien, cela lui fera un choc.
Les deux autres rebelles rigolèrent un instant, se tapant les côtés conjointement. Freyja se rapprocha alors, s’appuyant à son tour contre l’arbre, au côté du jeune garçon.

- Je vais m’occuper de notre invité et des lapereaux, vous pouvez renter au camp. Avec un peu de chance, vous rentrerez avant l’entraînement du Générale et vous passerez inaperçu.
- Euh… T’es sûre ?
- On peut rester, il n’y aucun problème.
- Avec la pluie, nous ne trouverons rien d’autre que des sans-coeurs. Bobby nous couvrira avec son arc, ça ne posera pas de problème.

S’observant un instant en se frottant le menton, ils finirent par hausser les épaules et saluer les deux personnes accoudées à l’arbre avant de faire demi-tour et prendre la direction du camp. Freyja resta silencieuse un instant, n’osant pas trop regarder dans sa direction alors que les échos du jeu des enfants parvenaient à nos oreilles. Finalement, dans un soupir, elle parla au garçon à ses côtés.

Merci de faire ça pour eux. On ne dirait pas comme ça, mais ce n’est pas joyeux tous les jours ici. La guerre dure depuis tellement longtemps qu’ils ont oubliés à quoi ressemblait la vie avant. Entre Kefka et les impôts de notre ancien régent, il n’y a jamais eu que Robin pour donner un peu de bonheur à ses pauvres gens.
Elle passa sa main derrière la nuque, ne sachant pas trop quoi dire de plus.

Certains nous font rire, quelques-uns chantent et d’autres vol pour nous donner à manger. Chacun à sa façon de redonner un peu d’espoir à ses amis, seulement, ça ne fonctionne pas toujours. Vous, vous savez faire briller la lumière dans nos coeur. Rien que pour cela, je vous remercie.
Elle se laissa sourire, un sourire honnête. Quelque chose qu’elle n’avait pas fait depuis fort longtemps, rien que cela, elle pouvait remercier le garçon qu’elle venait de rencontrer.


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Adossé au châtaigner, Sora attendait tranquillement que les choses se passent. Après une petite pique drôle à l'intention de Ravness, Freyja congédia les deux autres rebelles que Sora salua amicalement de la main. Il se demandait quand même, et très sérieusement, si Bobby ne pouvait pas attraper Kefka. Lorsqu'il avait quitté sa maison et son île pour sceller les mondes, il n'était armé de rien de plus qu'une keyblade, le désir de retrouver Kairi et Riku, des amis pour le rendre plus fort et l'idée, la simple idée qu'il réussirait. Que manquait-il à Bobby ?

La rate était à côté de lui maintenant et elle ne parlait pas. Il l'observa du coin de l’œil jusqu'à ce qu'elle se décide. Sa voix était faible et lasse, presque sans passion, terne comme le ciel pluvieux au dessus de la canopée. Sora en ressentit les effets : ses bras se décroisèrent et tombèrent le long de son corps, ses épaules s'affaissèrent un peu et il perdit toute gaieté lorsqu'elle évoqua les conséquences de la guerre à Sherwood. Mais juste après, elle parla de Robin et de sa troupe, de rires, de chansons, d'espoir et de lumière, et il releva un peu le menton.

La rate l'avait remercié pour ce qu'il venait de dire à Bobby. "Vous, vous savez faire briller la lumière dans nos cœurs", avait-elle dit, et ça le fit réfléchir. Depuis qu'il était revenu de la Pierre, il avait pris conscience que tout était différent. Et c'était normal, les mondes ne s'arrêtaient pas de tourner en son absence. Alors il s'était questionné sur comment faire face aux nombreuses nouvelles menaces. Le faire en petite bande ne suffisait plus, les menaces étaient bien trop nombreuses, moins définies, plus insidieuses. Pourtant, il y avait une chose dont il était certain : son rôle n'était pas achevé. Il avait juste... changé. Restait à savoir en quoi, et Freyja était peut-être sur la bonne piste.

"Oh, ce n'est pas très compliqué", répondit-il avec légèreté. "Tout le monde peut le faire." Il s'amusa un moment à observer sa réaction, puis se rapprocha d'elle en faisant un pas de côté, le dos toujours au tronc. "Vous le faites déjà, vous n'avez pas remarqué ? Avec Bobby et sa sœur. Ils étaient excités en vous voyant arriver. Ils vous appellent 'chef', et ils comptent sur vous pour les protéger et les guider. Vous n'êtes pas leur mère pourtant, ni de leur famille. Alors pourquoi ?"

La pluie le frigorifiait. Les yeux légèrement plissés et un rictus malin aux lèvres, il croisa les bras sur son torse. "Vous voulez un secret que tout le monde connait déjà ?" Il pencha la tête sur le côté pour murmurer avec emphase : "Tous les cœurs sont connectés." Son sourire s'élargit un instant pour montrer ses deux rangées de dents, puis il reprit une posture et une voix normales. "Mais beaucoup de gens essaient d'oublier ça. Ils ne veulent pas toucher le cœur des autres, parce qu'ils pensent que c'est dangereux. Ils ont... peur. Alors ils enferment leur propre cœur, ils s'inventent un rôle pour le protéger, en pensant que ça le rendra plus résistant, plus fort. Mais ils se trompent, ça le rend juste... plus seul. Et les cœurs ne sont pas faits pour ça. Aucun cœur n'est fait pour ça."

Dans les fourrés, Bobby, sa sœur et Adam avaient cessé leur course-poursuite imaginaire et se régalaient de quelques fruits rouges qu'ils avaient capturé, à défaut d'avoir saisi Kefka. Ils ne prêtaient aucune attention à Freyja ni à lui. Alors il se tourna vers elle, prenant appui sur le tronc du châtaigner avec son épaule droite. "Vous pouvez faire comme Robin... comme moi." Que manquait-il à Freyja ? Il croisa les jambes et les bras, les yeux toujours rivés sur ceux de la rate, à l'affût de la moindre réaction, du moindre signe. "De quoi avez-vous peur ?"
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Appuyée contre le tronc du vieux châtaignier, les mains croisées dans son dos, Freyja suivait le garçon du regard et l’écoutait poliment. Ses yeux ne quittèrent pas ceux de son vis-à-vis alors que, lentement, l’un de ses sourcils s’arquait au fur et à mesure qu’il parlait. Était-il sérieux ? Allait-il jusqu’à croire que n’importe qui était capable de telle prouesse, pouvant ainsi réconforter les coeurs les plus meurtris. Robin en était capable, ainsi que sa clique, car ils oeuvraient pour le bien commun. Certes, ils étaient des voleurs, des saltimbanques, mais ils partageaient leur butin et leur joie avec les plus nécessiteux. Tel était la différence entre elle et les rebelles, chaque choix de sa vie était d’un égoïsme profond, elle se rendait dans un monde pour satisfaire ses propres ambitions.

Il suffit de penser un instant à sa présence dans la rébellion, ce n’était pas pour libérer son pays où pour s’occuper de Bobby, ses aspirations étaient bien différente en vérité. Chaque jour que Dieu faisait, elle renforçait cette idée. Quand elle est partie à l’orée du bois durant la nuit, ce n’était pas pour monter la garde, que nenni, elle y allait pour elle et uniquement elle.

Pourtant, il y avait un fond de vérité dans ce qu’il disait. Elle ignorait les raisons pour lesquelles Bobby, ainsi que sa soeur et les autres orphelins de ce monde agissaient de la sorte avec la rate. Elle n’était qu’une rebelle, elle opérait pour la rébellion et partait avec les compagnons de Robin afin d’affaiblir Kefka. Elle n’était pas la seule à faire ça, il était une centaine de personnes dans le camp à faire exactement la même chose. Dame Gertrude s’occupait aussi des enfants, jouant avec eux et les aidant à grandir dans ce climat, Freyja ne faisait que l’imité dans le but de voir ce sourire se dessiner sur les regards juvéniles. Ce sourire, elle ne le recherchait pas pour rendre les orphelins heureux. La rate en avait besoin pour avancer, pour continuer de poursuivre sa route vers sa tragédie. Encore une preuve consternante de son égoïsme.

Freyja souffla un instant, abaissant sa tête et fermant les yeux un instant. Elle ne valait pas mieux que l’homme qu’elle désirait tuer dans sa quête de vengeance, un monstre profitant des autres pour avancer.

Sora disait peut-être la vérité, que les coeurs étaient connecté les uns aux autres et que c’était tout ce dont ils avaient besoin pour se renforcer. Il avait raison, seulement dans un seul et unique cas. Quand une personne comme lui, comme Robin, comme Primus ou même Cissneï cherchait à aider ceux dans le besoin. Elle, elle n’était qu’un cancer qui se propageait et rongeait la lumière et l’espoir brillant dans les coeurs d’être fort, un parasite qui ne prenait rien d’autre que ce qu’il voulait sans rien donner en retour. Finalement, il posa la question qu’elle n’avait pas anticipée, cette dernière l’attrapait directement à la gorge.

De… De quoi j’ai peur…
Lentement, son visage se décomposait, devenant blafard et vide d’émotion. La tristesse la rongeait depuis des jours, des semaines voir des mois. Elle était impuissante devant cette situation, devant le constat qu’on l’oublie et que plus jamais personne ne puisse se soucier véritablement d’elle. Allait-elle devenir une coquille vide, un être se nourrissant du bonheur des autres, tant elle semblait prédestiné à vivre dans les ténèbres. Elle ne savait pas se contrôler, elle ne savait plus se contrôler. Une perle naissante au coin de ses yeux gonfla lentement pour finalement chuter le long de sa joue, accompagner par bien d’autre alors qu’elle respirait difficilement.

Ce n’est pas de la peur que je ressens… Non… Ce n’est pas que de la peur, c’est plus viscéral, plus profond que la crainte du noir qu’un enfant peu avoir.
Lentement, la jeune femme relevait le menton en direction de Sora. Chacun de ses yeux étaient vrillés de veines écarlate alors que ses larmes se mélangeaient à la pluie tombant avec entrain sur le duo.

L’avenir me terrorise…
Cela devenait impossible de soutenir son regard, Freyja se retournait pour se cacher, lui tournant le dos pour plonger son visage dans ses mains dans un sanglot.

Quoi que je fasse, quelle que soit la chose que je désire voir naître devant mes yeux, la vie me l’interdit. Qu’importent mes choix, ma route est tracée et je n’ai d’autre option que d’accepter la fatalité qui s’offre à moi. Toute ma vie, elle n’est qu’une vaste blague qui ne me mènera qu’à la perte, les regrets et la tristesse…
Lentement, elle écarta ses mains de son visage, observant ses paumes de longues secondes.

Mes parents sont morts par la faute de Kefka, brûlés vif dans ses flammes et sa folie. Je me suis retrouvée seule, devant les restes fumants de mon passé, la seule chose m’ayant accroché à la vie étant l’homme que j’aimais, Aiden. Sans lui, je n’aurais probablement pas fuit la mort et l’aurait accueilli. Naïvement, j’ai cru que la vie m’avait laissé une seconde chance, pouvoir aimer… Pouvoir vivre.
Les larmes coulaient toujours sur les joues de Freyja alors qu’elle se retournait pour faire face à Sora.

Sauf que, la haine me rongeait, aucun jour ne passait sans que je ne rêve de voir le clown mort. Il l’avait compris, et il est venu ici pour alléger ma conscience. Il faisait attention à moi, il ne voulait que mon bien, c’est pour cela que je l’aime. Et maintenant ? Il est de son côté, il travaille avec Kefka et j’ignore la raison pour laquelle il fait ça.
Passant le dos de sa main sur sa joue, la jeune rate tenta de calmer ses pleurs avant de reprendre dans un sanglot.

Il y a de cela un an, je l’ai retrouvé, sur les remparts de Nottingham. Est-ce que nous nous sommes enlacés pour nos retrouvailles ? Non… Il m’a attaqué et à chercher à me tuer, il ne me reconnaissait pas et me prenait pour un rebelle. Et je vais dire la leçon que j’ai apprise ce jour-là, il n’y a rien de plus douloureux que l’oubli. Nos coeurs étaient liés, pourtant, il ne m’a pas reconnu. Nos secrets, nos projets, notre amour… Il n’y avait plus rien dans son regard, il ne restait plus que la haine qu’il m’adressait.


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En posant cette simple question, "De quoi avez-vous peur ?", Sora se doutait bien qu'il touchait là à quelque chose de profond. Ce n'était pas facile pour tout un chacun d'admettre ses véritables peurs à voix haute, encore plus devant un inconnu. C'était se mettre en danger, admettre sa faiblesse. Mais c'était aussi mettre des mots sur un sentiment, une émotion, commencer à la rationaliser, à l'expliquer et donc à la comprendre. Une étape vitale pour ensuite pouvoir la dépasser.

Et Freyja alla encore plus loin qu'il ne l'espérait. Elle déballait tout, sans s'arrêter sinon pour reprendre son souffle ou calmer ses larmes. Lui la regardait ébahi, captivé par son récit comme par sa franchise. Il l'admirait d'autant plus que si la question lui avait été posée à lui, il aurait sans doute eu bien du mal à y répondre avec autant de sincérité. Depuis combien de temps tout cela la rongeait-elle, sans qu'elle ne l'exprime vraiment ? S'était-elle jamais confiée à quelqu'un auparavant ? Etait-il le premier ? Si oui, il avait un rôle encore plus important à jouer qu'il ne l'imaginait.

Concentré sur son récit et sur le visage de Freyja, il finit par oublier le reste. Lorsqu'elle lui tourna le dos, il se sentit un peu frustré mais assez vite, elle lui fit de nouveau face, dévoilant ses larmes. Il sourit doucement en les voyant. D'autres auraient détourné la tête, par fausse pudeur ou par gêne. Lui les regardait couler le long des joues de la rate, s'en abreuvant autant que des peines qu'elle partageait. Il n'y avait aucune gêne à avoir, tous les coeurs pleuraient, parfois en dedans, parfois, moins souvent, en dehors. Qu'elle ose les lui montrer était un privilège.

Freyja avait choisi de lui faire confiance. Elle avait été franche, du moins le croyait-il. Il s'agissait maintenant de ne pas la décevoir. Il décolla son épaule du tronc et s'humecta les lèvres qui n'en avaient vraiment pas besoin. Bien sûr, il n'avait pas la sagesse de Maître Yen Sid, ni la clairvoyance du Roi Mickey. Mais ce qu'elle venait de lui raconter faisait écho à ses propres expériences et à ce qu'il en avait appris. C'était déjà ça.


"Si il y a une chose dont je suis sûr, c'est que le futur n'est pas écrit. Tout est possible." Il sourit en coin. Comment aurait-il pu imaginer enfant tout ce qui lui était arrivé depuis ? Ses rêves d'aventure avaient été servis, ça oui. "Seul le passé est écrit. Le votre, le mien..." les drames, les rires, les complicités, les révoltes, les peines, les sacrifices, les retrouvailles, les délires, les combats... "ça ne changera pas. Et vous avez raison, il ne faut pas oublier. Ça m'est arrivé, vous savez. De tout oublier." Il soupira et baissa la tête, songeur. "Ça m'a rendu différent. J'ai failli perdre mes amis, et me perdre aussi." Sans Naminé, il n'aurait pas pu se souvenir. Sans elle, il n'aurait plus été Sora, juste une pâle copie.

Il opina du chef, sur de ce qu'il avançait.
"Notre passé nous rend unique. Pas seulement les bons moments, tous les moments tristes aussi. Comprendre nos erreurs, accepter nos choix, c'est important. Ca nous fait avancer. Haïr Kefka, tout garder pour vous sans demander de l'aide aux autres, est-ce que ça vous a apporté ce que vous vouliez ?"

Il avait posé cette question le plus doucement possible. Il connaissait déjà la réponse, bien entendu, aussi continua-t-il : "Ne perdez pas espoir. Vous reverrez Aiden. Même si vous êtes sure du contraire, il ne peut pas avoir tout oublié. Il y a toujours de la lumière, même dans les cœurs les plus sombres, vous vous souvenez ?" Son sourire s'élargit un peu. "Il y a toujours un espoir." Comment pouvait-il le lui prouver ?

Il sembla hésiter un court instant, l'air un peu gêné. Mais Freyja avait été si franche avec lui, il devait à son tour lui faire confiance et lui révéler quelque-chose. "Moi aussi j'aime quelqu'un, et nous sommes séparés. Est-ce qu'on se reverra ? Desfois je me dis que non. Mais quand je me souviens de ça..." Sa main sortit de la poche un coquillage en forme d'étoile qu'il tendit entre lui et Freyja. Au centre de l'étoile était gravée une petite couronne, semblable à celle qu'il portait en pendentif. Et une des branches de l'étoile était devenue une tête, avec des cheveux, des ronds et un grand sourire. "... alors tout redevient clair. Je l'ai déjà revue, je lui ai rendu. Quand je suis reparti, elle me l'a redonné. Alors je la reverrai." Il posa sa main libre sur l'épaule de la rate et dit tout simplement, tout doucement : "Il suffit d'y croire."

La pluie battait toujours sur les feuilles et sur la terre, mais moins vite et moins fort. En tournant la tête vers la canopée, Sora vit que les nuages s'entrouvraient lentement, laissant passer quelques maigres rayons de soleil. L'arc-en-ciel avait gagné en intensité et en couleurs. Il eut un petit rire involontaire et fixa de nouveau la rate, les yeux légèrement embués et le sourire serein. "Il suffit d'y croire."
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Pourquoi avoir parlé, pourquoi avoir tout raconté, pourquoi s’être ainsi exposée devant ce garçon ? Freyja l’ignorait. Cela a été tellement soudain, elle réalisait seulement l’ampleur de ce qui venait de se passer et ce qu’elle venait véritablement de faire ici, sous le vieux châtaignier. Somme toute, ce n’était probablement pas un secret pour quiconque dans ce monde. Il suffisait de voir les regards qu’on lui adressait, tout le monde pouvaient voir que quelque chose clochait chez elle. Il suffisait de regarder Sora, il avait rencontré la rate il y a moins de dix minutes et il avait déjà compris. Il ne suffisait que d’un coup d’oeil pour comprendre, et d’un mot pour ébranler la jeune femme. Et cela aussi, il l’avait bien compris en posant cette seule et unique question, il était si simple de se jouer d’elle. La preuve était là, sous les yeux de tous alors qu’elle tentait vainement de garder la tête haute.

Tentant de conserver le peu de dignité qui lui restait, s’essayant les joues du revers de la main et reniflant bruyamment en observant le jeune garçon qui venait de se redresser. À son tour, il allait lui parler. Qu’est-ce qui sortirait de sa bouche… De la haine et du mépris, comme l’avait fait preuve Primus à son réveil ? Serait-elle prise en pitié, comme l’avait fait le Shérif ? Elle se détestait, se haïssait d’avoir craqué face à cet inconnu. Si elle le pouvait, elle partirait d’un bond et quitterait une fois pour toute la souffrance qui semblait avoir pris possession de son propre corps.

Son esprit cherchait déjà à s’échapper avant même qu’elle n’entende le son de la voix de Sora, et comme il y a peu, son intonation était loin de l’accabler. Que du contraire. Freyja se détendit un instant, posant ses yeux rouges sur le regard du jeune garçon. Ses paroles se voulaient sereine, apaisante et reposante. Comme elle le pensait, il était là pour partager. Contrairement à cette dernière, ayant la mauvaise habitude de prendre plutôt que de donner. Ainsi, elle ne pouvait se tromper sur son compte. Devant-elle se trouvait bel et bien un homme au grand coeur, prêt à lier celui-ci dans l’unique but d’aider. Elle écoutait ses paroles, tentant de les analyser alors que progressivement, les épaules de la rate s’affaissèrent. Elle était tiraillée, que faire ?! Devant elle, elle avait probablement un espoir, probablement infime de croire encore à un bel avenir. Pour une fois de plus, croire en lui malgré les erreurs du passé.

Sauf que cela impliquait à devoir se lier à lui, d’installer dans son propre coeur la tumeur qu’elle était. Pouvait-elle décemment faire ça, lui infliger cela en son âme et conscience. Certaines paroles qu’il avait prononcé il y a peu lui revenaient à l’esprit, tout le monde était capable de faire grandir la Lumière chez n’importe qui. Elle aussi pouvait le faire. Il suffisait qu’elle évite soigneusement de se lier aux autres, ainsi, elle les protégeait à sa façon.

Alors que le temps se dégageait lentement, Sora dévoila aussi l’un de ses secrets. Après son laïus, il sortit une sorte étoile de l’une de ses poches qu’il montra à Freyja. Un souvenir, une relique de sa vie passée afin qu’il puisse se souvenir chaque jour de la fille qu’il aimait. La vue de cet objet chargé de sentiment ne put l’empêcher de se rappeler la ruban qu’elle portait encore récemment au bout de sa queue. Malheureusement, la rate avait déjà fait son deuil la nuit précédente. Elle pouvait continuer à croire, continuer d’espérer après un miracle… À la différence qu’au fond d’elle, une voix lui susurrait que tout était déjà perdu et que oui, ils se retrouveraient une dernière fois. À la différence que seulement l’un d’entre eux quitteraient le château de Nottingham. Il suffisait d’y croire, croire à savoir vivre jusqu’à son dernier souffle, qu’importe l’avenir se traçant devant soit.

Tu as raison Sora, il suffit d’y croire…
Pourquoi lui mentir maintenant, après tout ce qui a été dit ? Simplement pour éviter qu’il ne s’attache à la rate. Ici, au coeur de la guerre, un accident est si vite arrivé. Frejya pouvait mourir demain, ainsi que le mal qu’elle hébergeait. Il n’avait pas besoin de ça.

J’espère que tu retrouveras la fille que tu aimes, dans tous les mondes, rien n’est plus beau comme sentiment.
Freyja adressa un sourire au jeune garçon, un sourire sincère, contrairement à ce qu’elle venait de lui dire. Malgré le fait que ses yeux étaient toujours rouges, que la peine était ancrée dans son coeur, elle ferait le nécessaire pour éviter qu’il ne s’inquiète sur son sort. Il n’en avait pas besoin.

Aussi longtemps que mon coeur battra, je conserverais l’espoir qu’elle vienne te retrouver. Peut-être qu’à nous deux, le destin te donnera un coup de pouce.
La rate tournait son regard, à la recherche des lapereaux et du coq, il ne devait pas être loin et la journée s’avançait. Lentement, ils allaient devoir prendre le chemin du camp des rebelles. Sora avait toujours une mission à accomplir au nom de la Lumière, et il ne valait mieux ne pas prendre de risque inconsidéré sur la route.

Navré de te rappeler à ta mission, mais il serait temps que tu rencontres la Générale. Elle devrait être au camp à l’heure actuel, tu me suis ?


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Progressivement, les larmes s'asséchaient sur le visage de la rate, et les traits de douleur se détendirent au profit d'un sourire. Les mots qu'elle adressa alors à Sora, pleins d'espoir, lui allèrent droit au cœur. Il sut au plus profond de lui qu'il avait réussi. Comme avec la Bête, comme avec Simba autrefois, il avait redonné à Freyja l'envie de se battre pour ce qui lui paraissait essentiel et juste. Peut-être était-il moins fort qu'avant, peut-être qu'il ne pouvait plus voler sur de courtes distances, ou faire des sauts périlleux sans se faire mal en retombant, ou manier deux keyblades, mais tant qu'il pouvait continuer à aider les personnes qui en avaient besoin, tant qu'il parvenait à leur insuffler cet espoir... ça suffisait.

Freyja était forte. Freyja s'en sortirait.

Oui, c'était sans doute ça, son rôle, se dit-il en caressant de l'index une branche de l'étoile qu'il tenait toujours dans la main. Il répondit au sourire qui était dessiné dessus, et à celui de Freyja, avant de ranger précautionneusement le coquillage dans la besace qui l'abritait. Sa main eut un peu de mal à s'en détacher, et il savait bien pourquoi. Le plus beau des sentiments, selon la rate. Sans doute, pensa-t-il. Une chose dont il était sûr, c'est qu'il donnait des ailes. Pour pouvoir voler, il ne suffisait pas juste d'un peu de poussière de fée.

La tête par delà la canopée, dans les nuages qui s'écartaient et blanchissaient, il fut doucement ramené sur la terre ferme quand Freyja évoqua sa mission. Doucement mais un peu trop vite à son goût. Il cligna des yeux, hagard, avant de hocher lentement la tête comme si la mémoire lui revenait.
"C'est vrai..." Avec l'écho d'un sourire, il fit un pas en arrière, puis une révérence en pointant des bras une direction au hasard. "Après v... après toi."

Il ne la quitta pas du regard en lui emboitant le pas. Quoi qu'elle ait voulu, il s'était attaché à elle. Comme à la Bête, comme à Simba autrefois. C'était plus fort que lui - ou, plus simplement, c'était lui.

Ils trouvèrent rapidement Bobby, sa sœur et le coq Adam dans les fourrés d'à côté.
"Faut qu'on y aille ? Déjà ?" se plaignit le lapereau d'une voix léthargique, allongé sur le sol. Sa chasse au clown imaginaire l'avait visiblement fatigué. A moins que ce ne soit sa gourmandise. Il ne restait que quelques baies aux buissons. Sa soeur avait les bras croisés sur la poitrine. "Tu parles d'un héros. Les sbires de Kefka rigoleraient bien en te voyant." "Mais j'avais faim !" "Bobby la Terreur, le ventre bien plein, n'inspirait plus la peur, juste rires et dédain..." chantonna le coq, ce qui fit rire la compagnie, sauf bien sûr le principal intéressé.

Bobby jeta un regard noir à tout le monde, s'arrêtant sur Sora qui, peut-être pour s'excuser de s'être moqué, l'attrapa par la taille et le souleva dans les airs pour l'asseoir à califourchon sur ses épaules. "Hééé, mais j'ai pas b'soin d'un porteur !", geignit l'enfant. Pourtant, comme Sora l'avait supposé, le lapereau ne fit aucun mouvement pour descendre. "Ne t'inquiète pas, on empêchera Adam d'en faire un couplet", tenta-t-il pour le rassurer. Un dernier regard sur le chataîgner, qui avait accepté d'abriter leurs corps et leurs cœurs un instant, et ils se remirent en route, Freyja devant, les autres derrière. Bobby grogna, fourrant une main curieuse dans la chevelure mouillée de Sora. "Comment qu'ça s'fait que tes cheveux ils sont pas complètement trempés ?" "Ah, ça aussi c'est un secret. Aïe !" Sora serra les dents. L'enfant venait d'empoigner un des nombreux pics et de tirer dessus. "Les amis, ça s'dit tout."

Les yeux grands ouverts, Sora tourna la tête vers la gauche, pour y trouver le sourire silencieux de la sœur de Bobby. Alors le lapereau sur ses épaules parut soudain lui peser moins lourd et il augmenta la cadence de ses pas, rattrapant presque Freyja. "Les vrais amis, ça partage tout aussi. Je te le dirai si tu me prêtes ton chapeau." "Hmm... on verra."

Sora sourit. On verra, ça suffisait.


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La Forêt de Sherwood

- Le campement des rebelles -
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Ils n'avaient rencontré sur le chemin aucune résistance, aucun sans-coeur, aucun obstacle. Sora en était presque déçu, lui qui se sentait si bien à cet instant. Il aurait pu pulvériser dix ombres nova à lui tout seul sans sourciller. Allez, peut-être cinq. Bon... au moins une ! La pluie avait totalement cessé et le soleil brillait à travers les branches. Sur le chemin, leurs vêtements avaient commencé à sécher.

Les épaules et le cou légèrement endoloris par le poids de Bobby, Sora s'arrêta brusquement lorsqu'il aperçut un bout de palissade en bois que la végétation touffue de la forêt lui avait dissimulé jusque-là.
"Le camp ?" s'interrogea-t-il à voix haute. Un Bobby neurasthénique lui répondit "Hm-hm". Ce camp était rudement bien caché, pensa le jeune envoyé de la Lumière. Même avec la carte, il aurait eu bien du mal à le trouver sans aide. Il ne voyait pas d'entrée, même si il se doutait qu'elle n'était pas loin. En revanche, en tendant l'oreille, il entendait le fracas des armes et des armures mêlés à des grognements, des encouragements et des ordres. Les rebelles devaient être en plein entraînement.

Et c'est ce simple bruit de combat, même factice, qui le ramena à la réalité de ce monde, dans toute sa dureté. Un monde de la Coalition Noire, sous le joug d'un fou. Un conflit brutal, qui affamait les innocents, tuait les braves. Une Générale de la Lumière qui s'était impliquée personnellement et passionnément, à ce qu'on en disait au Château Disney. Et lui, qui débarquait là comme une fleur pour lui dire que c'était fini. Qu'elle devait tout arrêter et rentrer.

Il n'était pas sûr de la réaction de Ravness, encore moins des siennes. La capitaine Fiona avait-elle bien fait de l'envoyer lui ? Le froid le saisit soudain, serrant son ventre, sa poitrine, ses jambes et ses bras. Mince, il n'avait quand même pas attrapé un rhume ?

"Freyja..." lança-t-il pour interpeller la rate devant lui. Avec un sourire figé, les lèvres un peu tremblantes et le regard évasif, il lui demanda : "Toi qui cotoies la Générale depuis si longtemps... un conseil à me donner ?"

Il attendit la réponse, même si ce fut difficile. Car ce n'était pas seulement ses lèvres qui tremblaient, c'était tout son corps. Des convulsions faibles pour l'instant, mais qu'il ne parvenait pas à maîtriser, un froid de plus en plus glacial qui le prenait à la gorge. *Oh, non.* Il déposa Bobby à terre pour éviter qu'il ne s'en aperçoive et lui adressa un clin d’œil, l'air de rien, en écoutant Freyja. Puis il hocha la tête, déglutit et s'éloigna du groupe. Heureusement, il contrôlait encore ses jambes.

"Désolé, il faut que.. enfin, vous voyez. C'est urgent !" mentit-il avec un sourire crispé de façade. "Allez-y, je vous rejoins tout de suite !" Et sans attendre de réponse de leur part, il fila à toute vitesse entre les arbres, à la recherche d'un refuge, un buisson, une caverne, une cabane, n'importe quoi. Son cœur le serrait si fort qu'il réprima tant bien que mal un cri.

*Pourquoi maintenant ?* répétait-il dans sa tête en courant, haletant. Sa vision se troublait, il ne sentait plus ses doigts, il devait les regarder pour s'assurer qu'ils étaient encore là. Ils l'étaient. Ils étaient noirs.

Se trouvait-il assez loin du camp ? Assez loin de Freyja, de Bobby et des autres ? Où était-il ? Ses jambes étaient gelées, dures comme du béton. Il tomba à la renverse dans les fourrés, un bras noir tendu vers le ciel. Une faim insatiable lui tiraillait le ventre.
*Non !*

Alors pour lui, le ciel devint noir. Et l'espace d'un instant, Sora perdit conscience de ce qu'il était.
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À mesure que la compagnie approchait, les bruits de l’entraînement parvenaient aux oreilles de Freyja. Parfait, se disait-elle, elle aurait le temps de guider Sora à la tente de la Générale pour ensuite s’éclipser. Menant la marche, silencieuse et tenant la hampe de son arme sur l’épaule, la rate ignorait ce qu’elle pouvait répondre à la question du jeune homme. Il est vrai que les deux femmes se côtoyaient dans le camp des rebelles depuis une année, néanmoins, elles n’étaient jamais resté dans la même tente plus de cinq minutes. Quand cela arrivait, la rate évitait soigneusement son regard et la bande de Robin devait agir comme un médiateur entre les deux dames. À moins d’inviter l’envoyé de la Lumière à éviter de croiser son chemin, elle n’avait rien d’autre à proposer. Le visage détendu, Freyja répondit avec un sourire au coin des lèvres.

Tu t’adresses à la mauvaise personne, je passe plus de temps à fuir sa compagnie qu’à la chercher. Mes conseils s’approchent plus à des malices.
Adam rythma mes paroles à un sifflement, un sourire large sur son bec alors que les deux lapereaux pouffaient dans leur patte. La rate avait prononcé ses phrases en se retournant, et elle remarqua seulement les réactions du jeune homme. Il semblait, différent de tout à l’heure. N’empêchant pas Freyja à se questionner, elle voulut l’interroger sauf que ce dernier prétexta une raison pour s’enfuir dans les fourrées.

- Sora le sauveur, rattrapé par son déjeuner, s’en alla et redoubla d’ardeur, quand il fallut le digérer…
- Qu’est-ce que tu dis Adam ?
- Nous avons droit à bien meilleur d’habitude !
- Nous n’avons pas tous profité des baies, et l’heure du déjeuner s’annonce avec gaieté dans mon gosier.

Perplexe, oubliant presque la présence des compagnons de Robin, Freyja observait la course du jeune homme dans les bois jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière une branche d’arbre au loin.

Les enfants…
Le regard de la rate quitta finalement le coeur de la forêt pour s’adresser aux lapereaux, elle fléchit ses jambes pour se mettre à hauteur de leur visage, un sourire traversant le siens.

- Vous pourriez prévenir la Générale avant de retourner voir Dame Gertrude, pour moi ?
- T’évites encore Primus ?
- On ne peut rien te cacher… Mais avant cela, je dois retrouver notre ami, il ne faut pas qu’il se perdre dans la forêt.

Bobby, ainsi que sa soeur se mirent au garde-à-vous et firent une croix sur leurs coeurs avant de se retourner et courir dans le camp des rebelles. Suivis de prêt par Adam, maintenant son chapeau sur la tête alors qu’il courrait pour rattraper les enfants. Faire la course à un lapin, en voilà une idée saugrenue. Dorénavant à l’abri dans le camp de Robin, Freyja pouvait se permettre de suivre Sora dans la forêt. Ce n’était probablement rien, il avait juste besoin de satisfaire un besoin naturel. Seulement, le comportement du jeune homme était bien étrange, ce qui motivait la rate à suivre les traces laissées par le garçon dans la forêt.

Avançant à pas feutré, l’habitude à être discrète quand il faut sortir du camp, Freyja suivait la piste laissée par le jeune homme. Les traces de ses pas dans le sol humide suite à la pluie, quelques branches cassées à son passage et finalement, la marque d’un corps ayant chuté dans la boue.

Fléchissant ses jambes, la rate s’arrêta face à la trace et glissa ses doigts dans la boue. Elle n’était pas une traqueuse, seulement, elle pouvait faire le rapprochement des empreintes dans le sol et la taille des chaussures que portait Sora. Alors que son regard continua la course des empreintes, elle remarqua aussitôt d’autre trace, plus fine, qui s’écartait légèrement. Non, ce n’était pas possible. La gorge serrée, la rate s’avançait et cru comprendre qu’il s’agissait d’une autre personne, d’autre chose.

Non…
Le craquement d’une branche se fit entendre derrière elle, instinctivement, elle se retourna et pointa le bout de sa lance dans la direction du bruit. Les yeux rouges et la boule au ventre, elle distingua difficilement le sans-coeur qui se tenait devant elle. Plus grand que ce qu’elle voyait d’habitude, ses bras proches du sol alors que ses yeux transpercèrent le regard de Freyja. La jeune femme eu le souffle coupé quand elle distingua la coupe de cheveux propre au jeune homme qu’elle venait de quitter.

Sora…? Est-ce que c’est toi…?


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"Sora, est-ce que c'est toi ?" répéta la forme noire dissimulée dans les fourrés, d'une voix aigüe semblable à celle d'un félin. Ses yeux jaunes scrutaient la rate, épiaient ses moindres mouvements. A quatre pattes, elle semblait prête à bondir sur sa proie à tout instant. Elle redressa les jambes, comme au départ d'une course...

... et se mit debout sur ses pieds pour étirer paresseusement ses bras.
"Aaaaaah ! Ça fait du bien d'être libre !" La voix était toujours aigüe, subtilement menaçante. Des filaments noirs fuyaient de ses vêtements noirs au niveau des jambes et des bras. Elle adressa un grand sourire à Freyja et bondit très vite en direction d'un arbre, qu'elle escalada aisément de ses griffes acérées pour se retrouver à 3 mètres du sol, debout sur une grosse branche, à toiser la rate de haut. Tout ça semblait l'amuser au plus haut point.

"La petite curieuse, la petite fouineuse que voilà. Il ne va pas être content que tu l'aies suivi, tu sais. Ça tombe bien, je le préfère en colère ! Quand il est gentil, il est d'un ennuiiiiiii." Elle ponctua cette dernière phrase d'un baillement prononcé et se laissa tomber de la branche pour s'y suspendre, avec juste un pied. "Je m'amusais plus avec le Modéré Noir. Lui avait choisi de m'accepter." Tête à l'envers et bras ballants, elle rit en dévisageant la rate. "Tu ne comprends rien, pas vrai ? Sora est de l'autre côté du miroir... et il ne reste que moi. Tu sais, il n'a plus vraiment...." elle plaqua ses deux mains griffues sur ses joues.. "toute sa tête !"

Elle enleva son pied de la branche et retomba au sol sur ses quatre pattes, un sourire carnassier aux lèvres, droit devant Freyja "C'est un peu de ma faute. Mais chuuut" Elle mit une griffe devant sa bouche. "C'est un secret. Tu ne vas pas le répéter, pas vrai ? Il n'aimerait pas. Moi non plus. Non, je vais te tuer." Elle se grattait pensivement le menton sans cesser de sourire. "Et aspirer les ténèbres de ton cœur. Oh oui ! Ça fait si longtemps, et le tien est si attirant."

Sans attendre, elle s'élança vers Freyja et esquiva la lance au dernier moment pour aller se fondre dans les fourrés alentour. On entendit alors ses pas par ici ou par là, et sa voix aigüe qui chantonnait :

"Fleurpageooooons
Les rhododendroooooves
Gyyyyraient et gygemblaient dans les vaaaaabes"



ↈ     ↈ     ↈ

Sora reconnaissait cet endroit. Une haie coupée par un petit portillon en bois. Derrière, sous un ciel de papier peint, une longue table rectangulaire, et sur la nappe rose, des théières, de la fumée. Autour de la table s'affairaient un lièvre en chemise rouge et un petit vieillard aux cheveux gris qui débordaient de son grand chapeau vert.

Que faisait-il ici ? Il poussa difficilement le portillon et s'avança, ou flotta, vers le grand fauteuil pourpre qui bordait la grande table. Il y avait une petite maison en pierre et au toit de chaume pas loin. Sa tête tournait un peu, il décida de s'asseoir un instant. Alors le vieillard et le lièvre s'aperçurent de sa présence et approchèrent de lui en courant, visiblement affolés :
"Pas d'place pas d'place pas d'place pas d'place !" Le lièvre s'arrêta net, bloquant l'avancée du vieillard d'une main. "Attendez, chapelier ! Bien sûr qu'il a sa place ici ! C'est le Roi !" "Le Roi ?" s'étonna le chapelier avec emphase. "Mais non ! Le roi de coeur est bien plus petit.. et fin... et beau !" Il plaquait une main sur sa poitrine pour paraître plus docte. "C'est le ROI !" insista le lièvre en s'approchant de Sora pour tirer sur son pendentif.

"Arrêtez", fit mollement Sora. Il n'avait pas l'énergie de résister. Heureusement, le lièvre cessa son manège. "Excusez-moi, majesté ! Vous êtes toujours le bienvenu ici." Les paupières de Sora semblaient peser des tonnes, il avait bien du mal à les garder ouvertes. Son regard traina sur le lièvre, le ciel qui s'assombrissait encore, la table fumante avec ses théières, et au beau milieu de la nappe, a travers le brouillard causé par la vapeur d'eau, quelque-chose qui brillait.

Quelque-chose qui l'attirait. Il tenta de se lever mais le lièvre le repoussa dans le siège
. "Nous sommes à votre service, votre majesté. Mais dites-moi, pourquoi cette visite ? Est-ce votre anniversaire ?" "Ha-ha, que vous êtes bête !" s'interposa le chapelier en agitant la main. "Nous n'aurions pas oublié le jour d'anniversaire du Roi." "Mais oui, vous avez raison ! Alors il faut célébrer ça !"

Ils s'éloignèrent tous les deux de l'autre côté de la table. Sora en profita pour se lever et s'approcher de l'objet qui brillait. Autour de lui, les haies s'asséchaient, passant à marron, puis noir. Lorsqu'il fut assez proche, il reconnut l'éclat vert de l'objet. C'était un fragment de la Pierre Angulaire.

Un tremblement de terre soudain le fit trébucher. A sa gauche, la petite bicoque s'effondra aussi facilement qu'un château de cartes, soufflée par une force invisible. Deux cris de pure terreur percèrent l'air, aussi vifs que brefs. Lorsque Sora se releva, les haies étaient calcinées, la nappe en lambeaux. La vapeur d'eau était devenue cendre et flottait alentour. Un froid glacial le saisit. Toute couleur avait disparu des environs, sauf l'éclat vert du fragment qui trônait toujours, tranquille, au milieu de la table.


"Majesté ? Majestééé ! Où êtes-vouuuus ?" clamèrent en choeur deux voix presque familières. Elles avaient gagné en menace ce qu'elles avaient perdu en folie. Main sur le front, Sora tentait de distinguer quelque-chose à travers le rideau de fumée noire. "Majesté ! On doit célébrer !" "Oui ! Une joyeuse mort à moi !" "A vous ! A vous, majesté !"

Sora sauta sur ce qu'il restait de la table et tendit la main pour récupérer le fragment. Dès qu'il l'eut saisi, une bourrasque soudaine et puissante renversa tout. Propulsé dans les airs, il lâcha le fragment et chuta lourdement au milieu des théières fracassées, dix mètres plus loin.


Dernière édition par Sora le Sam 3 Déc 2016 - 16:05, édité 1 fois
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Durant quelques instants, tournant sur elle-même au milieu de cette clairière avec son arme brandi, Freyja cherchait l’origine de cette chanson. L’endroit où pouvait se cacher le sans-coeur à l’effigie de Sora. Que pouvait-il bien s’être passé en aussi peu de temps. Les idées, les choix se bousculaient dans la tête de la jeune rate. Qu’allait-elle faire maintenant, une chose était sûre, elle n’allait pas se laisser dévorer par cette ombre. Qu’il s’agisse du jeune garçon où non, elle avait encore bien des choses à faire. Son heure n’avait pas encore sonné. Restant sur ses gardes, la rate fléchissait ses jambes avant de bondir en direction d’un arbre afin de prendre appui sur ce dernier et profiter de l’élan pour sauter sur l’épaisse branche qu’occupait l’ombre juste avant. Balayant la zone d’un regard, elle ne distinguait toujours pas le sans-coeur et réitéra son action afin de changer de position, garder son avantage.

Conserver l’avantage du terrain, une vaste blague. En se jouant d’elle, l’ombre avait présenté l’étendue de ses capacités en grimpant à l’arbre aussi facilement. Recroquevillé sur elle-même, se cachant dans les branchages d’un arbre, la rate posa délicatement la hampe de son arme contre la branche et bloqua sa respiration. Se cacher, écouter, trouver son ennemi.

Ennemi, où ami…? Une chose était sûre, il s’agissait bien de Sora. L’ombre l’avait confirmé en menaçant la rate d’aspirer ses ténèbres. Tu parles d’une journée, en l’espace de deux heures, elle avait eu droit à la thérapie d’un jeune coeur lumineux pour ensuite avoir à le combattre au fond de cette forêt. Reprenant une longue bouffée d’air, elle priait intérieurement que tout cela ne soit qu’une vaste blague et qu’elle allait bientôt se réveiller sur le sol miteux de sa tente. La joie, la tristesse, l’espoir d’un avenir. Elle préférerait que cela reste du domaine de l’onirisme, seul endroit où elle pouvait s’échapper sans crainte, sans être tiraillée comme elle l’était à cet instant.

Après une courte inspiration, elle discernera un bruit venant de derrière elle, en contrebas. Avait-il découvert la position de la rate ? Aucune idée. Resserrant l’emprise sur sa hampe, elle s’apprêta à attaquer. Heureusement qu’elle avait pensé à faire partir les enfants, les faire rejoindre Ravness. Elle, elle serait capable de protéger les héritiers de ce monde. Freyja serait incapable de combattre en sachant les lapereaux aussi proches, elle serait incapable de les défendre. Se relevant d’un bond, la rebelle se tourna sur elle-même et amena son arme derrière l’épaule avant de lancer sa hallebarde à l’endroit d’où venait de le dernier bruit entendu. L’arme fila dans les airs et se planta dans le sol. Aucune idée s’il était à cet endroit, Freyja bondit de sa cachette et posa la plante de son pied au sol un instant avant d’empoigner la hampe de bois et balayer l’air autour d’elle avec le plat du fer de l’arme.

Il n’était probablement pas ici, sauf que maintenant, il savait ou se trouvait la rate. Ramenant l’arme le long de son bras, la lame à proximité de sa main, la rate se tenait droite et attendait la prochaine action de l’ombre. Elle ne devait pas le blesser, éviter de le tuer. Le nom de Crescent était déjà associé à la traîtrise, elle n’allait pas ajouter la mort de Sora à cette liste.

Pourquoi te cacher…? La fouineuse te fait peur, où tu es effrayé par ce qui se trouve de l’autre côté du miroir.
Tournant la tête, cherchant dans les buissons après un mouvement où un bruit.

Il est facile de chanter, de rôder dans les buissons. Seulement, quand il faut agir… C’est une autre histoire.
Le provoquer, l’attirer, le contenir. La Générale est au courant que Sora est ici, et elle sait que Freyja est avec le héros des temps passés. La haine qu’elle éprouve pour la rate la fera venir. Elle, elle sera capable de protéger les héritiers de Sherwood, contrairement à la rate. Dorénavant, tout est une question de temps, contenir les ténèbres le temps que la lumière brille.


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L'ombre s'amusait follement. Devait-elle s'amuser ? Elle n’était pourtant pas faite pour ça. La, c’était plus fort qu'elle. Observer la rate qui la traquait, la regarder prendre de la hauteur, deviner son angoisse. Passer discrètement de fourré en fourré, sentir ses muscles se contracter et se détendre, leur force, leur potentiel. Apprécier la grâce de ses déplacements, l'odeur de la terre mouillée, la saveur de l'air frais. Oui, elle était libre, elle était vivante. C'était plutôt agréable, en fin de compte.

Grisant.

Elle n'était pourtant pas faite pour ça, et elle le savait. Elle se servait d'un corps qui n'était pas le sien, qu'elle manipulait comme un pantin, a qui elle faisait dire ce qu'elle voulait. Ou peut-être que ce corps se servait d'elle, en lui imposant toutes ces sensations pour la distraire ? Elle ne devait pas perdre de vue son objectif : aspirer les ténèbres des coeurs. Mais tout ça était si nouveau, si excitant ! Pourvu que ça dure ! Emportée par ses nouvelles passions, l'ombre noire gesticula et fit craquer une branche.

Ennuyeux.

Elle eut la présence d'esprit de s'enfuir, en prenant bien garde à rester hors de vue de la rate. Elle se dissimula derrière un gros tronc et vit la lance de son adversaire se planter pile a l'endroit qu'elle venait de quitter. L'ombre retint un rire, submergée par du... soulagement. Rigolo comme sentiment : pour un peu, elle en aurait tremblé. Il y avait une certaine joie à se laisser bercer par les sensations.

Ayant retrouvé un peu de raison, elle décida de grimper au tronc, du côté que Freyja ne pouvait voir. La rate s'adressait a elle... que cherchait-elle donc a accomplir ? La faire douter ? L'agacer ? Ce serait si nouveau, ça aussi, si frais ! D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle ressentait la ? Cette petite froideur au niveau de la nuque...

Freyja. Misérable créature ! Comment osait-elle ? L'ombre ne pouvait pas ressentir de peur, elle ÉTAIT la peur ! Elle était une arme qui avait terrorisé des milliers de coeurs pour s'en repaître. Elle portait en elle leurs ténèbres. Et pourtant, la rate avait visé dans le mille, car l'ombre savait ce qu'il y avait de l'autre cote du miroir. Pourvu qu'il ne revienne pas, pourvu qu'elle reste libre, en contrôle. Cet imbécile ne comprenait rien à rien. Tout ce potentiel gâché...

Lovée sur la branche branche qui surplombait la scène, l'ombre sourit en observant Freyja. La misérable rate n'avait pas pense a regarder au dessus. Elle se concentra. Elle était si puissante autrefois, et elle se sentait si forte maintenant, capable de mille prouesses. Les ténèbres irradiaient en elle, elle souhaitait en extraire un échantillon, rien qu'un miasme noir et grouillant qui, projeté sur la rate, la dévorerait doucement, lentement de l’intérieur. Ça allait être un beau spectacle !

Mais rien ne se produisit, a sa grande surprise. L'ombre comprit alors l’évidence : l’âme de Sora n’était pas la seule a lui résister ! Son corps était si faible, et elle en était prisonnière. Bouillonnante, elle lacéra la poitrine-prison de ses griffes. La douleur décupla sa rage. Elle n'avait que faire de ce carcan qui limitait ses capacités et obscurcissait son jugement avec toutes ces sensations.

Elle devait s'en débarrasser, mais elle ne pouvait pas tuer Sora. Non, pour qu'elle puisse s’échapper de ce corps et survivre, il fallait que ce soit quelqu'un d'autre.

Alors elle sauta de la branche, tomba comme une araignée, droit sur Freyja et sa lance, en criant un souvenir ancien de son hôte :
"C'est toi le chat !" Elle n'avait rien a perdre. Si Freyja était assez rapide, c'en serait bientôt fini. Sinon, elle la mettrait a terre et lui ouvrirait le ventre de ses griffes. Elle lui tailladerait le cœur pour mieux en aspirer l’intérieur.

ↈ        ↈ        ↈ

"Majestééééé !"

Sous la violence de la bourrasque, Sora avait fait un beau vol plané de l'autre côté de la haie noire. Il se releva difficilement. Bizarrement, il ne ressentait aucune douleur, juste une immense fatigue. Hagard, il chercha des yeux le fragment auréolé de vert. Il était là, à quelques mètres à peine. Il voulut courir pour l'attraper, mais alors qu'il était certain d'aller dans la bonne direction, il le voyait s'éloigner.

Il reculait... et il tomba dans les bras du lièvre. Il était noir, les oreilles crochues, les yeux exorbités et ses dents de devant, effilées, blanches, raclaient presque le sol.
"Majesté, il faut célébrer votre mort !" "Pas..maintenant. Pas le temps." "Le temps ? Le TEMPS ? Mais qu'est-ce que le temps ? Pour nous, demain est déjà hier ! Allez, venez !" La poigne du lièvre était féroce, il commençait à l'entraîner. Sora ferma les yeux, et tout autour de lui émana une onde lumineuse qui fit tomber le lièvre à la renverse. Profitant du court répit, Sora recula, donc avança, mais il était lent, trop lent, même s'il courait.

Le fragment était presque à portée de main. Il pulsait, désireux d'être attrapé et de rejoindre le tout dont il avait été extrait. Sora ressentait cette attraction lui aussi. Mais un grand papillon bleu qui passait par la fondit dessus et l'attrapa de ses pattes noires. Sora eut juste le temps de s'accrocher à la queue du papillon qui reprenait déjà son envol. Très vite, ils furent à une dizaine de mètres du sol. Le poids du jeune homme ne semblait aucunement lester le papillon, qui fila entre les arbres de la forêt toute proche. Le vent était tranchant. Suspendu, Sora vit les troncs pourris et l'herbe desséchée. Il entendit des fleurs rabougries entamer un chant lugubre :


"Il ne faut entendre nos avis

Car nous sommes la laideur du mooonde
en cette nuit de décembre griis"

Le papillon prit de la hauteur, laissant à Sora l'occasion de contempler le désastre. Le noir grignotait tout, asséchait tout. Le château de la Reine, au loin, se faisait ruine. Les couleurs vivaces ternissaient. La mer agonisait par saccades, il n'y avait presque plus de vagues. Le Pays des Merveilles sombrait dans les ténèbres.

Il ne devait pas rester là. Il se balança pour accrocher de sa main libre le fragment que tenait le papillon. Soudain, celui-ci sembla réaliser qu'il avait un passager clandestin. Il tourna sa gueule bougonne vers lui et, tout rouge, lui lança :
"Dites donc, jeune homme, je ne vous ai pas invité !" "Ce... cette pierre est à moi." "Ah oui ? Il y a votre nom dessus ? Allez ouste, du balai !" Le papillon secoua corps et ailes si violemment que Sora lâcha prise et chuta vers la forêt. La tête tournée vers le ciel sans étoiles, il vit le papillon filer vers une falaise, l'air satisfait, avec sa cargaison.

"Non. Le fragment..." fit Sora d'une voix endormie avant de s'écraser au sol.
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Dans sa chute, fondant vers l'hybride, l'ombre ouvrit ses doigts comme des serres. Les volutes de ténèbres dansant dans son sillage firent de son atterrissage la plus sinistre des chasses. Mais l'oiseau noir n'atteignit jamais sa cible. Un mètre au-dessus de celle-ci, l'ombre fut propulsée à toute vitesse dans une autre direction, incapable de contrôler sa trajectoire, volant à travers la forêt sur une vingtaine de mètres. Diligemment, la créature se rapprocha de la main droite que levait Général Primus devant elle, comme un salut, faisant plier le corps du sans-coeur à la moindre de ses volontés.

Lorsqu'il fut à deux mètres d'elle, toujours attiré vers sa main, Ravness  « le » fit apparaître dans sa main gauche. Pour les autres, ce fut une douleur éblouissante, un éclair lumineux brûlant la rétine produit par son invocation, les empêchant de le remarquer aussitôt. Pour elle, c'était un bouclier blanc pourvu de deux ailes repliées sur lui et d'un coeur, une sphère où pivotait la lumière d'un phare, brûlant tous les ténèbres dans son halo. Si ce flash suffit à arracher un cri à la créature, rien ne put arrêter l'attraction qu'il subissait, le guidant jusqu'à Ravness... Rien si ce n'est une lumière ô combien plus puissante, une explosion blanche qu'elle ne ressentit aucunement, qui ne souffla pas le moindre brin d'herbe, qui ne balaya pas la première feuille... mais qui projeta ce qu'il restait de Sora à une dizaine de mètres, le laissant s'écraser avec violence.

La jeune femme en armure, sans la cape qu'elle avait si souvent portée ces dernières années, regarda avec ce seul bouclier en main le héros, au sol, meurtri. Elle n'aurait pas pensé se servir du bouclier des valkyries contre lui, toutefois elle était contente de ne pas s'être entraînée à le maîtriser pour rien. Sa maîtrise de la lumière restait maladroite, car la magie qu'elle utilisait était d'une puissance qui la dépassait absolument. Toutefois, elle se laissait convaincre que face aux ténèbres, rien ne pouvait être trop extrême.

Ignorant jusqu'à la présence de Freyja, la garde de la lumière marcha de son pas lourd vers le sans-coeur, le bouclier contre le corps.


« On m'avait prévenue. »

La générale fit un mouvement sec de la main droite, faisant apparaître son épée longue dans sa poigne. Si elle devait planter celle-ci dans la jambe de l'ombre pour l'immobiliser, elle le ferait sans trop sourciller. Elle ne parvenait pas encore à utiliser la magie de son bouclier et se concentrer suffisamment pour utiliser ses pouvoirs psychiques... aussi allait-elle opter pour une méthode plus frontale.

« J'ai le moyen de vous débarrasser de cet être, Maître Sora. Je vais finir ce que la Pierre angulaire de la lumière a entamé. »

Général Primus se rapprocha encore de la créature, avant de n'être plus qu'à cinq mètres de cette dernière.  Elle prit une longue inspiration, fronça les sourcils davantage et s'avança. Ulthane lui avait assuré que son bouclier purifiait les coeurs, et en effet les sans-coeurs, au seul contact avec son bouclier, finissait par imploser.
S'il restait un peu de lumière et de courage dans le coeur de l'élu de la keyblade, il pourrait survivre à cette purification. Elle-même l'avait fait, lorsqu'elle avait accepté de porter le bouclier des valkyries.

Une fois qu'elle aurait posé son égide sur le corps de cette créature abominable, Sora serait sauvé et pourrait de nouveau combattre les ennemis de la paix. Dieu les avait unis, tous les deux. Elle pour le sauver, lui pour donner une chance à son entreprise.
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Freyja avait fait tomber sa lance au sol, le halo de lumière projeter par la Générale avait toucher de pleins fouets l’ombre du héros, mais elle aussi. L’instant même ou l’attaque traversa le corps de rate, une douleur brûlante avait prit place dans son coeur. Alors que la femme au bouclier passait devant elle, l’ignorant comme à son habitude, la rebelle tenait difficilement sur ses jambes. Son souffle était court, sa main tordait ses vêtements alors qu’elle tenait fébrilement sa poitrine. Tétanisé, impuissante, elle n’avait d’autre choix que de voir l’envoyée de la Lumière s’approcher de son pas lourd du corps fait de ténèbres.

Devant ses yeux, une scène se répétait : le visage inquisiteur de Primus, s’improvisant juge et bourreau au coeur de la Forêt de Sherwood. Brandissant son arme ainsi que son bouclier, jurant vouloir aider alors qu’elle n’allait faire rien d’autre que d’administrer sa propre justice.

Non…
Freyja avait parler dans un soupir, imperceptible pour les deux autres acteurs de la scène. Soufflant un long moment, elle s’abaissa et empoigna la hampe de son arbre et bondit un arrière. Tournant sur elle-même dans les airs afin de prendre appui sur un tronc d’arbre, la jeune femme se propulsa en hauteur pour ensuite amener son arme derrière l’épaule et jeter une nouvelle fois sa lance de toutes ses forces. L’arme parcourue son chemin pour se planter entre les deux opposants, marquant une délimitation, avant que Freyja n’atterrisse à son tour prêt de son arme en tendant les bras dans le but de couvrir l’ombre.

Générale, cessez d’agir ainsi !
Elle fit dos à l’ombre, certainement une erreur, alors qu’elle défait une nouvelle fois la Capitaine des gardes. Cela aussi était probablement une erreur, qu’elle avait déjà commise une fois par le passé et qu’elle s’apprêtait à commettre de nouveau.

Pourquoi vous évertuez à décider à la place des autres, infliger votre propre jugement ?! Vous agissez comme une hors-la-loi, juge, juré et bourreau en vous cachant derrière une idéologie que vous poussez à l’extrême.
Elle sentait le poids du regard de la Générale s’abattre sur elle, toute la haine qu’elle devait accumuler depuis une année ne tarderait pas à retomber sur la rebelle. Et dans son dos se trouvait une créature qui l’avait attaqué il n’y a pas moins de deux minutes, dans ce cas présent, même le shérif serait incapable de la protéger de sa sottise.

Vous ne trouverez pas Sora derrière moi, et ce n’est pas lui que vous aiderez en agissant ainsi. Ne rentrez pas dans le jeu des ténèbres en vous attaquant à cette chose…
Dans un mouvement rapide, Freyja attrapa son arme et la pointa face à Primus. Elle ne faisait rien de plus qu’honorer le titre qu’on lui avait donnée il y a de cela une année, même si à cet instant, elle ne se considérait pas comme t’elle.

Et je n’hésiterai pas un instant à protéger Sora de vous et attendre qu’il revienne de l’autre côté du miroir…
Elle n’avait qu’un seul regret à cet instant, c’était celui de tourner le dos à l’ombre du héros. En un instant, elle pouvait fléchir par ses attaques en défendant l’indéfendable. Seulement, qu’importe la chose se trouvant dans cette forêt, Freyja était persuadé de Sora se trouvait toujours derrière et qu’il empêcherait la bête de faire quoi que ce soit contre elle.


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"A ton tour, Tweedledee."

Tweedledee tendit sa main potelée vers l'échiquier mais la garda en l'air, immobile. Il était sûr d'avoir vu quelque-chose bouger là, au bord de la petite clairière peu éclairée où ils se trouvaient avec son frère.


"Un... un sans-cœur..." fit-il en tremblant, cherchant du regard l'intrus. Son frère jumeau ne parut pas ému. La main noire sur son menton noir, Tweedledum observait de ses yeux jaunes les pions qui restaient sur l'échiquier, pensant à son prochain coup.

"Je te dis qu'il y a un sans-c... ah, non. C'est juste un jeune fantôme." Rassuré, Tweedledee agita la main pour saluer Sora. Il lui fit même un grand sourire.
"Tu veux lui raconter l'histoire du Père François ?" demanda Tweedledum sans lever les yeux de l'échiquier. "Oh non. Les enfants ne l'écoutent jamais jusqu'au bout. Bonjour !" "Bonjour", répondit Sora, fourbu. "Je dois aller à la falaise." "Elle est par là", firent les deux frères en montrant chacun une direction différente. Tweedledum gardait les yeux braqués sur les pions.

Sora soupira et observa un instant les deux bonhommes. L'un portait une casquette rouge où était plantée un petit drapeau vert. Des cheveux roux débordaient sur les côtés. Il arborait un grand noeud papillon bleu sur une chemise jaune. Il y avait marqué Tweedledee sur le col de sa chemise. L'autre était un sans-cœur.


"- Qu'est-ce que vous faites ?
- Ça ne se voit pas ? Nous jouons aux échecs.
- Marre de la bagarre.
- Et du furet. Donc, les échecs.
- C'est logique !
- C'est logique ! Mais on ne peut pas terminer cette partie.
- Pourquoi ?
- Le roi ne veut pas être pris. A ton tour, Tweedledee !
- Oh, pardon."

Tweedledee hésita un instant sur le pion qu'il devait déplacer : le cavalier ou le roi. Ils étaient noirs tous les deux, face à la reine blanche.
"Hmmmm.... " Sora fronça les sourcils en examinant les pièces que l'échiquier bien poli réfléchissait. "Il faut pas deux rois pour jouer aux échecs ?" "Il n'y a qu'un seul vrai roi. C'est logique. Ah !" Tweedledee claqua des doigts et déplaça le cavalier noir pour l'interposer entre le roi noir et la reine blanche, l'air tout content. Son frère sans-cœur souffla par son petit nez rond. "Tu sacrifies le cavalier ?" "Je n'avais pas d'autre solution", se défendit Tweedledee. Tweedledum haussa ses épaules noires : "Bah, quelle importance..."

En observant de nouveau les pions, Sora constata avec stupeur que le roi était maintenant de couleur blanche. Et à y regarder d'encore plus près, ce roi avait une couronne très familière.

"Ah..."
"Le roi ne veut pas être pris", soupira Tweedledee en prenant sa tête ronde dans ses mains. "Ça va durer des siècles."
La vision de Sora se troublait. Le fragment de la pierre angulaire devait être trop loin maintenant. Il ne percevait presque plus son appel.
"C'est mon tour maintenant", fit le sans-coeur en tendant la main au dessus de l'échiquier.


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L'ombre rit. Elle ne pouvait faire que ça. Elle rit d'avoir été surprise par cette monstrueuse lumière. Elle rit de son impuissance : à son tour d'être manipulée comme une marionnette, dans ce corps si faible et brisé. Étalée sur le sol de feuilles, elle était à la merci de son ennemie de toujours. Cette fois-ci, son ennemie avait pris la forme d'un démon en armure.

"La.. la reine de coeur..." gronda-t-elle entre deux soubresauts hilares. Elle s'adressa à Freyja sans parvenir à regarder dans sa direction. "Méfie-toi, petite. Elle va nous couper la tête. Parce qu'elle est folle ! Ha ha ha ! Folle à lieeeer !" Tapant fébrilement des pieds sur les feuilles, elle saisit ses cheveux et tira dessus, sans parvenir à les arracher. "La sentence d'abord ! Saignons ces corps en rouge, du plus éclatant des rouuuuges."

Elle devait rire, rire encore pour ne pas avoir peur. Car la vérité s'approchait d'elle, lentement, inéluctablement. Que cherchait à faire la misérable rate en s'interposant de la sorte ? Que pouvait-elle faire contre un mal aussi pur, aussi profond ? Voilà bien la preuve que cette Freyja était au moins aussi inutile que Sora, et qu'il était bien vain d'essayer de s'emparer d'elle. Non, la vaillante chevalière périrait dans la minute, et puis ce serait son tour.

Cette idée même l'horrifia. Elle allait disparaître, une fois encore. Et cette fois-ci, il n'y aurait peut-être même plus Sora pour la sauver. Oh oui, à l'approche de sa disparition, elle pouvait bien se permettre une repentance : elle avait été trop dure avec cet imbécile d'humain. Pourquoi n'était-il pas encore revenu ? Lui aurait peut-être su trouver les mots pour réconforter ce démon en armure, pour l'apaiser et le convaincre. Il aurait su comment la protéger. Après tout, il l'avait bien fait jusque là.

Freyja avait raison. Il fallait gagner du temps.

Pantelante, elle osa regarder en direction du halo de lumière. La brulure du rayon l'obligea à fermer les yeux.
"Ha... ta lumière t'aveugle. Je suis Sora ! Si tu me détruis, il mourra." L'ombre ne riait plus, elle était tragiquement sérieuse. Avec effort, elle s'appuya sur ses coudes pour redresser le buste et entrouvrir les yeux, laissant apparaître deux minuscules fentes jaunes. "Et toi, Générale ! Pourras-tu vivre avec ça ?"
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« Et je n’hésiterai pas un instant à protéger Sora de vous et attendre qu’il revienne de l’autre côté du miroir… »

Ravness baissa les yeux sur la pointe de la lance, à quelques centimètres d'elle, que brandissait l'hybride qui n'était qu'à un mètre, peut-être deux... Plus ou moins la même distance qui séparait la rate de la créature qu'était devenu Sora.

« Vous me menacez ? »

La générale regarda alors Freyja dans les yeux, d'un air neutre alors que sa voix, son ton étaient profondément froids. Contrairement à d'autres hybrides, Ravness ne parvenait à prêter aucune émotion au visage de la répudiée. Était-ce son propre jugement sur la jeune femme, avant même de la rencontrer, qui rendait l'empathie impossible ?

Qu'importe. Ravness n'avait rien de personnel contre elle. D'aucuns pensaient qu'elle la haïssait, ce qui était faux dans une grande mesure. Haïr Freyja, du point de vue de la capitaine des gardes de la lumière était comme haïr un arbre malade ou un fruit pourri. Cette femme ne s'illustrait que par sa propension à détruire la vie des autres, toujours involontairement. Combien de mois avait-elle fait perdre à la rébellion ? Combien de temps avait encore Ravness pour sauver Sora de ses ténèbres ?

Un fruit pourri, on le jette. Un arbre malade, on le détruit.

La jeune femme écouta à peine les insanités de la créature des ténèbres, trop habituée aux provocations de ses adversaires pour se perdre à y répondre. La plupart de ces mots semblèrent adressés davantage à Freyja, entre la moquerie et le conseil.


"Ha... ta lumière t'aveugle. Je suis Sora ! Si tu me détruis, il mourra. Et toi, Générale ! Pourras-tu vivre avec ça ?" »

Ravness détacha ses yeux de la rebelle pour tenter de distinguer malgré la présence de celle-ci, la silhouette de Sora, ses yeux jaunes et ses lèvres imperceptibles.

« Oui. » affirma-t-elle sans hésitation, avant de regarder Freyja à nouveau, et d'enchaîner. « Une nouvelle fois, vous oubliez où et devant qui vous êtes. » Ravness cligna des yeux et marqua calmement une pause. Bien sûr, elle était consciente qu'elle devait faire vite. Une fois l'arbre éliminé, elle allait s'atteler à la tâche. Là où ils étaient, en-dehors du campement, derrière les épicéas, les brigands ne tarderaient pas à venir mais qu'importe. Dès qu'elle aurait réellement commencé, nul n'oserait s'interposer une fois de plus.
« Un campement où pullulent des gens désespérés, où ils s'entraînent jour après jour pour la guerre. C'est... la guerre. » la voix de la jeune femme fut de plus en plus forte et agressive au fur et à mesure qu'elle parlait. « Lors d'une guerre, lorsque la bataille a commencé, une seule personne décide. Et c'est moi. »

Ravness ramena son bouclier contre son corps, écarta légèrement les jambes et leva légèrement son épée, se mettant en garde.

« Le diable ment. Je vais sauver Sora. Vous voulez le défendre de moi ? Alors, défendez-le. »

Ravness avança de deux pas, regardant fixement non plus la rate mais sa lance. Arrivée à sa portée, elle écarta légèrement son bouclier de sa taille, ouvrant une faille dans sa garde et se concentra sur l'arme de son adversaire. Déployant une force psychique importante, la jeune femme immobilisa comme d'une main invisible la lance. Son épée, quant à elle, était déjà en mouvement et frappa Freyja au ventre d'un coup horizontal.

Une nouvelle fois, de son psychisme s'emparant du corps de la lancière, elle propulsa cette dernière à trois mètres, derrière Sora, sans un geste.

Quand Freyja s'écrasa sur le sol, Ravness se mit en garde et s'immobilisa.
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Allonger au sol, recroquevillé sur elle-même, Freyja mit plusieurs secondes avant de se rendre compte de ce qui venait de se passer. Ouvrant ses paupières et amenant sa main au niveau du ventre, la rate baissa son regard pour distinguer l’entaille et le sang commençant à gonfler ses vêtements déchirés par la lame. Elle était sotte et n’apprenait rien de ses erreurs passées. La Générale avait déjà fait une démonstration de ses pouvoirs sur elle, et la voici en train de répéter les mêmes erreurs qu’il y a une année. À croire que la vie n’est qu’une suite de leçons que la jeune femme prenait grand soin d’oublier afin de savourer l’inéluctable idiotie de ses actes. La rebelle se retourna sur elle-même, face contre terre, les gouttes de son sang tombèrent par saccade sur le tapis de feuille morte de la Forêt de Sherwood. Elle grimaça sous la douleur avant de  lever son regard en direction de Primus. Elle était à cinq mètres d’elle, et dorénavant, les positions s’étaient inversés. Sora était désormais à la merci du jugement de la Générale.

Elle était une piètre garde, incapable de protéger l’ombre de Sora. Il ne fallut qu’un instant pour faillir devant elle, non, ça ne pouvait se terminer ainsi. Soufflant du nez, elle poussa sur les mains et ses jambes et se releva en attrapant sa lance. Droite sur ses jambes, agrandissant la marque rouge sur ses vêtements, elle jugea Primus un instant avant de s’élancer vers elle. Qu’importe qu’elle meure aujourd’hui de la main de la Générale, elle quittera ce monde avec le sourire aux lèvres. Sora n’aura pas été une victime dans cette bataille improvisée par l’envoyée de la Lumière, il restera lui-même aussi longtemps qu’un souffle animera la rate.

Contournant par la gauche, Freyja donnait tout ce qu’elle avait pour cette course. Elle ne pouvait rivaliser par la force, il ne lui restait que ses seuls atouts pour espérer gagner du temps. Ayant dépassé l’ombre au sol du jeune homme, elle laissa glisser la hampe de son arme le long de ses doigts avant d’empoigner le bout et lancer la hallebarde en s’aidant de l’impulsion d’un très léger saut.

Alors que l’arme fila en direction de Primus, Freyja retombait au sol et s’aida de ses mains pour reprendre la course, cette fois en direction de la Générale. Sans surprise, elle n’eut besoin que de lever son bouclier pour parer l’attaque et envoyer la lance se planter dans le sol à quelques mètres de la scène. Elle avait sa fenêtre d’attaque. Élancer, il ne restait que deux où trois mètres les séparant, Freyja se laissa porté en arrière dans un glissade et poussa sur la plante de ses pieds. En même temps qu’elle fit sa manoeuvre, ses pieds soulevèrent un amas de feuilles qui partirent en direction de la Générale. La terre meuble et les feuilles humides volèrent en l’air un instant, la rate priait que l’effet de surprise soit suffisant pour faire ce qu’elle voulait.

Plongeant sa main en avant et au travers du tapis de feuilles, Freyja profitait de son allonge pour saisir le bras de Primus et se servir de ce dernier comme appui. Profitant de l’élan, la rate grimpait sur le dos de la Générale et fit tout son possible pour la maintenir. De ses bras, elle tenait ceux de la dame alors qu’elle affirmait ses jambes au sol, enroulant sa patte droite afin d’empêcher du mieux qu’elle pouvait Primus de bouger. Un acte désespéré, la dame se débattait et plusieurs coups de coude viennent fracasser les côtes de l’hybride. Gagner du temps, c’est tout ce qui comptait pour le moment, il fallait que Sora reviennent avant qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit. Fallait qu’elle soit au moins capable de réussir ça.

C’est là que vous vous trompez, il ne fait pas partie de cette guerre et vous n’êtes pas sur le champ de bataille… Cessez de vous fourvoyer et ouvrez les yeux…
Freyja parlait par saccades, reprenant difficilement sa respiration entre chacun des mots qu’elle tentait de prononcer. La maintenir n’était l’affaire de quelques secondes. Il ne lui restait que ça à faire, garder son attention une poignée de secondes en plus.


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"Alors ?" s'impatientait Tweedledee.
"Minute, chenille. Je réfléchis."

La main difforme toujours tendue au dessus de la reine blanche, le sans-coeur qu'était devenu Tweedledum agitait ses doigts sombres. Sora, lui, avait les yeux braqués sur l'échiquier en verre, sur le roi qui était passé de noir à blanc et sur cette couronne qui lui ornait la tête. Il tendit la chaîne de son pendentif avec un doigt, comme s'il avait vraiment besoin d'une confirmation visuelle. Oui, c'était bien la même. Le pendentif lui parut tout à coup peser une tonne sur sa poitrine et sur sa nuque.

Le sans-coeur attrapa la reine et la dirigea vers le cavalier qui s'était dressé en rempart entre elle et le roi. La reine culbuta le cavalier, et alors qu'il tombait, Tweedledee l'empoigna et le reposa juste derrière la reine.


"Tu n'as pas le droit."
"Bien sûr que si ! C'est dans les règles."

Tweedledee pointa de son menton rond un vieux grimoire posé à côté de lui. A vue d’œil, il devait faire plus de mille pages. Tweedledum grommela un "Ah oui ?" et se leva de la souche où il était assis pour aller consulter le bouquin. "Comme si c'était déjà pas assez long..." commenta son frère en croisant les bras sur son gros ventre. "Quel enfer ! Finalement, jouer au furet, c'était pas si mal."

Sora observait la scène d'un air distrait. Il repéra la seule source de lumière dans cette clairière sombre, une petite lanterne posée à côté de Tweedledee. Un croassement lui fit lever la tête. Autour d'eux, pas très haut volait en cercle un grand corbeau. "Hé, garçon ! Tu aurais peut-être une idée pour abréger la partie ?"

Las, épuisé par le poids de sa chaîne, Sora baissa la tête vers l'échiquier. "Pourquoi vous n'arrêtez pas simplement de jouer ?"
"Lui d'abord", répondirent en cœur les frères jumeaux. Tweedledum feuilletait lentement le grimoire de règles sans en lever les yeux. "Si l'un de nous arrête de jouer, le corbeau le dévorera", précisa Tweedledee.
"Alors... vous pouvez faire abdiquer le roi !"
"On y a déjà pensé. Mais le roi ne veut pas être pris, même par nous."
"Il n'appartient à personne."

Sora se pencha lentement sur l'échiquier dans lequel il pouvait voir son propre reflet. Il entoura de sa main droite la pièce du roi redevenue noire. "Si", fit-il doucement en caressant la couronne du pouce, un léger sourire aux lèvres. Il n'avait pas la force de retrouver le fragment de la pierre angulaire, pas maintenant, pas dans cet état. Et il était inutile que le cavalier se sacrifie pour lui. Il se redressa, son poing libre sur une hanche, et fit joyeusement aux deux frères : "J'abdique !"

D'une légère pichenette, il fit chuter la pièce du roi. En tombant, elle brisa l’échiquimiroir. Des myriades d'éclats de verre, petits et gros, s'envolèrent autour de Sora. Ils ralentirent leur course, et si certains eurent le temps de toucher le sol, d'autres restèrent figés en l'air.

"Il a..." "...cassé..." "...notre HOCHET !"

Devant les yeux de Sora, les frères jumeaux, l'humain et le sans-cœur fusionnèrent en gémissant, entourés de volutes de ténèbres et de fumée. Lorsque la fumée se dissipa, il eut en face de lui une vision terrifiante, un patchwork improbable avec des bouts de l'un et de l'autre, deux têtes, un mélange que seul un savant fou comme le Dr Finkelstein aurait pu confectionner. L'ensemble laissait penser à un rondouillard, mais en plus gros encore, et avec un grimoire de mille pages à la main.

Surpris d'être encore là et exténué, Sora n'eut pas le réflexe de fuir. L'imposant sans-coeur lui fonça dessus et le culbuta de son ventre, l'envoyant chuter plus loin.

"La partie n'est pas terminée ! Échec au roi !" hurla la tête de Tweedledee.

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"Ouhhh... ouh-ouh-ouh !" s'exclamait l'ombre de Sora en applaudissant de ses mains griffues. De sa position, elle avait une vue imprenable et fascinante sur la petite scène qui se déroulait devant elle. Que les deux alliés se battent entre eux lui laissait un peu de répit pour récupérer des coups du bouclier de lumière. Et en bonus, il y avait du sang ! Elle n'avait jamais vraiment pu apprécier l'esthétisme d'un combat, mais là, Sora lui faisait un beau cadeau.

Elle pouvait même se permettre d'apprécier l'hésitation de la grande rate, dont elle tirait maintenant partie. Comment imaginer que celle dont elle avait voulu aspirer le cœur puisse maintenant la défendre ? La complexité des sentiments humains ne cessait de l'étonner. Et puis la Générale, si inflexible, si droite, elle.. la respectait, comme on respectait son meilleur ennemi. Cette Générale n'avait pas cillé en répondant que oui, elle tuerait Sora sans remords. En fin de compte, elles n'étaient pas si différentes.

Pour un peu, avec ces réflexions et ces sensations dans le crâne, elle aurait pu se perdre dans la contemplation, oubliant que son devenir était en jeu, oubliant même son objectif. Heureusement, son hôte était encore perdu et elle put assez aisément réduire au silence les résidus de son âme qui avaient jusque là influencé ses paroles.

Que faire ? Fuir ? Impossible. Cette lumière que portait la Générale, cette lumière aveuglante, brûlante, menaçante et mauvaise... il fallait la détruire, comme il fallait détruire ce qui restait de la Pierre Angulaire. Pas de quartier, pas de sentiments, juste... le devoir. Sa raison d'être : détruire... ou être détruit. Mais elle n'était rien face à une telle puissance, elle le savait. De nouveau sur ses quatre pattes, elle balançait la tête à droite, à gauche. Que faire ?

Contre toute attente, c'est la rate qui lui offrit une solution. Une opportunité, rien qu'un tout petit moment. En se plaçant derrière la générale et en lui bloquant les bras, Freyja la laissait vulnérable à une attaque. L'horrible bouclier et son halo étaient déviés, ils ne la protégeaient plus. Alors, mue par son instinct, sans réfléchir et sans un bruit, l'ombre bondit en un éclair vers la porteuse de lumière, les mains tendues, prête à lui lacérer de ses griffes les joues, les yeux, les lèvres, le nez et tout le reste. Prête à révéler son vrai visage derrière ce masque bien trop lisse.

Prête à la tuer.

Dans un fourré tout proche, une petite tête de lapin coiffée d'un chapeau vert observait en essayant de ne pas se faire voir. L'horreur de la scène le tétanisait.
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Piquée par la colère d’être aux prises de la rate, Ravness n’entendit que la moitié, la dernière goutte de son poison :  « Cessez de vous fourvoyer et ouvrez les yeux… ». La voix de Freyja était douloureuse, presque suppliante sur certains méandres de son cours, faute d’avoir reçu quelques coups depuis qu’elle s’était placée ainsi dans son dos, quelques secondes auparavant. Un instant, la garde oublia les deux choses les plus importantes de cette journée : Sora et sa concentration.

Alors… voir les choses sous une autre perspective ? Ravness, forçant une nouvelle fois sur les bras de Freyja, trop limitée pour parvenir à ses fins, regarda devant elle quand elle vit l’ombre fondre sur elle, vivement. Elle sentit les poings de la créature s’abattre sur son poitrail. Elle sentit ses griffes lacérer son visage, fermant juste les yeux pour se protéger, incapable même de mettre simplement ses deux bras autour de son crane.
Sans sa concentration, elle ne pouvait se débarrasser ni de l’un ni de l’autre… et pourtant tout son esprit était rivé aussi bien sur le garçon que sur la rate. Avec la fureur bouillonnant en elle, ignorant la douleur, la garde de la lumière, baissant le menton du mieux qu’elle le pouvait, pensa à la renégate qui lui tenait les bras, lui immobilisait jusque aux jambes.

« Qu’allait-elle faire ? » se demandait la garde au sujet de cette femme, riant presque intérieurement. La libérer et mettre Sora en danger, puisqu’elle semblait persuadée que Ravness lui voulait du mal ? Ou comptait-elle continuer à l’immobiliser jusqu’à ce que l’ombre ait fini de la massacrer. Voilà une question qui ne trouverait jamais aucune réponse. Qu’importe la décision de Freyja, elle s’était déjà rendue coupable du pire.

Jusque en oublier son corps, la générale se plongea dans son propre esprit, réorganisa ce dernier, supprima les pensées parasites pour finalement ouvrir les yeux. Elle sentit le sang couler le long de sa tempe, ses lèvres ouvertes et un goût écoeurant dans la bouche dans un premier temps, les découvrant presque… et produisit une puissante onde de choc autour d’elle, expulsant Sora et Freyja dans deux directions différentes.

Ravness dématérialisa son épée et fit volte-face aussitôt, cherchant Freyja du regard. Cette dernière n’avait pas encore touché le sol lorsque la générale la saisit de sa force psychique, dirigeant sa main libre vers celle-ci et l’amena à vive allure mais sans la projeter contre le collet d’un arbre. Durant de longues secondes, sans craindre que l’ombre ne l’attaque, Général Primus empêcha Freyja de se dépêtrer, la soumettant à une telle pression que seule une grande force aurait pu briser.
Elle daigna détacher son regard de la rate pour le poser sur un arbre massif non loin d’elle. Son visage se durcit soudain et… quelques secondes plus tard, soumis à l’effort mental de la garde, l’arbre et ses racines furent arrachées du sol.

Il flotta jusque Freyja… resta une petite seconde en survol au-dessus d’elle, avant de perdre doucement en altitude.
L’arbre se posa sur les jambes de la rate, l’immobilisant, l’écrasant contre le sol… sans pour autant réussir à lui arracher le moindre cri de douleur.
Ravness défit son emprise psychique sur Freyja, laissa l’arbre épouvantablement lourd sur les genoux de la rate et se retourna… La créature dans le corps de Sora ne l’avait pas attaquée durant cette manœuvre quoique elle prît une vingtaine de secondes pour se débarrasser de la rate, une vingtaine de secondes durant laquelle elle était totalement vulnérable mais aussi une vingtaine de secondes bien suffisantes pour donner le temps à un être de s’enfuir, lorsque il se sait perdu.

Il n’y avait plus la moindre trace du sans-coeur… ou si. Ravness aperçut au loin, à une longue centaine de mètres, l’humanoïde quadrupèdes lui échapper.
La forêt aux alentours grouillait de brigands. Il n’irait pas bien loin.
Avant même de prendre une décision, la jeune femme reprit son souffle, se pencha quelques secondes en avant… remettant tant bien que mal de l’ordre dans ses idées. Son cerveau se fatiguait et elle devait supporter le poids d’un arbre sur ses épaules, de la douleur à l’état brut.
Elle se mit à sa poursuite, le bouclier le long du corps, dans les secondes qui suivirent. L’arbre ne paralysait qu’une seule paire de jambes, celles de Freyja. Les siennes quant à elles devaient simplement ignorer une douleur épouvantable.
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Frappant de ses poings à s’en faire saigner les jointures contre l’écorce de l’arbre, cherchant à repousser la masse qui l’immobilisait alors qu’elle constatait une fois de plus son incapacité. Sotte, Freyja n’était qu’une sotte et elle ne pouvait que mieux le constater dans le cas présent. Pourquoi se battre, pourquoi défendre des valeurs si c’était pour finir ainsi ?! La petite voix dans sa tête, celle lui sommant de tourner les talons à l’apparition de la Générale, quelle sottise de ne pas l’avoir écoutée. Finalement, ce moment où elle décida de faire face à Primus, ce n’était que la plus sincère expression de sa personnalité…

Elle faisait toujours les mauvais choix, prenait toujours la mauvaise route et se retrouvait toujours impuissante le dos contre un mur.

Freyja désirait crier, aboyer sa haine et son dégoût pour elle-même. Dans sa tête, mille voix hurlèrent. Cependant, une seule prenait le dessus et cherchait à lui dicter ses actes. Elle voulait en finir, attraper une dague et se l’enfoncer dans ce coeur incapable d’offre autre chose que de la souffrance. Pourtant, si c’est une chose qu’elle ne ressentait pas en cet instant, c’était la douleur écrasante du chêne reposant sur ses jambes et de ses poings frappant l’écorce.

Résolue, elle cessa le moindre de ses mouvements, laissant ses bras tomber au sol le long de son corps. Tel un pantin désarticuler, son torse bascula en avant et son front buta contre l’arbre, faisant tomber son galurin sur le tapis de feuilles. À quoi bon lutter, Primus n’avait fait que reporter le problème. Bientôt, elle reviendrait afin de parachever son oeuvre, probablement en laissant pendre le corps de la rate au bout d’une des nombreuses branches de la forêt. Elle le savait déjà, plusieurs chemins se dressaient face à elle et aucun ne déboulait sur une fin heureuse. Une vie avec l’homme que l’on aime et qui nous aime en retour, avec qui l’on battit une famille où que l’on finît sa vie, ça n’existe que dans les contes de fées.

- Freyja…?
La tête du jeune lapereau fit son apparition à l’autre bout de l’arbre, dépassant des racines arrachées à la terre. Les oreilles pendantes, il s’avança lentement pour finalement attraper le couvre-chef de la rate et l’appuyer contre son torse. Ouvrant légèrement la bouche, le son de sa voix se voulait apeurer, perdu dans l’écho de la forêt vide de tout.

- Tu ne devrais pas être ici, Bobby.
Tournant à peine le regard, Freyja observait le jeune garçon d’un regard vide. La chevelure blanche de la rate tombait sur son visage, certaines mèches collaient à sa peau, accentuant le malaise de la jeune femme. À quoi bon faire preuve d’empathie avec le jeune garçon, elle ne sera bientôt plus là de toute façon, un souvenir qu’il oubliera dans plusieurs années. Le jeune rebelle continuait d’approcher, sa truffe gigotait dans tous les sens alors que son regard se posa finalement sur les jambes entravées de la rate. En un éclair, il alla déposer le casque sur les cuisses de Freyja avant de pousser de ses maigres bras l’imposant tronc d’arbre.

- Ce n’est pas la peine, tu te fatigues pour rien… Reste tranquille…
- Non ! J’veux faire comme vous, me battre pour ce que je crois et protéger ceux dans le besoin !

Malgré elle, la rate souriait alors que le lapin appuyait contre le tronc à l’aide de son dos et poussait sur ses grandes pattes de lapin. Dans un mouvement lent, elle leva sa main et alla caresser la joue de Bobby et murmura ses paroles pour que seul lui puisse les entendre.

- Ne suis pas mon exemple, ça serait la plus grosse erreur de ta vie.
- Mais…

La rebelle posa alors son doigt sur les lèvres du lapereau, l’invitant à ne pas terminer sa phrase. De son autre main, elle attrapa la coiffe pour la poser contre le coeur de l’enfant de Sherwood. Il était l’avenir de ce pays, il ne devait pas faire les mêmes erreurs que ses ainés. Et surtout pas les siennes.

- Prend ça, et retourne au camp le donner au shérif. Il comprendra.
- Freyja !
- Ne perds pas une seconde.

Bobby se jeta dans les bras de la rate, serrant de toutes ses forces le torse de la dame dans un sanglot. Perdue un instant, Freyja finit par poser sa main dans son dos et enlacer le garçon à son tour, laissant échapper une larme. La scène semblait durer une éternité avant qu’elle ne force le garçon à partir en direction du camp.

- Vas-y, ne perds pas un instant…
Le garçon s’avança avant de bifurquer aux racines, laissant la jeune femme seul dans la forêt. Il devait partir, il avait déjà assisté à beaucoup trop de choses aujourd’hui. Sous aucun prétexte, il ne devait pas être là au moment où Primus reviendrait pour finir ce qu’elle avait commencée.


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Le choc ne lui avait pas fait mal, la chute non plus. Sora se releva comme si de rien n'était. Visiblement, le sans-coeur à deux têtes, tout menaçant qu'il était, ne pouvait pas grand chose contre lui sinon le retarder. C'était bien là le vrai danger : rester trop longtemps ici, dans cet état. Il était pourtant sûr d'avoir résolu le puzzle en forçant lui-même le roi à abdiquer. L'échiquier-miroir s'était brisé, mais il se trouvait toujours du mauvais côté. Quelque-chose lui avait échappé, mais quoi ?

Une chose après l'autre. D'abord se débarrasser du rondouillard hybride et son grimoire. Comment ? Il n'avait pas d'arme. Il tenta d'invoquer Chaîne Royale mais elle ne lui répondit pas. Son ennemi lui, tenait le grimoire bien haut en psalmodiant une formule mathématique plutôt étrange.


"Un Egale Trois Fois un Tiers Egale Trois Fois Zero Point Trois Trois Trois points de suspension Egale Zero Point Neuf Neuf Neuf points de suspension. CETTE REGLE EST-ELLE VRAIE OU FAUSSE ?"

Une sorte de flaque visqueuse s'échappa du grimoire et fila droit sur Sora pour couler tout autour de lui, l'emprisonnant dans un champ de confinement. La formule s'afficha en chiffres, semblant flotter sur l'eau.

1 = 3 x (1/3) = 3 x 0.333... = 0.999...

Des points d'interrogation de différentes couleurs flottaient tout autour. Il comprit qu'il lui faudrait apporter une réponse pour pouvoir bouger à nouveau. Dommage, il avait toujours détesté les mathématiques. C'était trop logique, trop froid. Il avait toujours eu des choses plus marrantes ou importantes à faire. Il cogna contre la flaque mais elle était dure comme de la roche et ses poings s'y écrasèrent. Il n'eut pas mal mais la solution n'était pas là.

"Fausse !" dit-il alors. Il avait une chance sur deux.

L'eau qui l'entourait retomba soudainement au sol et la formule avec. Les chiffres fondirent, formant une soupe blanche dégoutante. En face, le sans-coeur semblait frustré : il trépignait en tapant le grimoire sur son gros ventre. *Ouf*, pensa Sora. Heureusement qu'il ne fallait pas en plus expliquer la réponse, il en aurait été bien incapable. Très vite, il prit ses distances, à la recherche d'une solution, d'un échappatoire, n'importe quoi. Un croassement attira son regard vers le haut. Le corbeau, presque invisible dans le ciel nocturne, tournait toujours autour d'eux... plus précisément, autour de la lanterne que Tweedledee avait laissé là, près de la souche, avant qu'il ne fusionne avec son jumeau.

Ce corbeau devait être la clef, car tout avait un sens, même au Pays des Merveilles. Sora se remémora ce que Tweedledee lui avait dit de l'animal... et la solution lui sauta aux yeux. Elle était bien plus simple que de résoudre une insipide formule mathématique. Oui, cette solution, elle était d'un domaine que Sora maitrisait à la perfection.

Reléguant dans un coin de son esprit sa fatigue grandissante, il courut vers la lanterne, attrapant au passage un des morceaux brisés de l'échiquier, toujours en suspension dans les airs. Au pied de la lanterne, il lança le bout de verre tranchant vers le volatile en hauteur.
"HE ! PAR ICI !" Attrapant la lanterne, il l'agita vivement pour inciter l'animal à réagir.

Ça ne manqua pas. Le corbeau plongea dans sa direction en criant. Sur sa droite, le sans-coeur des jumeaux Tweedle courait aussi vers lui mais ses petites jambes pataudes l'empêchaient d'aller vite. D'ailleurs, il décida de s'arrêter à dix mètres environ, brandissant de nouveau son grimoire, prêt à psalmodier sans doute une nouvelle formule de confinement. Dans un geste ample, Sora lui lança gracieusement la lanterne qui rebondit mollement sur le gros ventre avant de retomber aux pieds du sans-coeur.

Le corbeau adapta son vol a la trajectoire de la lanterne. Le voyant venir droit sur lui, le sans-coeur s'arrêta net dans son incantation et, dans un instant de panique, laissa tomber son grimoire au sol.

"Non ! Ne nous dévore paaaaaas !"

L'animal ainsi attisé n'en démordit pas. La scène aurait pu paraître surréelle dans un autre monde que celui-ci. Le gros sans-coeur, levant des bras paniqués en l'air, fuit jusque dans la forêt, poursuivi par un corbeau vingt fois plus petit que lui. "Ha !" s'exclama Sora en croisant les bras sur sa poitrine, satisfait. "J'ai toujours préféré les histoires !"

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Le sang coulait sur les joues de la Générale et sur les griffes de l'ombre. L'ombre regardait ça de ses yeux jaunes sans expression, et elle ne souriait pas. Les coups, les griffures se succédaient méthodiquement et sans passion, comme une éternelle rengaine. Non, elle ne voulait pas de sentiments. Elle voulait détruire la lumière, et c'était ce qu'elle faisait. Enfin, tout était normal.

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Sora était maintenant seul dans la petite clairière, seul avec une lanterne, les restes d'un miroir brisé et un gros grimoire. Il faisait vraiment de plus en plus froid mais il ne frissonnait pas. Il erra un peu en se demandant comment il allait pouvoir sortir de là. Resterait-il coincé ici, seul, pour l'éternité ?

Une bourrasque soudaine de vent ouvrit le grimoire, attirant son regard. Il alla chercher la lanterne et s'agenouilla près du livre pour lire ce qui était inscrit sur les pages déployées. Des règles. Il tourna les pages. Encore des règles mathématiques et fonctionnelles. Celles d'un jeu d'échec, celles de la création d'un monde. Des assertions, des vérités vraies, de la sécurité, sans doute ni questionnement. Et quand il referma le grimoire, il put lire sur la couverture, en grandes lettres gravées :
"MOI".

Il eut un petit rire froid et secoua mollement la tête. "Non. Faux." Il ne se résumait certainement pas à ça. Alors il ouvrit le couvercle de la lanterne, en sortit la petite bougie et, délicatement, colla la flamme vacillante sur la page ouverte. Rapidement, le papier se mit à brunir puis à brûler. Toujours agenouillé, Sora se détendit et, avec un sourire sans chaleur, souffla sur la bougie.

Le grimoire se consuma vite. Lorsqu'il n'en resta que des cendres, plus aucune lumière n'éclairait la clairière. Sora avait déjà disparu.


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Une puissante onde de choc envoya bouler l'ombre au loin, l'empêchant d'achever son œuvre de destruction. Avec un feulement, elle se remit sur ses pattes, prête à repartir à l'assaut. C'est alors qu'une vague de chaleur la submergea et la désorienta. Elle crut un instant que c'était le résultat de l'onde de choc, mais elle dut assez vite se rendre à l'évidence lorsqu'elle sentit quelque chose battre contre sa poitrine. Tu-dum. Tu-dum.

"Non ! Pas maintenant !"

Tu-dum. Tu-dum.

"Je dois la détruire !" La tâche, le devoir avant tout. Elle devait ignorer ces battements, ignorer ces.. sentiments qui s'abattaient sur elle comme autant de typhons. L'angoisse, la bonté, l'espoir. Elle voulut se remettre à courir vers son ennemie, vers la Générale, mais à la vue de l'arbre qui sortait de terre, elle resta tétanisée. La peur.

*Fuis*, fit une voix dans sa tête. Elle la secoua. *Fuis, tu ne peux pas gagner. Sauve-toi.* Désemparée, elle observa encore un court instant la Générale, Freyja. Puis, dans un cri de rage, l'ombre fit volte-face et entama une course folle entre les arbres. Elle courait vite à quatre pattes, mais maintenant qu'elle ressentait de nouveau la douleur, chaque foulée lui paraissait plus dure. Dans son champ de vision apparut un jeune lapin.

Elle fondit dessus. Elle avait besoin de ses ténèbres, maintenant plus que jamais, pour résister encore un peu, retourner achever la Générale.


*Non !* tonna la voix dans sa tête, l'arrêtant net dans sa course. Le jeune lapin disparut au loin. Cette tête ! Elle devait se l'arracher, elle n'en avait pas besoin. Seules comptaient ses griffes. Elle posa les mains sur ses joues.

*ASSEZ ! Je suis revenu. Maintenant, retourne A TA PLACE !*

La voix frappait si fort contre ses tempes que l'ombre perdit l'équilibre et chuta dos à terre. Elle se trémoussa encore un peu tant qu'elle le pouvait, sachant sa résistance futile. Puis elle perdit pour de bon le contrôle sur les jambes, les bras. Le dernier son qu'elle perçut fut interne : c'était le battement insistant du cœur de Sora. De ses yeux jaunes, elle vit la figure démoniaque et vengeresse de la Générale s'approcher d'elle. Elle leva difficilement un bras griffu vers elle, et tout redevint blanc.

"Hmph..."

Sora avait du mal à respirer. Tout tournait autour de lui et il avait froid à en trembler. Etait-il vraiment revenu ? Etait-il vraiment parti ? Il avait l'impression d'avoir vécu à deux endroits en même temps et ça lui donnait le tournis. Il devait se raccrocher à quelque chose de tangible, n'importe quoi : l'odeur de la terre et de l'herbe encore humide, le bruit du vent dans les feuilles, la figure de Ravness qui s'approchait inéluctablement.

Il s'aida de ses bras pour redresser le buste et une douleur lui déchira la poitrine. Baissant le regard, il vit ses habits lacérés, les griffures sanguinolentes qu'il s'était lui-même infligées. Il vit le sang sur ses doigts et se souvint que ce n'était pas le sien. Ses traits se défirent et sa poitrine se contracta pour laisser échapper un unique sanglot. Puis il se força à calmer sa respiration.

Quand la Générale s'arrêta face à lui, il se remit difficilement sur ses deux pieds en serrant les dents. Pas question de rester à terre devant elle, pas après ce qui venait de se produire. Plantant son regard dans celui de Primus, il lui dit d'une voix cassée, oscillant entre aigus et graves :
"Freyja. Elle n'y est pour rien. C'est moi le responsable." Il prit une grosse goulée d'air. Sa gorge le brulait. "J'ai cru... que je pouvais contrôler... cette chose." Il aurait vomi le mot s'il en avait eu la force. Cette chose, cette ombre, cette voix le dégoutait. Mais elle était en lui. Il s'était crû assez fort pour la maîtriser, pour la changer, comme elle avait crû pouvoir le changer. La réalité était cruelle : elle était inscrite en rouge sur sa poitrine comme sur le visage de la Générale.

Et pourtant, elle était en lui. Elle était lui.

Ses yeux dévièrent brièvement sur le bouclier avant de retrouver ceux de Ravness.
"Je peux y arriver. Je peux lui faire comprendre... et la changer." Il avait serré le poing gauche, l'autre lui faisait trop mal. Son genou droit fléchi, il pouvait s'écrouler à tout moment. Sa voix rengorgée d'espoir paraissait plus forte mais c'était bel et bien une supplique qu'il adressait à la Générale, à celle qui, l'espace d'un instant, était maître de son destin.

"C'est plus important que vous pensez. Laissez-moi une chance !"
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« Freyja. Elle n'y est pour rien. C'est moi le responsable."

Ravness continua à avancer, au pas cette fois-ci, les yeux rivés sur Sora… Quelques mètres la séparaient à peine du héros de la lumière, et pourtant sa propre lenteur rendit à ses yeux cette distance infinie. Assourdie par la douleur, contractant le moindre de ses muscles pour en surmonter l’ampleur, elle ne réalisa pas immédiatement que sa cible n’était plus, que Sora avait retrouvé son apparence. Ce n’est que lorsqu’il parla de nouveau, s’expliquant sur ses actes, qu’elle prit conscience de la situation.

Il était revenu. Et il implorait sa pitié.

Une émotion qu’elle n’avait plus ressentie depuis plus d’un an gagna son coeur, aussitôt qu’elle vit le regard méfiant mais suppliant de cet homme.
La peine, c’était ce qu’elle ressentait. Non pour lui mais pour elle. À nouveau, elle se retrouvait dans la position la plus insupportable qui soit. Alors qu’elle ne cherchait qu’à aider, alors que son seul but était de secourir une des seules personnes qu’elle admirait vraiment, c’était de la peur qu’elle lisait dans les yeux de celle-ci.
Pourquoi était-ce ainsi, se demanda-t-elle en s’immobilisant un instant, écoutant Sora, baissant les yeux sur le sol d’un air distrait. Pourquoi devait-elle souffrir pour les autres, combattre pour les autres… et être haïe, crainte ? Par-dessus tout, ils l’évitaient… Tous.

Alors bon ! Quel était son méfait ? Vouloir sauver le plus grand héros de la lumière des ténèbres qui ravageaient son coeur, le mettaient en danger, mettaient les autres en danger ? Vouloir utiliser une arme que des divinités obscures lui avaient confiée pour permettre à la paix d’avoir une chance de triompher ?

Ravness n’avait rien fait de mal. Rien. Elle était seule à se battre pour un peuple entier… seule à sacrifier tout pour un monde, pour un groupe, pour des étrangers alors que tous les autres acceptaient la chaleur d’un foyer.  

L’envie de pleurer lui vint un instant mais elle la réprima, froidement… avant de froncer une nouvelle fois les sourcils et de regarder sévèrement Sora, se redressant légèrement. Un long silence se fit, un duel de regards que le maître de la keyblade dut sûrement interpréter comme une joute d’une détermination contre une autre. Mais non… Elle avait trop d’orgueil pour dire ce qu’elle ressentait à ce moment-là mais espérait, secrètement, que du regard le plus accusateur qui soit, elle aurait pu assaillir son interlocuteur d’une montagne de remords pour la considérer ainsi.

Le sang continuait à ruisseler de son visage mais la douleur était partout ailleurs. Ses jambes supportaient encore le poids d’un arbre et elle savait qu’elle ne pourrait tenir éternellement. Pourtant sa décision était prise, il ne lui restait plus qu’à prononcer la sentence, si réellement l’univers devait la considérer comme un bourreau.


« Folle à lier ? » murmura Ravness pour elle-même, relâchant légèrement les muscles de son visage en regardant Sora alors que son bouclier disparaissait dans un éclat de lumière qui la laissa indifférente. Elle fit volte-face, ignorant Sora un instant et prononça froidement :

« Vous faîtes ce que vous voulez. »

Elle commença à marcher vers le campement, ordonnant à Sora de la suivre d’un geste de la tête. Elle aurait aimé courir pour rapidement se débarrasser du poids sur ses jambes mais ne le put, trop endolorie par tout ça. Il lui restait à s’occuper de Freyja, enfin… si elle pouvait parler de s’occuper, vu la marge de manœuvre risible que l’opinion publique daignait lui laisser.
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Sora connaissait le regard que la Générale lui lançait. Elle lui avait lancé le même au Château Disney, juste après s'être malencontreusement pris ce seau d'eau sur la tête. Ça avait même été leur premier contact. C'était un regard froid, dur, qui refoulait tellement de colère. Et celui qu'elle lui adressait maintenant était encore plus grandiose. Pourtant, ce n'était pas de son regard qu'il avait peur : il avait peur du bouclier qu'elle tenait. Cette peur s'évanouit presque aussitôt qu'il disparût.

« Vous faîtes ce que vous voulez », lui dit Primus. Cette simple phrase provoqua chez Sora un immense soulagement. Oui, il avait réussi à la convaincre. Elle avait compris ! Il faisait ce qu'il voulait, il avait toujours fait ce qu'il voulait. Il ralliait les bonnes volontés à sa cause, et ceux qui ne comprenaient pas, il les éliminait. Jusque-là, ça avait très bien marché. Alors pourquoi avait-il tant de mal à se réjouir ?

Il ne fallait pas chercher très loin. Elle lui avait concédé ce droit de disposer de lui-même, mais elle l'avait privé en même temps de ce qui comptait le plus pour lui. Après tant de dévotion à vouloir sceller son sort, voilà qu'elle devenait indifférente. Cette perte soudaine lui faisait d'une certaine manière plus mal que ses blessures physiques. Qu'on l'apprécie ou qu'on le déteste, qu'on le suive ou qu'on le combatte, Sora était heureux. Mais il ne pouvait imaginer qu'on ne ressente rien à son sujet.

Non. Primus jouait la comédie, sa prétendue indifférence ne le trompait pas. Si elle avait voulu que ça marche, elle aurait dû éviter de le regarder.

La Générale de la Lumière donna ordre de la suivre et le Lieutenant de la Lumière suivit en boitant, la gorge et la poitrine en feu, les doigts des mains et des pieds gelés. L'ombre dans son crâne crût bon de l'interpeller.
*Elle te tourne le dos. T...* *Silence.*

Il avait du mal à tenir le rythme de la marche, à rester au niveau de la Générale. Au moins, le soleil était revenu et réchauffait un peu son corps. Dans la poche intérieure de sa veste en lambeaux, il sortit le bout de papier tout fripé qu'il avait amené avec lui à Sherwood. La pluie avait lavé tout ce qui était écrit dessus. En contemplant ce que son ordre de mission était devenu, il s'éclaircit la gorge et s'adressa à la Générale d'une voix plate. "Je devais... vous demander où en était cette guerre. C'est la Capitaine Fiona qui m'envoie. Nos ennemis peuvent attaquer le Château et avec Cissnei absente..."

Il s'interrompit un bref instant pour ricaner sans joie.

"Elle vous veut là-bas."

Il ricanait parce que depuis le début, il s'était douté de la réponse de Primus. On lui en avait parlé, de cette intransigeance, de cette volonté de fer. Elle terminait ce qu'elle avait commencé. Pas comme lui. Il avait navigué de monde en monde, à la recherche de serrures et de ses amis. Dans chaque monde, il avait rencontré des personnes, des compagnons, les avait aidé à résoudre leur problème. Quand tout était fini, il était parti vers de nouveaux horizons. Jusque là, ça avait très bien marché.

Sauf que rien n'était vraiment fini. Les mondes avaient continué de vivre après son départ. Certains de ses anciens compagnons étaient morts, d'autres avaient disparu. Il leur avait pourtant promis qu'il reviendrait, mais... il avait eu d'autres choses à faire, plus importantes.


"Je ne pense pas rester", avait-il dit au jeune lapereau moins d'une heure avant. Il sourit en y repensant. Il s'était passé tellement de choses en si peu de temps. Bobby et sa lumière. Freyja et son Aiden. Primus.

La question que posait la Capitaine des gardes n'était pas que pour la Générale. Elle était aussi pour un simple Lieutenant.


"Je vais rester", affirma Sora en tournant la tête vers Primus pour jauger sa réaction. Il avait enfin réussi à la rattraper. "Je veux vous aider, vous et Freyja. C'est peut-être mieux si vous me l'ordonnez. Sinon... je fais ce que je veux, vous l'avez dit." Au coin de sa bouche asséchée, un petit sourire ressuscita.
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Elle écouta avec peine les raisons de sa visite dans la forêt de Sherwood. Oui jusqu’ici, elle n’y avait pas pensé et pourtant, il devait forcément y avoir une raison. Et une raison qui ne lui plut guère, provoqua sa frustration fort vite en plus du fait qu’elle ne se sentait pas à même de discuter de ces choses avec le visage en sang et une douleur incroyable dans le corps dont elle devait se délester au plus vite.
Que l’ordre vienne de n’importe qui d’autre, elle aurait pu s’y attendre. De la capitaine des gardes, beaucoup moins. Elle imagina cette dernière juger, devant des gardes fainéants, que la protection du château de la lumière valait davantage que le sort de tout un peuple et fut déçue. Immanquablement, à son retour, la capitaine Fiona subirait un incroyable sermon.
Ravness ne répondit rien, du moins pas tout de suite, se concentrant sur sa douleur. Avec un peu d’effort physique, elle aurait pu forcer son corps à tenir bon, oublier la souffrance pendant quelques minutes mais en connaissait le prix. Elle en souffrirait un jour durant. Elle préféra donc supporter les affres du lien de douleur qu’elle avait créé entre Freyja et elle.
Et Sora restait à ses côtés, quoique la jeune femme essayât de garder de l’avance sur lui, car elle ne ressentait alors aucune envie, pas la moindre, de se montrer amicale envers le lieutenant. Sans vouloir paraître hostile pour autant, elle ressentait une rancune dont elle avait envie de garder une trace dans son esprit… au moins quelques temps.


"Je vais rester"

Général Primus fronça les sourcils aussitôt qu’il eut fini de prononcer la dernière syllabe de cette décision. Le regard de Sora posé sur elle, insistant, la força à croiser le sien quelques secondes alors qu’elle levait un sourcil interrogateur. Il continua, tandis qu’elle tiqua lorsqu’il expliqua vouloir les aider, elle et Freyja. La garde de la lumière fit semblant d’entendre un bruit dans la cime d’un arbre et de s’en méfier, regardant d’un air préoccupé un point à quelques centaines de mètres, à l’exact opposé de la position de Sora.

Aider Freyja. Mais à quelle fin ? Qui Freyja aidait-elle, au juste ? Sinon sa propre volonté de s’opposer à Ravness et de ruiner ses efforts. La guerre serait finie, se dit la jeune femme, si la ratte n’était jamais intervenue.
Sans regarder son compagnon de route, après un temps de réflexion suffisant pour qu’ils soient relativement proches du lieu où était immobilisée Freyja, elle répondit.


« Je vais envoyer une lettre à l’état-major de la lumière ainsi qu’à la capitaine des gardes pour les prévenir que je vous réclame à mes côtés jusqu’à la fin de la guerre. »

L’état-major dont elle parlait était composé seulement de Maître Aqua, du Roi Mickey et de la capitaine Fiona, du moins présumait-elle, vu le temps passé depuis son dernier congé significatif au château. Et les trois seraient sûrement exaspérés d’apprendre qu’elle gardait auprès d’elle et loin du QG le héros de la lumière… Mais elle attendait avec une certaine impatience que l’un d’eux vienne lui reprocher.

« J’en profiterai pour leur dire que je ne partirai pas avant que la guerre soit finie… »

Ravness mit sa main devant Sora, s’immobilisa et l’empêcha d’avancer davantage. Elle le regarda dans les yeux et fit ce qu’elle savait faire de mieux : donner des ordres.

« Et vous non plus, Maître. Quand on s’engage à mes côtés, ce n’est pas à moitié. Ce monde sera votre foyer dès que j’aurai envoyé cette lettre… Et dans le campement, vous serez sous mon autorité et serez tenu de m’obéir. Je vous laisserai toute la marge de manœuvre nécessaire car c’est ainsi que vous fonctionnez, et ça me va parfaitement. Prenez toutes les initiatives si vous le désirez toutefois… Ne me désobéissez jamais. Entendu ? »

La jeune femme soutint son regard et, froidement, acheva son commandement d’un :

« Répondez : Oui, Général Primus. »
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