Trois heures que je tenais au-dessus d'ma tête un rocher de vingt tonnes. J'sentais déjà la fatigue et... j'savais comment ça allait marcher. Je devais tenir... beaucoup plus que ça. Une semaine s'il fallait, tant pis mais fallait que je tienne. Fallait que tous les crétins de cette ville parlent de moi et qu'j'd'vienne un truc que même le roi Xerxès il en parle. J'étais tourné vers la ville, vers les immenses murailles en pierre et en marbre... et c'est c'qui m'motivait à pas lâcher. J't 'ai dit, j'étais genre à trois cent mètres des portes. J'pouvais voir l'mouvement qu'y avait autour. Et justement, au bout d'ces trois heures, j'voyais qu'y avait pas mal de monde devant les portes. Le ch'min de ronde aussi, en fait, à bien r'garder. P'tête c'était mon impression mais j'voyais d'plus en plus de silhouettes me regarder depuis les murailles.

J'ai pris une longue inspiration, ai fermé les yeux... avant d'expirer. Ca marchait. Ca marchait mais...fallait que je tienne.

Quand j'ai ouvert les yeux. En tous cas c'est l'impression que j'avais... bah la nuit était tombée. J'te jure, brusquement j'voyais des torches devant les portes de la ville. J'distinguais plus les statues énormes de taureaux qui protégeaient l'entrée...
Ca m'a tellement foutu en l'air le moral quand j'ai vu ça. J'avais comme... l'sentiment désagréable qu'il m'arriverait rien pendant la nuit. Or putain, j'voulais qu'il m'arrive un truc !

J'avais pas l'droit de dormir. J'avais pas l'droit de lâcher. Fallait que ça fasse plus que les impressionner. Ils devaient se dire «Woah putain il fait quoi ?! Il dort même pas ?! »

Je prenais de longues inspirations... et je crachais l'air dans mes poumons sans contrôler mon diaphragme... Cette merde m'écrasait les épaules qui m'écrasaient mon thorax qui m'écrasait tout ! J'gardais... sans cesse mes yeux rivés sur la ville, sur les lumières du palais. Putain j'espère qu'ils me regardaient...

Allez encore une inspiration, Jecht. Et... un peu moins de dix millions d'inspirations avant qu'il t'arrive un truc, d'ailleurs. Putain j'étais con. J'aurais juste dit aller jusqu'au palais et casser la gueule de tout l'monde... Qu'est-ce qui m'avait pris d'faire un truc aussi débile, d'me trimbaler un rocher de dix millions de tonnes juste pour impressionner ?
Puis... t'imagines, j'allais pas abandonner maintenant. T'imagines comme on aurait parlé de moi ? Genre... « Hey ! T'as entendu parler de Jecht ?! »... « Tu veux dire le type qui est sorti, qu'a soulevé un rocher pendant trois heures et puis qu'est parti ?! »

Ouais non, ça craignait comme histoire. Non là... j'étais fucking Atlas. J'soul'vais un rocher de dingue au-dessus de la tête, c'était cool en fait ! En vrai c'était méga cool c'que j'faisais !

J'ai affiché un sourire victorieux.

C'est à peu près dix minutes plus tard que...


« Connasse de ville... espèce de petite connasse de ville. T'es une petite pute, tu le sais ça ? Une vraie salope. Jamais vu une salope comme toi. »

J'étais furax et un peu vulgaire ouais... Là j'étais au bout d'ma vie...

J'étais... dégoulinant de sueur, j'avais super chaud et méga mal sur toute la surface de mon corps. Alors j'ai essayé ma technique. Pense à aut'chose, Jecht. Pense à un truc qui te fera penser à aut'chose.
... allez Jecht... Réfléchis ! Un truc ! J'sentais mes bras qui ployaient de plus en plus sous l'poids du rocher. Il était juste au-dessus d'ma tête !


« La miss météo ! »

Elan de vigueur ! J'soulève plus haut, ça va ! Ca va ! Ca... Et v'la qu'aussitôt qu'j'me r'trouve content de soulever l'poids. Ca m'fait penser au poids et... du coup le rocher m'retombe dessus.

« Allez Jecht la... Oakley ?! Angelica ? Pamela ?! Allez ! Pamela ?! »

Putain ! Non ça marchait pas ! J'pouvais penser à toutes les gonzesses du monde, j'arrivais pas à oublier l'poids du rocher... Non.

J'étais... J'étais Harry Potter, en fait. Là à c'moment-là, j'd'vais penser à un truc heureux pour combattre les moches. J'd'vais créer un... un patronus, ouais. J'd'vais penser à un truc heureux et faire un truc méga balèze. Putain.

Tente... Tente Belle et Alice, qu'j'me suis dit... Tente d'penser à une vie avec elle. Une vie où tu vis avec elles, que tu les protèges. T's'rais comme avec ta famille.

Mon coeur battait comme un malade, ma respiration était saccadée, j'sentais mes jambes trembler. C'était comme paniquer...

Tente Tidus, qu'j'me suis dit. Imagine que... rien d'c'qu'y s'est passé s'est passé en vrai. Imagine que t'es resté avec lui, même après la mort d'ta femme. T'aurais été un peu moins con... et il aurait p'têt été un moins pleurnichard.
Avec un peu de chance, Tidus aurait appris à shooter dans un ballon comme son père, ouais. Il aurait défoncé ses potes sur un terrain d'foot, d'volley, de blitzball ou de waterpolo, on s'en fout. En... quelques années ça s'rait d'venu une star du sport. P'têt un jour il aurait atteint ton niveau, t'imagines ?
Dur à croire mais. Un bon p'tit mec bien. Et balèze t'sais. Mais l'genre d'balèze qu'a pas b'soin d'cogner pour s'faire respecter. Juste un gars aussi costaud qu'moi qu'tout l'monde adore pour toujours.

Et t'imagines la gonzesse qu'un soir il aurait ramené ? Une... bombe. Une fille tellement belle qu't'aurais envie d'la voler à ton propre fils mais... tu l'frais pas. Ou p'têt t'essaierais pasque t'es... t'as la séduction dans l'corps, quoi. C'est un genre d'monstre qu'tu peux pas contrôler, c'est trop puissant. Mais... la gamine t'aurait remballé, ton fils t'aurait... p'têt' bien foutu une raclée.

Normal.

Ouais en plus... là il aurait carrément été en âge d'te ram'ner une gonz'. Il aurait quoi ? Vingt-trois ans ? Vingt-quatre ?
Il m'en aurait ramené des dizaines avant mais celle-là, elle aurait été beaucoup plus cool. Celle-là elle m'aurait envoyé péter.

... J'me d'mande s'il aurait été plus intelligent qu'son crétin de père...

Sans doute que non. Y passait plus de temps à chialer qu'à parler jusqu'à ses huit ans. Ca marque, un truc comme ça. Y s'rait d'venu con comme un panier, que'qu'chose d'épouvantable mais... genre méga beau gosse et... super sportif, trop balèze... et c's'rait un mec tellement sympa qu'à chaque fois qu'j'aurais fait une connerie à échelle galactique, style... j'aurais éclaté un monde en contractant un peu trop mes muscles... Bah il s'rait arrivé et il aurait dit « Excusez-le ! Il n'a pas fait exprès », et ça s'rait réglé d'suite.
Ouais... Là p'têt bien j'aurais eu d'quoi être fier de lui.

J'pouvais me morfondre, commencer à abandonner parce que tout ça c'était impossible. Mais si. C'était possible. Tidus allait pouvoir vivre tout ça, grâce à moi. J'allais tout résoudre, j'allais... r'donner vie à tout c'qu'on m'avait pris.

Le jour s'est levé. J'l'ai accueilli comme un ami. Comme un gros... gros... gros connard d'ami qu'a trente minutes d'retard au rendez-vous. Mais j'étais content d'le voir.

S'est pas fallu plus d'une heure pour qu'y ait du mouv'ment, du vrai. C'est d'abord la poussière qu'j'ai vu v'nir des portes d'la ville. Puis j'ai distingué des chevaux... des p'tites charrettes genre de guerre, et des mecs dessus. Ils sont venus vers moi, ont arrêté leur chevauchée à une dizaine de mètres et sont descendus en brandissant leurs armes... En quinze secondes z'étaient tous autour de moi, me menaçaient de leur lance, d'leur cimeterre et tout. J'ai pas bougé, j'tenais toujours l'rocher au-dessus d'ma tête.


« Yo... » qu'j'ai craché au bout de quelques secondes après avoir pris suffisamment de souffle.

« Es-tu perse ? » m'a demandé l'un d'eux. J'étais toujours dans cette drôle de tenue du désert, genre robe, foulard sur la tête, c'qu'aidait pas pour la chaleur. On pouvait s'demander ouais. J'étais plus grand qu'eux... et j'étais sacrément mastoc mais y avait quand même des costauds chez eux. Puis un peu basanés, barbus. J'te fais pas un dessin, c'est pour ça aussi qu'j'étais v'nu à la place de Roxas .

« Non... » Rien qu'd'parler ça m'd'mandait blinde d'efforts. « J'veux parler au roi. »

« Que comptes-tu faire avec ce rocher ? »

« Euh... » J'ai pris une seconde... Y'm'déconcentraient un peu, ces types. « Un genre d'oeuvre d'art. »

« ... Ne fais pas de jeu d'esprit avec nous. Tu es Mède ? Phénicien ? Grec ? »

« J'viens d'un aut' monde. »

Z'avaient pas l'air d'être des immortels. Ils étaient armés mais z'avaient pas l'air aussi riches que Namvar et le reste des gars... En somme j'les défoncerais plus facilement si jamais y avait un souci.

« J'vous dérange ici ? »

Le « capitaine » m'a regardé méchamment...

« Les gars. J'tiens un rocher de vingt tonnes... Vous êtes sûrs de vouloir me faire chier ? »

Pour me répondre, il s'est approché vivement et m'a planté son épée dans l'ventre... avant de la retirer et de s'éloigner, en garde... Honnêtement, y a pas eu de douleur. Ce rocher me compressait tout l'corps depuis douze heures, j'étais... complètement endormi de partout.
J'entendais tous les gardes qui s'approchaient, qui fonçaient sur moi. Z'étaient une vingtaine.

Bon...

Dans un cri de douleur j'ai sauté sur place, ai donné tout ce qui me restait dans les bras et ai lancé l'immense rocher dans les cieux. J'dis les cieux, j'déconne pas. Il a décollé comme une fusée, il a p'têt bien frôler les nuages.
J'étais libre d'mes mouvements. J'me suis r 'tourné et j'ai envoyé mon pied dans la tête d'un type, l'envoyant valdinguer sur un autre type...Là j'ai attrapé un autre gars et Obélix style, j'l'ai fait tourner autour de moi, l'tenant par un pied, balayant tout le monde, les mettant à terre.
J'me suis remis à ma position de base, j'ai l'vé les yeux au ciel. Le rocher r'venait... tellement gros qu'dans l'ciel, y f'sait d'l'ombre au soleil. Il arrivait facheusement... J'ai l'vé les bras, ai bombé tous mes muscles.
Il m'est atterri dessus tellement violemment qu'j'ai senti tout mon corps s'enfoncer dans l'sol. Mes bras... j'ai cru qu'j'allais les perdre sous l'choc. Ca m'a anéanti la gueule.
Une fois l'choc passé, c'était comme s'il était d'venu léger. J'avais plus rien dans les bras mais ! Pour un petit temps, y'm'paraissait plus aussi lourd que ça !

Les types se relevaient, ouais, à part quelques-uns qu'avaient un peu dégusté... Mais ça a pas duré deux secondes. Ils se sont tous cassés, certains oubliant leur canasson.

Enfin seul...