Les planches du navire craquent légèrement sous le tangage des vagues, le son incessant des pas sur le bois résonne au-dessus de ma tête, une odeur de jasmin vient m’agresser les narines. Tout cela pendant que je suis accoudé à mon bureau, le visage enfoui dans mes mains afin de masser calmement les poches sous mes yeux. Calmement n’est qu’un euphémisme, je suis exténué par mon travail et par les incompétents qui m’assistent.

Je me lève pour la énième fois aujourd’hui, comme je le fais depuis deux jours sans arrêt, je dois me dégourdir les jambes, me changer un tant soit peu les idées, m’aérer l’esprit. Alors je retourne vers la fenêtre que je garde ouverte depuis ce matin à la gauche de mon bureau pour y humer un air un peu plus pure.
J’exécute une profonde inspiration peu après avoir apposé mes mains sur le rebord pour gonfler mes poumons jusqu’à leur limite. Un vent léger aux senteurs de sapins et d’embruns marin vient me caresser le visage tandis qu’il fait doucement virevolter le col violacé de ma chemise. Il parvient même à faire pendre dans mon dos l’une de mes deux tresses, la seconde restant collée sur mon épaule.

Droit devant moi s’étend la mer et la colonie de Jamestown, ainsi que l’immense forêt servant de tanière à ces indiens qui nous harcèlent depuis notre arrivée. Ces maudits sauvages à la peau rouge ! Rien que de penser à nouveaux à eux m’irrite et me fatigue en même temps. Pourquoi n’ai-je pas le droit à l’opulence de mes rêves ? Pourquoi ne puis-je pas jouir de la reconnaissance qui m’est dû ? J’ai tant travaillé pour en arriver là et Dieux m’en est témoins ! Je ne mérite pas tant de calamité, je m’en mérite même aucune ! Je devrais avoir droit à des montagnes d’or, à être acclamé par mon entourage.

Désormais, cette senteur et cette vue me lassent, je donnerais tellement pour que cette expédition s’arrête, pour que je retrouve un confort et une vie qui est dû à mon rang, plutôt que de continuer à travailler avec ces petites gens. Je devrais même être au-dessus de chacun d’entre eux pour les diriger dans le bon chemin de la réussite. Mais se sont ces Mercenaires qui tirent les rênes. Ces forbans ne comprennent rien aux démarches qu’il faut accomplir pour un tel travail. Ils ne pensent qu’à leur profit personnel. Avares et sans foi ni loi ! Ils sautent sur le moindre munnies qui tombe sur leur chemin sans penser aux actions à long termes.
Mais je ne peux pas me permettre de revenir les mains vides, cette expédition est ma dernière chance pour briller au sein de la Compagnie des Indes. La réussite m’apportera la gloire et la reconnaissance de mes pairs ! On parlera partout de moi comme étant l’homme qui a conquis la Virginie, mon nom résonnera dans tous les esprits jusqu’à atteindre le roi d’Angleterre ! Peut-être même m’anoblira-t-il ! Ce serait si jouissif  de regarder de haut tous ceux qui m’ont méprisé en me traitant d’arriviste, de parvenues, d’incapable, de flagorneur, de…….La colère et l’exaspération montent à nouveau en moi, je dois faire évacuer tout ce stress, ne plus penser à rien. Vider mon esprit me permettra de penser à nouveau

Après avoir expiré longuement, je me retournai pour faire face à cette cabine que je ne connaissais que trop bien maintenant. En face de l’unique porte d’entrée ce trouvait une table faite dans un bois clair et très bien ouvragé derrière laquelle attendait un lourd fauteuil en bois recouvert d’une peinture qui imitait l’or. Un petit coussin carré de couleur violette affublé de broderie dorée sur ses arrêtes était posé sur l’extrémité du pupitre dont j’étais le plus proche, sur l’autre extrémité se trouvait un panier de fruits frais accompagné d’une cuisse de volaille presque intégralement dévoré dans son assiette, ainsi que d’une bouteille de vin de 15 ans d’âge à moitié vide avec son verre à pied en cristal.
Juste à côté de l’extrémité de la table qui me sert à me nourrir se trouve un haut et large meuble disposant de plusieurs compartiments me servant à ranger cartes et autres informations nécessaire à cette expédition. La plupart d’entre eux étant vide, car ils étaient presque tous éparpillé sur le centre de mon bureau. Encore loin derrière, ce trouvait mon lit en baldaquin dont les rideaux avaient était tirés. Une folle envie de m’assoupir me tiraillait l’esprit, il n’était que trois heures de l’après-midi, mais je me sentais encore au bord de la dépression, un peu de repos ne me ferait probablement pas de mal.

Pour ne pas penser à cette alléchante éventualité, mon regard continua de faire le tour de ma cabine en passant sur les quelques tapisseries qui en ornaient les murs et le sol pour venir se porter sur le miroir situé juste à côté de la porte d’entrée. Je me forçai à m’en approcher pour lui faire face. J’avais véritablement mauvaise mine. Mon regard avait perdu de son éclat, une partie de mes cheveux étaient décoiffés à force de me gratter le sommet du crâne pour réfléchir, et je me rendais compte que je ne me tenais plus parfaitement droit, ce qui me donnait un air de simple homme. Je ne voyais pas en mon reflet l’image d’un homme noble et raffiné, mais seulement un homme ordinaire issue de la masse populaire, avec quelques beaux atours en plus.

Je tentais de me redressait un peu plus, bombant le torse et cambrant fièrement mon dos, aplatissant ma coiffure dans une certaine homogénéité. Là je retrouvais l’homme que j’étais, mais pendant un court instant seulement. Une mèche rebelle se mit à me narguer en bondissant subitement sur le sommet de ma tête, m’exaspérant à nouveau.

Cette mèche me fit penser à ma situation, elle me résumait si bien. Elle était ridicule, pourtant il s’agissait d’une part de moi-même. Elle me rabaissait en se montrant aux yeux de tous, je devenais invisible, seul elle attirait l’attention pour me ridiculiser. Tout comme ces Mercenaires ! Ces être belliqueux, sans aucunes éducations se permettent de me donner des ordres parce qu’ils sont les maîtres incontesté de la Compagnie des Indes. Tant de ridicule et d’incohérences chez ces individus. Ce n’est pas par une grande intelligence, un certain savoir vivre ou un sens des affaires important qu’ils en sont arrivé à cet état de surpuissance. C’est par le pouvoir !
Nombreux sont ceux qui les craignent, et à juste titre. S’attirer leur foudre signifie la fin de celui qui se sera risqué dans une telle manœuvre. Et c’est justement pour cela qu’ils m’exaspèrent ! Leurs actions ont fini par faire d’eux les gérants des Caraïbes, ils ont assis leur pouvoir partout où ils en avaient la possibilité. Et maintenant c’est moi qui me retrouve sous leur juridiction à faire le pantin tandis qu’ils jouissent de leur notoriété mal acquise.

C’est cela qu’il me manque ! Le pouvoir ! Avec le pouvoir rien ne nous est impossible, toutes les portes s’ouvrent sous nos pas et personne n’osent nous contredire. Car le pouvoir nous rend supérieur aux autres. C’est pour cela que je ne peux pas et ne dois pas abandonner ce projet ! je suis plus digne que n’importe qui de pouvoir gouter au pouvoirs. Pour l’instant, mes tentatives de corrompre les colons en faisant passer les Mercenaires pour des incapables ont porté leur fruit jusqu’à un certain point, mais je ne dois pas allez trop loin. Je suis sur une corde raide et je dois me monter beaucoup plus malin que cette bande d’idiots. J’ai besoin d’eux pour qu’ils me protègent des indiens, tout comme j’ai besoin des colons pour qu’ils déterrent mon or.
Il me faut revoir mes plans, gardé des fidèles parmi les colons pour me tenir au courant des dernières découvertes, anticiper les actions des Mercenaires pour qu’un maximum de richesses tombe dans mes poches.


Je me stoppai brusquement de ruminer des idées noirs lorsque Wiggins entra d’un pas dansant en tenant Percy mon fidèle ami canin fraichement lavé. Fort heureusement que la lavande était une de mes senteurs préféré. Autrement je crois bien que je ne serais plus capable de la supporter.

- Et revoilà un beau chienchien tout propre ! fit-il avec son inlassable sourire niais alors qu’il déposait délicatement mon chien sur son coussin.

Heureusement qu’il y avait Percy, ce canidé de pure race me permettait de garder un semblant de noblesse et d’estime de moi-même quand je le regardais. Je l’avais si bien élevé qu’il était devenu un véritable chien d’aristocrate. Sa posture et son regard traduisait un sens naturel de la bonne éducation. Ce qui me réconfortait dans l’idée que rien n’était impossible, je pouvais élever ces bons à rien de Colons et de Mercenaires pour qu’ils finissent par se rendre utile tout en me mangeant sereinement dans la main. Cela allait être un travail de patience.

La patience….je me frottait à nouveau les yeux rien qu’en pensant simplement à ce mot. Wiggins le remarqua d’ailleurs et s’avança vivement vers moi avec une coupe de vin en main. Je la lui pris à peine des mains qu’il se glissa dans mon dos armé d’une brosse à cheveux pour me recoiffer convenablement.

- Et bien que vous arrive-t-il Monsieur ? Encore de mauvaise pensée qui vous tracasse ? Ne vous en fait pas, vous allez vous assoir et je vais vous faire un petit massage Shiatsu comme me l’a appris un ami. Cela fait des miracles contre le stress.
- Merci bien Wiggins, répondis-je d’un ton las en retournant m’assoir une fois mon brossage terminé. Mais non merci.
- C’est à cause de l’oiseau que je vous aie cuisiné n’est-ce pas ? mon second se mit soudainement à soupirer de tristesse. Je savais que je n’aurais pas dû vous en faire ! Ma mère m’a pourtant toujours dit « ne cuisine jamais ce que tu ne connais pas ! il faut toujours se méfier de la nourriture locale… »


Il venait de prendre une voix et attitude plus féminine pour tenter d’imiter ce qui semblait être sa mère. C’était une véritable bouffonnerie. Et dire qu’on me l’avait chaudement recommandé. Au moins ses talents pratiques étaient d’une grande perfection à l’inverse de son esprit simplet.
Il constata au moins rapidement que son humour ne convenait pas à la situation, et tenta de changer de sujet en allant finir de pouponner Percy.

- Allons, allons Monsieur, ne vous en fait pas. Je suis sûr que cette affaire des Mères va bientôt se terminer ! et comme ça tous les hommes reviendront pour travailler avec un entrain retrouvé. Peut-être même qu’ils fourniront encore plus de cœur à l’ouvrage et qu’ils trouveront plein de richesses.
- C’est bien là le problème Wiggins ! déclamais-je le nez perdu entre mes calcule et mes cartes de la région. Nul ne sait combien de temps cette histoire va durer. Et plutôt que de laisser d’autres faire le travail, nos hommes ont préféré abandonner la Colonie pour de simples relations maternelles. C’est un véritable miracle que les Indiens n’aient pas une seule fois attaqué le campement !
- Ils sont eux aussi en peine pour la disparition de leurs mamans sans nul doute.
- C’est pourtant là qu’il aurait été utile de chercher de l’or ! Nous aurions pu bénéficier d’une tranquillité temporaire pour nous enfoncer dans la forêt et chercher de l’or plus efficacement. Pendant que ces sauvages se mettaient à hurler à la lune à la manière d’animaux.
- C’est vrai que si ils pouvaient rester retrancher chez eux avec toutes leurs affaires et nous laisser tranquille faire les nôtres nous aurions probablement trouvé de l’or depuis bien longtemps. Le problème…c’est qu’ils sont un peu partout chez eux ici. Ce qui rend les choses encore plus compliqué pour nous.


Chez eux….Pourquoi ces mots se mirent à sonner étrangement à mes oreilles ? Comme si quelque chose voulait entrer de force dans mon esprit mais était bloqué par ma vision étriquée des choses. Etait-ce une pensée logique ? Une intuition ? Ou tout simplement le stress qui me faisait divaguer ? Non…

Tout à coups, les mots se répétèrent dans ma tête : « Chez eux »… « Leurs affaires »…. « Partout »….Mais bien sûr !

- Wiggins ! fis-je en me relevant brusquement, le faisant sursauter alors qu’il nourrissait Percy avec une grappe de raisin. Que feriez-vous si vous aviez des objets de valeurs ? vous les rangeriez prêt de vous n’est-ce pas !
- Ho bien sûr monsieur ! je garde toujours le mouchoir de ma Mère dans ma poche arrière ! Pourquoi donc ?
- Parce que c’est également ce que font les Indiens !


Mon second me fixa alors avec de grands yeux interloqués. Bien sûr qu’il ne pouvait pas comprendre aussi facilement que moi, ce n’était qu’un simplet. Je pris alors la plus grande carte que je possédais et me précipita en direction de mon miroir pour m’en servir comme chevalet. Après l’avoir posé sur toute la surface, je lui désignai la côte où nous nous trouvions en faisant de grands cercles avec le doigt.

- Nous avons fouillé toute cette zone sans jamais rien trouver. Pas la moindre pépite et pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus rien à trouver ! Pas parce qu’il n’y a rien, mais parce que tout a déjà été prélevé par ces Sauvages ! Ils sont là depuis bien plus longtemps que nous, ils ont eu tout le loisir de récupérer tout ce qui brillait. Cependant ce ne sont que des simples d’esprit, ils n’ont pas pris l’or pour sa valeur mais tout simplement parce qu’elle brille. Comme une pie qui vole un bijou ! l’or peut attirer l’œil même des plus simples animaux ! les indiens n’ont pas échappé à cette règle purement élémentaire. C’est pour cela qu’ils nous attaquent ! ce n’est pas pour nous empêcher de nous installer mais bien parce qu’ils veulent garder jalousement tout cet or rien que pour eux !
- Ah bon ? lâcha Wiggins abasourdit. Moi je pensais que c’était parce que nous avions envahi leur terre, fauché leurs arbres, tranché leur sous-sol,…
- Il suffit Wiggins ! le coupais-je sans même l’écouter. La solution était juste là sous nos yeux depuis le début et nous n’avons pas été capables de la voir. Nous avons perdu tant de temps à creuser alors qu’il suffisait d’aller chercher cet or qui n’attend que nous.
- Mais comment allons-nous faire pour les trouver alors que nous ne savons même pas où ils se trouvent ?
- C’est à cela que servent les Mercenaire voyons ! lançais-je avec un sourire narquois sur le visage. Je me sentais retrouver toute ma fougue et mon combativité. Ils devront se rendre dans la forêt, la ratiboiser de fond en comble et forcer les Indiens à sortir de leurs cachettes ! Ils devront les débusquer et les forcer à nous donner le chemin de leur campement.


Wiggins sembla s’enthousiasmer et se mit à sautiller sur place en tapotant énergiquement des mains pour m’applaudir.

- Dans ce cas pourquoi ne pas les inviter à un repas au coin d’un grand feu de camps pour tous faire connaissance ? je suis sûr que nous aurions des tas de choses à partager en échange de leur or.
- Ce ne sont pas des êtres humains Wiggins ! fis-je en balayant l’air d’un mouvement de bras brusque dans sa direction pour le faire taire. Parfois ce jeune homme m’exaspérait incroyablement avec ses idées grotesques. Ils n’ont aucune éducation et se comportent comme des bêtes. Il n'y a rien que l’on peut tirer de ces êtres hormis de la sauvagerie animale. S’ils avaient un tant soit peu de bon sens ils nous auraient accueilli les bras remplit de richesse en signe de soumission comme cela fut jadis arrivé à Christophe Colomb en Espagne. Au lieu de cela ils nous ont agressé, NOUS ! la personnification même de la civilisation par simple avarice.


Je retournai m’installer dans mon siège avec un air de profonde satisfaction. De nombreuses tâches en préparation demandaient toute mon attention désormais. Je devais tout mettre en place avant le retour des hommes qui allaient cette fois-ci jouer un rôle plus important dans cette aventure. J’étais persuadé que tout le monde allait y trouver son compte. Et avec un peu de chance, j’allais certainement calmer la tension entre les Mercenaires et moi, et ainsi atténuer leur aversion à mon égard pour que je puisse plus facilement préparer un stratagème destiné à mettre la main sur le plus de richesses.

A ce même instant, Percy se mit subitement à aboyer et à grogner en direction de la fenêtre. Je tourna mon regard dans sa direction pour le faire taire pendant que Wiggins disait s’atteler en cuisine pour me préparer du poisson fraichement pêcher dans ces eaux. Mais au même moment, mon noble canidé se mit à blêmir de peur en ouvrant de grand yeux terrifié avant de tomber à la renverser et de filer ventre à terre pour se cacher sous mon lit.
Mon second et moi-même le fixèrent un instant, perplexe, en train de trembler comme une feuille avant de nous mettre à regarder vers la fenêtre….Et rien ne s’y trouvait. Je m’y rendit afin de m’assurer que rien n’était en train de grimper au navire, et après avoir assidument observé la façade extérieur du mieux que me le permettait ma position sans rien trouver d’anormale, je me rendit à l’évidence que mon chien avait simplement exagérément réagit à mon intonation pour le calmer.

J’ordonnai donc à Wiggins de s’occuper de Percy pour qu’il cesse de m’importuner avec le claquement de ses dents pour que je puisse travailler en paix.



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A l’extérieur du Navire, une ombre étrange se mit à glisser sinueusement de sous le rebord de la fenêtre de Radcliffe pour se rendre au gouvernail. D’ici, elle se mit à prendre une forme plus compact avant de se mettre à émerger du bois de la structure pour prendre une forme en relief. Deux antennes noires jaillirent comme deux petits ressorts de ce qui semblait être une tête ronde et disproportionné par rapport au corps minuscule et fin de la chose auquel étaient rattaché des mains griffues et des pieds plats de forme triangulaire. Puis deux grands yeux jaunes s’ouvrir subitement tandis que la chose sombre se mettait à dodeliner de la tête de droite à gauche sans aucune raison.
Puis au bout de quelques secondes de silence, la créature disparut dans un nuage de fumée obscure sans laisser de traces derrière elle.

Aucune trace…hormis un infime accès invisible à ce monde pour les Ténèbres qui avaient commencé à sentir un délicieux appel de noirceur