Elle n’arrivait pas à dormir.

Et elle ne se sentait pas bien, comme… si elle n’avait rien à faire là, dans ce monde, dans ce campement, dans ce corps. Et pourtant, Ravness n’était pas pour autant dans un état de tristesse ou de lamentation. C’était comme un constat. Sans même y réfléchir, elle le ressentait.

Ses paupières n’avaient plus la force de se fermer, elle regardait fixement la toile du plafond de sa tente… écoutait d’une oreille la respiration d’Ambre, de l’autre côté de son logis, séparée d’elle par un rideau quasiment transparent à la lumière du jour.

Et elle ne pensait pas.

La seule chose qui effleurait son esprit était un air incessant qu’elle ne cessait de se remémorer…  Elle ne savait pas si ça la rendait folle ou si elle aimait s’en souvenir. Enfin… s’en souvenir… Non elle ne se souvenait pas d’où elle l’avait entendu mais oui, il était bien familier.

L’instant d’après, elle était debout et enfilait sa cape. Elle l’avait fait sans réfléchir et leva un sourcil d’ailleurs au bout d’un moment, s’étonnant d’agir aussi spontanément. Quand avait-elle pris cette décision de se dégourdir les jambes ? Mais à bien y réfléchir, c’était ce dont elle avait besoin, un peu d’air, un peu de solitude dans cette forêt.
Une robe de nuit et sa cape de brigand couvraient légèrement son corps. Elle n’enfila pas son armure… Ravness n’y pensa pas une seconde.

La générale tira le rideau sans essayer d’être discrète. Un instant plus tard, son regard vide se posa sur Ambre qui, aux aguets, réveillée presque en sursaut, avait mis la main sur le pommeau de son épée avant de finalement se calmer en voyant sa supérieure.


« Que faîtes-vous, Générale Primus ? »

« Je vais me promener, dors. »

Et elle sortit…

Mais qui avait répondu ? Qui avait parlé ? Elle n’arrêta pas sa marche pour vraiment s’en soucier mais une petite partie de ses songes vinrent poser cette question à l’autre : L’ai-je vraiment tutoyée ?
Ravness ne tutoyait jamais ses hommes… à vrai dire, elle ne tutoyait que ses proches les plus intimes et les gens qu’elle détestait.

Elle n’avait rien à faire dans ce corps, c’est cette réflexion qu’elle s’était faite un peu plus tôt… Ce fut à vrai dire sa pensée la plus primitive, spontanée.
Alors que se passait-il ?

Général Primus marchait déjà dans les bois d’un air décidé. Ce n’était plus une promenade, elle le sentait bien. Elle empruntait un chemin qu’elle avait l’impression de connaître… Elle allait dans une direction qu’elle ne pouvait identifier mais qu’elle savait être correcte. C’était la volonté de son corps mais aussi de son cœur. Ses pieds n’étaient pas seuls à prendre une décision… ses espoirs et ses envies avaient une intention : La suite et la fin de ce chemin.

Alors elle avança… Ses pieds nus ne se souciaient pas de la terre, des cailloux et des ronces. La lave ne lui aurait plus arraché la moindre réaction.

Ravness avait réfléchi… et en était sûre. Elle détestait cette musique. Celle-ci lui rappelait certaines choses qu’elle s’efforçait de laisser au passé. Une sorte de photo, comme les gardes de la lumière appelaient ça… Une photo, une image d’un moment passé… Et même si ce moment était peut-être un très beau moment,  sa mémoire n’en était que plus triste. Comme on ne regrette jamais de ne pas avoir profité des pires instants de sa vie, on est particulièrement attristé de repenser aux meilleurs.

Et Ravness n’aimait pas être triste. Elle ne voulait pas se souvenir. Elle voulait seulement marcher et l’atteindre.

Et enfin, elle dormit.