Le temps était une notion à la fois abstraite et tout aussi imperceptible, en dehors de la conception de Délia, elle ne pouvait ni l'appréhender ni la comprendre aujourd'hui. Chaque tic d'aiguille ne parvenant à faire résonner son être, les seuls vrombissements qui traversaient son corps étaient ceux du désespoir. Ce sont ses larmes que la jeune femme comptait. Elle savait pertinemment que ses sanglots lui faisaient perdre ses moyens et malheureusement, se remémorer ces instants d'autrefois par la même occasion, cet accompli et lointain qui la poignardait en plein cœur qu'elle ne pouvait plus revivre. Cette joie inaccessible d'antan.

Des plaintes apathiques tintaient dans les ombres. C'est quand la lueur de la fin de son voyage se montrait, salvatrice, que la larmoyante déchue essuyait sa tristesse du coin de ses larges manches avant de découvrir sans réel contentement, là où le destin l'amenait aléatoirement vers une pesante réalité qui bientôt sera funeste par sa simple présence. Son regard pourpre aveuglé par un univers lumineux qu'elle n'avait pas contemplée depuis des lustres, son premier pas frottait le sable violacé et la poussière de la Fin des Mondes en s'extirpant des ténèbres qui la faisaient voyager tel une entité sereine, poussant une expiration de damnée. Trébuchant quelque peu, comme si elle avait oubliée l'utilité et le fonctionnement de ses jambes, des mains fulminantes d'un noir toxique la rattrapèrent, l'aidant à se remettre au pas. Balayant lascivement les lieux de sa vision désincarnée, une once de joie venait l'animer face aux ruines du Cosmos.

« Quel endroit merveilleux, dit-elle de sa voix asthénique et fluette, remuant très lentement sa tête de droite à gauche. C'est ici que je dois me rendre ? Je ne sais pas… Nous avons beaucoup de choses à réaliser encore… J'aimerais ressentir cette sensation de l'eau sur mes pieds… »

Malgré le délabré et la dévastation qui se présentaient, ce paysage de pertes, de vestiges macabres, les Larmes Noires ôta une de ses sandale, s'approchant du bord de ce gouffre submergé, plongeant timidement un doigt de pied dans ce liquide transparent qui reflétait le vide intersidéral. Frissonnant face à la froideur, la demoiselle sentait quand même une légère sensation agréable, un sentiment humain. Cependant, son pied ne pouvait pas aller plus loin que quelques centimètres de profondeur. Surprise par la loi de ce monde, elle enleva quand même son deuxième soulier, avançant prudemment sur cet océan céleste. Des rochers flottants, des murs de pierres survolant l'abîme, tous convergeaient vers un point lumineux au loin. Ce n'était pas là que l'élue tourmentée et empoisonnant devait se rendre.

L'illogisme ne se terminait pas. Procédant sur ces flots nébuleux qui pouvaient être érigés en tant qu'exemple d'une terne sérénité, la belle fourvoyée vit sa singulière excursion interrompue par l'invisible. En effet, un obstacle sans forme, invisible, empêchait Délia d'avancer en ligne droite ; vers la finalité, calfeutrée par l'évanescence. Ramenant sa main vers sa poitrine, resserrant chacun de ses fins doigts d'albâtre, elle observait aux alentours, soucieuse et surtout troublée. Elle ne voyait que la fin et non le parcours. Cependant, aucune vicissitude ne pouvait la dévier de son objectif, elle le savait, elle en était convaincue, elle s'en persuadait. Et telle une aveugle ou n'importe quel humain perdu dans l'obscurité, ses mains vinrent se poser contre cette paroi discrète. Glacé, une sensation proche du verre mais pareil à de la pierre brillante. Suivant à la lettre ce couloir incertain, ne pouvant plus faire confiance à ses yeux troublés, déambulant sur la mélodie naturelle de ses paumes frottant cette sobre séparation physique et le bruit de ses pas liquides.

Une nouvelle énigme. Le sentier semblait s'arrêter net sur une minuscule îlot couverte de cendres argentées. Si on la contemplait, on aurait dit une flèche, ce qu'elle pointait était une autre flèche, et ainsi de suite. Sans vraiment réfléchir, la désemparée à la chevelure corbeau emprunta cet itinéraire manifesté ad hoc. Vagabondant encore en triste erre, cet endroit l'appelait alors qu'elle déambulait, osant à peine examiner ce que la jeune femme regardait, sans réelle attention ou énergie, son esprit et son crâne imitaient le mouvement de douces vaguelettes. Un cadavre dont on aurait violé la sépulture et son droit au repos éternel, avant de lui apposer sa volonté, ordres qu'il exécutera sans raisonner en vivant, seulement en poupée. Ignorant complètement le caractère de sa destination, c'était comme un cri, une exhortation. C'est là-bas, ailleurs, or pourquoi ?

S'arrêtant tout à coup sur une formation de pierres à la symétrie insolite, un arbre mourant la surplombait, ses racines grisées éventrant le récif. D'emblée, le ciel devint subitement couvert, nébuleux. Et pour cause, une sphère se trouvait juste au dessus de la dame hantée. Menaçante, amphigourique, des nuances ténébreuses se mélangeant, se battant entre elles, toutes aspirées en son centre. Silencieuse et imperturbable, la mélancolique observait cette boule admonestant juste au dessus de sa tête. Un danger patent, on pouvait lire dans l’œil désabusé de cette presque intruse qu'elle acceptait le défi, qu'importe de quoi il pouvait s'agir. Même la mort ne l'effrayait plus. Le sort tomba et dans sa chute, absorba la vie. La phénoménale perle d'ombres chamarrées dansantes s'écrasa sur la neurasthénique lady, sans se débattre, engloutie dans la violente chute de cet autre espace.

Ce fût bref. Comme lorsque l'on ferme et rouvre les yeux, sinon cette mystérieuse pénombre qui vient vous obstruer conception, sens et repères dans cet éther embrouillé. Semblablement à maintes mains d'âmes souffrantes voulant à tout prix vous couvrir les yeux. Et lorsque elles se retirèrent, c'était un nouvel acte, un des nombreux versos de ce monde. Un genre de place naturellement disposée par l'anarchie et pour le chaos. Une terre cendrée, des formations de roche et de cristal en staccato à l'allure de griffes voulant dissimuler, envelopper, étreindre, détruire ce théâtre dédié au mal. Des Sans-Coeurs, ils étaient là. Instinctivement, le sang empoisonné de la bataille bouillonnait, des bulles à la malfaisante couleur s'extrayaient du corps de Délia Cantebury pour former d'imposante serres crochues prêtes à déchiqueter ce qui se trouvait dans le rayon de sa colère dormante. Elle semblait importunée, la tête baissée, la pénombre camouflant son masque d'irritée. Des apparitions.

Irradiant dés leur entrée, des espèce de containers de verre ailés parés de néons émergeaient en sauveur pour irradier la menace. Des lampe ambulante pour éclairer cette planète. Des anges pour préserver les ténèbres, une oxymore saugrenue. Toutefois, ils n'apercevaient pas leur unique adversaire malgré leur aplomb vaudevillesque survolant l'erg grisâtre. C'est en entendant le bourdonnement d'une force néfaste qui se préparait qu'ils se tournèrent vers la voûte pétrée. L'élue du poison, surplombant ses détracteurs, emmagasinait une incroyable énergie corrompue dans le creux de ses doigts. D'un mouvement de bras, elle balança cette magie destructrice sur ces monstres séraphiques et les ténèbres explosèrent dans un fabuleux spectacle nocturne boréal. Seulement deux d'entre eux avaient été touchés, on pouvait déjà apercevoir des craquelures sur ce réservoir qui semblait protéger quelque chose d'important chez ces créatures. Les arts profanes sont efficaces contre ces saints usurpateurs. Deux autres s'étaient déjà envolés, fonçant droit sur la servante du serpent. Elle réussi à en attraper un sans même hausser le cil. Une des main noir logée dans son dos saisit le premier avant de commencer à le serrer entre ses crochets fumeux, traduisant des râles de douleur par le biais de leur réservoir se brisant sous l'emprise acharnée. Le second arriva en plein sur la sorcière qui perdit aussitôt l'équilibre en dévalant la pente, arrivant à se relever sur-le-champ, accordée de quelques éraflures. La main noir dans son dos n'avait pas lâchée prise et continuait sa sinistre torture. D'autres lueurs. Ces étoiles perverties préparaient quelque chose et au vu d'une telle clarté, elle allait difficilement se remettre de ce genre de charité.

« Les papillons ont besoin d'une sépulture… »

Maudissant ces manifestation, lunatique, une paire de ces engins bienfaisant virent la pierre les priver de leur semblables, absolument figés et prisonniers en tant que statues. La menace rutilante écartée, il n'en restait plus qu'un duo, sans compter celui qui allait périr par le virus vivant. L'un des ennemi tenta de s'approcher. Tout de suite, il se vit parsemé de funestes flammes, le feu noir et éternel, freinant sitôt sa course en émettant des crissements. Plus qu'un, qui ne semblait craindre la domination de cette incarnation de la parque. Des plumes fusaient ici et là, écorchant la peau de l'enfant de verrier, elle aussi fendue et rayer dans un son cristallin à quelques endroits, certaines bien plantées dans le vitrail anatomique qui formait le corps et renfermait l'âme de Délia Cantebury. Tout en avançant dans cette véritable salve, l'attraction terrestre se fit lentement plus importante, relâchant de plus en plus son agression griffonneuse pour au final, venir s'aplatir sur le relief. Battant des ailes, se mouvant de part et d'autres de son corps fantasmagorique, l'entité n'arrivait pas à se défaire d'une telle pesanteur. L'autre main logée dans le dos de la taciturne ferma le poing avant de s'abattre avec fureur sur cette abstraite chose sans défenses à en éclater le sol. Il ne voulait pas succomber. Tentant de bloquer le coup avec sa voilure empennée. Sans aucune miséricorde, la farouche endeuillée persévéra dans la cruauté en le frappant encore et encore dans un énorme fracas. La machine organique persistait et ce n'est qu'au bout d'une dizaine de coups qui l'avait déjà encastré dans quelques centimètres de cendres et de caillasses que la créature s'éteignit, laminée par la force du chagrin, se volatilisant ensuite dans l'empyrée. Celui supplicié ainsi que celui érigé en autodafé  ne tardèrent pas non plus à le rejoindre dans ce qui n'était ni paradis ni enfers. Pour le duetto fossilisé, la demoiselle posa ses mains sur la pierre des idoles célestes. Une aura de différentes nuances verdâtre s'empara radicalement de la matière, on pouvait ouïr les piailleries de ces grotesques oiseaux se tordant dans cette géhenne. Le roc devenait stérile, pourrissait de l'intérieur avec en son sein ce qu'il restait de vivace. Commençant à s'effriter au fur et à mesure que le grès prenait une tonalité répugnante, des vapeurs s'échappaient de l'érosion, pour en définitive, tomber en morceaux putrescents et relâcher les enveloppes brumeuse des défunts.

Faisant disparaître ses artifices ésotériques, l'éplorée tomba à genoux, éreintée d'avoir déployée tant d'énergie dans ce massacre archangélique. L'appel, encore, était là, plus présent que jamais. C'était un coffre, un petit pavé de bois sinople aux bordures dorées dépassant à peine du sol. Depuis quand il était là ? Ça, la désespérée empoisonneuse l'ignorait. Se relevant comme elle le pouvait, elle s'approcha de la curieuse boîte. Encore cette proclamation, encore, encore. Toujours plus forte, résonnant en diapason dans sa tête. Et c'est en l'effleurant de l'index, que la gloire et la libération jaillissaient. Comme un soleil dans un coffret. On y discernait le chant des oiseaux, les gazouillis d'une ville, les murmures de la nature, une cloche sonnant merveilleusement. C'était donc là, qu'elle devait aller ? Dans ce brouhaha citadin ? À peine avait-elle le temps d'y songer face à ces visions, que les Larmes Noires s'engloutissaient, emporté dans ce tumulte banal de candeur luminescent.

Musique : Dare ka, Umi wo (誰か、海を。) (Instrumental) - Aimer - Générique de fin de Zankyou no Terror.