Faites pas attention aux gens qui chantent, ils en ont sûrement plus marre que vous. Non, c'est vrai. Ça vous est déjà arrivé d'avoir une chanson dans la tête ? C'est l'abomination ! Même en la chantant ça part pas, hein ! Alors en plus quand la chanson vous plaît pas nécessairement je peut vous dire que ça vous rend chèvre. Bon, ça rend soit dingue, soit ça vous donne envie de l'apprendre à tout le monde pour que tout le monde l'air dans la tête ! Pourquoi y'avait pas encore de sans cœur avec cette capacité ? C'était terrible ! Dans l'genre « torture et assimilés, rubrique - divers » c'est.... wah. Cool.

    C'était quoi la mission déjà. Ah, ouais. Éliminer une bestiole. Ça serait expédié vite fait ça. Il l'avait déjà fait ça !

    Ça, c'était avant de voir la bestiole.

    La pluie avait commencé à tomber en fin de matinée, a cette heure où tout le monde s'affairait, au Sanctum, putain c'était des lève-tôt. Fabri, lui.... Nan, même pas en rêve. Il aimait l'aube, cette lueur pâle qui éclairait le ciel. S'il la voyait, ce ne serait sûrement pas en se levant. En se couchant, peut-être.... Mais ce jour là il n'y avait vraiment pas de quoi fouetter un chat niveau lumière. En se rendant a cheval sur les lieux de la mission, il ne fut même pas surpris de découvrir tout le long de sa route des champs labourés pour l'hiver, les blés coupés ; le bois et les alentours du lac devaient sans doute être en train de roussir, de mourir pour cette année qui se terminait. Non, y'avait rien à dire. Le début de l'automne, c'était absolument une période qu'il haïssait plus que tout. Jours moins longs, plus froids, humides, ciel gris. C'était sans penser à autre chose qu'à une foutue chanson qui lui traînait dans la tête qu'il s'était préparer à botter le cul d'une créature qui était sans doute redoutable. Il avait pas peur ; il allait la défoncer. Ramener son arme et l'exposer dans la cuisine. Aux yeux de tous ceux qui viendraient bouffer leur sandwich, il leur dirait « vous voyez ce truc ? J'ai découpé la tronche de son proprio, moi tout seul ! ».

    Parce que ça allait faire deux ans qu'il était là quand même, et il avait pas chômé. Il avait grandi, non plus sérieusement. Ça allait être chose que ses antiques techniques de planque artisanale, le « on se cache en attendant de frapper dans le dos ! » -ça valait sa bouchée de pain quand même. Ho.

    Le chemin se terminait devant lui ; il s'était éloigné du château jusqu'à ne plus l'avoir en vue, dans cette direction qui menait au château de Maléfique, de sinistre mémoire. Il n'y était pas retourné depuis un bail, et n'y retournerait certainement pas en automne sauf s'il y avait un million de munnies ou ses deux parents en vie qui l'attendaient. Bordel. Ah penser à ça aujourd'hui, sérieusement ?

    Le cheval allait pas se tirer, il était dressé, mais quand même, Fabri en attacha les rênes à une branche basse à la lisière du bois. Rien n'était visible si ce n'était le chemin qui s'étendait derrière lui, rien devant. Il y avait une vague sinuosité entre deux champs, indiquant des passages peu fréquents. La foret obscurcissait la gauche, en se tenant face a ce bout de chemin désolé. Sombre, humide. A droite ; un champ boueux, la pluie rendait toute tentative d'observation complètement inutile. C'était un crachin froid, il n'y avait en définitive que peu de vent, merci au relief. Encore une horreur de pneumonie d'évitée tiens.

    Selon toute indication, c'était ici. Que faire ? Bein, avancer. Quelle question théorique... Il s'enfonça dans le bois qui était de plus en plus dense à mesure qu'il y avançait. Il ne saurait pas dire de quelle sorte de bois il s'agissait, n'étant pas sagace à ce point, mais il notait quand même une légère différence avec les arbres qui étaient plus proches du château. Même si la pierre des derniers bâtiments était toujours la même, semblable à celle qu'il avait toujours connu même à Paris, les arbres, eux étaient différents. Déjà plus foncés et plus touffus, plus sauvages. Leurs troncs s'élançaient haut dans le ciel, leurs racines étaient profondes et s'enfonçaient dans la terre. C'était une foret quoi, étrangement, comme il n'en avait jamais vu. Tout était humide ici, là au moins, à partir de maintenant, quand il imaginerait une foret, rêverait ou cauchemarderait d'une foret ; ce serait de celle là.

    Il était quasiment sûr que c'était le bon endroit -carte à l'appui ! Il n'avait plus aucune musique dans la tête, et ne savait pas si ça devait le rassurer où l'inquiéter. Le problème n'était pas justement qu'il y avait quelque chose ; au contraire.

    La seule bestiole qu'il vit, une biche, prit la fuite en l'entendant arriver. Elle était là ; ça voulait quand même dire qu'il n'y avait rien d'autre, ça, non ?  Il y connaissait rien, à la chasse, et avait jamais été trop fan de la tuerie d'animaux, surtout ceux avec des grands yeux de maman poule.

    Il continua d'avancer dans les bois, cherchant partout, ne trouvant que des bestioles qui détalaient à se vue, le peu de celles qui n'étaient pas partie avec l'inévitable venue des gelées. Il n'y avait vraiment aucun signe d'un monstre plus grand qu'un humain ici, sérieusement. C'était plutôt... Bon signe ? Fabrizio se risqua à cette pensée.

    Du moins jusqu'à ce qu'il entendit un craquement sinistre derrière lui. Il était devenu un spécialiste dans la section abattage d'arbres, enfin, surtout sur le point annexe du « rester bloqué dessous » depuis peu. Et là, il pouvait dire que c'était effectivement le bruit d'un arbre qui tombait. Il se retourna, assez rapidement pour voir un énorme tronc lui foncer dessus -dans sa chute, on a pas encore vu de troncs qui courent. Il eut tôt fait de se jeter sur le côté pour l'éviter, échappant ainsi a une défaite immédiate face a son très recherché adversaire. Il était très recherché de prime parce que la quête pour le trouver fut longue, mais aussi parce qu'il n'avait jamais vu de... truc comme ça.

    Il avait indubitablement forme humaine, probablement multiplié par un demi-multiple de un. Selon une première vue, c'était vaguement sa taille. Il était grand ; trop grand pour être proprement humain. C'était un colosse. Trois mètres de haut ? Probablement, une montagne de muscle en plus. Il portait une armure gravée de runes sur la moitié de son corps, dans ses mains reposait une énorme double hache qui devait bien peser le poids de deux cheveux de trait. … Au bas mot, Fabri savait pas combien pesait un cheval de trait bordel. Mais c'était lourd, et le colosse semblait se mouvoir sans grand problème avec cette énorme chose dans les mains, et il n'avait pas l'air d'éprouver la moindre difficulté à la manier non plus ! Un autre coup fondait déjà sur Fabri, et manqua de peu... a cette taille là ça n'aurait pas fauché que sa tête ; disons qu'elle le rata de peu. Alors qu'il roulait au sol, il entendit la cognée frapper un tronc non loin de lui, difficile de frapper quelque chose d'autre dans une foret.

    Il se redressa, la fine pluie détrempait le terrain et il savait très bien que ce tremblement qu'il subissait, c'était parce qu'il crevait de froid. Mais il y avait aussi la peur, l'excitation du combat. Ça faisait longtemps qu'il s'était pas battu, quelle.... Quelle connerie il faisait, merde. Et pis il pensait, il pensait trop. Ça avait toujours été comme ça ; Fabrizio pensait trop, et ça allait le tuer. Un beau jour, pas maintenant il espérait. La pluie avait rendu son corps glacé et son esprit épars, a quoi pensait-il ? A ce qui s'était passé il y avait une heure, une demi heure, quelques minutes. Il perdait le compte des secondes, son cœur battait un rythme soutenu, régulier. C'était quelque chose qui lui faisait peur. Cela ne faisait que trop peu de temps encore qu'il s'était tenu face a une mort certaine, face a ce type aux cheveux blancs et son copain qui gueulait et qui frappait des gamines, même s'il avait l'impression que tout datait comme si ça s'était passé il y avait des années.

    Il se retourna, face au colosse qui avançait vers lui, hache dans les mains. Il devait le garder à vue. Il devait éviter de faire durer le combat, il se fatiguerait plus qu'autre chose. Mais comment faire ? Tout point vital, cou, tête, cœur, étaient protégés si tenté qu'il les possédait. Qu'est-ce qui prouvait que ce machin n'avait pas que forme humaine ? Il aurait pu se renseigner avant sur ce truc mais il n'avait rien, il ne savait pas comme il s'appelait, ce qu'il foutait ici même lui était obscur ! Il était là, et c'était déjà suffisamment problématique.

    Il frappa encore, d'un grand coup du haut vers le bas ; utilisant l'élan du au poids de son arme. Il savait s'en servir, le con. Le combattant du Sanctum pensait en avoir réchappé sur ce coup, mais cette pensée se révéla fausse alors qu'il ne put que contempler l'arme de son opposant. Elle ne se ficha pas dans le sol comme il s'y attendait mais dévia pour partir latéralement dans un geste souple, pour que son manieur exécute un coup latéral. Là seulement, elle alla se ficher dans un arbre dans un bruit mat. Fabri, lui, ne put que reculer sans rien prévoir, avec l'unique envie de sauver sa tête. Il se rendit vite compte que ça avait réussi, il était toujours en vie, il avait évité le coup, mais en résultait une douleur soudaine, sur son front. Ça faisait mal, et du sang commençait à couler du côté gauche, sur son œil, sa joue. Il saignait mais il était en vie, et dégaina son épée.  

    «  T'as assez joué maintenant c'est mon tour ! »

    Coup du sort ou de la chance, jet de dé de l’Éternel qui regardait la scène, le titan eut bien du mal à reprendre son arme ; il tirait et tirait dans le but de la déloger du tronc où elle avait été se ficher. Une famille d'écureuils avait perdu une maison, et Fabri avait gagné une occasion en or. Il s'approcha a toute vitesse du colosse, avisant un trou dans son imposante carapace métallique au niveau du sternum. Bordel, c'était un coup de chance ça.

    Il savait pertinemment que frapper de taille ne servirait pas, aussi, il empoigna son épée à deux mains et la planta dans le corps de son ennemi, là où la chair était visible. Il intenta en effet ce geste, mais dans la pratique, il ne réussit pas ; d'une main, le colosse le frappa. Ne voyant pas le coup venir, cette frappe magistrale envoya le soldat bouler quelques mètres plus loin. Pas glorieux. Pas glorieux du tout, pensa ce dernier en reprenant ses esprits et se redressant, bien après que son ennemi eut récupéré son arme.

    Il recula, faisant bien attention à là où il marchait. Dévalant une pente raide derrière un buisson quelconque, il se retrouva dans le lit d'une rivière sûrement causée par la pluie, tarie en été, vivace en hiver. Essoufflé, il regarda dans la direction d'où il venait, voir si son ennemi ne se pointait pas. Chacune de ses respirations ravivait une douleur sourde a ses nombreuses suppliques. Oh ses côtes tiendraient, ou alors elles tomberaient en miettes et lui avec. Il s'adossa à l'arbre le plus proche afin de réfléchir à cette éventualité.

    Le combat contre ce type aux cheveux blancs l'avait laissé de côté par rapport au combat pendant un bout de temps, il ne pouvait pas dans l'immédiat faire l'inventaire des blessures subies pendant l'affrontement, ce colosse, à côté, c'était rien, se disait-il. Il essuya le sang sur son front d'un revers de main, il pouvait sentir une coupure, profonde, y'avait pas à dire, cette créature à l'arme peu aiguisée lui avait défoncé une arcade. C'était ça, de traîner sous la pluie avec une arme sans fourreau... C'était lui qui devait payer pour ça, franchement.  Il s'était dit que quelques brûlures à l'épaule, dans le cou, jusqu'au bas de sa joue droite ça passait encore, à la limite. Mais là, merde...

    Bientôt, il entendit de nouveau les pas du colosse. Quelques secondes après, il se retournait et se retrouvait nez-à-nez avec lui.

    « Tu vas payer pour cette fin d'année merdique mon gros... C'est arbitraire, mais vu ta gueule.. »

    Il avait gardé son épée en main, lançant rapidement un sort de soin mineur pour arranger l'arrangeable, se redonner une contenance, il attendit que la créature frappe à nouveau pour reculer rapidement, puis se rapprocher alors que l'énorme hache décrivait encore des arcs dans les airs. Toujours le même plan d'attaque ; c'était une certitude. Il planta son épée à l'endroit qu'il avait initialement prévu ; cette partie du ventre de son ennemi non couvert par son armure. Il se glissa derrière lui, tout compte fait, elle était bien lente cette créature. Dégainant la dague qu'il avait à la ceinture, il observa quelques instants le dos de son opposant, à la recherche d'une hypothétique ouverture dans l'armure. Songeant en haut lieu que son ennemi aurait tôt fait de se retourner, il sauta sur son dos. Il se hissa à deux mains jusqu'à la naissance du cou du géant, sa dague entre ses dents. Il la reprit une fois sa prise sécurisée ; la base du cou constituait généralement un point faible dans certains types d'armure, mais là, le casque était quasiment encastré dans une pièce faisant le tour du cou de ce titan et semblait en acier massif. Un deuxième coup d’œil fut nécessaire afin de trouver une faille, qui se trouvait en fait sous le cou, dans le dos, que l'armure ne couvrait pas. L'armure protégeait en effet le cou, mais sa base était vulnérable. C'était néanmoins trop tard, et il sentit une poigne titanesque le décrocher de son perchoir. Fabrizio, sa dague et ses espoirs firent un vol plané et atterrirent dans le lit de la rivière, dans un bruit boueux et un grognement de désagrément non feint. S'il avait pas eu son armure... Bein il serait peut-être pas mort mais il se serait peut-être pas relevé.

    Il avait vu la faille, il avait toujours son arme. Son souffle était court, son ennemi armait déjà son bras pour un coup qui pourrait le trancher en deux. Ce coup ne fut pas au ras du sol cependant, et Fabri, surpris de sa propre réaction, se jeta en dessous, entre les jambes de son ennemis pour atterrir derrière lui. En un clin d'oeil, il était reparti pour grimper le plus haut possible dans le dos du colosse pour finalement planter sa dague, pièce de métal incurvée et ancienne, machin qui devait dater de Jérusalem, selon ce que son père lui avait dit... Mais on s'en fichait, il frappa, et frappa encore. Secoué de spasmes répétitifs, son adversaire tenta de le désarçonner mais l'arme, tantôt ripant sur des imposantes côtes, tantôt commettant d'irréparables dommages et lui imposant probablement des souffrances terribles, eut bientôt raison de lui et il tomba. A genoux, puis face contre terre. Et bientôt, il ne bougea plus. C'était fini.

    Le jeune homme reprit son arme et la rengaina, il fit de même avec son épée, l'arrachant de la carcasse de la créature. Avisant son arme, cette énorme hache, il s'arrêta quelques secondes... Ça aurait été tellement épique de l'accrocher sur un manteau de cheminée... Mais il avait à peine la force de porter ses armes, rendu à son cheval, qui l'avait attendu patiemment faut de pouvoir se tirer, il n'arrivait qu'à se porter lui même à grand peine. Il n'aurait pas réussi à ramener cette belle décoration. Tant pis. Au moins, il était en vie. Il dormirait peut-être une semaine mais c'était l'hiver, et l'hiver... Y'avait rien pour le disculper mais peut-être que quelqu'un prendrait cette excuse au sérieux.