Le long manteau de la nuit l’enveloppait. Autour d'elle, la réalité s'inversait à chaque instant. Il n'y avait plus ni de haut, ni de bas, mais un simple flottement, un entre-deux dans lequel elle se sentait bien, en apesanteur. Était-ce un rêve ? Il lui semblait pourtant être lucide. D'une lucidité endormie. Le fil de ses pensées se brisait aussitôt tissé. Elle n'était plus capable de raisonner, mais des centaines d'émotions brutes, contradictoires, fusaient de manière éphémère au travers de son esprit avant de s'évanouir. C'était agréable de se laisser porter. De ne plus être un corps mais une vague d'énergie pure. Une lumière irradiait au cœur des ténèbres et semblait la guider. Cela devait être la sienne. Alors, apaisée, elle se laissa dériver dans cet univers onirique. Un siècle s'écoula. Elle entrouvrit un œil. Un écho du passé venait de l'atteindre, mais déjà il s'estompait. Elle avait revu un dragon s'élever dans les airs et cracher ses flammes infernales. Qu'avait-elle revu ? Elle ne le savait plus... Elle ferma les yeux et se rendormit, se laissa glisser au plus profond de l'obscurité. Des visages apparaissaient parfois, mais leurs traits restaient diffus, noyés dans les remous de ses pensées. Elle rêvait, désormais elle en était certaine. Le passé s'estompait, le futur s'estompait. Elle tombait, elle s'élevait, elle plongeait au fin fond d'un abîme sans fin dans la plus totale abstraction.

    Et soudain, elle s'immobilisa. C'était là la fin du voyage. Le temps semblait s'être arrêté. Elle était recroquevillée sur elle-même dans une position fœtale. Ses poings fermés se serrèrent et une étrange sensation stimula le bout de ses doigts. Le toucher. Elle avait oublié le toucher. Lentement, elle s'éveilla, clignant des yeux plusieurs fois. C'était comme si son regard découvrait tout de nouveau. Par des mouvements ralentis, elle déploya ses bras, ses jambes. Elle s'étira avant d'immobiliser sa silhouette redevenue humaine au milieu des ténèbres. La jeune femme passa sa main devant son visage avant de baisser la tête pour regarder son enveloppe corporelle. Elle avait oublié tout cela... Où était-elle ? Qui était-elle ? Doucement, elle pivota, ou peut-être était-ce le monde qui tournait autour d'elle. Ses yeux ne parvenaient pas à accrocher un hypothétique horizon, bien qu'ouverts ils demeuraient comme endormis. Comment était-elle simplement arrivée ici ? Une énorme boule de feu implosa dans sa tête et la gueule d'un dragon se déchira, probablement hurlait-il de rage mais son souvenir était dénué de son. Et comme du sable entre ses doigts, son souvenir s'échappa.

    « Aqua. » murmura-t-on à son oreille.

    Elle cligna des yeux de nouveau, et ce fut comme s'ils s'ouvraient véritablement. Aqua... C'était ainsi qu'on l'appelait autrefois. Dans ce lieu mystérieux tout le reste semblait perdu, mais elle n'oublierait pas son nom. « Aqua », se répéta-t-elle afin de s'y accrocher. Maintenant, dans le monde des rêves, elle était pleinement réveillée. Au loin, une lueur apparut. Une lueur qui semblait destinée à la guider mais dont la force faiblissait à chaque seconde. Suivant son instinct, la jeune femme se laissa tomber dans les ténèbres sans quitter la lumière des yeux, flottant jusqu'à elle. Il lui fallut bien une éternité pour la rejoindre... Et lorsqu'elle fut suffisamment proche, alors que la lueur semblait sur le point de s'éteindre,cette dernière irradia d'un éclat d'une grande pureté, recouvrant toute l'obscurité dans laquelle elle avait erré jusque là. Cet éclat de lumière l'aveugla, mais son regard refusait de s'en détourner. Aqua sentit alors le bout de son pied heurter quelque chose, et, délicatement, elle atterrit sur un sol invisible. Pendant un court instant, l'intensité de la lumière redoubla, puis elle fut comme dévorée par les ténèbres et disparut, ne laissant derrière elle qu'un palier sur lequel la jeune femme se trouvait.

    Ses yeux balayèrent cet endroit fraîchement apparu. Il s'agissait d'une plate-forme circulaire composée d'un vitrail dont les cristaux scintillants étaient désormais la seule source de lumière. Ses motifs lui évoquaient des souvenirs dont elle ne parvenait pas à se saisir, et face aux visages que le vitrail arborait elle sentait une étroite connexion sans toutefois réussir à se l'exprimer de manière tangible. Il y eut un nouveau murmure à son oreille, mais le chuchotement mystique était trop faible pour qu'elle puisse en saisir la teneur. Aqua releva la tête, et c'est avec étonnement qu'elle constata ne plus être seule sur ce palier. Face à elle, il y avait deux silhouettes, une très grande et une autre très petite, dont les contours étaient encore imprécis. D'un pas lent et incertain, son corps semblait ne pas vouloir lui obéir totalement, elle s'en approcha. La plus petite silhouette des deux disparut, et la jeune femme tenta d’accélérer, de courir, pour les rejoindre, mais plus que sa vitesse c'était les distances qui semblaient se jouer d'elle et changer selon leur bon vouloir. A bout de souffle, elle s'arrêta sans même être parvenue à avancer.

    Comme par enchantement, elle se trouvait désormais à moins d'un mètre de la personne qu'elle tentait de rejoindre. Elle pouvait distinguer ses traits désormais. C'était ceux d'un vieil homme barbu à l'air sévère qui, pourtant, lui souriait paisiblement. Les sourcils d'Aqua se plissèrent d'un air perplexe. Elle avait la certitude de le connaître, mais qui était-il ? Alors, elle eut une révélation. Maître Yen Sid ! Son expression passa à la stupeur quand, tandis qu'elle reportait son regard sur lui, elle réalisa que le corps du vieux sage devenait peu à peu translucide et commençait à s'effacer. Paniquée, elle tendit la main vers lui pour essayer de le retenir, de l'aider et cria...

    « ... »

    Ses lèvres avaient bougé, mais aucune parole n'en était sortie. Un poids alourdit alors son cœur, puis ce fut une douleur infinie qui l'envahit, comme si tout au fond de lui quelque chose s'était effondré. Les dernières bribes du maître de la Keyblade s'évaporaient dans des étincelles de lumière. Aqua porta une main à sa poitrine pour contenir les flots de peine qui l'accablaient inexplicablement. Une larme coula de son œil, glissa sur sa joue et tomba sur le vitrail dans un bruyant clapotis. Puis ce fut le noir. De sinistres reflets violets s'échappèrent alors du vitrail qui se fissurait dans des craquements menaçants, plongeant l'endroit dans une atmosphère lugubre. La jeune femme eut un mouvement de recul. Mais elle ne pouvait pas fuir... Le sol vibrait autour d'elle. Puis il se mit à trembler. Une forme inhumaine s'extirpa lentement des ténèbres face à elle, une forme gigantesque qui ne cessait de croître et qui déploya ses ailes noires, prête à recouvrir le palier. Aqua était comme paralysée, son corps refusait de lui obéir. Les yeux rouges du monstre scintillèrent dans la nuit, fixés sur elle. Un cauchemar... C'était forcément un cauchemar. Le vitrail vola alors en éclats, et elle se sentit chuter dans l'obscurité.

    Elle était désormais allongée de tout son long, face contre terre. Du monde qui l'entourait, elle ne percevait qu'une odeur âpre de sang et de poussière, ainsi que la chaleur des flammes qui venaient presque lécher son corps. Il y avait eu une bataille ici... Péniblement, elle se redressa, et tomba à genoux en voyant l'endroit où elle se trouvait. Sous son regard horrifié se dressaient les décombres fumants de la tour de Yen Sid. Elle sentit son souffle s’accélérer, son cœur s'emballer...

    Et Aqua se réveilla en sursaut, manquant de rouvrir ses blessures, les yeux écarquillés, la respiration haletante, une main posée contre un mur adjacent et l'autre sur son cœur qui battait à tout rompre ! Mille pensées lui traversèrent l'esprit : la réunion tant attendue qui s'était finalement achevée, la dernière traîtrise d'Ariez, l'assaut de Bahamut auquel elle avait survécu de peu. Mais malgré tout cela, seules les images de son rêve occupaient ses pensées. Un funeste pressentiment habitait désormais son cœur. Elle pouvait le sentir tout au fond d'elle-même, ce sinistre présage ne pouvait avoir qu'une seule signification: quelque chose de terrible venait de se produire.