- Terriblement gênée par la situation, la commandante rassembla tout son courage pour ne rien laisser paraître. Adossée au dos du lit, une couverture sur son corps... elle se redressa, leva sa main droite couverte d'un bandage jusqu'à sa tempe. Son regard dans le vide, son menton levé mais une respiration rapide qui témoignait de son émotion.
La Générale, escortée de quelques uns des gardes, la salua respectueusement, bien que moins militairement... et s'en alla. Elle aussi fut blessée, mais n'était restée que quelques heures à l'infirmerie. Et ce jour-là, elle avait repris sa place de générale de la lumière, tandis que Ravness était en convalescence.
Regarder Cissneï et se dire qu'elle avait combattu Chernabog à ses côtés trois jours plus tôt... c'était comme contempler un vieux souvenir. Vêtue de ce complet, blessures à peine visibles et une jolie mine, Cissneï semblait parfois peu fiable mais se révélait plus solide qu'un roc... Elle était de ces personnes qui ne faillissent jamais, que l'on ne voit jamais dans un lit d’hôpital très longtemps.
Pour ce qui est de la commandante de la garde, c'était moins amusant. Les blessures qu'elle avait cru létales étaient vraiment profondes. Son corps avait été relativement ravagé par les effroyables griffes de Chernabog... et je ne parle pas de ces séquelles dont elle était affublée ici et là. Ses mains, ses bras étaient jonchées de brûlures qui, bien que douloureuse, n'étaient que des détails... des égratignures de guerre, comparées aux quatre plaies parcourant son corps. Les soins magiques comme médicaux avaient pu refermer les lésions béantes, mais rien n'avait pu faire disparaître la laideur repoussante des immenses cicatrices sur son corps. Et dans cet état, la commandante ne pouvait plus marcher et devait attendre encore quelques jours en convalescence avant d'espérer pouvoir tenir sur ses jambes.
Couchée dans un lit de l'infirmerie, habillée d'une chemise blanche et à manches longues... avec cet vêtement comme dans son uniforme désormais détruit, peu de ces cicatrices étaient visibles. En fait, elle avait réfléchi... plutôt énormément à la question, jusqu'à aujourd'hui. Et elle en était venue au constat que seules quelques traces de la cicatrice sur ses cuisses seraient visibles si elle portait ses jambarts et son short.
La raison de sa gêne... et la raison de la venue de Cissneï à son chevet, c'est qu'en raison de sa conduite dans la ville sombre, elle mériterait une promotion.
Une promotion parce que les autres et elle avaient bien failli y rester, si j'ose dire. Nirid avait été enterré la veille, à la cité des rêves, elle s'en était assurée... Et que ce jour-là, Cissneï lui annonce qu'elle était à présent Seigneur, Ravness ne pouvait que penser à lui. Il est tellement certain qu'il aurait été fier d'elle. Le lieutenant Nirid n'était pas son ami, mais d'une façon ou d'une autre, il appartenait à la famille des gardes de la lumière. Plus que beaucoup d'autres, il fut pour elle un vrai allié. Elle était bien sûr un peu triste mais les conditions de sa mort n'avaient pas été surprenantes sur le moment. Elle avait cru mourir peu après lui, et aussi n'avait pas été vraiment touchée ou surprise. Et à présent que Nirid se révélait être la seule perte de la lumière lors de cette opération, elle peinait à remettre les choses à leur place et à voir sa mort comme celle d'un allié qui lui était au moins un petit peu cher.
Un peu comme si elle ne se rendait pas compte.
Mais je me suis mal exprimé. Ce n'est pas du tout le fait de devenir Seigneur qui la gênait ! Bon sang, non, elle attendait ça depuis des semaines. Elle était active, efficace et importante dans la lumière. Certes on la voyait peu affairée aux petites missions mais elle se consacrait à corps perdu à sa propre tâche, la défense du château.
Cela faisait à peu près deux ans que Cissneï l'avait nommée Commandante.
Ces choses-là l'importaient énormément. Je ne l'ai que trop dit, elle est attachée aux grades, et le fait de monter la hiérarchie était une véritable satisfaction.
Elle le méritait.
Cependant elle ne put cacher sa frustration et sa gêne lorsque la générale lui offrit cette promotion dans un moment aussi peu délicat, alors qu'elle n'était pas en armure et surtout peu présentable.
Un bref instant, elle regarda dans les lits aux alentours, vérifiant bien que nul ne la regardait... et l'instant d'après, elle s'enfuit sans discrétion sous sa couette.
Et si elle n'était pas suffisamment atteinte pour se cacher sous sa couverture pour qu'on ne la voie pas... elle voulait se rassurer, c'était légitime, sur l'état de sa peau. Elle regarda sous sa chemise les cicatrices qui la parcouraient.
Ravness ne put s'empêcher de détourner les yeux, un peu émue par son état, avant de retirer sa tête de sous la couette et de la reposer sur l'oreiller, regardant le plafond, les yeux un peu perdus.
Deux cicatrices sur son abdomen semblaient déchirer son ventre et le haut de son bassin, tandis qu'une troisième jonchait son thorax et traversait sa poitrine.
Voir ou même l'imaginer lui faisait assez mal... Elle ne sentait plus la douleur, grâce aux soins, mais en l’occurrence, c'était bien son moral qui était atteint. Jusque-là elle détestait déjà assez son corps pour être épargnée de ces horreurs, pensait-elle.
Avant, mal à l'aise nue devant la glace... Maintenant dégoûtée et effrayée.
Bien entendu, elle n'allait pas pleurer. Elle était en public et surtout, était une guerrière qui devait s'attendre à échapper de cette guerre défigurée ou même amputée de membres.
Elle pensa à Oakley et... curieusement fut presque rassurée. L'option selon laquelle Oakley verrait un jour ces cicatrices ne l'effraya pas, puisqu'elle se souvint aussitôt d'une lettre que lui avait envoyée son amie. Une lettre qui évoquait l'enfance difficile de la cow girl, mentionnant une maman qu'elle trouvait parfaite. Ravness n'avait pas oublié cette description qu'avait faite Oakley de sa mère, la décrivant bien sûr comme étant jolie, ce que Ravness pouvait croire sans problèmes, mais ayant comme témoins de ses nombreux combats de très nombreuses et vilaines cicatrices sur tout le corps.
La garde soupira, un peu rassurée. Elle n'aimerait sans doute pas la vue de ces cicatrices, mais elle devrait être la seule personne à ne pas être dégoûtée par elles.