« Le Clown beau et le Renard »
La dernière fois qu’il a mis le pied dans cette forêt d’ineptes et d’inaptes, c’était juste avant sa faillite. Juste avant que le destin devienne le pire des connards et qu’il décide de tout retirer à un renard qui ne méritait pas tant de haine et de misère. Bon, vous me direz qu’il le méritait, et je vous répondrai que… Ouais. Vous avez totalement raison.
Renart est donc retourné à la source pour se ressourcer, en fait. Pour voir comment les choses ont évolué depuis qu’il ne possède plus rien et qu’il est considéré comme un simple paysan. Et franchement, sa joie est telle quand il remarque que tout est sans-dessus-dessous! Les habitants sont furieux, l’administration est médiocre et y’a des groupuscules de résistants un peu partout dans la ville qui s’acharnent contre un certain Kefka, un clown pas trop sain d’esprit et pas tellement intelligent. C’est le chaos, ici, et ça lui plaît. Ça lui plaît de voir à quel point il est essentiel au bon fonctionnement de cette communauté d’incapables. Ça lui plait de voir que plus rien ne fonctionne depuis qu’il est parti. Admirer toute cette confusion le rend décidément heureux.
Et heureux, il marche. C’est un peu égoïste et hautain d’agir ainsi devant ce chaos, mais… Non, il n’y a pas de mais, en fait. Il est clairement égoïste et hautain.
Après avoir déambulé plusieurs minutes avec cette démarche arrogante qui le caractérise et qui fait de lui une figure intergalactiquement reconnue, il décide de retourner sur les (anciennes) terres familiales, sur le lieu même où il remporta/vola/déroba avec bestialité/violence/mesquinerie ses premiers munnies. En cheminant vers sa destination, il est assailli par une ondée de vieux souvenirs qui viennent l’assommer. Il se revoit, dans la force de l’âge, de la beauté, de la prospérité et de la gloire, falsifier des contrats, voler des clients, jouer l’escroc et arnaquer de pauvres gens qui pensaient investir des fonds pour des orphelins malades! Nostalgique, il ne peut empêcher une minuscule larme de perler dans le coin de son œil, une larme de fierté qui vient mouiller le pelage soyeux enceignant son museau… Qu’il est beau quand il a des sentiments!
Épris par des émotions – et Dieu (son père) sait à quel point il considère qu’avoir des émotions est importun, futile et improductif –, il essaie de se concentrer pour voir la réalité en face : il n’a plus rien et il doit travailler pour remplir ses salles du trésor vides. Ainsi, sa mélancolie prend une teinte de ferveur et il marche de plus en plus vite dans la forêt, prêt à reprendre, par la force ou non, les champs de son enfance! Il marche. Il court, presque. Non, il galope dans ses plaines sylvestres avant cette classe qui ahurit tous les passants sans exception! Il est prêt, il est près. Il le sent. C’est maintenant ou jamais et, aujourd’hui, ce n’est pas jamais. Plus rien ne peut l’arrêter!
Plus rien!
Plus rien…
Plus rien, sauf un pied sournois. Sauf ce garde qui lui sert de piste d’atterrissage.
…
Quand il reprend conscience, il se rend compte qu’il a un incroyable mal de tête. Il se sent comme s'il avait reçu une bonne dizaine de coups de matraque au crâne. Et pour l'avoir vécu, il peut vous assurer que ce n'est pas tellement plaisant. « Je suis mort, c’est ça? » qu’il s’interroge en se sentant planer, voler. Autour de lui, des rires se mettent soudainement à fuser dans tous les sens. Paniqué, Renart veut prendre sa canne pour se défendre, son révolver ou, mieux, son courage, mais ne parvient pas à bouger les mains. « Où sont passées mes mains? Qu’on me redonne mes mains sur-le-champ! Ils sont ma propriété. » D’autres franches rigolades viennent tourmenter son éveil. Il essaie de regarder dans les environs, mais constate qu’il ne voit plus. Il est aveugle, on l'a aveuglé sans pitié! « Et rendez-moi mes yeux! Et… Que se passe-t-il? » Encore et encore, que des rires pour réponse, que des rires qui réverbèrent dans la tête de Renart et qui le font frémir un peu plus. Ouais, en effet, on peut à peu près dire qu’il a peur dans l’immédiat. Mais n’en parlez pas aux autres, car ça souillerait son blason de tête froide et de créature franchement virile. Si les gens l'apprenaient, sa réputation de mâle alpha en prendrait plusieurs coups (de même que son orgueil de fer).
Soit, quelques minutes plus tard, voyant que ses cris ne sont pas écoutés et qu’il ne peut fuir (mais fuir quoi?), il commence à penser à réfléchir à se calmer. C’est à cet instant précis que les voix décident de l’informer sur sa situation. « Alors, très cher monsieur, vous êtes arrêté pour avoir tenté d’assassiner violemment un garde de la légion de son Altesse Kefka. » Renart ne comprend pas. Il déteste ne pas comprendre. « Cessez ces balivernes! Je n’ai pas tenté de tuer un garde, c'est un mensonge faux et teinté de tant de… fausseté. En tout cas, pour cette fois-ci, je suis purement innocent! » Les voix se taisent un moment. « Vous expliquerez tout cela au juge. » Au juge? Tentative d’assassinat? Kefka? Être ou ne pas être? Le sens de la vie?
Tant de questions et si peu de temps pour y réfléchir, car presque instantanément, on le dépose sur le sol et on retire son bandeau. Il n’a même pas le temps de se rendre compte qu’il est enchaîné sur une chaise qu'il entend la même voix. « Mesdames et messieurs, mâles et femelles, veuillez accueillir son Altesse Kefka, grand juge suprême et régent de cette fabuleuse contrée. » Sans exception, tous les gens présents dans la salle se lèvent pour acclamer ledit clown comme s'il s'agissait de la messie. Décidément surpris, Renart ne comprend toujours pas, mais il faut dire qu’il a arrêté de vouloir comprendre depuis belle-lurette. La forêt de Sherwood n’est plus ce qu’elle était depuis qu’il est parti… Il doit la reconquérir!