Le monde tournait autour d'elle au son d'une musique douce, elle avait un peu le tournis mais elle s'efforçait de rester bien droite, une de ses jambes formant un arc gracieux pour rejoindre l'autre, et son buste légèrement penché sur le côté, l'un de ses bras suivant sa courbe tandis que l'autre se plaçait au niveau de sa taille, maintenant son équilibre. Elle était bien jolie, avec son corset couleur or qui lui étreignait la poitrine. Elle était bien jolie, avec ce petit nœud doré qui maintenait si bien en place ses cheveux sombres en fil noir qu'elle souffrait de la tension que sa peau subissait. Elle était bien jolie, avec ces voiles écarlates qui couvraient à peine ses jambes, lui laissant l'impression d'être nue aux yeux de tous. Elle était bien jolie, les rubans d'or dévorant ses jambes, avec ses pointes si tendues qu'elles devraient en saigner. Elle était bien jolie, avec son visage coloré de petites touches rosâtres, toute pâle de sa peau de cire, un sourire inexpressif figé aux lèvres et de grands yeux bleus qui semblaient ne pas pouvoir se fermer. Elle était bien jolie, dans sa prison de verre, cette petite ballerine. Et quand enfin son supplice s'arrêtait, la manivelle tournait de nouveau et ses rondes recommençaient au son de cette infernale musique. Il y avait des rires, des exclamations... Qu'elle était jolie, cette petite ballerine ! Comme elle tournait bien ! Oui, elle serait parfaite sur l'étagère de la chambre de la plus jeune, immobile, à regarder le temps passer jusqu'à être oubliée, sa prison de verre recouverte de poussière, jusqu'à ce que le monde se ternisse du spectre gris de la saleté, pour enfin, enfin n'être que ténèbres et solitude. Oui, c'est sûr, elle était vraiment jolie, cette petite ballerine. Il faisait nuit, et, de son étagère, elle pouvait voir la lune à travers la vitre. Et bientôt, dans le silence seulement troublé par la respiration régulière de l'enfant dans son lit, elle pu voir une ombre discrète se hisser sur le rebord de la fenêtre entrouverte. A première vue, c'était une petite fée avec des ailes mécaniques, les cheveux relevés, une robe bleue très courte et les pieds nus. Elle ne distinguait pas son visage depuis son étagère, mais elle pouvait la voir faire de grand signe en direction du jardin... Et bientôt deux silhouettes la rejoignirent sur le bureau qui faisait face à la fenêtre. Il semblait y avoir une sorte de canidé avec une collerette blanche autour du cou et, chose étrange, une crête d'écailles parcourait son échine et il avait une longue queue aussi bleue que le reste de son corps ! L'autre personnage à leur côté lui paraissait bien plus traditionnel, une peluche à vue d'oeil, un singe au pelage violet avec des bottines rouges et un sac à dos... « Babouche, passe moi ton sac. » s'exclama la petite fée alors que la peluche s'exécutait. La petite ballerine se plaqua contre la paroi de verre, observant la scène avec attention. « Si tu dois aller quelque part, je te guiderais tu peux me croire ! Je suis la carte, j'suis la ca... » s'égosilla le jouet que sortit la fée avant d'être bâillonné par ses mains de plastique. « Sshh ! Vous allez réveiller la petite ! » s'exclama le jouet bleu. Le singe s'agitait, visiblement paniqué... Et dans son effervescence, il renversa un pot à crayons qui s'écrasa bruyamment sur le bureau ! Sans hésitation, les trois jouets s'élancèrent et sautèrent dans la corbeille à papier ! La petite ballerine retint son souffle lorsque la fillette s'éveilla, surprise par le bruit. Soudainement, elle se leva en râlant et quitta la pièce, laissant la porte ouverte. « C'est le moment ! We can do it ! » vociféra la peluche avec enthousiasme. Habile, le singe escalada le bureau, la petite fée suspendue à sa queue d'une main, tenant le chien bleu de l'autre. « Alors, la Carte... Dis-nous ce que tu sais si tu ne veux pas finir ta carrière de jouet comme presse-papier ! » s'exclama la brunette. « Et ne chante pas ! » renchérit-elle, pointant vigoureusement son index sur le jouet ! Un peu hésitante, la Carte finit par parler. « Mes informateurs m'ont affirmé que l'objet que vous cherchez se trouve dans l'un des tiroirs de la commode rose ! » Le jouet bleu laissa échapper un aboiement menaçant. « Mais il y a huit tiroirs ! Tu ne peux pas être un peu plus précis ?! » La fée se massait les tempes, visiblement agacée par ses jappements de mécontentement. « Silence Aquali, je réfléchis. » Assise en tailleur grâce à ses jambes articulées, elle était plongée dans ses pensées sous le regard attentif de ses compagnons. « Qui nous dit que tu ne nous mène pas dans un piège, la Carte ? Chez Andy, tu es connu pour être un traître, prêt à vendre ses amis pour sauver sa peau ! » Elle le regarda d'un air qui se voulait méchant. « Alors ? Qu'as-tu à dire pour ta défense ?! » grogna Aquali, réprimandé immédiatement par un vif mouvement de main de la petite fée lui intimant de se taire. La Carte semblait inquiète, elle tremblait de partout ! « Non, non, je vous jure, je vous guiderais, vous pouvez me croire ! » s'exclama le jouet en fredonnant. La fée se tourna vers le singe. « C'est toi qui le connaît le mieux, Babouche. Qu'est-ce que tu en dis ? » La peluche plaça sa main sur son torse d'un air circonspect, comme pour vérifier qu'elle s'adressait bien à lui. « On n'a pas le choix, le temps nous est compté ! » La fée semblait fort ennuyée, elle s'impatientait, ses ailes vibrant légèrement. « Entendu. Mais si tu nous as trompé... Je t'abandonne dans le couloir, et le monstre de Sid te dévorera ! C'est clair ? » La petite fée croisa les bras et ferma les yeux... Et le groupe se mit à léviter doucement mais sûrement jusque la commode ! La ballerine en était abasourdie, c'était un spectacle incroyable ! Une fois au sol, les jouets entreprirent de fouiller les deux tiroirs inférieurs. Visiblement, ce qu'ils cherchaient n'y était pas, mais ils se servirent des vêtements qu'ils extirpèrent comme promontoire pour accéder aux tiroirs suivants. Malheureusement, la petite équipée n'eut pas plus de succès... « Babouche, fais moi la courte échelle, et toi, Aquali, surveille la Carte. » annonça, autoritaire, la petite fée. La peluche s'empara délicatement de la brunette et la souleva aussi haut que possible afin qu'elle puisse atteindre le bouton du tiroir, pour enfin se hisser au sommet de la commode. A nouveau, elle ferma les yeux, et les quatre petits tiroirs s'ouvrirent, manquant d'assommer Babouche au passage ! Tour à tour, elle inspecta chacun des tiroirs avec soin. Enfin, elle s'extirpa du tiroir, l'air triomphant, brandissant un bâton rose fluo couvert de paillettes ! « Yes, you did it ! » s'écria Babouche ! La petite fée leva le pouce en signe de victoire et sauta dans le tiroir inférieur avant de rejoindre le sol. Alors que les jouets commençaient à s'agiter, la fée se figea soudainement « Silence. Ecoutez. » Des grognements sourds, un pas pesant... Le parquet grinçait... Le petit groupe retenait son souffle, sur le qui vive... Soudain, la porte claqua contre le mur, laissant entrer le monstre, narines frémissantes, prêt à dévorer tout jouet sur son passage ! « C'EST SCUD ! » La petite fée ne perdit pas son sang froid, contrairement aux autres jouets. Elle attrapa Babouche par son sac et y enfourna rapidement la Carte et le bâton étrange avant de repousser Aquali et la peluche sur le côté. Scud les avait repéré, il allait foncer sur eux... Une aura dorée entoura la petite fée et un volatile apparu près d'elle. « Babouche, prends Aquali et réfugiez vous sur les étagères ! » La brunette, quand à elle, s'éleva dans les airs pour attirer l'attention du chien. Elle était très proche de lui, mais assez en hauteur pour échapper - de peu - à ses crocs lorsqu'il bondissait vers elle. Soudain, le chien s'immobilisa avant de tomber au sol, désorienté. Il tapotait son crâne de sa patte en couinant... Profitant de sa distraction, la fée fit un geste vers la chaise de bureau et la projeta sur le chien qui valsa vers les étagères qui tremblèrent violemment sous le choc. Le volatile d'or bondissait, ses passagers bien accrochés, évitant difficilement la pluie d'objets qui s'abattait sur eux pour rejoindre enfin le bureau, sain et sauf. La brunette les attendait déjà, les yeux teintés de rouge. « Quel bazar... » murmura-t-elle en observant le sol de la chambre... Le chien, étourdi, était étendu au sol sous deux livres qui avaient achevé de l'assommer. Les étagères étaient presque vides, leur contenu s'étant déversé sur le tapis. Il y avait des stylos, des peluches, des boîtes de CD... Et, derrière un jeu de cartes, des débris de verre desquels provenait une musique hachée dont le son s'estompait un peu plus à chaque instant... Au milieu des éclats, une petite ballerine désarticulée. Mila l'observa du haut de son perchoir. Elle était bien jolie, avec son corset tout déchiré. Elle était bien jolie, avec ses cheveux noirs auréolant son visage. Elle était bien jolie, avec ces voiles écarlates qui ne masquaient même plus ses longues jambes disloquées. Elle était bien jolie, allongée sur le sol de tout son long, inerte. Elle était bien jolie, avec son visage coloré de petites touches rosâtres, toute pâle de sa peau de cire, un sourire apaisé figé aux lèvres, les paupières closes... Elle était bien jolie, au milieu des ruines de sa prison de verre, cette petite ballerine... |