Vent Rapide courait à travers la forêt du Pays Imaginaire... Cet Indien, réputé pour sa vitesse, avait pour habitude de le faire chaque jour... Mais aujourd'hui, cela n'était guère par plaisir. Il courait, courait, courait sans s'arrêter. Il fuyait... Devant quoi ? Lui même ne le savait pas... Vent Rapide s'arrêta quelques secondes, reprenant son souffle, guettant les fourrés d'un regard paniqué, aux aguets du moindre signe suspect, branche qui craquerait, buisson qui remuerait subrepticement. Les Indiens étaient habitués à distinguer au travers de la nature, mais lui, aujourd'hui, ne voyait rien... Une goutte de sueur coulait sur sa tempe droite. Sa respiration était haletante, malgré sa pause, et son cœur battait, battait à tout rompre. Tout avait commencé le plus normalement du monde, les bois étaient sûrs depuis que les pirates n'y venaient plus, mais tout avait basculé lorsqu'il avait entendu cette voix... Cette voix, cette voix... Séduisante et terrifiante à la fois, tentatrice et malfaisante...

« Viens à moi... Vent Rapide... »

Il eut un sursaut de frayeur! Un gémissement craintif lui échappa. Cette voix, encore cette voix. Cette voix dont chacune des paroles semblait siffler comme un serpent, cette voix qui résonnait dans sa tête, qui résonnait encore et toujours... Il recula, se sentant observé. Il n'y avait pourtant personne mais c'était comme si un regard maléfique était posé sur lui constamment, épiant le moindre de ses mouvements. Il finit par se heurter à l'écorce d'un arbre, et ses doigts se crispèrent contre ce dernier. Non, il n'y avait personne, il n'y avait personne, il n'y avait personne! Cela était tout bonnement impossible, il devait délirer! Et alors qu'il restait immobile, recroquevillé contre cet arbre, il crut percevoir des chuchotements. Faibles au départ, puis omniprésent. De plus en plus fort, mais il ne percevait aucune parole... Simplement un chuchotement grandissant qui ne faisait que l'effrayer d'avantage. Sur son front, de nouvelles gouttes de sueur perlaient... Et un frisson lui parcourut l'échine toute entière lorsqu'il crut entendre une petite voix lui murmurer au creux de l'oreille...

« Voyons quelles sont tes peurs... »

Vent Rapide fit un bond en avant, se retournant rapidement pour constater qu'il n'y avait personne derrière lui. Quel était donc ce maléfice ?! Et avant qu'il n'ait pu se poser d'autres questions, sa vue se brouilla. Il cligna des yeux, brièvement... Et le décor qui lui apparut le pétrifia. Il n'était plus dans la forêt... Mais devant lui, le campement Indien était ravagé... Les tipis étaient en flammes, les corps de ses amis gisaient sur le sol, la plupart dans un bain de sang... Et une mystérieuse brume nappait le massacre... Une larme coula de ses yeux écarquillés et glissa le long de sa joue, de nouveaux gémissements craintifs sortirent de sa bouche, comme si les mots qu'il aurait voulu dire restaient bloqués au fin fond de sa gorge... Et aussi soudainement que la vision lui était apparue, elle s'estompa. L'obscure forêt s'étendait de nouveau devant lui, mais la peur l'étreignait toujours...Vent Rapide se retourna subitement, et reprit sa course folle pour fuir cette malédiction, ce lieu hanté... Car il avait maintenant la certitude d'être confronté à un démon...

Mais rien n'y faisait... Le poursuivant comme s'ils l'accompagnaient, les chuchotements persistaient et semblaient toucher son âme... Puis, après une course de plusieurs minutes, le silence revint... A la fois pesant et apaisant. Il s'arrêta de nouveau, épuisé... Avait-il enfin fui cette folie...? Seul les battements de son cœur, qui résonnaient dans tout son corps, répondaient à ses questions... Rien, plus rien... Cela n'avait-il été qu'en fin de compte un rêve ? Vent Rapide se laissa tomber à terre, tâchant de reprendre ses esprits... Et quand tout semblait de nouveau normal, l'horreur vint de nouveau vers lui... Il ne s'agissait plus de chuchotements cette fois, mais de pleurs... De pleurs d'un nourrisson... Il se redressa rapidement, balayant du regard la zone dans laquelle il se trouvait. Puis ce furent des hurlements... Des hurlements d'hommes, de femmes, des cris de martyrs que l'on torturait... Et au milieu de tout cela, un rire imprégné de folie, un rire déstabilisant et effrayant... Vent Rapide se recroquevilla sur lui même, reculant à petits pas. Qu'avait-il donc fait aux Dieux pour mériter une telle chose ?

Face à lui, une aura bleutée apparut... Immatérielle tout d'abord, mais qui prit petit à petit une forme humaine... Il s'agissait de la silhouette d'un homme, sa carrure le laissait deviner dans la force de l'âge, mais certaines parties de son visage étaient rongées par les vers, et au milieu de son ventre, il y avait une fente putride qui laissait entrevoir ses boyaux. L'Indien, avec effroi, reconnut finalement la personne qui venait de lui apparaître... Son propre père... Des images lui revinrent en mémoire, des images qu'il ne voyait que dans ses pires cauchemars... La mort horrible qu'il avait connue face au Capitaine Crochet, alors qu'il essayait de le protéger. Il n'était, à cette époque, qu'un enfant... Lentement, comme si chaque geste lui coûtait énormément, la silhouette leva son bras décharné vers lui avant de le pointer du doigt. Et d'une voix d'outre-tombe, fantomatique, il lui dit...

« Tu m'as... abandonné... Vent Rapide... »

De nouvelles larmes lui échappèrent. Cela n'était pas réel, cela n'était pas réel, cela n'était pas réel! Il poussa un hurlement de terreur et de détresse et reprit une nouvelle fois sa course, ne s'arrêtant pas cette fois. Il parcourut une immense partie de la forêt, fuyant la colère des démons, et parvint finalement à en sortir...

Vent Rapide était arrivé à la lisière du bois... Il reconnaissait l'endroit où il se trouvait. Le lagon des sirènes... Un lieu bien agréable... Ici, le soleil lui souriait, le calme clapotis de l'eau atténuait ses craintes. Il avait enfin fui ce lieu maudit, et une chose était certaine, plus jamais il n'y mettrait les pieds seul! Contemplant la beauté du Pays Imaginaire, et heureux de sa survie, l'Indien eut un sourire...

Un sourire qui fut bien vite remplacé par la douleur. Laissant échapper une exclamation de surprise, Vent Rapide se pencha en avant en crachant une gerbe de sang! Son regard se posa sur son ventre, et il constata avec stupeur qu'il avait été transpercé! Ce fut là sa dernière vision avant qu'une dizaine de flèches magiques ne viennent se planter dans son dos... L'achevant sans qu'il ait compris les raisons de sa mort ni de son calvaire... L'homme s'écroula alors, son regard devenu vitreux rivé sur le lagon... Et il expira...

Ultimecia sortit des bois, ses longues ailes noires rabattues dans son dos. D'une démarche lente mais assurée, elle s'approcha du corps de l'homme qu'elle venait de froidement tuer avant de le toiser d'un regard hautain. Les êtres humains étaient finalement si faciles à manipuler lorsque l'on savait par où les prendre... La Songe était toutefois satisfaite de ce déroulement. Elle était parvenue à le guider exactement là où elle le souhaitait, et le voir fuir ses plus grandes peurs avait été un spectacle particulièrement délectable... Mais il restait une dernière chose à achever. Sans plus de cérémonie, la Sorcière posa l'un de ses pieds sur le corps qui gisait, et le repoussa d'un mouvement sec, ce qui l'envoya plonger au fin fond de l'eau... Elle resta de marbre lorsqu'elle vit les sirènes se ruer sur le cadavre pour le dévorer, attirées par l'odeur du sang et de la chair fraiche qui les faisaient céder à leurs plus bas instincts. Avant que leur repas ne prenne fin toutefois, la Songe fit flotter dans les airs la seule chose qui restait encore de Vent Rapide : l'un de ses bras. Elle le laissa retomber dans l'herbe, à la vue de quiconque passerait... Et si un autre Indien venait à le découvrir, il reconnaîtrait immédiatement le membre de sa tribu grâce au tatouage qui l'ornait...