Durant des mois entiers, et des années intégrales, j'ai lu. J'ai lu et consulté des milliers d'ouvrages différents, variant entre les poèmes et les nouvelles, passant des vieux livres d'histoire jusqu'aux documents de première-main. Mais pourtant, je me souviendrai éternellement d'une simple citation que j'ai pu apercevoir dans l'un de ses bouquins. La phrase allait fidèlement comme suit : L'Amour, c'est le risque de ne jamais être aimé en retour. L'Espoir, c'est le risque d'éprouver de la souffrance et de la déception. La Persévérance, c'est le risque de faire face à l'échec. Mais après tout, le risque doit être pris, car les meilleures choses arrivent souvent lorsqu'on a daigné oser. J'ai pris des heures à la relire, à l'analyser, à la tenter. Ce n'est qu'après cela que j'ai compris que j'étais un être soumis, dominé par les ordres de la Coalition Noire. Qu'advenait-il de ma liberté? J'en avais aucune; brimée et possédée par mes assaillants. Cependant, j'ai daigné; j'ai osé le tout et pour le tout, et pour la première fois de toute mon existence, j'ai pris un risque. Et j'ai pu fuir ma prison perpétuelle, la bibliothèque dans laquelle j'étais séquestré depuis toutes ces années… Mais l'audace a-t-il seulement ses bons côtés? Si je n'avais pas pris mon courage à deux mains et si je n'avais pas décidé de retourner à la source, jamais mes ravisseurs n'auraient pu me retrouver. Mais cette preuve de courage m'a aussi permis de faire la rencontre de Mérope, cette sublime demoiselle, que j'ai tristement monté dans toute cette histoire… Donc, est-ce que je regrette d'être retourné à la source; au Domaine Enchanté? Jamais. Tout arrive pour quelque chose.
Oui. Tout arrive pour quelque chose; même dans de telles circonstances. Les scientifiques de la Coalition Noire m'avaient pisté, découvert et capté pour la seconde fois, prenant Mérope en otage par le fait-même. Les choses s'étaient passé à une vitesse fulgurante; à une vitesse si impressionnante que je n'eus le temps de réagir pour me sauver de cette fâcheuse situation. Ce que je regrettais avec ardeur, ce n'était pas d'avoir été séquestré de nouveau par mes assaillants, mais bien d'avoir fait en sorte d'intégrer Mérope dans ce pétrin. Ils nous avaient enfermé de force dans un vieux vaisseau gummi, et le regard aveuglé par un simple morceau de tissu, nous ne pûmes voir dans quelle direction nous nous dirigeons. Tout ce que je savais, c'était que je devais agir promptement pour épargner l'existence d'un innocente, d'une demoiselle à qui je tenais plus que tout sur l'univers. Eh oui, Mérope; ma Mérope…
Je me réveillai finalement, souffrant comme si on m'avait martelé la tête d'une massue. Ma vision était floue, affectée par quelconque drogue… Lorsqu'elle se clarifia finalement, je pris le temps de balayer du regard la salle dans lequel j'étais. C'était lugubre, malsain et les murs étaient colorés d'une teinte d'ébène qui ne faisait que rendre l'endroit encore plus sombre. Des bureaux étaient installés à chaque extrémité de la pièce, bloquant par le fait-même la seule issue de la pièce. Mais par-dessus tout cela, ce qui attira davantage mon attention, c'était l'amas de squelettes qui trônaient à quelques mètres de moi. Des squelettes… des cadavres décomposés… des effluves à glacer le sang… Mes assaillants paraissaient donc prêts à tout pour me disséquer et essayer de reproduire ma capacité; mon épiderme d'acier. Mon temps était inexorablement compté; chacune des secondes qui s'écoulait m'approchait un peu plus de la Faucheuse. Je voulus donc agir : tirant comme un forcené, j'ai tenté de me libérer des chaînes métalliques qui encerclaient mes poignets. J'ai même tenté d'utiliser la magie pour rouiller le métal, mais en vain. Au moment où je sentais le désespoir s'emparer de moi, je vis Mérope dans la même situation… Elle était là, assise sur une vieille chaise, toujours meurtrie par les somnifères. Tentant d'étirer mon cou, je lui dis ultimement :
« Mérope… Je suis désolé, sincèrement désolé. Je dois te sortir d'ici… »
Ma phrase fut interrompue par un vacarme sonore : les deux hommes venaient d'entrer en scène, ouvrant la porte avec agressivité, retournant le bureau qui bloquait son accès. Mine de rien, ils s'approchèrent tranquillement de moi, chacun de leurs pas résonant sur le sol. Je pouvais entendre leurs rires gras, presque glaciaux, et je frémissais qu'à l'idée de les voir marcher vers moi. Ils me regardèrent de leurs regards hébétés, et épièrent mon corps de fond en comble. Je les regardai également, essayant de les culpabiliser et de les convaincre du regard, mais sans effet. Ils restèrent là, immobiles plusieurs secondes, jusqu'à ce qu'ils se retournent dans un synchronisme presque effrayant… Je voulus hurler, mais aucun son ne sortit de ma bouche. J'étais clairement angoissé, et mon visage devait sûrement transparaître de cette peur inégalable. Mais pourtant, je n'avais pas réellement peur pour moi, mais plutôt pour l'avenir de Mérope. Si elle était arrivée ici, c'était purement et uniquement de ma faute, et non de la sienne…
Puis, curieusement, ils cheminèrent aussitôt jusqu'aux côtés de Mérope. Ils la dévisagèrent à son tour. Je voyais leurs paires d'yeux pervers se balader sur tout son corps, et inapte, je ne pouvais rien faire pour les arrêter. Et alors que je m'y attendais le moins, l'un des deux homme se mit à lui flatter le bras… Ses doigts valsaient sur sa peau, puis escaladèrent ses épaules pour finalement s'éprendre de ses cheveux, de sa longue chevelure dorée… J'étais furieux, complètement provoqué; mes poings se serrèrent comme jamais et je grognai de toutes mes forces :
« Ne touchez pas à Mérope. Tuez-moi, mais ne la touchez pas. »
Comme prévu, ils se retournèrent vers moi, rigolant.
« Ézéchiel, Ézéchiel, Ézéchiel, soupira l'un des deux assaillants. Le charmeur de ses dames, dirait-on. C'est que tu as grandi et maturé, p'tit gars. Mais juste au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je te rappelle que tu es attaché et que tu ne peux rien faire contre nous. Alors, tes répliques héroïques nous passent bien au-delà. »
Ils avaient raison, tristement raison sur toute la ligne. Les liens métalliques qui me retenaient solidement à la chaise étaient presque impossible à défaire. Je ne pouvais bouger, mes pieds et mes poignets étant ligotés. Tout ce que je pouvais faire pour le moment, c'était d'user de la parole et de la diplomatie, même si je savais qu'au fond, ce n'était pas la meilleure solution. Les scientifiques de la Coalition Noire étaient, pour les avoir longuement côtoyés dans le passé, des êtres ignobles, sans valeur. Ils ne convoitaient que la richesse, la gloire et l'influence, alors que les sentiments des autres n'étaient que des pions sur l'échiquier. Pour les convaincre, je devais utiliser la force brute, je devais les annihiler. Cependant, dans de telles circonstances, le moindre geste devenait une véritable géhenne… Je détestais ces hommes, et je les détesterais éternellement d'avoir dérobé ma liberté et d'avoir brusqué Mérope.
Et je les dévisageai de nouveau, essayant encore et encore de me détacher. Ils s'approchèrent de moi dans une démarche nonchalante, presque dérangeante, et ils me frappèrent. Ils me frappèrent comme dans le passé, comme lorsque j'étais encloîtré dans la bibliothèque. Les coups fusaient de tous les côtés, et alors que je ne ressentais presque aucune douleur, j'étais tout de même étourdi par ce petit jeu. Singulièrement, ils continuèrent de me frapper durant une pénible minute, où ils alternèrent entre les coups de pied et les impacts armés. Moi, impuissant, je me laissais faire, commençant à ressentir une parcelle de douleur. Je me concentrais pour repousser ma peine, pour encaisser sans ressentir la moindre souffrance, mais pourtant, je me sentais faiblir au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Heureusement, ce petit jeu se termina d'un coup de poignard dans l'épaule. La lame étant peu aiguisée, elle ne cribla pas ma peau, mais me bouscula lourdement. Finalement, se reculant quelque peu, l'un d'eux dit :
« Eh bien… C'est toujours aussi impressionnant. Voyons maintenait si tu es capable de résister à cela. »
L'un des assaillants plaqua mon bras contre la chaise, alors que l'autre dégainait une seringue de son manteau. L'instrument contenait un liquide fluorescent, qui brillait contre l'obscurité de la pièce. Les hommes rirent en chœur pour l'énième fois et la seringue s’incrusta tranquillement dans mon biceps. Je sentais le liquide affluer dans mes veines, me sentant de plus en plus léger. Je ne me sentais pas comme si j'étais sur le point de m'endormir ou de sombrer, mais plutôt comme si on me retirait quelque chose que je possédais depuis ma naissance. Et j'allais bientôt comprendre que ce simple liquide contrait les effets de ma peau d'acier… Moi qui croyais que j'étais invincible.
Aussitôt, l'un des hommes dégaina un scalpel, prêt à me découper. Ce même monsieur affirma simplement :
« Passons maintenant à une petite opération. Voyons ce qui est à la source de cette peau magique… »