La chasse au robot.

La chase
au robot

- Un jouet robot nommé Mecha-Tagger ravage la chambre d'Andy depuis plusieurs heures. Rends-toi là-bas et arrête-le. Il commence à bousiller tout sur son passage et Woody est trop poltron pour le stopper par lui-même. Évidemment, je n'ai pas besoin de t'avertir que tu devras t'adapter à ta forme de coffre à jouets, n'est-ce pas?

Aucune réaction de la part de la Bête, qui resta droite et médusée. Pendant quelques secondes, une quiétude inhabituelle régnait dans le Centurio, une placidité de mort à faire frémir même les plus intrépides. Puis, le regard de la Bête s'embrasa, s'enflamma comme si on lui avait incendié les yeux. Ses lèvres se crispèrent, ses poils se hérissèrent les uns après les autres et elle serra discrètement les poings. On pouvait clairement voir que la fureur s'emparait tranquillement de son âme. Ce silence pénible dura à peine quelques instants, mais le temps s'écoulait aussi lentement qu'un un sablier bondé de roches. Et ce qui devait arriver survint : la Bête ouvrit la gueule, et un grognement puissant s'échappa de celle-ci, fracassant ainsi la sérénité comme la guillotine pourrait trancher la tête d'un condamné. Le hurlement de la Bête fut si intense que tous les mercenaires présents furent propulsés violemment. Ce grondement assourdissant marqua également le départ de la Bête, qui quitta le quartier général sans ne rien ajouter. Un monde de jouets, de peluches, de pantins et de personnages électroniques... Et puis quoi encore?

* * *

Le trajet vers le Monde des Jouets fut plutôt laconique, d'autant plus que la Bête passa tout son temps à réfléchir à Belle et à sa résidence, toutes deux perdues lors de l'assaut de la Coalition noire. Comme lorsqu'elle devait affronter la bande de brigands, cette mission était un pas de plus vers la réussite; vers sa douce moitié et son château. Même si cette mission s'avérait fort désagréable – d'autant plus que la mutation n'aidait pas au bonheur de la Bête –, elle devait l'accomplir pour devenir meilleure, pour être prête pour l'affrontement ultime entre les Mercenaires et le groupuscule des ténèbres. Elle espérait ce moment avec une telle impatience, une telle velléité qu'il était difficile de penser à autres choses. Mais pour l'instant, elle devait ardemment centraliser ses pensées sur sa future mission, pour être bien certaine de la réussir et bonne et due forme. Parce qu'elle devait être à son meilleur pour sauver Belle.

Après un déplacement de quelques heures, elle arriva finalement au seuil du Monde des Jouets. Elle quitta le vaisseau du concessionnaire Shinra, rémunéra le conducteur et se dirigea vers le portail qui menait au merveilleux univers d'Andy, de Woody et de tous leurs compagnons. Au fil de ses pas lourds et nonchalants, on ressentait l'anxiété dans ses yeux : la Bête redoutait le moment où elle allait traverser le fameux portail. Et elle continua de cheminer vers l'accès, tout en réfléchissant à ce qui allait probablement se dérouler. À quelques mètres de la destination, elle s'arrêta quelques instants et soupira bruyamment, puis fonça dans le néant, souhaitant avec espoir de ne pas trop être défigurée.

Un grognement bestial,
Un tintement de cloches agaçant,
Et un hurlement perçant.

Non, la Bête ne s'était pas métamorphosée en poupée, heureusement. Sa transformation ne concernait pas non plus le vaste monde robotique, ni même une figurine de combat. Non, sa mutation était encore pire que tout cela. En dépit de ses souhaits désespérés, elle était devenue une peluche, mais pas n'importe laquelle. Un peluche velue comme on n'en avait vue auparavant; une peluche sale et hideuse; une peluche à faire hurler les enfants les plus sages. Quand son regard traversa le reflet d'un miroir, la Bête retint littéralement un cri, pour ne pas alerter les autres. Cela lui avait pris des années à s'accepter – et accepter est encore un grand mot –, et voilà que la nature et le destin l'empiraient. Elle eut comme un haut-le-cœur et tentant d'oublier son apparence effroyable, se dirigea vers la chambre d'Andy, là où le problème provenait. Dans une démarche gauche et étroite, elle se fraya un chemin parmi tous les jouets traînant sur le sol froid et se rendit à sa destination, ayant de la difficulté à s'adapter à ses jambes coincées.

Lorsqu'elle pénétra dans la chambre à coucher d'Andy, elle remarqua aussitôt le robot détraqué qui courait dans tous les sens. Les autres jouets autour, les plus vaillants du groupe, essayaient tant bien que mal de l'arrêter, mais tous semblaient apeurés par la folie de Mecha-Tagger, qui perpétuait son délire en fonçant sur une peluche innocente. Observant la scène qui se déroulait devant ses yeux ébahis, la Bête s'esclaffa quelques instants : les circonstances étaient si ridicules... Qui aurait pu déterminer qu'un jour, la redoutable et sauvage Bête aurait eu à arrêter un minable jouet? Elle leva le menton et déambula hautainement jusqu'aux côtés du robot. Elle savait très bien qu'elle n'en ferait qu'une bouchée.

Mais ses désirs n'étaient que rêves, puisque Mecha-Tagger était beaucoup plus cinglé que la Bête le croyait. Ayant à peine eu le temps de foncer, elle se retrouva déjà sur le sol, gisant dans une marre de figures de combat qui avaient innocemment tenté d'affronter le robot. La Bête se releva aussitôt et se précipita sur son rival, qui la propulsa dans les airs de nouveau. Ce petit jeu durant cinq pénibles minutes, jusqu'à ce que le Prince Adam en ait plus qu'assez d'être battu par un simple jouet électronique.

Sa force étant amplifiée par la rage, la Bête effectua un saut incroyable pour atterrir brusquement sur le dos du robot. Elle lui asséna plusieurs coups, en usant de ses faibles pouvoirs élémentaires, mais en vain. Mecha-Tagger continuait de courir d'un côté et de l'autre. La Bête avait beau frapper de toutes ses forces, son opposant ne semblait point affecté. Pour simple réponse, il se contentait que d'insulter le Prince Adam d'une voix synthétique. Cette affrontement plutôt sanglant – au sens figuré –, dura au moins dix minutes. Pendant tout le combat, Mecha-Tagger avait facilement pris le dessus. La Bête s'affaiblissait à vue d'œil, mais pourtant elle ne semblait pas vouloir abandonner : ah! les hommes et leur orgueil démesuré...

Elle fut finalement lancée à plusieurs mètres dans les airs, et atterrit heureusement sur le lit d'Andy, ce qui amortit la chute et qui sauva la Bête des griffes assidues de la Mort. Étonnamment, le robot ne profita pas de la position défavorable de son ennemie pour l'assommer une bonne fois pour toutes, mais n profita plutôt pour capturer une délicate poupée qui avait eu le malheur de pénétrer dans la chambre. En apparence, la demoiselle-jouet était magnifique : elle avait de longs cheveux bruns, des yeux marron, une interminable robe azurée... comme Belle. La Bête se mit à la contempler quelques instants, comme si elle venait de découvrir le feu. Ses pensées se brouillèrent, et elle resta immobile sur le lit plusieurs secondes, oubliant même la notion du temps. C'est à ce moment que le Prince Adam se rendit compte à quel point sa dulcinée comptait à ses yeux... et à son cœur. Il devait la retrouver à tout prix.

La Bête reprit finalement ses esprits et plongea dans le feu de l'action. Alors que la demoiselle-poupée hurlait d'une voix brisée par la peur, la peluche hideuse accourut auprès de Mecha-Tagger. Malheureusement, la Bête fut piégée par un plan sordide du robot. Elle se retrouvait à plat-ventre sur le sol, ne pouvant plus se relever. Des cordes enrubannaient tout son corps, lui empêchant ainsi de se mouvoir adéquatement. Devant ses yeux, une scène effroyable se déroula : la poupée qui ressemblait fort à Belle fut aussitôt meurtrie par des coups violents du jouet électronique détraqué. La Bête voyait l'innocente souffrir, mais elle était impuissante face à cela. Mais, encouragé par l'adrénaline, le Prince Adam eut une idée de génie.

Durant son entraînement personnel au Château de la Bête, elle avait acquis une technique bien spéciale qui lui permettait de prendre pour soi toutes les blessures de personnes visées. Elle décida donc de se sacrifier pour le bien d'une simple poupée, en se concentrant fortement sur elle. Aussitôt, alors que personne ne le touchait, elle ressentit une douleur atroce au visage, et des plaies se formaient magiquement. La demoiselle-poupée criait toujours, mais elle ne semblait plus souffrir, comme si chaque coup lui procurait maintenant que de la peur. Ce jeu se perpétua longuement, ou jusqu'à ce que Mecha-Tagger soit affecté par un manque d'énergie. En effet, alors qu'il continuait de frapper la poupée sans la blesser, Woody profita de la distraction pour le ligoter avec son lasso. Et on entendit plus parler de Mecha-Tagger.

Entre temps, des figurines d'action vinrent sauver la Bête du piège établi par le robot. Cette dernière voulut se relever, mais en vain. Elle souffrait tellement qu'il lui était impossible de faire quoi que ce soit. La seule chose qui la retenait en vie était l'espoir. Mais l'espoir se dissipa bien vite : ses yeux se fermèrent.

* * *

La Bête se réveilla quelques heures plus tard, étendue inconfortablement sur quelques morceaux de tissu et un petit amas de rembourrage. Lorsque sa vue s'éclaira, elle put distinguer deux étranges personnages, un cowboy et une peluche bizarre, qui apposait des bandages sur le front du Prince Adam. Ce dernier, abhorrant au plus au point le fait d'être touché par quiconque (sauf Belle), se releva plutôt facilement, à sa plus grande surprise. La Bête remercia ses infirmiers improvisés et demanda, d'une voix trop sérieuse :

- Et comment va la poupée qui a été attaquée?

Son ton de voix était curieusement grave et empathique, comme si elle ressentait vraiment du regret pour ce qui s'était passé. La dernière fois qu'elle avait employé un tel débit, c'était lorsque la Bête disait au revoir à Belle avant d'être expulsée de son propre château. Le cowboy-jouet lui affirma :

- Elle est en pleine forme. Et Mecha-Tagger a été ligoté puis on a retiré ses batteries. Il n'embêtera plus les jouets. Tout ca, grâce à vous. Je vous en remercie.

La Bête se dirigea vers le seuil de la chambre d'Andy sans ne rien ajouter et avant de quitter définitivement le Monde des Jouets, il observa pour une dernière fois l'univers dans lequel il était. Au loin, il vit la poupée identique à Belle qui lui souriait gentiment. Il se retourna une bonne fois pour toutes et partit.

Belle lui manquait atrocement.